CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le 21 février 1953, le président Dwight D. Eisenhower décorait le général Walter Bedell Smith de la toute première National Security Medal alors que ce dernier quittait la direction de la Central Intelligence Agency (CIA) pour devenir le numéro deux du Département d’État. Le nouveau chef de l’exécutif rendit hommage à celui qui fut son chef d’état-major durant la Seconde Guerre mondiale en saluant le niveau d’efficacité sans précédent atteint par l’appareil de renseignement des États-Unis [1]. Ce panégyrique était compréhensible au vu des liens personnels entre les deux généraux, voire justifié par les réformes entreprises par Smith dans un contexte international marqué par la guerre de Corée [2]. Pour autant, le degré d’efficacité de cette bureaucratie bâtie progressivement à partir de 1945 suscitait à Washington davantage d’inquiétude que de satisfaction. Le général Smith lui-même, en dressant un bilan de son action, avait pointé de sérieuses lacunes. Avec une franchise qui lui était propre, il avait admis que la communauté du renseignement n’était pas en mesure de « produire du renseignement stratégique sur l’Union soviétique avec un degré de précision et de rapidité que le Conseil de sécurité nationale serait en droit d’attendre [3] ». Ce faisant, il accréditait les réserves qui avaient gagné le gouvernement depuis la création de la CIA en 1947, avant d’être confirmées lors du conflit coréen. Durant ses premières années, l’Agence se trouvait donc dans une position assez peu enviable, caractérisée par une influence sur la politique de sécurité nationale nettement inférieure à celle du Département d’État ou du Pentagone. La création en 1952 d’une agence de renseignement chargée d’intercepter et décrypter les communications étrangères – la National Security Agency (NSA) – et son rattachement au département de la Défense avaient confirmé la faiblesse institutionnelle de la CIA.

2Les deux mandats de Dwight Eisenhower à la Maison-Blanche transformèrent pourtant la stature de l’Agence, au point d’être considérés par l’historiographie comme son « âge d’or [4] ». Le débarquement anticastriste conduit par la CIA à Cuba en avril 1961 démontra qu’elle était devenue un acteur incontournable de la politique étrangère américaine. Cette opération avortée révéla également l’ascendant dont elle disposait au sein de l’appareil d’État. Rétrospectivement, le président John F. Kennedy regretta d’avoir manqué d’esprit critique et de résolution face aux responsables de ce projet [5]. S’il avait été avalisé par le nouveau président, le plan avait été élaboré par l’administration Eisenhower. Le mode opératoire retenu reflétait l’expérience acquise par la CIA dans le domaine de l’action clandestine, c’est-à-dire de l’ensemble des opérations secrètes visant à exercer une influence ou entraver une menace à l’étranger et pour lesquelles le gouvernement doit pouvoir réfuter toute responsabilité de manière crédible. L’objectif de cet article est d’expliquer les circonstances de cette transformation et de démontrer comment l’action clandestine a été le catalyseur du changement de statut de la CIA. Pour ce faire, il conviendra d’étudier l’articulation théorique et pratique de l’action clandestine avec l’administration Eisenhower et sa politique étrangère, de l’élaboration du New Look à la conduite de ces opérations par la CIA en passant par la relation des frères Dulles avec le chef de l’exécutif.

Les priorités de la nouvelle administration

3L’évolution de la politique étrangère américaine et du rôle de la CIA est indissociable de l’arrivée au pouvoir d’une administration républicaine, après vingt années de domination démocrate sur l’exécutif. Il importe de rappeler que la réorganisation des moyens de sécurité et de défense, qui aboutit à la création de la CIA, est intervenue durant la présidence de Harry Truman. C’est également durant cette période que l’Agence devint l’opérateur exclusif de l’action clandestine [6]. Les années Truman se caractérisent pourtant par une nette retenue dans le recours à ces activités. Au-delà d’un déficit d’expérience inhérent à toute nouvelle organisation, le général Walter Bedell Smith, qui prit la tête de la CIA en octobre 1950, considérait que l’action clandestine détournait son organisation de sa mission première, la production de renseignement. Il était également très méfiant vis-à-vis des partisans de ces opérations secrètes, à commencer par son adjoint Allen Dulles [7]. En outre, la stratégie défensive du containment s’accordait difficilement avec des opérations d’influence dont la finalité aurait été un reflux du communisme en Europe ou en Asie. Quelques opérations furent envisagées, comme en Albanie contre le régime prosoviétique du Premier ministre Enver Hoxha. Ce projet fut abandonné en raison de fuites imputées à l’agent double britannique Harold « Kim » Philby, qui avait pénétré les services de son pays ainsi que la CIA pour le compte de Moscou [8]. Les sources disponibles suggèrent également l’existence d’opérations de guérilla en Chine durant la guerre de Corée [9]. À la fin de l’année 1952, le rejet par Truman d’un projet d’opération proposé par les Britanniques et visant à renverser le gouvernement iranien de Mohammad Mossadegh démontrait que l’outil de l’action clandestine était manié avec prudence par l’administration démocrate [10].

4L’élection de Dwight Eisenhower en novembre 1952 promettait d’ouvrir une nouvelle phase en matière de politique étrangère. Cette thématique fut en effet la principale source de clivage entre le général cinq étoiles et son adversaire démocrate Adlai Stevenson. Le contexte intérieur et extérieur, marqué par la traque du sénateur républicain Joseph McCarthy et la guerre de Corée, avait fait de la lutte contre le communisme le sujet dominant de la campagne présidentielle. Pour les républicains, il permettait d’exploiter la faiblesse de l’administration sortante en adoptant une posture de fermeté. Ce climat avait par exemple poussé Eisenhower à prendre ses distances avec son mentor, le général George C. Marshall, alors en proie aux accusations calomnieuses de McCarthy [11]. Quant au conflit coréen, sa durée combinée à son coût matériel et humain avait nourri dans l’opinion publique la perception d’une guerre inutile [12]. Pour le Parti républicain, cette guerre démontrait l’échec de l’endiguement pratiqué par l’administration Truman et justifiait un changement de cap. En conséquence, le candidat Eisenhower adopta une ligne dure face à l’Union soviétique, inspirée par John Foster Dulles et son appel à accompagner la « libération » des peuples captifs d’Europe de l’Est [13]. Le choix d’une rhétorique agressive ne signifiait pas pour autant qu’Eisenhower entendait intervenir militairement pour renverser les régimes communistes d’Europe de l’Est. Ainsi que l’a souligné l’historien François David, le refoulement prôné en 1952 était « très électoraliste et superficiel [14] ».

5Pour prendre la tête de la diplomatie, Eisenhower fit appel à Foster Dulles, qui était l’une des personnalités les plus influentes du Parti républicain dans le domaine des affaires étrangères. Le 21 novembre 1952, il demanda au directeur de la CIA Walter Bedell Smith d’accompagner Dulles au Département d’État pour devenir son adjoint. Cette décision fut parfois interprétée comme une manœuvre concertée des frères Dulles destinée à permettre au cadet, Allen, d’accéder à la direction de la CIA. En réalité, elle illustrait la volonté d’Eisenhower, qui connaissait mal son futur secrétaire d’État, de disposer d’une personne de confiance à Foggy Bottom. D’autre part, la promotion d’Allen Dulles ne fut pas aisée. En effet, le général Smith redoutait que celui qui fut son adjoint pendant deux ans ne transformât la CIA en un « département de la Guerre clandestine [15] ». Il tenta donc de dissuader Eisenhower en proposant des candidats alternatifs avant de se résigner. Toutefois, l’annonce de la nomination de Dulles n’intervint que le 24 janvier 1953, soit quatre jours après l’investiture du nouveau président. Entre-temps, des candidats comme l’ancien directeur de l’Office of Strategic Services (OSS) pendant la guerre, William J. Donovan, ou l’adjoint de MacArthur en Corée, le général Albert C. Wedemeyer, s’étaient déclarés. Ce contretemps, qui démontrait les hésitations et tiraillements du président élu, avait poussé Allen à se rendre à New York pour envisager sérieusement un plan de carrière alternatif [16].

6La position des frères Dulles au sein de l’administration entrante augurait d’une rupture nette avec la politique étrangère de Truman, sur la forme d’abord, avec la rhétorique agressive du secrétaire d’État. Ce dernier assumerait publiquement, comme l’a souligné Fred Greenstein, les positions les plus tranchées, permettant au chef de l’exécutif d’adopter une posture plus consensuelle [17]. Par ailleurs, l’action clandestine promettait de prendre une ampleur inédite sous la direction de son plus fervent partisan. La presse vit dans la sélection d’Allen Dulles, connu pour son expérience à l’OSS durant la guerre, le signe d’une expansion des activités relevant de la « guerre psychologique ». Ces dernières devaient permettre de « faire reculer la pénétration soviétique en Europe et en Extrême-Orient » par « des moyens pacifiques » [18]. La CIA semblait donc appelée à occuper une place importante dans la stratégie internationale d’Eisenhower qui répondait à une double exigence : « refuser l’asservissement d’aucun peuple » et maintenir « une puissance militaire suffisante » sans toutefois nuire à la santé de l’économie américaine [19]. Autrement dit, il fallait endiguer l’Union soviétique de manière plus dynamique qu’auparavant mais aussi contenir les dépenses militaires avec plus de rigueur.

7La place de la CIA au sein de la nouvelle administration fut également conditionnée par l’expérience substantielle de Dwight Eisenhower en matière de renseignement. Sa carrière militaire, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, lui avait permis d’acquérir une vision à la fois globale et précise du fonctionnement et des enjeux de ces activités. En outre, il avait manifesté un intérêt appuyé pour l’action clandestine qui l’avait conduit à intégrer cet aspect dans la planification et l’exécution des débarquements d’Afrique du Nord et de Normandie [20]. L’historien Kenneth Osgood souligne que le général Eisenhower fut « l’un des partisans les plus précoces et constants de la guerre psychologique » alors que cette pratique était traditionnellement perçue comme peu utile par les militaires [21]. La dimension idéologique du conflit entre Washington et Moscou ne fit que renforcer cette conviction chez le général cinq étoiles. Durant la campagne électorale de 1952, il évoqua publiquement cette problématique pour fustiger le bilan de Truman. Dans un discours consacré à la politique étrangère, le candidat républicain appela à faire un meilleur usage des activités relevant de la « guerre psychologique », qu’il définissait comme la « lutte pour l’esprit et la volonté des hommes » [22]. Avant même de prendre possession du Bureau ovale, le général Eisenhower considérait l’action clandestine comme un instrument indispensable pour gagner la Guerre froide en évitant le cataclysme d’une guerre chaude. C’est pourquoi il créa, quelques jours seulement après son investiture, une commission pour étudier les « activités d’information » du gouvernement en lien avec les affaires étrangères et la sécurité nationale [23]. Présidé par William H. Jackson, qui fut directeur adjoint de la CIA sous le général Smith, ce groupe de travail s’intéressa en réalité aux objectifs et à l’organisation des opérations clandestines. Dans ses conclusions, il confirma la place centrale de la CIA dans l’action clandestine, y compris en matière de guérilla, et recommanda la création d’un nouveau mécanisme de coordination au sein du Conseil de sécurité nationale. Le rapport traitait essentiellement de questions opérationnelles ; il n’abordait ni la place ni l’ampleur que ces activités devaient avoir dans la stratégie des États-Unis [24].

Une influence initialement limitée pour la CIA

8Pour autant, la CIA n’apparaissait pas dans une position particulièrement enviable au début de la présidence Eisenhower. Elle ne fut pas épargnée par la rigueur budgétaire prônée par l’administration républicaine. Son nouveau directeur reconnut l’existence d’une « pression » au sein du gouvernement pour réduire les coûts, ajoutant que cette dernière était justifiée et qu’elle n’éluderait pas le renseignement. Devant ses employés, Allen Dulles insista sur l’importance d’utiliser les fonds secrets avec « le plus grand soin [25] ». Alors que le budget alloué à la sécurité nationale par la nouvelle administration devait être amputé de 5,2 milliards de dollars [26], l’Agence vit ses crédits diminuer d’un tiers. Ils passèrent de 500 millions de dollars en 1953 à 335 millions l’année suivante [27].

9Le mandat du président Eisenhower commença également par une déconvenue de taille qui confirmait le bien-fondé des réserves émises par le général Smith à propos de l’efficacité de la communauté du renseignement. La CIA, ainsi que l’agence chargée d’intercepter et de décrypter les communications étrangères, la NSA, furent prises en défaut par la mort de Staline, intervenue au début du mois de mars 1953. Le président Eisenhower apprit la nouvelle de l’attaque dont le généralissime avait été victime par les médias soviétiques le 4 mars. La Maison-Blanche fut informée du décès de Staline au moment de l’annonce officielle le lendemain. Dans les mois précédents, les agences de renseignement n’avaient identifié aucun signe de la dégradation de l’état de santé du dictateur soviétique [28]. Néanmoins, la CIA s’était préparée à cette hypothèse dès 1951 [29]. Ce travail permit au Psychological Strategy Board (PSB), l’organe interministériel établi par Truman pour coordonner les opérations clandestines, de présenter des propositions concrètes pour tirer profit de la disparition de l’homme fort du Kremlin. Selon un plan du PSB, les États-Unis devaient contraindre les successeurs de Staline à faire des choix difficiles, susceptibles d’alimenter des divisions au sein de l’appareil d’État et avec l’ensemble du monde communiste. Dans le même temps, la posture américaine devait viser à renforcer l’unité du « monde libre ». Pour ce faire, une « offensive de la paix » portée par un discours présidentiel apparaissait comme le point de départ d’une campagne destinée à compliquer la transition à la tête de l’Union soviétique [30]. Cependant, la nouvelle incarnation du régime, Georgi Malenkov, devança Eisenhower en appelant, dès le 15 mars, à un règlement pacifique des différends existant entre Moscou et Washington [31]. Au terme d’un mois de réflexions, qui impliquèrent les principaux cadres de l’administration, dont Allen Dulles [32], le président prit la parole pour réclamer « une chance pour la paix ». Il s’adressa directement aux responsables soviétiques pour leur demander des actes tangibles, sur des sujets comme la Corée, l’autodétermination des peuples d’Europe de l’Est ou le désarmement. Sur tous ces dossiers, demanda Eisenhower, « où se trouve la preuve concrète de l’intérêt de l’Union soviétique pour la paix ? » [33]. Cette intervention, que le biographe d’Eisenhower Stephen Ambrose qualifie de « plus beau discours de sa présidence [34] », ouvrit en réalité une période d’observation entre Washington et Moscou, conditionnée par la situation précaire du leadership soviétique.

10Outre la mort de Staline, Eisenhower hérita de l’épineux dossier des époux Rosenberg, condamnés à la peine capitale pour espionnage du programme atomique américain au profit de l’Union soviétique. Après l’échec de leur appel auprès de la Cour suprême en mai, seule une grâce présidentielle pouvait surseoir à leur exécution. Des manifestations de soutien furent organisées aux États-Unis et de par le monde. Des personnalités comme le pape Pie XII ou Albert Einstein participèrent à cette campagne. Pour la CIA, les Rosenberg offraient une opportunité notable en matière de propagande. Ses analystes avaient observé que les autorités soviétiques évitaient systématiquement d’exploiter d’éventuelles manifestations d’antisémitisme en Occident par crainte d’exacerber la « solidarité des Juifs » du bloc de l’Est. Le refus soviétique d’utiliser le procès des Rosenberg à des fins de propagande anti-américaine était, pour la CIA, la dernière illustration en date de ce « tabou [35] ». Dans un contexte de recrudescence de l’antisémitisme stalinien marqué par le prétendu « complot des blouses blanches [36] », Allen Dulles estimait que la grâce du couple d’espions pouvait être bénéfique. En contrepartie, ces derniers pourraient appeler « les Juifs de tous les pays » à se soulever contre le communisme. Ce faisant, les Rosenberg serviraient « d’instrument principal d’une campagne de guerre psychologique destinée à diviser le monde communiste sur la question juive [37] ». Les arguments du directeur de la CIA échouèrent à convaincre le président Eisenhower de faire preuve de clémence. Cependant, son raisonnement confirmait sa sensibilité aux problématiques relevant de l’influence. Il considérait en effet que céder à la pression des partisans des condamnés enverrait un signal de faiblesse démontrant la vulnérabilité des États-Unis face à des activités de subversion [38]. Les époux Rosenberg furent exécutés le 19 juin 1953.

L’action clandestine et le New Look

11En dépit de la posture offensive adoptée durant la campagne électorale, les premiers mois de la nouvelle administration furent marqués par une intense réflexion sur la stratégie à adopter face à l’Union soviétique. La disparition de Staline avait rebattu les cartes, comme l’avait démontré l’offensive de la paix lancée par la Maison-Blanche. D’autre part, les économies imposées d’emblée à l’appareil de sécurité nationale, notamment aux forces armées, nécessitaient des ajustements [39]. En mai, Eisenhower demanda à Walter Bedell Smith, Allen Dulles et à son conseiller à la sécurité nationale Robert Cutler de constituer trois groupes de travail pour examiner la politique de containment héritée de Truman et envisager des alternatives. Chacun de ces groupes devait étudier une proposition : poursuivre le containment de l’Union soviétique et de ses satellites ; durcir le containment en délimitant de manière ostensible des régions pour lesquelles les États-Unis n’accepteraient pas de domination communiste, notamment en Europe ; abandonner le containment au profit d’une politique de reflux du communisme dont l’objectif serait la « victoire » [40]. Cette mission fut baptisée « projet Solarium », en référence à la véranda de la Maison-Blanche où le président avait pris l’habitude de rassembler ses principaux conseillers.

12Alors que l’administration s’interrogeait sur un éventuel aggiornamento de la stratégie américaine de Guerre froide, la situation en Iran devait lui donner l’opportunité de créer un précédent en matière d’action clandestine. Les relations entre Londres et Téhéran s’étaient dégradées depuis l’arrivée au pouvoir, au printemps 1951, d’un gouvernement nationaliste qui s’était arrogé le contrôle exclusif de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC). Les Britanniques, qui avaient de ce fait été exclus unilatéralement du secteur pétrolier iranien, avaient cherché à faire pression sur Téhéran par le biais d’un embargo. Ils avaient ensuite songé à renverser le Premier ministre Mohammad Mossadegh, avant d’en être dissuadés par l’administration Truman. L’élection de Dwight Eisenhower changea la donne, y compris dans l’esprit des cadres de la CIA. À la fin de l’année 1952, un responsable de l’Agence suggéra à un homologue britannique que la nouvelle administration républicaine serait plus encline à agir contre Mossadegh [41]. Sous Truman, la CIA comme le Département d’État s’étaient montrés sceptiques à propos d’un éventuel renversement de Mossadegh. Jusqu’à la fin de l’année 1952, cette hypothèse était considérée à Washington comme inopportune car susceptible de déstabiliser l’Iran et, partant, d’offrir des opportunités au voisin soviétique [42].

13Dès mars 1953, le nouveau directeur de la CIA attira l’attention du président Eisenhower sur la question iranienne. Pour Allen Dulles, le pays était en voie de « désintégration ». Les tensions croissantes entre le shah Mohammad Reza Pahlavi et son Premier ministre risquaient de dégénérer en un conflit armé qui pourrait profiter, à terme, aux communistes iraniens soutenus financièrement par l’ambassade soviétique de Téhéran [43]. Dans le même temps, Foster Dulles se rallia à l’idée selon laquelle Mossadegh devait quitter le pouvoir car sa position de faiblesse était susceptible de profiter à Moscou. Parallèlement, le Département d’État s’intéressa aux successeurs potentiels de Mossadegh et se rangea derrière le général Falzullah Zahedi qui n’était pas le candidat idéal en raison de ses accointances avec l’Allemagne nazie, mais avait l’avantage d’être « amical envers les États-Unis et la Grande-Bretagne [44] ». En avril, l’antenne de la CIA en Iran reçut la somme d’un million de dollars afin d’affaiblir le gouvernement de Mossadegh. L’Agence confia alors à Kermit « Kim » Roosevelt, le responsable du Bureau Proche-Orient et Afrique, la direction d’une cellule dédiée [45]. Le président Eisenhower contribua à cette entreprise en rejetant une demande d’assistance adressée personnellement par Mossadegh en mai : « Le gouvernement des États-Unis ne peut actuellement pas se permettre d’accroître son aide à l’Iran ou d’acheter du pétrole iranien [46] ».

14La décision de renverser Mohammad Mossadegh fut entérinée au début de l’été 1953. Selon le récit de Kim Roosevelt, publié avec l’aval de la CIA en 1979, une grande réunion aurait eu lieu le 25 juin dans le bureau du secrétaire d’État, en présence notamment de Foster Dulles, du secrétaire à la Défense Charles E. Wilson, du sous-secrétaire d’État Bedell Smith et d’Allen Dulles, pour finaliser le plan de l’opération TPAJAX [47]. D’après une étude interne, rédigée en 1954 par un témoin des événements, les frères Dulles et le président Eisenhower auraient formellement autorisé l’opération le 11 juillet [48]. Quant au dernier volume d’archives publié en octobre 2018 par le Département d’État à propos de l’Iran, il stipule qu’« aucune autorisation du président n’a été trouvée» [49] . Cette absence n’est guère surprenante au vu du secret inhérent à l’action clandestine. De plus, l’intimité existant entre le secrétaire d’État et le directeur de la CIA complique toute tentative de discerner avec précision l’influence de chacun [50]. Néanmoins, les sources disponibles laissent peu de doutes quant au rôle moteur des frères Dulles. L’expertise d’Allen en matière d’action clandestine ainsi que l’adéquation de ce mode opératoire avec la situation iranienne et les objectifs stratégiques de la nouvelle administration suffirent à convaincre le secrétaire d’État puis le président de sanctionner une opération qui devait être menée de façon à ce que le gouvernement puisse nier toute implication.

15Le Premier ministre iranien fut renversé le 20 août 1953 et remplacé par Zahedi. Si l’issue de l’opération TPAJAX était conforme aux objectifs de l’administration, son déroulement avait donné lieu à des surprises potentiellement dommageables. L’équipe dirigée par Kim Roosevelt fut contrainte d’improviser lorsque le décret royal révoquant Mossadegh, qui devait marquer l’aboutissement de l’opération, suscita l’opposition d’une partie des forces armées. Cette évolution inattendue, qui équivalait à une remise en cause de l’autorité du chef de l’État, précipita la fuite du shah vers l’Italie. La CIA dut alors activer ses réseaux locaux afin de décrédibiliser Mossadegh par le biais de manifestations violentes et d’une mobilisation du clergé chiite contre le Premier ministre. In fine, les militaires prirent parti en faveur du shah, ce qui contraignit Mossadegh à se rendre. L’administration américaine avait obtenu gain de cause en parvenant à renverser un gouvernement étranger de manière clandestine, pour un coût humain et financier dérisoire.

16En septembre 1953, Kermit Roosevelt présenta au président Eisenhower et aux responsables de la sécurité nationale les enseignements de TPAJAX. Le récit de son retour d’expérience met en évidence la fascination que ce mode opératoire exerça sur le chef de l’exécutif et son entourage. En effet, alors que Roosevelt insistait sur ce qu’il considérait comme les éléments indispensables au succès d’une opération de ce type – le soutien de l’armée et de la population – son auditoire lui semblait en extase, comme incapable de percevoir les mises en garde qu’il formulait [51]. Nul doute que le succès de l’expérience iranienne entra en compte dans la finalisation de la stratégie qui intervint au même moment. C’est en effet le 30 octobre que les grandes lignes de ce qui deviendrait le New Look furent entérinées par la directive NSC 162/2. Malgré sa dénomination, le New Look était d’abord une répudiation de la politique de « libération » promise durant la campagne électorale et mise à l’épreuve dans le cadre du projet Solarium. L’administration Eisenhower s’inscrivait ainsi dans le cadre stratégique tracé par Truman et ses conseillers en 1947. Cependant, elle l’adaptait à l’évolution du contexte et à ses priorités, notamment budgétaires. Aussi le texte de NSC 162/2 stipulait-il que le gouvernement devait se donner pour objectif de « développer et maintenir, au coût le plus faible possible, la puissance militaire et non militaire requise pour dissuader et, si nécessaire, contrer une agression militaire soviétique ». Pour ce faire, le nucléaire était privilégié car il permettait un endiguement de l’Union soviétique à moindre coût. Ce faisant, les dépenses de défense ne viendraient pas grever l’économie, dont le dynamisme était conçu comme une arme idéologique par les rédacteurs de NSC 162/2. Parallèlement, des moyens « clandestins » devaient être mobilisés pour affaiblir la capacité de Moscou à étendre son influence. En créant et exploitant des situations problématiques pour le Kremlin, notamment dans ses relations avec Pékin ou avec ses satellites, l’action clandestine devait également servir à exercer des « pressions » sur les dirigeants soviétiques afin de les rendre plus réceptifs à des accords négociés [52].

17Si l’accent mis sur l’action clandestine dans NSC 162/2 s’accordait avec l’orientation générale impulsée par Eisenhower, il n’était pourtant pas inédit. En 1950, lorsque l’administration Truman avait réévalué sa stratégie à la lumière de la fin de son monopole atomique, l’action clandestine était apparue comme un instrument particulièrement attractif. Le texte de l’époque, NSC 68, avait insisté sur la nécessité d’intensifier les opérations clandestines, ce qui avait d’ailleurs précipité une restructuration de la CIA [53]. La spécificité de l’administration Eisenhower ne résidait donc pas dans la reconnaissance de la place de cet outil mais bien dans l’usage qu’elle en avait fait. En d’autres termes, le précédent de l’opération iranienne, qui avait permis de prévenir une éventuelle expansion soviétique à moindre coût sans attirer l’attention sur l’immixtion des États-Unis, donna sa singularité à la réaffirmation de la place de l’action clandestine dans la stratégie américaine de Guerre froide. Pour Eisenhower et son équipe, l’opération TPAJAX avait démontré que la CIA était un instrument efficace pour endiguer activement l’Union soviétique.

Un succès en trompe-l’œil au Guatemala

18La situation au Guatemala offrit à l’administration Eisenhower une nouvelle opportunité de recourir à l’action clandestine. Une fois encore, la perception d’une perméabilité du gouvernement local à l’influence soviétique précipita une opération secrète de la CIA. Depuis 1951, le Guatemala était présidé par Jacobo Arbenz, qui s’était fait élire en promettant de mettre fin à la dépendance du pays envers les États-Unis. Très vite, Arbenz avait pris des mesures contraires aux intérêts de la société américaine United Fruit Company. De plus, il était revenu sur l’interdiction des partis politiques d’inspiration communiste prévue par la constitution de 1945. En 1952, l’administration Truman avait envisagé l’éventualité de renverser Arbenz en fournissant des armes, par l’intermédiaire de la CIA, à un général exilé au Nicaragua, Carlos Castillo Armas. Par crainte des répercussions régionales d’une telle opération, le président démocrate y avait finalement renoncé [54]. Le Guatemala fut porté à l’attention de l’administration Eisenhower, non pas par l’un des frères Dulles, mais par l’ancien directeur de la CIA de Truman, Walter Bedell Smith. En tant que numéro deux du Département d’État, Smith bénéficia du désintérêt de Foster Dulles pour les affaires du continent américain pour faire office, ainsi que l’a noté son biographe, de « secrétaire d’État pour l’Amérique latine [55] ». Dès mars 1953, Smith insista lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale sur l’importance d’agir dans la région afin de « résolument empêcher le communisme de s’étendre au-delà du Guatemala [56] ». En août, après le succès de TPAJAX, la CIA se vit confier la responsabilité de renverser Arbenz. Selon une note du Conseil, une politique attentiste vis-à-vis du Guatemala aurait été « suicidaire [57] ».

19La planification de l’opération démontre à la fois la position centrale acquise par la CIA au sein de l’appareil d’État et la confiance placée dans l’action clandestine par l’administration Eisenhower. L’Agence reçut un vaste mandat lui permettant de solliciter le soutien d’autres acteurs gouvernementaux, ce qui la positionna au centre d’un processus interministériel [58]. Elle mit à profit cette autorité pour concevoir une opération sophistiquée et ambitieuse dont le nom – PBSUCCESS – trahissait l’assurance de ses concepteurs. Plus complexe que TPAJAX, l’opération se caractérisait par l’existence d’un large volet diplomatique et d’un volet paramilitaire. Les départements d’État et de la Défense devaient œuvrer pour isoler le Guatemala à l’échelle régionale afin d’affaiblir le gouvernement d’Arbenz. À ce stade, le retour au pays d’exilés guatémaltèques armés et entraînés par la CIA devait provoquer la chute du régime. En décembre 1953, Allen Dulles alloua un budget de trois millions de dollars à l’opération, qui fut placée sous la responsabilité de son adjoint en charge de l’action clandestine Frank Wisner. En dépit de sa dimension interministérielle, PBSUCCESS fut traité en interne par la CIA de manière extrêmement cloisonnée. La Direction du renseignement, responsable des activités analytiques, fut strictement tenue à l’écart de l’opération [59]. Cette pratique, qui faisait écho à la gestion de TPAJAX, confirmait le tropisme croissant d’Allen Dulles et de son équipe vers l’action clandestine au détriment de la production de renseignement, le cœur de métier de la CIA.

20La phase préparatoire de PBSUCCESS fut émaillée d’incidents et failles de sécurité qui auraient pu justifier son annulation. Des fuites émanant de l’entourage d’Armas permirent à Arbenz de recevoir, dès septembre 1953, des détails sur l’action paramilitaire alors en préparation au Nicaragua et sur le rôle éminent des États-Unis. C’est pour s’y préparer – plus que pour contrer l’isolement croissant de son pays – que le président du Guatemala se rapprocha de l’Union soviétique en achetant des armes à la Tchécoslovaquie pour un montant de près de 5 millions de dollars. Lorsqu’elle apprit l’existence de cette fuite au début de l’année 1954, l’équipe de Frank Wisner décida de maintenir l’opération en dépit du risque ; la CIA était à ce stade trop engagée pour faire demi-tour. La révélation par le gouvernement guatémaltèque de l’existence d’un « complot contre-révolutionnaire », que la presse américaine présenta comme une manœuvre de propagande d’Arbenz, n’altéra en rien la détermination américaine [60]. Au contraire, la livraison d’armes tchèques, que la CIA et le Département d’État tentèrent de perturber en vain, accrut la pression sur l’administration Eisenhower. En mai, John Foster Dulles rendit la nouvelle publique en exagérant la taille de la livraison, qu’il présenta comme la preuve flagrante de la collusion entre le Guatemala et l’Union soviétique pour étendre le communisme en Amérique latine. La presse s’indigna tandis qu’un parlementaire compara ces armes à « une bombe atomique posée au fond de notre arrière-cour [61] ».

21Officiellement, les États-Unis imposèrent un blocus naval au Guatemala. En coulisse, les préparatifs de PBSUCCESS s’accéléraient malgré le scepticisme de certains cadres de l’Agence. À ce moment critique, le président Eisenhower prit une posture de chef militaire pour dissiper les doutes de ses équipes. Les risques avaient été mesurés, les décisions prises ; il n’était plus question de remettre en cause une opération en cours [62]. Quelques jours après l’entrée au Guatemala d’Armas le 18 juin, les déboires de l’aviation rebelle suscitèrent de vives inquiétudes à Washington, y compris à la Direction des opérations de la CIA. Sans soutien aérien, l’effet psychologique qui devait accompagner l’invasion d’une centaine d’hommes et pousser l’armée guatémaltèque à se retourner contre Arbenz était compromis. Allen Dulles sollicita alors directement la Maison-Blanche pour obtenir l’engagement de deux avions américains. Alors que le directeur de la CIA estimait les chances de réussite de l’opération à 20 % avec cet appui additionnel, Eisenhower l’accorda sans hésiter. Le 27 juin 1954, Jacobo Arbenz abandonna le pouvoir sans avoir su relever le défi psychologique imposé par la CIA. Les tentatives maladroites d’Arbenz pour contrer l’opération américaine avaient créé l’impression d’un pays en proie au chaos et précipité un retournement des forces armées. Des collaborateurs d’Allen Dulles s’étonnèrent du manque de clairvoyance d’Arbenz qui, s’il avait eu la lucidité d’organiser une manifestation de soutien de quelques milliers de personnes dans les rues de Guatemala City, aurait probablement pu précipiter l’arrêt de l’opération [63].

22Par bien des aspects, l’opération PBSUCCESS est emblématique de la relation de l’administration Eisenhower avec l’action clandestine. Elle démontrait d’abord les failles et limites opérationnelles de la CIA. Les enseignements du renversement de Mossadegh, que Kim Roosevelt avait partagé avec les principaux cadres de l’appareil de sécurité nationale, n’avaient manifestement pas été retenus. D’autre part, le Guatemala mettait en évidence le pouvoir d’attraction de ce mode opératoire sur les dirigeants américains, Dwight Eisenhower et Allen Dulles en tête. Alors qu’Arbenz n’avait pas saisi l’impact de la dimension psychologique de l’action clandestine, Eisenhower et Dulles semblaient grisés par un mode opératoire qu’ils pensaient infaillible. Au-delà du précédent iranien, cette impression découlait du sentiment d’impunité engendré par le secret entourant ces activités. D’ailleurs, lorsqu’en juillet 1954, le président sollicita le général James H. Doolittle pour réaliser un audit des opérations clandestines de la CIA, sa préoccupation principale n’était pas de limiter leurs risques. Il désirait d’abord empêcher que l’examen de ces missions, qu’il affirmait ordonner personnellement, ne tombât sous la responsabilité d’une commission mandatée par le Congrès et dont la présidence avait été confiée à l’ancien chef de l’exécutif Herbert Hoover [64]. C’est pour accroître la crédibilité de cette manœuvre dilatoire que l’étude fut mandatée par le président, et non par Allen Dulles comme initialement prévu [65].

Un mode opératoire sanctuarisé

23Le rapport Doolittle fut remis à son commanditaire le 30 septembre 1954. Le texte illustrait parfaitement l’état d’esprit de l’administration Eisenhower par rapport à l’action clandestine. Il était indispensable d’être agressif dans ce domaine et d’employer, si nécessaire, des moyens plus audacieux que ceux de l’adversaire. Comme depuis l’institutionnalisation de l’action clandestine à la fin de l’année 1947, le recours à ces méthodes était justifié par l’attitude de l’Union soviétique, ses ambitions hégémoniques et les moyens employés à cette fin. Dans ce contexte, tout était désormais permis :

24

Il n’y a pas de règles dans ce sport. Les normes comportementales qui s’appliquaient jusqu’alors sont caduques. Si les États-Unis veulent survivre, ils doivent remettre en cause des idées traditionnellement américaines comme le « fair-play ». Nous devons développer des services d’espionnage et de contre-espionnage efficaces et devons apprendre à subvertir, saboter et détruire nos ennemis par des méthodes plus astucieuses, sophistiquées et efficaces que celles employées contre nous [66].

25Le président Eisenhower reprit à son compte ce constat en affirmant, en privé, que la tradition américaine de « fair-play international » était « difficilement applicable dans le bourbier dans lequel le monde [était] en train de sombrer » [67]. Au-delà de cette légitimation d’un recours massif à l’action clandestine, le rapport Doolittle offrait peu de détails sur le fonctionnement ou les dysfonctionnements des opérations conduites par la CIA. Ce n’était pas son objectif. Il recommandait, de manière très générale, d’améliorer le recrutement et la formation des personnels, de renforcer les mesures de sécurité liées aux activités clandestines et de gérer leur budget de manière plus rigoureuse. L’audit permit néanmoins d’aborder le sujet de la gestion de ces opérations par Allen Dulles. Parallèlement à la remise de son rapport, le général Doolittle fit part de ses réserves au président Eisenhower en personne. La relation singulière entre le directeur de la CIA et le secrétaire d’État était « fâcheuse ». Par ailleurs, Allen Dulles manquait de discernement, de distance ; il était jugé « trop émotif » pour diriger de telles activités. Le chef de l’exécutif balaya ces critiques d’un revers de main. Les liens entre Foster et Allen étaient avant tout « bénéfiques ». Dans ses nombreuses interactions avec le directeur de la CIA, il n’avait observé chez lui aucun trouble de la personnalité. « C’est une des formes d’activité les plus curieuses qu’un gouvernement puisse mener, il faut probablement un génie particulier pour les diriger », trancha le président [68]. Le soutien indéfectible du chef de l’exécutif à son directeur de la CIA devait perdurer jusqu’au départ d’Eisenhower de la Maison-Blanche. « Malgré ses limites, je préfère Allen à quiconque pour diriger le renseignement », confia-t-il à Gordon Gray, qui fut son conseiller à la sécurité nationale à partir de 1958 [69].

26Le premier mandat d’Eisenhower fut également marqué par une réorganisation des mécanismes de coordination de l’action clandestine, conformément aux recommandations du groupe de travail de William Jackson. Les réformes entreprises entre 1953 et 1955 visaient à permettre aux opérations conduites par la CIA de bénéficier d’un soutien interministériel plus efficace, ce qui équivalait à une consécration bureaucratique pour l’Agence. De plus, elles aboutirent à une plus grande implication de la Maison-Blanche dans la planification et la conduite de l’action clandestine. La directive NSC 5412/2 de décembre 1955 stipulait en effet qu’un représentant du président – en l’occurrence son conseiller à la sécurité nationale – devait être tenu informé « préalablement des principaux programmes clandestins conduits par la CIA [70] ». Cet aspect est d’autant plus remarquable que, comme l’a observé François David, ce cadre réglementaire servirait de « charte d’activité de la CIA jusqu’aux années 1970 [71] ».

27La relation entre la CIA et la Maison-Blanche fut mise à l’épreuve durant la seconde moitié de la présidence d’Eisenhower. Après l’Iran et le Guatemala, les États-Unis tentèrent en 1958 de renverser le président indonésien Sukarno qui s’était rapproché du parti communiste local. La CIA apporta un soutien à ses opposants au sein des forces armées indonésiennes, via la compagnie aérienne Civil Air Transport (CAT) qu’elle détenait secrètement. L’un de ses bombardiers B-26 fut abattu en vol et son pilote américain, Lawrence Pope, capturé par les forces loyalistes. Cette déconvenue, d’autant plus dommageable que Pope avait gardé sur lui des documents révélant son identité, précipita l’abandon de l’opération. Cet échec se doubla d’un camouflet pour Eisenhower qui avait commencé par nier l’évidence en affirmant que Pope était un mercenaire agissant pour son propre compte [72]. Néanmoins, l’Indonésie n’altéra en rien la confiance du président dans la CIA d’Allen Dulles ni dans l’action clandestine. L’Agence interféra ensuite au Congo et à Cuba, où elle fut chargée de faire disparaître les dirigeants en place, Patrice Lumumba et Fidel Castro [73].

28Si l’administration américaine usa de l’action clandestine sans retenue et avec peu de discernement dans le Tiers monde, le président veilla personnellement à ce qu’elle fût beaucoup plus prudente dans le bloc de l’Est. L’insurrection de Budapest en 1956 en offre l’illustration la plus convaincante. À l’instar des Soviétiques, les Américains furent pris de court par la tournure des événements alors qu’ils y avaient pourtant contribué. Au printemps, Allen Dulles avait en effet proposé à la Maison-Blanche de rendre public le discours secret que Khrouchtchev avait prononcé lors du XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique en février [74]. Ce texte, qui inaugurait la déstalinisation et suggérait que le Kremlin était disposé à reconnaître la diversité du monde communiste, avait fait la une de la presse en juin. En Hongrie, des manifestations provoquèrent un changement de gouvernement et une première intervention militaire soviétique à la fin du mois d’octobre. Afin de calmer la colère populaire, le président du Conseil Imre Nagy prit ses distances avec Moscou en proclamant la neutralité de la Hongrie et son retrait du Pacte de Varsovie. À Washington, ces événements suscitèrent un vif enthousiasme. Pour le directeur de la CIA, un « miracle » était en train de se produire ; les Soviétiques ne pourraient faire usage de la force en raison du « poids de l’opinion publique ». Le secrétaire d’État estimait quant à lui que ce soulèvement marquait le « début de l’effondrement de l’empire soviétique » [75]. Mais alors que la CIA envisageait différents moyens pour soutenir l’insurrection hongroise et empêcher une intervention soviétique de grande envergure, le président coupa court à toutes velléités d’action. Il ordonna à l’Agence de rester en retrait. Alors en pleine crise de Suez et en campagne pour sa réélection, Eisenhower souhaitait priver Moscou d’un prétexte pour accuser les États-Unis d’ingérence en Hongrie [76]. L’action clandestine avait vocation à éviter un conflit ouvert avec l’Union soviétique, et non pas à en provoquer un. Par ailleurs, la position américaine face à l’intervention soviétique, qui fit plus de 20 000 morts à partir du 4 novembre, confirmait l’abandon par Eisenhower du refoulement prôné en 1952.

Un éléphant incontrôlable ?

29Lorsque Dwight Eisenhower quitta la Maison-Blanche en janvier 1961, Allen Dulles put se targuer d’avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé en prenant la tête de la CIA, à savoir permettre à cette jeune agence de gagner le « respect de ses aînés » au sein de l’appareil de sécurité nationale [77]. Grâce à son rôle d’opérateur exclusif de l’action clandestine et les résultats obtenus, l’Agence s’était affirmée comme un instrument indispensable pour la Maison-Blanche. Plus personne à Washington ne pouvait l’ignorer. Aussi l’une des premières décisions prises par John Fitzgerald Kennedy après son élection en novembre 1960 fut-elle de confirmer Allen Dulles à son poste. Quelques semaines plus tard, ce dernier s’employa à convaincre le nouveau président d’autoriser une opération clandestine pour renverser Fidel Castro, quitte à réécrire l’histoire d’opérations précédentes [78].

30Pour autant, doit-on en déduire que l’ascension de la CIA sous l’administration Eisenhower s’est opérée aux dépens de la Maison-Blanche ? La stature acquise par l’Agence l’a-t-elle placée dans une position de pouvoir imposer sa volonté dans le domaine de la politique étrangère ? Certains auteurs sont arrivés à de telles conclusions. C’est le cas de l’ancien journaliste du New York Times Tim Weiner qui, dans son histoire à charge de la CIA, présente l’Agence comme un acteur gouvernemental décisionnaire et totalement autonome, reprenant à son compte la thèse de « l’éléphant incontrôlable » [79] (rogue elephant). Weiner fait de Dulles l’instigateur de ces tendances, en fustigeant sa « dévotion à l’action clandestine », son mépris pour l’analyse et « sa dangereuse pratique consistant à tromper le président des États-Unis » [80]. Son confrère David Talbot dépeint Allen Dulles comme un maître-manipulateur ayant placé ses « disciples » à des positions de responsabilité dans l’ensemble de l’appareil d’État, jusqu’à la Maison-Blanche [81]. Le journaliste argue que ces manœuvres ont permis à la CIA de renforcer son pouvoir et son irresponsabilité durant « chaque année du règne de Dulles [82] ».

31Assurément, Allen Dulles est l’un des principaux architectes du changement de stature de la CIA. Il a habilement su accroître la visibilité de son organisation au sein de l’appareil d’État tout en la protégeant des tourments du maccarthysme et de la surveillance du Congrès [83]. Cependant, l’examen des liens entre la Maison-Blanche et la CIA entre 1953 et 1961 fait apparaître, en filigrane, la position centrale du président Eisenhower. Ce sont en effet son expérience personnelle en matière d’action clandestine et ses orientations stratégiques, concrétisées par le New Look, qui ont offert à la CIA une influence inédite dans la conduite de la politique étrangère des États-Unis. D’autre part, Eisenhower a suivi de très près l’exécution des opérations clandestines de la CIA, retrouvant souvent ses réflexes de général. Il a également réorganisé les mécanismes de coordination de ces activités de manière à renforcer le contrôle de la Maison-Blanche. Ces éléments étaient l’observation d’une étude interne de la CIA selon laquelle Eisenhower considérait que sa capacité à « trouver des réponses créatives à l’influence communiste dans des régions périphériques » était un aspect fondamental de sa fonction de président [84].

32Toutefois, force est de reconnaître que le contrôle exercé par Eisenhower ne transparaît que de manière parcellaire dans les sources accessibles. Ceci est conforme à la doctrine de l’action clandestine qui prévoit que le gouvernement – et à plus forte raison le chef de l’exécutif – puisse nier de manière crédible toute implication. Il faut ajouter, comme l’a souligné Fred Greenstein dans son étude du leadership d’Eisenhower [85], que ce dernier se caractérise par une posture de retrait ostensible. Cela lui permettait d’apparaître comme une figure consensuelle, qui prend de la hauteur, mais a eu pour effet de dissimuler un peu plus son rôle moteur dans la conduite de la politique étrangère, y compris dans la croissance de l’action clandestine. En outre, l’intimité existant entre les frères Dulles, et les nombreuses rencontres informelles qu’elle permettait, a brouillé encore davantage la lecture du processus décisionnel. Dans son rapport de 1976, la commission sénatoriale présidée par Frank Church souligne que cette relation, combinée à la confiance du président Eisenhower envers Foster et Allen, a engendré un fonctionnement très informel facilitant le contournement de la bureaucratie traditionnelle [86]. En dépit de leurs spécificités, les années Eisenhower confirment donc une tendance historique lourde qui, des réseaux d’espions de George Washington aux « kill lists » de Barack Obama, fait des activités relevant du renseignement le domaine réservé du président des États-Unis.

Notes

  • [1]
    Ludwell Lee Montague, General Walter Bedell Smith as Director of Central Intelligence. October 1950-February 1953, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1992, p. 1.
  • [2]
    Sur la transformation de la CIA opérée par Smith, voir Raphaël Ramos, Une chimère américaine. Genèse de la communauté du renseignement des États-Unis, de la CIA à la NSA, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2018, p. 135-196.
  • [3]
    Mémorandum du général Smith au Conseil de sécurité nationale, 23 avril 1952. Foreign Relations of the United States, 1950-1955, The Intelligence Community (désormais FRUS, 1950-1955, IC), document 107.
  • [4]
    Rhodri Jeffreys-Jones, The CIA and American Democracy, 3e édition, New Haven, Yale University Press, 2003 (1989), p. 81, 100.
  • [5]
    Christopher Andrew, For the President’s Eyes Only. Secret Intelligence and the American Presidency from Washington to Bush, New York, HarperPerennial, 1996 (1995), p. 265. Sur le débarquement de la Baie des Cochons, voir Piero Gleijeses, « Ships in the Night : The CIA, the White House and the Bay of Pigs », Journal of Latin American Studies, vol. 27, no 1, 1995, p. 1-42.
  • [6]
    R. Ramos, op. cit., p. 77-95, 151.
  • [7]
    Ibid., p. 171-173.
  • [8]
    Sur les tentatives de la CIA pour renverser le régime albanais, voir James Callanan, Covert Action in the Cold War. US Policy, Intelligence and CIA Operations, Londres, I. B. Tauris, 2010, p. 70-85.
  • [9]
    Ramos, op. cit., p. 173.
  • [10]
    Malcolm Byrne, Mark Gasiorowski, « New U.S. Documents Confirm British Approached U.S. in Late 1952 About Ousting Mosaddeq », National Security Archive Electronic Briefing Book no 601, 8 août 2017, https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/iran/2017-08-08/1953-iran-coup-new-us-documents-confirm-british-approached-us-late. Consulté en février 2019.
  • [11]
    Sur les attaques de McCarthy contre Marshall et la passivité d’Eisenhower, voir Forrest C. Pogue, George C. Marshall. Statesman 1945-1959, New York, Viking, 1987, p. 488-490.
  • [12]
    Alonzo L. Hamby, Man of the People. A Life of Harry S. Truman, New York, Oxford University Press, 1995, p. 564.
  • [13]
    John Foster Dulles, « A Policy of Boldness », Life, 19 mai 1952, p. 154.
  • [14]
    François David, John Foster Dulles. Secrétaire d’État, Cold Warrior et père de l’Europe, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2011, p. 121.
  • [15]
    Ramos, op. cit., p. 172.
  • [16]
    Wayne G. Jackson, Allen Welsh Dulles as Director of Central Intelligence 26 February 1953-29 November 1961, vol. I, Central Intelligence Agency, Historical Staff, 1973, p. 16-17. Digital National Security Archive, U. S. Espionage and Intelligence, EP00041. Peter Grose, Gentleman Spy. The Life of Allen Dulles, Boston, Houghton Mifflin, 1994, p. 335-337.
  • [17]
    Sur la répartition des rôles entre le président et son secrétaire d’État, voir Fred I. Greenstein, The Hidden-Hand Presidency. Eisenhower as Leader, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1994 (1982), p. 90.
  • [18]
    John M. Hightower, « Ike’s Choice of Allen Dulles Fits Pattern », The Minneapolis Tribune, 25 janvier 1953. Central Intelligence Agency, Freedom of Information Act Electronic Reading Room, General CIA Records (désormais CIA, FOIA ERR, GR), CIA-RDP70-00058R000100010081-0.
  • [19]
    Discours sur l’état de l’Union du président Eisenhower, 2 février 1953. University of California, Santa Barbara, The American Presidency Project (désormais UCSB, APP), https://www.presidency.ucsb.edu/node/231684. Consulté en février 2019.
  • [20]
    Kenneth Osgood, Total Cold War. Eisenhower’s Secret Propaganda Battle at Home and Abroad, Lawrence, University Press of Kansas, 2006, p. 30.
  • [21]
    Ibid., p. 48.
  • [22]
    « Text of Gen. Eisenhower’s Foreign Policy Speech in San Francisco », The New York Times, 9 octobre 1952.
  • [23]
    Lettre du président Eisenhower au secrétaire exécutif du NSC, James Lay, 24 janvier 1953. CIA, FOIA ERR, GR, CIA-RDP86T00268R000100020008-3.
  • [24]
    The President’s Committee on International Information Activities. Report to the President, 30 juin 1953. Central Intelligence Agency, Freedom of Information Act Electronic Reading Room, FOIA Collection, 0000476939.
  • [25]
    Discours d’Allen Dulles devant les employés de la CIA, 13 février 1953. CIA, FOIA ERR, GR, CIA-RDP80-01826R000900040050-8.
  • [26]
    Callanan, op. cit., p. 89.
  • [27]
    David M. Barrett, The CIA and Congress. The Untold Story from Truman to Kennedy, Lawrence, University Press of Kansas, 2005, p. 154.
  • [28]
    Grose, op. cit., p. 349-350. Matthew M. Aid, The Secret Sentry. The Untold History of the National Security Agency, New York, Bloomsbury Press, 2009, p. 45.
  • [29]
    Mémorandum de la CIA (« Chronological History with Respect to Planning for the Death of Stalin »), 9 mars 1953. CIA, FOIA ERR, GR, CIA-RDP80-01065A000500020003-8.
  • [30]
    Rapport du PSB (« Plan for Psychological Exploitation of Stalin’s Death »), 13 mars 1953, p. 2, 8, 14. CIA, FOIA ERR, GR, CIA-RDP80R01731R003300400008-8.
  • [31]
    Cité in Ambrose, Eisenhower…, op. cit., p. 91.
  • [32]
    Grose, op. cit., p. 352.
  • [33]
    Discours du président Eisenhower (« A Chance for Peace »), 16 avril 1953. UCSB, APP, https://www.presidency.ucsb.edu/node/231643. Consulté en février 2019.
  • [34]
    Ambrose, Eisenhower…, op. cit., p. 94.
  • [35]
    Rapport de la CIA (« The Jewish Question in Soviet and Satellite Propaganda »), 10 février 1953. CIA, FOIA ERR, GR, CIA-RDP65-00756R000500130010-2.
  • [36]
    Sur cette affaire impliquant des médecins principalement juifs, accusés de s’être liés pour assassiner des hauts responsables soviétiques, voir Jonathan Brent, Vladimir P. Naumov, Le dernier crime de Staline. Retour sur le complot des blouses blanches, Paris, Calmann-Lévy, 2006.
  • [37]
    Allen Dulles cité in Grose, op. cit., p. 341-342.
  • [38]
    Stephen E. Ambrose, Ike’s Spies. Eisenhower and the Espionage Establishment, New York, Anchor Books, 2012 (1981), p. 183.
  • [39]
    Des réductions d’effectif dans les personnels civils et militaires du Département de la Défense furent appliquées dès les premiers mois de la présidence Eisenhower. Voir Richard M. Leighton, History of the Office of the Secretary of Defense. Strategy, Money and the New Look, 1953-1956, vol. 3, Washington D.C., U.S. Government Printing Office, 2001, p. 65-87.
  • [40]
    Mémorandum de Robert Cutler, 9 mai 1953. Foreign Relations of the United States, 1952-1954, National Security Affairs, vol. II, part 1 (désormais FRUS, 1952-1954, NSA, II, 1), document 63.
  • [41]
    Callanan, op. cit., p. 111-112.
  • [42]
    Scott A. Koch, « Zendebad, Shah! »: The Central Intelligence Agency and the Fall of Iranian Prime Minister Mohammed Mossadeq, August 1953, Washington D.C., Central Intelligence Agency History Staff, juin 1998, p. 11-13. Cette version de l’histoire de la chute de Mossadegh par le service historique de la CIA a été déclassifiée en 2017 : https://nsarchive.gwu. edu/briefing-book/iran/2018-02-12/cia-declassifies-more-zendebad-shah-internal-study-1953-iran-coup. Consulté en février 2019.
  • [43]
    Mémorandum d’Allen Dulles au président Eisenhower, 1er mars 1953. Foreign Relations of the United States, 1952-1954, Iran, 1951-1954, 2nd ed. (désormais FRUS, Iran, 1951-1954, SE), document 169.
  • [44]
    Koch, op. cit, p. 16, 18-19.
  • [45]
    Callanan, op. cit., p. 115.
  • [46]
    Cité in Ambrose, Ike’s Spies…, op. cit., p. 199.
  • [47]
    Kermit Roosevelt, Countercoup. The Struggle for the Control of Iran, New York, McGraw-Hill, 1979, p. 1-8.
  • [48]
    Donald Wilber, Clandestine Service History. Overthrow of Premier Mossadeq of Iran, November 1952-August 1953, Central Intelligence Agency, mars 1954, p. 18. https://nsarchive2.gwu. edu/NSAEBB/NSAEBB28/index.html. Consulté en février 2019.
  • [49]
    Editorial Note. FRUS, Iran, 1951-1954, SE, document 225.
  • [50]
    Dans sa biographie d’Allen Dulles, Peter Grose explique que les deux frères avaient des entretiens téléphoniques plusieurs fois par jour, ce qui leur permettait de contourner la bureaucratie de leur organisation. Le secrétaire d’État et le directeur de la CIA avaient également pour habitude de passer une partie des week-ends ensemble, en famille. Ces moments constituaient, précise-t-il, le « cœur » du processus décisionnel en matière de politique étrangère. Voir Grose, op. cit., p. 339-340.
  • [51]
    Roosevelt, op. cit., p. 208-210.
  • [52]
    Note du secrétaire exécutif James Lay au Conseil de sécurité nationale (NSC 162/2), 30 octobre 1953. FRUS, 1952-1954, NSA, II, 1, document 101.
  • [53]
    Ramos, op. cit., p. 137-138, 168-174.
  • [54]
    Callanan, op. cit., p. 118-119.
  • [55]
    D. K. R. Crosswell, Beetle. The Life of General Walter Bedell Smith, Lexington, The University Press of Kentucky, 2010, p. 54.
  • [56]
    Idem.
  • [57]
    Nicolas Cullather, Operation PBSUCCESS. The United States and Guatemala, 1952-1954, Washington D.C., Cenral Intelligence Agency, Center for the Study of Intelligence, History Staff, 1994, p. 25. Central Intelligence Agency, Freedom of Information Act Electronic Reading Room, Guatemala Collection, 0000134974.
  • [58]
    Ibid., p. 25.
  • [59]
    Ibid., p. 29.
  • [60]
    Ibid., p. 37-39.
  • [61]
    Ibid., p. 59.
  • [62]
    Ambrose, Ike’s Spies…, op. cit., p. 229-230.
  • [63]
    Grose, op. cit., p. 382. Callanan, op. cit., p. 128.
  • [64]
    Lettre de Dwight Eisenhower au général James Doolittle, 26 juillet 1954. Reproduite in James H. Doolittle (dir.), Report on the Covert Activities of the Central Intelligence Agency, 30 septembre 1954. Central Intelligence Agency, Freedom of Information Act Electronic Reading Room, A Life in Intelligence – The Richard Helms Collection, 5076de59993247d4d82b5b74.
  • [65]
    Jackson, op. cit., vol. IV, p. 112.
  • [66]
    James H. Doolittle (dir.), op. cit., p. 2-3.
  • [67]
    Cité in Andrew, op. cit., p. 202.
  • [68]
    Doolittle et Eisenhower cités in Ambrose, Eisenhower…, op. cit., p. 227.
  • [69]
    Cité in Jackson, op. cit., vol. IV, p. 84.
  • [70]
    Directive NSC 5412/2 (« Covert Operations »), 28 décembre 1955. FRUS, 1950-1955, IC, document 251.
  • [71]
    François David, « L’aigle et le vautour. L’institutionnalisation de la CIA, 1945-1961 », mémoire HDR de l’université Paris IV-Sorbonne, 2013, p. 514.
  • [72]
    Ambrose, Ike’s Spies…, op. cit., p. 249-251. Callanan, op. cit., p. 129-136.
  • [73]
    Callanan, op. cit., p. 145-148, 160-161.
  • [74]
    John Prados, Safe for Democracy. The Secret Wars of the CIA, Chicago, Ivan R. Dee, 2006, p. 154.
  • [75]
    Allen et Foster cités in Andrew, op. cit., p. 234-235.
  • [76]
    Grose, op. cit., p. 437.
  • [77]
    Dulles cité in Callanan, op. cit., p. 94.
  • [78]
    En février 1961, Allen Dulles aborda le projet d’opération à Cuba avec le président Kennedy dans le Bureau ovale, en faisant référence au renversement de Jacobo Arbenz en 1954 : « J’étais ici, à côté du bureau de Ike et je lui ai dit que j’étais certain que notre opération guatémaltèque réussirait et, M. le président, les chances de succès de ce plan [cubain] sont encore meilleures ». Voir Andrew, op. cit., p. 261.
  • [79]
    L’expression a été employée en 1975 par le sénateur Frank Church, alors président d’une commission d’enquête consacrée aux activités illégales de la CIA.
  • [80]
    Tim Weiner, Legacy of Ashes. The History of the CIA, New York, Doubleday, 2007, p. 70.
  • [81]
    David Talbot, The Devil’s Chessboard. Allen Dulles, the CIA and the Rise of America’s Secret Government, New York, HarperCollins, 2015, p. 251.
  • [82]
    Ibid., p. 223.
  • [83]
    Sur ce point, voir Raphaël Ramos, « La CIA à l’épreuve du maccarthysme », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 140, octobre-décembre 2018, p. 97-108.
  • [84]
    Cullather, op. cit., p. 23.
  • [85]
    Greenstein, op. cit.
  • [86]
    Final Report of the Select Committee to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities: Foreign and Military Intelligence, book I, Washington D.C., U.S. Government Printing Office, 1976, p. 110.
Français

Le recours accru à l’action clandestine par l’administration Eisenhower a permis à la CIA de devenir un acteur majeur de l’appareil d’État. Si cette activité, qui recouvre l’ensemble des opérations secrètes visant à exercer une influence à l’étranger, avait été institutionnalisée par le président Truman, la CIA était restée en marge en raison de la piètre qualité de ses analyses et de la prudence de l’administration démocrate. L’expertise d’Eisenhower et d’Allen Dulles a facilité le développement de ces opérations qui, en outre, s’accordaient avec les objectifs présidentiels de poursuivre le containment tout en réduisant les dépenses militaires. Les succès rencontrés en Iran et au Guatemala ont entraîné une sanctuarisation de ce mode opératoire et, ainsi, transformé la stature de la CIA.

Raphaël Ramos
Docteur en histoire. Chercheur associé au Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES) – Université Paul-Valéry Montpellier III
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/05/2020
https://doi.org/10.3917/gmcc.278.0089
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...