CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1À l’issue de la Première Guerre mondiale, la question pétrolière se pose pour la France en termes très différents de ceux de l’avant-guerre. Alors, la question était d’ordre douanier, commercial et de politique intérieure (les demandes parlementaires d’intervention de l’État dans les importations et le raffinage du pétrole). À présent, les considérations de politique étrangère l’emportent, rendant plus complexe encore la solution de cette question. Entre-temps la guerre est passée, marquée par une mécanisation croissante des transports militaires et des engins de combat, provoquant une prise de conscience au sein des cercles dirigeants du pays de la nature stratégique des produits pétroliers. Cette prise de conscience peut être datée avec précision du mois de décembre 1917, qui connaît le paroxysme de la crise du ravitaillement pétrolier et voit l’implication directe des plus hautes autorités de l’État pour tenter de résoudre cette crise. Les conférences interalliées du pétrole, qui se tiennent en 1918, permettent au gouvernement français et à ses représentants de mesurer l’importance de l’enjeu international que constitue le pétrole [1]. Désormais, il importe de bâtir une politique française du pétrole sur les fondations d’un plan à long terme.

I. LA PROBLéMATIQUE DU RAVITAILLEMENT PéTROLIER  à L’ISSUE DE LA GUERRE

1. Les enjeux

2Les enjeux sont simples à comprendre et la cruelle expérience de la guerre a permis d’en prendre l’exacte dimension. La guerre a mis en lumière le caractère stratégique des produits pétroliers [2] et la dépendance complète de la France à l’égard de ses alliés et associés britannique et américain pour la fourniture et le transport de ces produits. Elle a également souligné l’insuffisance et la vétusté de l’outillage industriel français, l’archaïsme de son organisation commerciale et la pusillanimité des entreprises de ce secteur. Les enjeux sont donc la préservation de l’indépendance nationale et la capacité de la France à faire entendre sa voix dans le concert des nations, sans que sa liberté de parler et d’agir soit contrainte par une limitation de son autonomie en matière pétrolière. Ces enjeux sont, du reste, parfaitement exposés dans une lettre du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni :

« Il y a depuis longtemps pour la France une question du charbon, que le traité de paix soulignera plus qu’il ne pourra régler.
« Il y a aujourd’hui, en outre, pour notre pays une question du pétrole, que les progrès de l’industrie et en particulier l’évolution des moyens de transport rendent non moins grave et pressante.
« Ce qui est, du point de vue de la production nationale, déficit considérable pour le charbon a été jusqu’ici manque complet pour le pétrole. Il y a là une lacune très préoccupante de notre économie nationale qui exige d’être comblée au plus tôt par des mesures appropriées, notamment par des arrangements internationaux spéciaux.
« La France se trouve aujourd’hui dans l’entière dépendance de pays, dont la plupart sont ses alliés, pour son ravitaillement en produits pétroliers. [...] Le règlement de la paix comme l’existence des rapports exceptionnellement intimes, qui les lient à elle en ce moment, sont à cet égard une occasion unique, dont il lui importe de profiter. Elle doit en conséquence avoir et poursuivre dès maintenant une politique pétrolière précise et ferme. » [3]

3Ce texte fait bien ressortir tant la nécessité que l’urgence de cette politique, qui, non seulement, répond à un besoin pressant mais doit aussi profiter d’un moment propice, celui d’une conjonction de bonnes volontés supposées.

4Ces deux idées fortes et simples se retrouvent dans de nombreux documents, tant confidentiels que publics. Le sénateur Henry Bérenger, président de la délégation française aux conférences interalliées du pétrole de 1918, les exprime dans le toast qu’il porte lors du dîner offert par le gouvernement britannique, le 21 novembre 1918, aux délégués de la conférence qui venait de se tenir en Grande-Bretagne :

« Nation éminemment consommatrice de pétrole, d’essence et d’huile pour les années qui vont venir, la France de la victoire veut être associée aux problèmes de la production comme à ceux de la consommation. Des liens ont été formés entre nous tous, au cours de cette commune victoire, qui ne doivent pas être rompus à la fin de la guerre. Et si le pétrole fut le sang de la guerre, il sera plus encore le sang de la paix. Je lève donc mon verre à la politique interalliée du pétrole réalisée par l’accord des gouvernements et des industries » [4].

2. Les hommes

5Les artisans de cette politique sont, bien sûr, les ministres chargés de la mettre en œuvre, au premier rang desquels on placera Étienne Clémentel, ministre de tutelle du Comité général du pétrole et très au fait des problèmes pétroliers. À un moindre degré, on citera le président du Conseil et ministre de la Guerre, Georges Clemenceau, contraint en décembre 1917 d’en appeler personnellement au président Wilson pour éviter une rupture des approvisionnements ; le ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, Victor Boret, et son secrétaire d’État du Ravitaillement, Ernest Vilgrain, en charge de la gestion quotidienne des approvisionnements en produits pétroliers ; le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Finances dans leur domaine de compétences.

6Parmi les personnalités n’appartenant pas au gouvernement, deux ont joué un rôle de premier plan : André Tardieu, haut-commissaire de la République française auprès des États-Unis d’Amérique, chargé de négocier avec les Américains tous les accords et contrats permettant le ravitaillement de la France ; le commandant François-Marsal, chargé, au sein du cabinet de Clemenceau, de le tenir informé de l’évolution des choses en matière économique et financière et rédacteur de nombreuses notes de synthèse.

7Mais le concepteur et l’artisan principal de la politique pétrolière française demeure le sénateur Henry Bérenger, membre de la commission sénatoriale de l’Armée, président du Comité général du pétrole depuis le 26 juillet 1917, président de la délégation française aux conférences interalliées du pétrole de 1918 et commissaire général aux essences et combustibles depuis le 21 août 1918. Bérenger s’intéressa aux questions pétrolières dès le début de l’année 1917 et, par une tactique de harcèlement parlementaire fort habile, obligea les gouvernements qui se succédèrent en 1917 à agir [5]. Cumulant les postes, entretenant de bons rapports avec le ministère Clemenceau, il se hissa peu à peu au premier rang des artisans d’une politique pétrolière française qu’il contribua grandement à concevoir et à mettre en œuvre. S’imposant dès l’abord par sa hauteur de vues et sa compréhension du sujet, il domina véritablement cette matière nouvelle entre décembre 1917 et la fin du ministère Clemenceau.

3. Le programme

8Le texte fondateur du programme français en matière pétrolière demeure la proposition de loi déposée au Sénat par Henry Bérenger le 14 juin 1917 [6].

9La première caractéristique de la pensée de Bérenger est de replacer la question pétrolière dans le contexte global de la politique énergétique de la France et d’envisager avec précision toutes les raisons, au-delà des circonstances particulières de la guerre et du déficit constant de la production française de houille, qui vont conduire à un développement considérable de la consommation de produits pétroliers. Parmi tous ces produits dérivés, il est, du reste, convaincu que l’avenir appartient, et c’est la seconde caractéristique fondamentale, à ceux qu’il nomme les « combustibles liquides », c’est-à-dire d’abord les gaz- et fuel-oils. C’est cette opinion qui explique la loi modifiant le tarif douanier sur les résidus combustibles du pétrole, promulguée au Journal officiel du 7 août 1919, et son décret d’application portant règlement d’administration publique, délibéré en séance plénière du Conseil d’État, paru au Journal officiel du 2 septembre 1919.

10Dès lors, pour Bérenger, la France n’a que trop tardé à se doter d’une politique pétrolière « précise et ferme », pour reprendre les termes de Pichon. Cette politique a deux objectifs majeurs :

11— réserver la production des houillères françaises aux usines, fours à coke et usines à gaz qui pratiquent la distillation et alimentent par leurs sous-produits l’industrie de la carbochimie ;

12— remplacer l’emploi de la houille par celui du pétrole dans la plupart des autres industries qui utilisent la combustion immédiate.

13Ce deuxième objectif majeur, qui suppose le développement de l’importation et de la consommation des combustibles liquides, passe par la réalisation de trois sous-objectifs :

14— rechercher et exploiter, sur le territoire métropolitain et dans l’Empire, d’éventuels gisements pétrolifères ;

15— obtenir des alliés et associés britannique et américain la cession de parts d’intérêts dans toutes les concessions internationales pétrolifères comme, par exemple, celles de Mésopotamie ou de Perse ;

16— construire un outillage national de transport et de traitement du pétrole sous toutes ses formes.

17Ces objectifs furent en partie repris dans le rapport adopté le 6 décembre 1917 par la cinquième section du Congrès général du génie civil national et interallié [7]. Il préconisait la prospection et la mise en exploitation des gisements pétrolifères qui pourraient être découverts en France et dans l’Empire français, l’examen attentif des moyens de participation de la France dans des exploitations pétrolières mondiales. Il recommandait la mise à l’étude d’une organisation « méthodique, rationnelle et économique » de transport et de réception des pétroles par les sociétés d’importation sous le contrôle de l’État [8]. Dans la même veine étatiste, le rapport propose l’adoption de dispositions légales pour contraindre les importateurs de produits pétroliers à recourir au pavillon national et à construire des installations de réception modernes dans les ports français.

II. L’ÉBAUCHE D’UNE POLITIQUE PÉTROLIÈRE FRANÇAISE

1. L’appareil législatif et réglementaire

18Le ministère Clemenceau n’a pas laissé, en matière pétrolière et postérieurement à la signature de l’armistice, un grand nombre de textes législatifs ou réglementaires : une loi et son décret d’application, un projet de loi jamais adopté. Pourtant on aurait tort, pour cette seule raison, de n’y pas prêter attention. Ces textes sont moins importants par leurs effets pratiques, médiocres ou nuls, que par les buts que leurs auteurs leur assignent et la vision des choses qu’ils expriment.

19Les hommes du ministère Clemenceau, et tout spécialement les inspirateurs de la politique pétrolière (Clémentel, Bérenger), se rattachent à cette tradition vivace, mais méconnue, du radicalisme français qui, sans remettre en cause les fondements libéraux d’une économie de marché, prônent une intervention active de l’État dans le domaine économique. Cette tradition, d’un principe essentiellement distinct des thèses socialistes, se fonde sur la conviction que l’État est le seul garant de l’intérêt général face aux intérêts particuliers défendus par les sociétés capitalistes [9].

20Cette vision des choses, finalement assez proche de celle qui inspirera les démocrates américains lors de la politique du New Deal, s’apparente à une forme de jacobinisme économique. Elle trouve un terrain de prédilection dans le domaine pétrolier, où la production nationale est quasi inexistante avant guerre et où les importations, le traitement et la distribution des produits pétroliers sont concentrés entre un tout petit nombre de sociétés. Elle se traduit par le dépôt, depuis la dernière décennie du XIXe siècle jusque dans les années 1920, de plusieurs propositions de loi tendant à l’intervention de l’État, parfois en situation monopolistique, dans ce domaine.

21La guerre a renforcé ces hommes dans leurs convictions par le spectacle de la faiblesse et de la vétusté des outillages industriels, de l’inadaptation des pratiques commerciales et du poids capitalistique médiocre de sociétés privées de taille limitée et fortement concurrentes. Mais elle a également, par sa durée, son caractère mondial et la mobilisation totale des ressources qu’elle avait impliquée, donné l’occasion et suscité la contrainte d’une intervention sans précédent de l’État dans la vie économique du pays. Dans le domaine pétrolier, cette intervention a pris la forme, à compter du 1er avril 1918, du monopole étatique des importations des « produits blancs » (essences de pétrole et pétrole lampant) par la voie maritime et la constitution d’un consortium des sociétés importatrices et distributrices de ces produits contraintes de traiter avec l’État, acheteur et importateur unique.

22Se pose dès lors la question de l’organisation du temps de paix.

23Par un décret rendu en conseil des ministres, le 21 janvier 1919, le mandat d’Henry Bérenger à la tête du commissariat général aux essences et combustibles avait été prorogé de six mois [10]. La lettre de mission que Clemenceau lui adressa étendait encore ses attributions et le chargeait notamment de proposer au gouvernement les éléments de solution du problème pétrolier :

« La question des pétroles s’annonce comme devant être l’une des questions économiques les plus importantes à la conférence de la paix. Elle intéresse au plus haut point l’avenir de notre défense nationale, aussi bien que celui de notre prospérité générale.
« Il y a donc le plus grand intérêt à ce que cette question ne soit pas abordée par la France en ordre dispersé à la conférence de la paix.
« Le commissaire général aux essences et combustibles, qui a, par décret du 21 août 1918, la délégation permanente du gouvernement pour traiter la question du pétrole, tant au point de vue interallié et international qu’au point de vue des répartitions et des ravitaillements civils et militaires, doit centraliser tout le problème pétrolifère et en présenter au gouvernement les solutions en vue de la paix. » [11]

24Dans un rapport en date du 6 mai 1919, adressé au président du Conseil, Bérenger insistait sur la nécessité de maintenir en temps de paix le régime des pétroles institué au printemps 1918. Le gouvernement entérina cette proposition et, le 27 mai, Klotz, ministre des Finances, annonça aux deux Chambres le dépôt prochain d’un projet de loi sur le régime d’achat et d’importation des pétroles et essences. Ce projet fut déposé le 17 juin 1919 sur le bureau de la Chambre des députés. Soumis à l’examen commun des deux Commissions du budget et de la législation fiscale, il ne vint jamais en discussion à la Chambre avant le terme du mandat de la législature.

25Reprenant l’organisation du temps de guerre – à savoir, un monopole étatique intégral des achats et importations des huiles raffinées et des essences de pétrole, qui aurait été assuré par un office central rattaché au ministère des Finances –, il proposait de maintenir la liberté du commerce intérieur, de la distribution et de la vente de ces produits. Toutefois ce maintien était assorti d’une réserve majeure : la mise à l’étude et la proposition prochaine au Parlement de l’institution d’une régie co-intéressée du raffinage et du commerce de ces produits.

26Là encore, on doit à Bérenger l’expression la plus claire de la volonté gouvernementale :

« Réduire la question du pétrole à une question d’épicerie privée, non, vraiment, ce n’est plus possible après la période de 1914-1918. La révolution mondiale, qui est née de la guerre, exige d’autres aménagements après la victoire. L’État français a des devoirs qu’il ne pourrait plus négliger sans péril et sans crime. Il doit légiférer non pour les privilèges et les routines de quelques-uns, mais pour l’avantage et la garantie de tous. Mais l’État doit non seulement contrôler tous les commerces et toutes les industries, il doit aussi participer à leurs bénéfices et retenir pour la collectivité la part que lui a révélée et assurée sa gestion de guerre. Il doit enfin associer ensemble, dans un même effort de grandeur et de prospérité, ceux qui produisent, qui consomment et ceux qui sauvegardent à la fois la production et la consommation. » [12]

2. La politique des sources d’approvisionnement

27La production française d’huiles minérales était fort peu de choses : les pétroles alsaciens de Pechelbronn, tout juste récupérés depuis fin 1918, dont l’extraction avait livré environ 50 000 t de brut en 1918 ; quelques forages en Algérie, dans la province d’Oran, avaient fourni 1 363 t de brut en 1917 ; enfin, les huiles extraites des schistes bitumineux de la région d’Autun s’élevaient à quelque 8 000 t par an avant guerre. Ajoutons, pour mémoire, 30 000 à 35 000 t d’huiles obtenues par distillation de la houille et une petite quantité d’huile lourde de lignites, principalement ceux des Bouches-du-Rhône [13].

28Les importations de produits pétroliers obtenus par raffinage des huiles brutes étant supérieures au million de tonnes, on voit bien que cette faible production nationale, couvrant à peine 5 % de besoins appelés à croître rapidement, était fort insuffisante.

29Quant aux perspectives de découverte de gisements pétrolifères de quelque ampleur sur le territoire métropolitain ou dans l’Empire, elles demeuraient de l’ordre de l’espérance, les prospections et sondages menés à Madagascar, au Maroc, en Algérie, en Auvergne n’ayant pas abouti ou à des résultats fort décevants.

a) Le plan d’action

30Le plan d’action du gouvernement français fut tracé dès avant la signature de l’armistice, dans la continuation du programme défini dans la proposition de loi no 201 (celle déposée par Henry Bérenger sur le bureau du Sénat, le 14 juin 1917).

31Un premier choix consistait, plutôt que de s’appuyer sur une ou plusieurs sociétés françaises existantes, ou bien de susciter la création d’une société française ad hoc (comme le fera Raymond Poincaré avec la Compagnie française des pétroles), à ce que l’État, investi du monopole des achats et des importations, passât des contrats directs avec les principales sociétés pétrolières mondiales.

32Le second choix visait à profiter des circonstances favorables de la victoire pour conclure des accords interalliés autorisant la participation de la France à l’exploitation de gisements pétrolifères en Roumanie, dans le Caucase (ex-russe et pas encore soviétique), en Mésopotamie et en Perse. La Roumanie et le Caucase présentaient un intérêt immédiat tenant à l’importance relative de leur production pétrolière, à leur proximité géographique et à la réouverture des détroits turcs consécutive à la défaite de l’Empire ottoman. Les gisements mésopotamiens étaient présumés très riches, bien que la participation française supposât la réalisation de plusieurs conditions préalables tendant à l’annulation des accords de concession existants, une nouvelle concession du gouvernement ottoman à l’ensemble des gouvernements alliés et l’attribution à la France d’une part du capital social et des produits de l’exploitation égale à celle des autres partenaires.

33Quant à la Perse, il était envisagé de poser le principe que la mise en valeur de nouvelles concessions pétrolifères donnât un droit de participation à la France, en contrepartie d’un droit équivalent et réciproque accordé au Royaume-Uni sur d’éventuels gisements algériens, et une redevance en nature sur de futurs transports pétroliers en échange de la construction d’un oléoduc reliant les champs persans à la Méditerranée.

34Comme le résumait Bérenger :

« La politique française du pétrole doit, aux négociations de paix, entrer dans une phase définitive de contrôle gouvernemental.
« Notre pays a une occasion unique de rattraper son retard et de reprendre son rang dans la participation des divers gisements pétroliers du monde. Le pétrole devant jouer un rôle prépondérant dans l’économie des peuples pendant le siècle à venir, toutes les mesures doivent dès à présent être prises pour assurer à la France un ravitaillement sur le pied d’égalité avec les autres nations. » [14]

35Lors de conversations menées avec Sir Walter Long, ministre britannique chargé des colonies et du pétrole, en marge de la conférence interalliée du pétrole tenue en Angleterre du 16 au 23 novembre 1918, Bérenger s’était fait confirmer les intentions et ambitions britanniques relatives à la mainmise sur les gisements pétrolifères hors du territoire des États-Unis d’Amérique et au contrôle des routes maritimes et terrestres permettant l’acheminement des produits de leur exploitation. Il en avait également retiré l’impression qu’une possibilité d’action, en accord avec les Britanniques, existait pour les intérêts français, dans les régions citées dans son rapport du début novembre (qui avait reçu l’agrément de Clemenceau et de Pichon), sous réserve qu’ils pussent s’appuyer sur un groupe pétrolier déjà constitué et d’envergure mondiale.

36Il avait d’ailleurs sondé à cet effet Henry Deterding, qui avait offert à différentes reprises, au cours de l’année 1918, les services de sa société au gouvernement français :

« Il est résulté des diverses conversations que j’ai eues à ce sujet avec M. H. A. Deterding, président de l’association Royal Dutch Shell, dont les sentiments d’attachement à la France ont été particulièrement éprouvés au cours de cette guerre, que ce groupe, convaincu de l’intérêt d’une collaboration économique puissante avec notre pays et désireux de s’appuyer en Orient et en Extrême-Orient sur une grande puissance occidentale, est disposé à nous prêter son concours pour la réalisation de notre politique pétrolifère. » [15]

37Deterding poussait toutefois l’habileté à se contenter de proposer la participation de son groupe à la constitution d’une société de droit français qui prendrait à son compte la gestion des intérêts réservés à la France dans les zones de production pétrolière. Enfin, Deterding lui ayant précisé que, aux termes des statuts de la Turkish Petroleum Company, les autres actionnaires jouissaient d’un droit de préemption sur les actions alors détenues par des intérêts allemands, Bérenger préconisait de saisir le gouvernement britannique par la voie diplomatique pour lui faire officiellement connaître la revendication française sur ces actions et les droits y afférents [16].

38Ce second rapport provoqua la mise en branle de la diplomatie française : ce furent successivement une lettre de Pichon à Paul Cambon, reprenant l’exposé de la situation et l’argumentaire de Bérenger, tout en le situant dans la perspective illusoire d’une organisation internationale des échanges commerciaux [17], et une note diplomatique adressée au Foreign Office [18]. Par cette note, le chargé d’affaires établissait les intentions de la France, instruite par l’expérience de la guerre mondiale, de contrôler la production des pétroles nécessaires à son approvisionnement, sur le modèle de la politique conduite par les Britanniques dès avant la guerre. Évoquant les discussions tenues quelques semaines auparavant entre Henry Bérenger et Sir Walter Long, il proposait au secrétaire au Foreign Office un accord de coopération sur cette question :

« Le gouvernement français se propose de suivre, en ce qui concerne les sources de pétrole, une politique analogue à celle dont le gouvernement britannique a pris l’initiative et il propose au gouvernement britannique de s’accorder ensemble pour adopter et exécuter une politique commune.
« Cet accord pour le temps de paix serait d’ailleurs la continuation de l’entente réalisée par la conférence du pétrole pendant la guerre. »

39Indiquant clairement que les intentions françaises ne visaient pas à s’assurer une situation de monopole dans une région déterminée, il précisait qu’elles consistaient à prendre, ou faire prendre par des sociétés françaises, des parts d’intérêts dans des sociétés exploitant des gisements pétrolifères dans des régions diverses, lesdites sociétés pouvant être déjà existantes ou devant être constituées ou réorganisées à l’issue des traités de paix à venir. Quant aux régions intéressantes, de citer la Roumanie, le Caucase, la Mésopotamie et la Perse.

40La note ne cachait pas que des conversations avaient d’ores et déjà été entamées avec la Royal Dutch Shell et informait les Britanniques que, dans le cas où la Turkish Petroleum Company conserverait ses droits à concession en Mésopotamie, le gouvernement français demanderait la rétrocession de la part détenue par la Deutsche Bank.

b) Les instruments d’action

41Cette coopération franco-britannique, qui s’amorçait dans le contexte de la très forte dépendance de la France à l’égard des États-Unis d’Amérique pour ses importations pétrolières et du développement d’une compétition exacerbée entre les deux grandes puissances anglo-saxonnes, devait recevoir une première sanction officielle avec la signature, en mars 1919, d’un accord entre Henry Bérenger et Sir Walter Long, établissant les principes et modalités d’une action commune.

42La politique pétrolière commune devait s’exercer en Roumanie, Asie Mineure, Mésopotamie, dans les colonies et pays de protectorat français ainsi que dans les colonies britanniques. Elle pourrait, par accord entre les parties, être étendue à la Russie et à la Galicie. En revanche, la Perse n’était pas concernée (contrairement donc aux ambitions françaises initiales) [19].

43Concernant la rétrocession des parts allemandes dans le capital de la Turkish Petroleum Company, le Quai d’Orsay, n’obtenant pas de réponse rapide à la note du 6 janvier, avait craint que les Britanniques n’en disposassent à leur guise : « Mais quelle serait au juste l’intention des Anglais ? Veulent-ils purement et simplement se réserver la part allemande ? Projettent-ils au contraire de nous la rétrocéder directement en tout ou en partie ? Entendent-ils dans ce cas soumettre cette rétrocession à des conditions qui influeraient sur la réalisation de nos idées, en contrariant la politique d’indépendance que nous désirons suivre ? » [20]

44Ces craintes se révélèrent vaines, l’accord Bérenger-Long stipulant que la partie britannique disposerait de 70 % du capital de la Turkish Petroleum Company, la partie française en obtiendrait 20 % et le futur État, auquel seraient dévolus les droits de l’Empire ottoman sur les gisements mésopotamiens, se verrait accorder une part de 10 % [21]. Cette répartition assurait naturellement le contrôle permanent et définitif des Britanniques sur cette société.

45L’accord prévoyait également la construction de deux oléoducs pour acheminer le pétrole depuis les gisements mésopotamiens jusqu’à la Méditerranée, la France renonçant expressément à percevoir tout droit sur le transport du pétrole à travers des territoires, sur lesquels elle exercerait un mandat, ainsi que sur son exportation, et s’engageant à permettre et faciliter la construction des raffineries, dépôts, quais de chargement et outillages nécessaires.

46Cet accord fut signé le 6 mars 1919, à Londres, par un Bérenger fort inquiet de possibles interférences d’autres services gouvernementaux français :

« Je viens de signer avec le gouvernement britannique, représenté par M. Walter Long [...], un accord d’ensemble pour les diverses questions concernant les pétroles en vue de la paix. Je vous remettrai cet accord dès mon retour à Paris qui aura lieu lundi prochain. D’ici là, je vous prie informer MM. Clemenceau, Klotz, Clémentel, Loucheur et Tardieu que cet accord règle toutes questions pétroles en pleine conformité avec directives des 2 et 29 novembre 1918 et qu’il importe en conséquence ne laisser prendre aucunes mesures ni engagements concernant pétroles avant mon retour lundi 10 courant. » [22]

47L’accord passé par Bérenger fut approuvé officiellement par le gouvernement français le 8 avril.

48Dès le 25 mars, Deterding avait adressé au gouvernement français une lettre officielle où il posait la candidature de son groupe pour assurer la gestion des intérêts pétrolifères qui pourraient être attribués à la France à la suite des traités de paix, mais aussi pour garantir la continuité de son ravitaillement pétrolier et lui apporter au niveau mondial l’appui des ressources de la Royal Dutch Shell [23].

49La suite logique et pratique fut, en août, la constitution d’une société de droit français, dénommée Société pour l’exploitation des pétroles, sous l’égide d’une grande banque d’affaires, la Banque de l’Union parisienne, associant la Royal Dutch Shell (pour 60 % du capital social) et diverses sociétés pétrolières, minières et métallurgiques françaises, avec la bénédiction des pouvoirs publics français. Cette société avait, bien entendu, pour but l’exercice des droits que la France pourrait acquérir dans l’exploitation de gisements pétrolifères, par traités et conventions internationales.

50Le calcul régissant cette combinaison était que le groupe Royal Dutch Shell offrait, par la composition de son capital et la personnalité de son président, une indépendance relative par rapport aux intérêts et centres de décision britanniques, et que l’alliance des intérêts français avec ce groupe permettrait d’atteindre la taille critique permettant, dans une certaine mesure, de peser sur les décisions de la Turkish Petroleum Company :

« Pour la Mésopotamie, la collaboration du gouvernement français avec la Royal Dutch paraissait plus particulièrement indiquée. Cette association possédait elle-même une part importante, soit 25 % des intérêts de la Turkish Petroleum, et, en s’associant avec elle, la France, avec les 25 % d’intérêts qu’elle comptait acquérir, pouvait espérer réussir à contrebalancer l’influence de l’Anglo-Persian et du gouvernement anglais. Ce but ne pouvait pas évidemment être atteint si le gouvernement français s’était adressé à un groupement rival de la Royal Dutch.
« Tous les Départements ministériels intéressés étaient à cette époque entièrement d’accord sur cette politique, le ministère des Affaires étrangères notamment l’appuyait de tout son pouvoir. » [24]

51De nouvelles négociations, entreprises en décembre 1919, devaient déboucher sur les accords dits de San Remo, en avril 1920, qui confortaient les acquis de l’accord conclu l’année précédente, portant notamment la part française au quart du capital de la Turkish Petroleum Company.

c) La possession territoriale

52Le partage de l’Empire ottoman avait donné lieu à la signature d’accords interalliés en 1916 et 1917 qui réservaient à la France de vastes territoires au Proche-Orient, dont une partie du vilayet (ou province) de Mossoul. Les accords franco-britanniques du 9 mai 1916 stipulaient que la zone d’influence française en Mésopotamie aurait pour limite méridionale une ligne partant de Bosrad (ou Bosra, dans le djebel druze, près de l’actuelle frontière syro-jordanienne), franchissant le cours supérieur de l’Euphrate à Verdi (ou Jirdhi, dans la Syrie actuelle, entre Al Mayadin et Abou Kemal), suivant un parallèle légèrement inférieur à 35o de latitude nord pour rejoindre le Tigre à 50 km en amont de Tikrit, et obliquant vers le nord-est, le long du cours du Petit Zab, jusqu’à la frontière persane, province de l’Azerbaïdjan oriental, à l’est de Rewanduz. Ce découpage donnait les villes et districts de Mossoul et d’Irbil à la France mais laissait les circonscriptions administratives de Kirkouk et Souleimanyeh dans la zone britannique, c’est-à-dire, sans que personne n’en sut rien à ce moment, les gisements qui seront découverts en octobre 1927 à Baba Gurgur [25].

53Lors de la signature de la convention d’armistice de Moudros avec l’Empire ottoman, le 30 octobre 1918, les forces armées alliées n’occupaient pas encore la partie septentrionale de la Mésopotamie [26]. Les Britanniques s’empressèrent de s’y installer (le 2 novembre, des éléments de cavalerie pénétrèrent dans Mossoul) et d’y entreprendre une action de propagande en leur faveur, tendant à y évincer les Français, bien qu’ils déclarassent officiellement que seuls les traités de paix à venir pourraient régler la question. C’est ainsi que le consul de France à Bassorah et le chef de la mission militaire française en Mésopotamie furent empêchés par les autorités militaires britanniques de se rendre à Mossoul et d’y distribuer, au nom de la France, des secours à la population civile, provoquant l’inquiétude du Quai d’Orsay quant à l’intention des Britanniques d’honorer leur signature : « Si un refus est opposé à l’envoi de MM. Sciard et Roux dans la zone qui nous est reconnue par l’accord au bas duquel le gouvernement britannique a mis sa signature, il constituerait une manifestation directe de l’intention anglaise de se dérober à l’exécution de ses engagements. » [27]

54Les ambitions françaises étaient vastes et, fait notable et nouveau par rapport aux négociations conduites antérieurement à 1918, la question du pétrole y tenait désormais une place éminente, faisant notamment l’objet de vœux parlementaires adressés au gouvernement :

« Considérant [...] que par ses richesses en pétrole la région de Mossoul nous est indispensable,
« Nous émettons le vœu :
« Que l’action exclusive de la France, sous telle forme qui sera décidée, soit reconnue sur la Cilicie syrienne, sur la Syrie comprenant Damas, Alep et Adana, sur la Palestine, sur le nord de la Mésopotamie avec Mossoul avant tout. » [28]

55Mais point n’était besoin, sur ce point particulier, d’attirer l’attention désormais bien éveillée de la diplomatie française sur la nécessité de conserver les droits consentis à la France par ses alliés sur ces territoires, pour cette raison nouvelle qui s’ajoutait aux raisons traditionnelles qui suscitaient sa sollicitude pluriséculaire. Désormais bien au fait des revendications formulées par les représentants français sur la part allemande des actions de la Turkish Petroleum Company, le Quai d’Orsay y voyait une raison supplémentaire de s’en tenir aux accords lui assurant une domination territoriale sur les gisements pétrolifères de la Mésopotamie septentrionale, à titre de garantie supplémentaire de succès de ces revendications et de bon acheminement des produits futurs de l’exploitation de ces gisements :

« Mais il est encore une autre raison, d’une importance capitale pour notre avenir économique et qui nous interdit de renoncer aux droits que l’Angleterre nous a reconnus sur la région de Mossoul. Cette raison, c’est l’intérêt urgent de notre politique pétrolière. [...]
« Grâce aux démarches déjà faites par le commissaire général français aux Essences et Combustibles, la “Royal Deutsch [sic] Schell [sic]” accepte de racheter, au nom du gouvernement de la République, la part d’actions jadis réservée aux capitaux allemands. L’indépendance et la sécurité pour l’avenir de notre politique pétrolière rendent urgente cette solution. Et comment en assurer le plein effet si nous renonçons à notre part légitime d’influence en Kurdistan ? Notre coopération économique avec nos Alliés présuppose une coopération politique préalable : la domination exclusive de l’un des contractants, dans la région visée par les Accords, serait pour l’autre partie une menace perpétuelle. Il faut qu’en toute occasion, la France puisse librement pourvoir à son ravitaillement en pétroles : elle n’y parviendra qu’en exigeant en l’occurrence le respect absolu de ses droits. » [29]

56Nous savons aujourd’hui qu’au moment où ces lignes étaient écrites, à la fin du mois de janvier 1919, témoignant pour la postérité de l’état d’esprit et des positions des diplomates compétents [30], la France, par la bouche de son président du Conseil et ministre de la Guerre, avait déjà renoncé depuis plusieurs semaines, sans que le ministère des Affaires étrangères en fût informé, à la Mésopotamie septentrionale (ainsi d’ailleurs qu’à l’internationalisation de la Palestine).

57Ce renoncement, qui n’avait pas fait l’objet d’un accord écrit de rétrocession portant modification des accords antérieurs, intervint vraisemblablement dans les tout premiers jours du mois de décembre 1918, à l’occasion d’un séjour qu’effectua en Grande-Bretagne Clemenceau pour se concerter avec les dirigeants britanniques sur les conditions des futurs traités de paix. Le Quai d’Orsay ne l’apprit, fortuitement et par les Britanniques, qu’à l’occasion d’une conversation tenue début février 1919 entre Sir Mark Sykes (le négociateur des accords de 1916) et Jean Goût, sous-directeur d’Asie.

58Cette initiative de Clemenceau a suscité des jugements très sévères des contemporains comme de la postérité, souvent marqués du sceau de l’incompréhension [31]. Ainsi, Maurice Mercier, secrétaire général de la Compagnie française des pétroles, écrivant quinze ans après les faits, qualifiait cet abandon d’ « erreur » : « L’accord Sykes-Picot de mai 1916, en [...] conférant [à la France] la suzeraineté sur les vilayets de Damas, Alep et Mossoul, lui avait fourni une occasion, sur laquelle les soucis de la guerre empêchent de fixer l’attention du chef du gouvernement et Mossoul passe ainsi sous le contrôle anglais sans que nous y prenions garde. » [32]

59Les explications du type « moment de distraction » sont bien évidemment à écarter. De même, il paraît impossible de plaider l’ignorance ou la méconnaissance des problèmes pétroliers, alors que Clemenceau avait approuvé quelques jours auparavant les propositions de Bérenger sur la politique à mener en la matière et que la lettre de mission qu’il lui adresserait quelques semaines plus tard [33] le montre très conscient des enjeux stratégiques de ces problèmes. Il semble plus vraisemblable que Clemenceau, obsédé pour des raisons bien compréhensibles par le souci d’assurer la sécurité de la France vis-à-vis de l’Allemagne, ait cédé à une demande britannique pressante sur une question, certes importante, mais néanmoins secondaire à ses yeux, dans la mesure où cette concession était de nature à favoriser un rapprochement des vues franco-britanniques sur ce qu’il jugeait être l’essentiel [34].

60Par ailleurs, cet abandon pouvait faciliter l’acquiescement britannique à la rétrocession à la France des parts allemandes dans le capital de la Turkish Petroleum Company ainsi que conforter la mise en œuvre des droits reconnus à la France sur la Syrie et le Liban par les accords interalliés (antérieurs à l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique et qui ne pouvaient que susciter leur critique virulente) [35].

61La question des motifs et conditions de l’abandon de Mossoul demeure un sujet de débat historiographique.

62Jean-Baptiste Duroselle, dans sa magistrale biographie de Clemenceau, ne l’aborde que très rapidement [36]. Il précise que l’acceptation de Clemenceau fut subordonnée à deux conditions : que la Syrie fût reconnue comme un protectorat français, et non comme une simple sphère d’influence, et que la France obtînt une participation aux pétroles de Mossoul [37]. L’ouvrage de M. Soutou sur les buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale [38] relate brièvement l’événement dans la section consacrée à la politique de l’énergie (p. 777 et s.), malheureusement sans se prononcer sur les motifs de cette décision aux conséquences importantes. La situant sans le moindre doute lors du voyage effectué à Londres par Clemenceau dans les tout premiers jours de décembre 1918 et précisant qu’elle résulte d’un accord purement verbal intervenu entre Clemenceau et Lloyd George, il analyse les termes de cet accord comme un renoncement français, par rapport aux accords passés en 1916-1917, à la Mésopotamie septentrionale et à l’internationalisation de la Palestine, en échange de l’établissement d’un protectorat sur l’ensemble du Liban et de la Syrie et de la participation française aux pétroles mésopotamiens (p. 784).

63Dans sa thèse, Mme Soheila Mameli-Ghaderi aborde rapidement ce point particulier [39]. La raison donnée de la renonciation de Clemenceau est la volonté d’obtenir une part des pétroles mésopotamiens (p. 219). Elle précise toutefois, suivant une trame de récit dont elle attribue la paternité au Quai d’Orsay, que trois conditions furent mises à l’acceptation de la demande britannique :

641 / une participation dans les pétroles de Mossoul [40] ;

652 / le soutien des Britanniques face aux objections américaines prévisibles portant sur le partage de l’Empire ottoman ;

663 / dans l’hypothèse où un système de mandats territoriaux prévaudrait, que les villes et districts de Damas, Alep, Alexandrette et Beyrouth fussent inclus dans le mandat attribué à la France (p. 221).

67Dans sa note no 491 (toujours p. 221), Mme Mameli-Ghaderi risque l’hypothèse d’une quatrième condition : « À ces conditions, il faut peut-être en ajouter une autre et non la moindre. La Grande-Bretagne s’engageait à soutenir les demandes françaises dans ses négociations avec l’Allemagne à propos de la Ruhr au cours de la conférence de paix de Paris. »

68Pour l’essentiel, tant M. Soutou que Mme Mameli-Ghaderi, chacun avec des nuances qui lui sont propres, suivent le récit et l’interprétation classiques donnés par André Tardieu dans son article intitulé « Mossoul et le pétrole », paru dans LIllustration, no 4033, du 19 juin 1920, notamment dans l’énoncé des trois conditions posées par Clemenceau pour son acceptation. Ce récit est toutefois précieux par l’analyse des dispositions d’esprit de Clemenceau à son arrivée à Londres :

« C’est dans ces circonstances [l’occupation militaire par les Britanniques du Moyen-Orient] que M. Clemenceau arrive à Londres. Qu’on veuille bien peser l’importance et la complexité du moment. Trois intérêts dominent la pensée du chef du gouvernement français. D’abord – on l’a trop oublié – il doit, à la veille de la Conférence, établir, sur les questions européennes, qui sont vitales pour la France, les principes généraux de son accord avec M. Lloyd George. Ensuite, en ce qui touche la Syrie même et la Mésopotamie, il lui faut, d’une part, mettre fin aux dangereux conflits des dernières semaines et obtenir l’exécution sans heurts de l’accord de 1916 ; d’autre part – et ceci encore a été trop perdu de vue –, s’assurer, pour toute modification qu’entraînerait le système américain des mandats ou qui résulterait d’une opposition du président Wilson peu favorable à l’accord de 1916, l’appui de la Grande-Bretagne. Enfin, sur un point, les pétroles de Mossoul, il a l’impérieux devoir de faire réviser cet accord, et d’assurer à la France, dans l’exploitation de ces gisements, la place, dont, par sa note du 2 novembre 1918, le Commissaire général aux Essences avait fortement exposé la capitale importance. » [41]

69Enfin, Tardieu affirme que, si la demande britannique fut immédiate et pressante, la réponse de Clemenceau ne vint que dans les jours suivants, dans la forme élaborée et conditionnelle que nous connaissons.

70S’il est indéniable que telle fut la mise en œuvre diplomatique de cet accord, remarquons que le secrétaire du Cabinet de guerre britannique, Maurice Hankey, informé de cet échange par le Premier ministre et le mentionnant brièvement dans son journal intime trois jours après, mais y revenant plus longuement à l’entrée du 11 décembre 1920 (soit tout de même plus de deux ans après les faits), ne mentionne aucune contrepartie britannique explicite à la renonciation française, qu’il présente comme immédiate. Son récit est, du reste, corroboré par les souvenirs de Lloyd George [42]. Mme Mameli-Ghaderi, rapportant la dénégation britannique qu’aucune concession ait été consentie en échange de la renonciation française (en dehors de celle concernant la reconnaissance de la Syrie en tant que futur territoire sous mandat dévolu à la France), avoue sa perplexité :

« Il est difficile d’établir la vérité dans ce domaine. Les Français aussi bien que les Britanniques étaient d’accord pour que Mossoul revienne à la Grande-Bretagne. Il est, par contre, difficile de croire que les Britanniques, avec leur politique pro-arabe, aient consenti en décembre 1918 aux conditions françaises, si incompatibles avec les revendications arabes. Il est également inconcevable que Clemenceau ait cédé Mossoul aux Britanniques sans aucune concession en contrepartie. » [43]

71M. Edward Peter Fitzgerald a publié un article [44], très documenté et appuyé sur les archives diplomatiques françaises, qui est très éclairant sur les négociations de 1915-1916 et souligne, s’il en était besoin, le relatif désintérêt, à cette époque, des diplomates français pour le pétrole. Il montre aussi que l’inclusion d’une partie du vilayet de Mossoul dans la sphère d’influence française résulte plus du jeu de la négociation que d’une volonté française antérieure très déterminée. Malheureusement il est beaucoup moins convaincant sur les raisons qui ont décidé Clemenceau à y renoncer au cours de cette fameuse entrevue vespérale avec Lloyd George, que, suivant en cela Hankey, il situe le dimanche 1er décembre 1918 au soir, à l’ambassade de France à Londres. Selon lui [45], les accords de 1916 laissaient assez peu de choses utiles à la France (la seule partie nord du vilayet, alors que les gisements les plus prometteurs se situaient à proximité de la ville de Kirkouk, en zone britannique, et que la concession pétrolifère avait été attribuée et reconnue à la Turkish Petroleum Company), à un moment où les Français, sous l’impulsion d’Étienne Clémentel, envisageaient une organisation économique de l’après-guerre sous la forme d’une gestion commune aux ex-alliés des matières premières et ressources énergétiques, dont le pétrole. La cession de Mossoul aurait donc été la contrepartie à la construction d’un partenariat franco-britannique pour le partage des ressources pétrolières dans les diverses zones d’Europe orientale et du Moyen-Orient dans lesquelles la France convoitait une participation. Henry Bérenger aurait convaincu Clemenceau, en quelque sorte, de lâcher une possession territoriale vaine pour la réalité plus prometteuse d’une association à l’exploitation des pétroles.

72M. Henry Laurens, dans un article récent [46], suit la version britannique de l’événement, se référant expressément à Maurice Hankey. Il évoque pour raison la crainte qu’aurait éprouvée Clemenceau de la charge représentée par une trop grande extension territoriale :

« Georges Clemenceau veut bien satisfaire le groupe de pression colonial, mais en se limitant à une “Syrie utile” ne comprenant pas la Terre sainte, mais permettant un accès aux ressources pétrolières. Une trop grande extension territoriale impliquerait de lourdes charges d’administration sans commune mesure avec les revenus que l’on pourrait en tirer. C’est l’abandon de la revendication de la “Syrie intégrale” (on dirait actuellement “Grande Syrie”). Au lendemain de l’armistice, il traite directement et sans témoin avec Lloyd George du partage du Proche-Orient. » [47]

73Rappelons enfin que Georges Clemenceau lui-même, en 1928, tel du moins que son ancien secrétaire Jean Martet le rapporte [48], affirmait que la cession de Mossoul avait été mise en balance avec celle de la Cilicie et que les Britanniques avaient préféré la première à la dernière.

74Ces quelques références historiographiques sont très loin d’être exhaustives et d’épuiser le débat. D’autant moins que la teneur exacte des propos échangés entre Clemenceau et Lloyd George, ainsi que la détermination certaine des raisons qui ont conduit Clemenceau à accepter la demande britannique portant sur la partie nord du vilayet de Mossoul et la Palestine, demeureront vraisemblablement à jamais de l’ordre de la conjecture.

75On peut toutefois affirmer que la préoccupation majeure de Clemenceau était, sans doute possible, le règlement de la question allemande et la sécurité future de la France sur sa frontière orientale [49].

76La suite des événements devait pourtant montrer les difficultés que la France allait rencontrer au Proche-Orient pour réaliser ses droits, même ainsi restreints.

77Rétrospectivement il peut paraître schématique et quelque peu vain d’opposer la participation au capital de la Turkish Petroleum Company à la domination territoriale sur la Mésopotamie septentrionale, comme si ces deux options étaient antagonistes, et de supputer laquelle était préférable à l’autre. Les commentateurs se livrèrent néanmoins à ce petit jeu et il n’est que de rappeler l’échange intervenu à la Chambre des députés le 25 juin 1920 [50] où André Tardieu, ayant souligné que les accords interalliés conclus pendant la guerre ne garantissaient pas à la France une part du produit de l’exploitation des gisements pétrolifères, s’était attiré une vive réplique d’Aristide Briand :

« Monsieur Tardieu, vous avez dit... “les pétroles, mais cela a été la question importante de la guerre”... Eh bien ! Le vrai moyen d’en avoir, c’est de posséder les territoires où il se trouve. Même, si la concession des pétroles était devenue pleinement anglaise, le fait que vous étiez, en temps de guerre, maîtres du territoire qui les produit, vous assurait plus sûrement les pétroles que le simple recours à la bonne volonté d’un ami. Par conséquent, la possession de ce territoire n’était pas négligeable. » [51]

78Cet abandon initial, qui devait être suivi au fil des ans par bien d’autres et aboutir un quart de siècle plus tard à l’indépendance pleine et entière des pays du Levant confiés sous mandat de la Société des Nations à la France, fut considéré par les nationalistes comme une sorte de faute originelle expliquant systématiquement les déboires ultérieurs. Et le stéréotype fonctionnait d’autant mieux qu’il impliquait l’adversaire ancestral pour la maîtrise de la mer et l’empire du monde, l’Angleterre ; que la faute en était imputable à un homme politique de gauche, donc a priori susceptible de tous les renoncements, Clemenceau ; et qu’il associait à merveille le principe de l’abandon à la logique de l’échec. C’est pourquoi on trouve la même accusation sans cesse répétée, sous la plume de Raymond Poincaré le 28 novembre 1921 [52] comme sous celle du général Dufieux le 15 décembre 1938 dans sa préface à l’ouvrage de Jean Pichon [53].

79Et, à en croire un observateur de terrain, ce sentiment imprégnait les Levantins les plus favorables à la cause française : « Chaque fois qu’une question grave était soulevée sur le Rhin par le mauvais vouloir de l’Allemagne, nous avons compris que l’Angleterre vous opposait d’autres questions orientales et que pour avoir liberté dans votre politique rhénane, vous étiez obligés de céder une parcelle de votre autorité au Levant. » [54]

III. ESQUISSE D’UN BILAN

80Cette courte période d’une année qui va de la signature de l’armistice avec l’Allemagne à la fin du ministère Clemenceau est généralement, du point de vue ici considéré, méconnue ou dénigrée. Même un homme aussi au fait de la question pétrolière en France qu’Ernest Mercier, président fondateur de la Compagnie française des pétroles, résumant la situation, trente-cinq ans après les événements, déplace les responsabilités :

« Dans les années qui ont suivi la paix de 1918, la fraternité du champ de bataille, pour vivace qu’elle fût, n’avait pas affaibli pour tous les tendances passionnées créées par une concurrence séculaire entre la Grande-Bretagne et la France.
« Il est résulté de là d’épineuses difficultés dans la répartition des zones d’influence dans le Proche-Orient et la France a dû consentir d’appréciables sacrifices.
« Un diplomate de la classe de Philippe Berthelot se devait d’en obtenir une équitable compensation. Effectivement les efforts soutenus par une sorte de prescience prophétique aboutirent au traité de San Remo qui nous permettait de racheter le quart du capital de la Turkish Petroleum. » [55]

81Ces réactions tiennent à la faiblesse des réalisations tangibles, tant sur le plan de la construction législative et réglementaire que sur celui des réalisations industrielles ou même des accords internationaux (les accords Long-Bérenger ne furent pas rendus publics). En apparence, il ne se passe rien ou pas grand-chose et l’histoire ne paraît débuter qu’avec la convention de San Remo en avril 1920.

82Une autre raison peut expliquer ces réticences et silences : dans la rivalité qui se dessine dès la dernière année de la guerre entre les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni pour l’empire du monde, la France a fait le choix britannique, en dépit de sa dépendance à l’égard des premiers pour son ravitaillement pétrolier. En 1919, pour assurer à terme son indépendance (ou sa moindre dépendance) dans ce domaine, elle conforte cette position, en dépit des réticences instinctives de ses diplomates et de ses démêlés avec les Britanniques sur le partage du Proche-Orient, se situant par là dans la continuation des choix stratégiques fondamentaux qui ont prévalu depuis la constitution de l’Entente cordiale.

83Une troisième raison explique encore ces réactions : la décision de confier à une société pétrolière internationale dominée par des capitaux étrangers, la Royal Dutch Shell, le soin de l’exécution capitalistique et industrielle des avantages politiques acquis par la France. Cette option ne pouvait que susciter l’hostilité commune tant des partisans de la solution américaine, emmenés par l’autre grande banque d’affaires, rivale de la BUP, la Banque de Paris et des Pays-Bas, que des tenants de la solution proprement française (portée, avec quelle difficulté [56], par Raymond Poincaré et Philippe Berthelot).

84Enfin, le ministère Clemenceau, s’étant fait le promoteur d’une intervention monopolistique de l’État dans ce domaine industriel et commercial particulier et en temps de paix, ne pouvait que s’attirer les foudres des défenseurs du libéralisme économique.

85Au total, donc, la politique pétrolière suivie ou proposée par le gouvernement Clemenceau mécontentait plusieurs catégories influentes : nationalistes partisans de l’influence française sur la « Grande Syrie » [57] et antibritanniques, partisans de la carte américaine ou nostalgiques de la France seule, industriels français du pétrole, hommes ou groupes d’affaires associés aux rivaux étrangers du groupe Royal Dutch Shell, libéraux de conviction ou d’intérêt, adversaires politiques d’un gouvernement à majorité radicale et radicale-socialiste bientôt désavoué par l’élection de la Chambre « bleu horizon ». Cette somme de mécontentements ne pouvait que provoquer un jugement négatif sur l’œuvre accomplie.

86Et même le peu d’information qui atteint le public, par exemple sur les tractations en cours pour acquérir des parts dans l’exploitation des pétroles mésopotamiens, suscite le mépris de la grande presse, comme ces articles du journal Le Temps parus en décembre 1919 et janvier 1920 dans la rubrique des questions économiques et vantant les mérites de l’option caucasienne : « Cela présenterait pour la France un intérêt plus grand et surtout plus immédiat que l’attribution qui lui a été faite – comme les journaux l’ont relaté à la fin de décembre – d’une part de la production future de Mésopotamie. »

87Les choix arrêtés par le gouvernement Clemenceau furent assez rapidement abandonnés par ses successeurs :

88— le monopole étatique, démantelé dans les deux années qui suivirent, puis, de nouveau, considéré par le cartel des gauches, ne fut jamais mis en œuvre ;

89— l’accord avec les Britanniques, conforté par la Convention de San Remo, fut ensuite mis en sommeil sous l’impulsion de Poincaré, laissant pour principal acquis la dévolution de la participation allemande au capital de la Turkish Petroleum Company et l’aboutissement ultérieur d’une des deux branches de l’oléoduc Irak-Méditerranée à Tripoli du Liban [58] ;

90— le choix du groupe Royal Dutch Shell, comme partenaire privilégié, dans le domaine industriel et commercial, et en quelque sorte l’agent d’exécution de la France pour la réalisation des avantages politiques obtenus, fut délibérément ignoré par les gouvernements ultérieurs, Poincaré finissant, à force d’obstination et d’efforts, par susciter la création d’un groupe proprement français.

91L’importance rétrospective de ce court moment réside surtout dans la tentative de conception d’une politique pétrolière globale et cohérente.

92Son caractère remarquable provient moins des réalisations effectives que de la rupture historique provoquée par la prise de conscience du rôle stratégique du pétrole, née des conditions et circonstances du conflit mondial, et du retard pris par la France dans ce domaine par rapport aux grandes puissances maritimes anglo-saxonnes. Il résulte également de la volonté énergique, manifestée par le gouvernement Clemenceau, de tenter de combler ce retard pour donner à la France les moyens de tenir son rang parmi les grandes puissances victorieuses. À ce titre, et en dépit des inflexions ultérieures de la politique pétrolière suivie dans les années 1920, il y a une continuité évidente dans les préoccupations éprouvées et les buts recherchés.

Notes

  • [1]
    Roberto Nayberg, « Une stratégie pétrolière pour la France : la défense des intérêts nationaux dans les conférences interalliées du pétrole de 1918 », Revue historique, mai 1995, p. 459-491.
  • [2]
    Roberto Nayberg, « Qu’est-ce qu’un produit stratégique ? L’exemple du pétrole », Défense nationale, février 1997, p. 77-86.
  • [3]
    Copie d’une lettre de Stephen Pichon à Paul Cambon, en date du 17 décembre 1918, annexée à la lettre no 2780 adressée par le ministre des Affaires étrangères (sous la signature, par autorisation du ministre, du conseiller d’État, ministre plénipotentiaire et directeur P. de Margerie) à Étienne Clémentel, ministre du Commerce et de l’Industrie, des Postes et Télégraphes, des Transports maritimes et de la Marine marchande, en date du 19 décembre 1918. Archives nationales (ci-après AN), carton F 12 7716.
  • [4]
    Discours du sénateur Henry Bérenger, Henry Bérenger, Le pétrole et la France, chap. VII : « La conférence interalliée du pétrole (1917-1918) », p. 179, Paris, Ernest Flammarion, 1920.
  • [5]
    Pour le détail de l’action de Bérenger, on se reportera à son livre précédemment cité où sont reproduits plusieurs documents importants, ainsi qu’à notre thèse de doctorat de troisième cycle intitulée La question pétrolière en France, du point de vue de la Défense nationale, de 1914 à 1928, soutenue en 1983 à l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne.
  • [6]
    Le texte en a été publié par Henry Bérenger dans son livre (op. cit., chap. Ier : La France et la politique du pétrole, p. 3-27).
  • [7]
    Cf. AN, carton F 12 7716, texte des résolutions adoptées par la sous-commission du pétrole de la cinquième section du Congrès général du génie civil national et interallié, acceptées le 6 décembre 1917 par la cinquième section.
  • [8]
    Cet appel à l’intervention de l’État participe d’une logique qui aboutira en 1918 au monopole étatique des importations par voie maritime des essences de pétrole et du pétrole lampant, avec constitution corrélative du consortium des importateurs de ces produits, et trouvera son expression la plus achevée dans le projet de loi instituant le monopole d’achat et d’importation des huiles raffinées et des essences de pétrole déposé par le ministre des Finances, le 17 juin 1919, sur le bureau de la Chambre des députés.
  • [9]
    Cf. Roberto Nayberg, « Nation, bien public et intérêts privés », Défense nationale, mai 1997, p. 82-90.
  • [10]
    Il le fut une nouvelle fois, pour six mois encore, le 21 avril 1919.
  • [11]
    Lettre en date du 30 janvier 1919 adressée par le président du Conseil, ministre de la Guerre, au sénateur commissaire général aux essences et combustibles. Le texte en a été publié par Henry Bérenger, op. cit., chap. X : « Le régime national des pétroles en France », p. 265-266. On en trouve également une copie aux Archives nationales, carton F 30 1060.
  • [12]
    Henry Bérenger, op. cit., p. 291-292.
  • [13]
    Un tableau précis de la situation figure dans le Rapport fait au nom de la Commission des douanes de la Chambre des députés, chargée d’examiner le projet de loi portant modification du régime douanier des produits pétrolifères en France, par M. le duc de La Trémoïlle, député, déposé en date du 20 mars 1919.
  • [14]
    Copie d’un Rapport secret sur la politique française du pétrole et la paix du commissaire général aux essences et combustibles au ministre des Affaires étrangères, en date du 5 novembre 1918, p. 6-7, AN, carton F 30 1060.
  • [15]
    Copie de la Note no 2 sur la politique française du pétrole et la paix du commissaire général aux essences et aux combustibles au ministre des Affaires étrangères, en date du 29 novembre 1918, p. 3, ibid.
  • [16]
    Ibid., p. 4-5.
  • [17]
    Lettre no 2477 du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni, en date du 17 décembre 1918. Cf. supra, n. 3. Une autre copie de cette lettre figure aux AN, carton F 30 1060.
  • [18]
    Copie d’une note adressée à Son Excellence M. Balfour, Foreign Office, en date du 6 janvier 1919, non signée, AN, carton F 30 1060.
  • [19]
    Une bonne synthèse de ces négociations et du contexte diplomatique dans Luttes pétrolières au Proche-Orient d’André Nouschi, chap. VI : « L’entrée des Français », p. 51-60, Paris, Flammarion, coll. « Questions d’histoire », 1970.
  • [20]
    Copie d’une note du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni, en date du 22 janvier 1919, AN, carton F 30 1060. Cette note donne une idée assez juste de la confiance accordée par la diplomatie française à ses alliés britanniques. Pichon donnait instruction à Cambon d’adresser une nouvelle note au Foreign Office.
  • [21]
    En cas de renoncement de cet État, sa part serait partagée également entre les intérêts britanniques et français.
  • [22]
    Texte du télégramme no 211 du commissaire général aux essences et combustibles au ministre des Affaires étrangères, expédié de Londres le 7 mars 1919 à 20 heures, AN, carton F 30 1060.
  • [23]
    Le texte de cette lettre a été publié par Francis Delaisi dans son livre Le pétrole, paru aux Éditions Payot et Cie, coll. « La politique de la production », en 1921, p. 104-105.
  • [24]
    Note sur la question des pétroles (Mésopotamie et Roumanie), non signée ni datée, AN, carton F 30 1060. Cette note émane des services du ministère des Finances et date de 1922.
    Une argumentation en des termes quasiment identiques dans la copie d’une lettre du ministre des Finances au président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, en date du 12 janvier 1922, ibid., carton F 30 1060, dossier : terrains pétrolifères de Roumanie (1921-1924).
  • [25]
    Les informations en possession du gouvernement français, qui provenaient pour partie des études et explorations conduites en 1908 à la demande de l’administration provinciale de Mossoul par l’ingénieur français Tassard, laissaient penser à la présence de gisements pétrolifères à Hammam Ali (sur la rive droite du Tigre, à 20 km en aval de Mossoul), dans la plaine de Gayara (à environ 35 km plus loin en aval), à Diarbékir (dans l’actuel Kurdistan turc) et Tel Khazar (à l’ouest de Mossoul), ainsi que dans la région de Zarho, au pied du Harbal (au point de rencontre des actuelles frontières syrienne, irakienne et turque). Tous ces sites se trouvaient dans la zone dévolue à la France par les accords interalliés.
    Les sites de Gayara et d’Hammam Ali avaient été confirmés par la mission conduite pendant la guerre, à la demande d’Enver Pacha, par l’ingénieur austro-hongrois Siegmund von Bielski et le géologue Grzybowski. Cf. Note sur les ressources pétrolifères en Mésopotamie et compte rendu du voyage de Siegmund von Bielski, ingénieur civil, anonyme et non datée. Service historique de la Défense, département Terre (ci-après SHd-Terre), carton 7N895.
  • [26]
    Sur tous ces événements, outre le livre déjà cité d’André Nouschi, on se reportera avec profit à l’ouvrage ancien mais très documenté de Jean Pichon, Le partage du Proche-Orient, paru aux Éditions J. Peyronnet et Cie, Paris, en 1938.
  • [27]
    Note du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni, en date du 27 novembre 1918.
  • [28]
    Note pour M. le Président du Conseil de la délégation des groupes de droite du Sénat et de la Chambre des députés (note manuscrite du vice-amiral de la Jaille, pour certification des signatures de la Délégation, sur papier à en-tête du Sénat, non datée, quatre pages petit format). SHd-Terre, carton 6N76, dossier : Asie Mineure, Notes diverses sur les problèmes des populations et sur les intérêts moraux et matériels de la France.
  • [29]
    Note sur la question de Mossoul, en date du 30 janvier 1919, p. 8-10. Cette note émane des services du ministère des Affaires étrangères, direction des affaires politiques et commerciales, section Asie-Océanie, SHd-Terre, carton 6N76, dossier : revendications des pays turcs.
  • [30]
    Dans la même veine, Jean Pichon cite à bon escient les propos tenus par le ministre des Affaires étrangères dans un discours prononcé devant la Chambre des députés, le 29 décembre 1918, sur les « droits dès à présent acquis » à la France (op. cit., p. 164).
  • [31]
    On peut citer, à titre d’exemple, un article de Jean Rondot, intitulé « Les intérêts pétroliers français dans le Proche-Orient ”, paru dans la revue Politique étrangère, livraison d’août-octobre 1952, p. 267-291, où il écrit qu’en 1918 « Clemenceau, dans un moment de distraction sans doute, abandonne à Lloyd George les droits français sur Mossoul » (p. 277).
  • [32]
    Le pétrole et son économie, ouvrage collectif sous la direction d’Henry Peyret, Paris, Éd. de la Librairie technique et économique, coll. « Cahiers économiques et sociaux », 1935, chap. XVIII : « L’Irak et la Compagnie française des pétroles ”, rédigé par Maurice Mercier, p. 165.
  • [33]
    Cf. n. 11. Cette lettre est datée du 30 janvier 1919, soit le même jour que la note de la section Asie-Océanie du Quai d’Orsay sur la question de Mossoul.
  • [34]
    C’est la thèse qu’exprime avec amertume Jean Pichon : « Malgré les efforts de M. Poincaré, M. Clemenceau allait céder continuellement aux exigences de M. Lloyd George, dans l’espoir d’amener celui-ci à nous laisser les mains libres en Rhénanie » (op. cit., p. 152).
  • [35]
    Ce sont les raisons avancées par André Nouschi, op. cit. Elles ne sont d’ailleurs pas contradictoires avec la première. Jean Pichon n’en fait que des conditions mises par Clemenceau à son acceptation (op. cit., p. 186).
  • [36]
    Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 829. Mais il reprend l’affaire plus loin, p. 854, dans une interpolation malheureuse et avec une erreur de millésime (1er décembre 1919 au lieu de 1918) qui sont vraisemblablement le fait de l’éditeur.
  • [37]
    Duroselle suit la thèse de M. Soutou, à laquelle il se réfère expressément.
  • [38]
    Georges-Henri Soutou, L’or et le sang, Paris, Fayard, 1989.
  • [39]
    Soheila Mameli-Ghaderi, Quelles frontières pour le Moyen-Orient ? Les frontières des États nés de la partie asiatique de l’Empire ottoman, 1913-1939, thèse de doctorat soutenue en 1996, non publiée à ce jour, dans son titre II : « Le pétrole, un élément de partage territorial du Moyen-Orient », p. 199 et s.
  • [40]
    Cette confusion entre motif et condition me semble très révélatrice des hésitations de l’historiographie sur cet événement.
  • [41]
    LIllustration, no 4033, du 19 juin 1920, p. 381.
  • [42]
    The Truth about the Peace Treaties, p. 1038, paru à Londres en 1938.
  • [43]
    Ibid., p. 221. Je ne partage pas l’affirmation selon laquelle les Français étaient, à ce moment-là, d’accord avec les Britanniques pour que Mossoul revînt à la Grande-Bretagne, parce que trop générale. Ce n’était pas du moins l’opinion majoritaire au Quai d’Orsay, d’après les documents d’archives que j’ai pu consulter.
  • [44]
    « France’s middle eastern ambitions. The Sykes-Picot negotiations, and the oil fields of Mosul, 1915-1918 », The Journal of Modern History, no 66, décembre 1994 (Éditions de l’Université de Chicago), p. 697-725.
  • [45]
    Sa pensée sur ce point est exposée dans les derniers paragraphes de son article, p. 724-725.
  • [46]
    « Comment l’Empire ottoman fut dépecé », Le Monde diplomatique, avril 2003, p. 16-17.
  • [47]
    J’avoue que je ne suis pas pleinement convaincu par l’argument ci-dessus : si Clemenceau voulait conserver un accès aux ressources pétrolières, pourquoi ne pas pousser les choses jusqu’à posséder le territoire pétrolifère ? Et s’il redoutait des charges budgétaires excessives, n’auraient-elles pas trouvé une compensation suffisante dans les revenus nés de l’exploitation des pétroles, même sous la simple forme de droits de transit, douanes et divers ?
  • [48]
    Le silence de M. Clemenceau, paru en 1929 (p. 303-304).
  • [49]
    Je ne crois pas, en revanche, à un marchandage sur les demandes proche-orientales des Britanniques (outre les récits de Hankey et Lloyd George, M. Fitzgerald cite une lettre privée de Philippe Berthelot en date du 11 mars 1920 affirmant que Clemenceau n’avait rien obtenu des Britanniques en contrepartie de la cession). Dès lors, mon sentiment demeure celui que j’exprime dans cet article, où j’en tiens pour l’explication « européenne », le reste étant de l’ordre, selon moi, de la reconstruction intellectuelle postérieure et d’une tentative des diplomates français, ulcérés quant au fond et à la forme de l’accord, pour limiter l’apparent désastre.
  • [50]
    Soit six jours après la parution de l’article de Tardieu dans L’Illustration.
  • [51]
    Cité par R. de Gontaut-Biron dans son opuscule La France et la question de Mossoul, paru aux Éditions de la Société d’études et d’informations économiques, collection de mémoires et documents, Paris, 31 p., sans date (mais vraisemblablement de 1923).
  • [52]
    « Nous avons paru penser que nous désobligerions moins l’Angleterre par la souplesse et l’habileté que par l’énergie et la netteté et précisément nous avons adopté en cela la conduite qui devait le plus lui déplaire. »
  • [53]
    « L’auteur a montré comment la politique du gouvernement de Londres a su [...] aboutir à sauver l’essentiel : la possession des pétroles et l’amélioration des communications impériales » (Jean Pichon, op. cit., p. XIV).
  • [54]
    Rapport d’ensemble sur la Syrie et le Levant, en date du 27 février 1922, anonyme (mais noté comme émanant « d’un excellent informateur », commandant des troupes françaises à Aïn Tab du 8 février au 22 octobre 1921), p. 18, SHd-Terre, carton 7N3216, dossier no 3 : divers. Aïn Tab se nomme aujourd’hui Gaziantep et se trouve en Turquie.
  • [55]
    Ernest Mercier, Introduction à la plaquette intitulée Compagnie française des pétroles, 1924-1954, Paris, Publimé, 1954, p. 7.
  • [56]
    La Compagnie française des pétroles ne sera constituée qu’en mars 1924.
  • [57]
    La formulation la plus savoureuse de ces griefs paraît être contenue dans ce jugement imagé : « Sous l’influence des milieux indigènes, on considère comme très préjudiciable à l’économie du pays l’abandon des riches zones du Nord. Privée du coton et du blé de Cilicie, du pétrole de Mossoul, des terres à céréales d’Ourfa et Séroudj, la Syrie n’est plus que le manche d’un gigot dont on a abandonné la viande » (Rapport d’ensemble sur la Syrie et le Levant, en date du 27 février 1922, p. 10-11, SHd-Terre, carton 7N3216, dossier no 3 : divers).
  • [58]
    L’autre branche aboutissait en Palestine, à Haïfa, c’est-à-dire en territoire sous mandat britannique. La mise en service de cet oléoduc intervint au second semestre de 1934. Un acquis secondaire fut la constitution de quelques sociétés d’exploitation des pétroles roumains à capitaux mixtes franco-britanniques.
Français

La politique française du pétrole à l’issue de la première guerre mondiale : perspectives et solutions

En novembre 1918, le gouvernement Clemenceau doit définir une politique pétrolière pour la France. Sous l’impulsion du sénateur Bérenger, deux orientations fondamentales sont tracées : l’utilisation des combustibles liquides, par une modification de la législation douanière et le monopole étatique des importations, et la participation dans des gisements pétrolifères à l’étranger, par la négociation d’accords avec les alliés britanniques. Un résultat tangible reste la rétrocession de la part allemande de la Turkish Petroleum Company, mais le plus important, celui de la reconnaissance officielle du statut stratégique du pétrole.

Roberto Nayberg
Docteur en histoire.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/gmcc.224.0111
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