CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ces dix dernières années [*], la start-up s’est imposée comme point de référence pour repenser l’action publique [**]. Avec la parution de l’essai américain Start-Up Nation (Senor, Singer, 2011), qui faisait reposer un supposé miracle économique israélien sur un « esprit start-up » et un soutien public à l’innovation technologique, des publications et initiatives encouragent dans de nombreux pays un renouvellement des politiques publiques par le soutien aux start-ups (par exemple Carpentier, Suret, 2013 ; Osimo, 2016 ; Zanatta, 2013) [3]. Parmi ces initiatives, le programme Start-Up America est mis en place en 2011, sous le président Obama, pour financer des start-ups à travers les États-Unis [4]. À la suite de la conceptualisation par l’entrepreneur irlando-américain Tim O’Reilly de la notion « d’État plate-forme » (O’Reilly, 2010), les administrations publiques elles-mêmes sont incitées à accueillir des start-ups en leur sein pour moderniser la conduite de l’action publique (par exemple Gertner, 2015 ; Quito, 2016 ; Smith, 2017). Dans les administrations publiques de plusieurs pays sont créés des incubateurs, qui accueillent des fonctionnaires désireux·ses [5] d’échanger des idées innovantes pour la conduite de l’action publique [6].

2En France, outre une imprégnation des discours d’Emmanuel Macron par l’imaginaire de la start-up (Ibled, 2019 ; Nabli, 2018 ; Schmelck, 2018), un ensemble de discours prescriptifs appellent à une transformation de l’action publique par la start-up. Ces discours sont principalement produits par cinq hauts fonctionnaires, universitaires et dirigeants d’entreprise : Yann Algan, Thomas Cazenave, Nicolas Colin, Pierre Pezziardi et Henri Verdier. Les cinq hommes ont publié ces dernières années des articles académiques, des essais, des rapports et des articles de presse, inspirés à la fois de l’État plate-forme et de la Start-up Nation (Algan, Cazenave, 2016 ; Colin, Verdier, 2012 ; Pezziardi et al., 2013 ; Pezziardi, Verdier, 2017). Ces discours sont contemporains de l’introduction de dispositifs de soutien aux start-ups en France et dans l’Union européenne. En 2013 est créée la French Tech, écosystème de start-uppers, de décideurs et d’investisseurs, coordonné par des hauts fonctionnaires (Bellon, 2018, p. 509-510) [7]. De même, le programme Start-up Europe est créé en 2011 ; il fonctionne à la fois comme un réseau de start-ups et une structure publique d’appui à ces réseaux [8].

3Des dispositifs sont aussi mis en place dans l’administration française sur les prescriptions des cinq réformateurs précités. En 2013, à partir du travail de Pezziardi et Verdier, est lancé beta.gouv.fr, un « incubateur de start-ups d’États » destiné à lancer un « intrapreneuriat public », soit des projets innovants portés par des petites équipes de salarié·e·s de la fonction publique au service de celle-ci [9]. Beta.gouv.fr essaime : des incubateurs sont créés au niveau ministériel et dans les collectivités locales [10]. En 2016, l’ouvrage collectif L’État en mode start-up, dirigé par Thomas Cazenave et Yann Algan, recense l’ensemble des initiatives d’appui aux start-ups dans les organisations publiques françaises (Algan, Cazenave, 2016).

4La recherche critique française s’est emparée des changements discursifs et matériels traduisant cet engouement pour la start-up. En mai 2020, la revue Savoir/Agir consacrait un dossier spécial à la start-up comme nouveau « mot d’ordre » (Quijoux, Saint-Martin, 2020). Corroborant des publications antérieures (Chambard, 2020a ; Chapus, 2018 ; Flécher, 2019a, 2019b ; de Grave, 2019 ; Gouritin, 2019), les articles de la revue dénoncent l’idéologie néo-libérale qui sous-tendrait la start-up et les formes appauvries d’intervention publique que celle-ci servirait à masquer (Bedreddine, 2020 ; Chambard, 2020b; Flocco, Guyonvarch, 2020 ; Frances, Le Lay, 2020 ; Gouritin, 2020 ; Lamy, 2020). Ces travaux offrent un riche panorama des transformations de l’action publique par des politiques et des discours de soutien aux start-ups dans le secteur privé comme dans les organisations publiques. Ils ont toutefois laissé de côté l’analyse des principes sous-jacents à ces discours et à ces politiques, ainsi que de l’enrôlement des acteur·rice·s par le biais de ces principes [11].

5Plusieurs travaux ont spécifiquement traité de l’installation d’un État plate-forme dans l’administration française, en application notamment des recommandations formulées par Colin, Pezziardi et Verdier (Alauzen, 2019a, 2021 ; Chevallier, 2018 ; Jeannot, 2020). Ces travaux sont essentiels pour saisir les limites d’une « réinvention de l’État » (Bezes, 2009) par l’État plate-forme, dont ils soulignent l’échec à transformer durablement la bureaucratie. Ils n’ont toutefois pas analysé la start-up comme abstraction qui sous-tend les discours prescriptifs à l’origine de ces dispositifs ; de ce fait, ils n’ont pas pensé la start-up vis-à-vis des mouvements contemporains de réforme de l’action publique – par exemple le New Public Management (Bezes, 2020 ; Bezes, Musselin, 2015 ; Hood, 1989, 1991, 1995). Ces travaux nous invitent de plus à explorer les potentialités de la start-up comme alternative à la bureaucratie, au-delà de l’échec constaté de l’État plate-forme, en lien avec la littérature portant sur les recompositions contemporaines de la bureaucratie et soulignant sa centralité persistante dans la conduite de l’action publique (Bezes, 2020 ; Graeber, 2015, 2019 ; Hibou, 2012, 2013 ; Power, 1997).

6Le présent article vise à saisir dans quelle mesure la start-up peut transformer la conduite bureaucratisée de l’action publique. Dans une perspective wébérienne (Weber, 1991), la start-up est envisagée comme un esprit, c’est-à-dire un vecteur de réagencement social, auquel peut être attribué un ethos, et qui produit un réenchantement du monde. La bureaucratie quant à elle désigne à la fois un environnement organisationnel et les individus qui composent celui-ci, et l’ensemble des discours, des instruments, des règles et des procédures de rationalisation des activités humaines (Bezes, 2020 ; Bezes et al., 2021 ; Graeber, 2015 ; Hibou, 2012, 2013 ; Weber, 2003). Alors que la start-up apparaît a priori antinomique de la bureaucratie, cet article explore les liens entre ces deux phénomènes.

7Cette étude se positionne dans la continuité de travaux sur les entreprises de réforme de l’État, qui interrogent la possibilité de subversion de l’ordre bureaucratique par des transformations sociales qui semblent à première vue externes à celui-ci, comme le marché (Le Galès, Scott, 2008) et le numérique (Bellon, 2018) [12]. L’article propose une analyse sur trois plans, à savoir : celui des discours d’une élite réformatrice, promouvant une réforme de l’État en mode start-up ; le niveau de réformes de l’action publique ; et enfin, le niveau d’acteur·rice·s ordinaires chargé·e·s de la mise en œuvre de ces réformes. Il s’agit de saisir, dans l’analyse des discours, les traits constitutifs de cet esprit et, dans l’étude des réformes et de leur mise en œuvre, ses manifestations.

8Notre enquête est construite à partir d’une analyse de discours réformateurs pour une transformation de l’action publique par la start-up, et de celle d’un matériau issu de quatre enquêtes conduites entre 2012 et 2019 au sujet de réformes administratives françaises et canadienne et de la mise en œuvre d’une politique publique européenne. Lors de ces enquêtes, nos interlocuteur·rice·s puisaient dans l’imaginaire de la start-up pour décrire leur travail, relevant de domaines et de modes de gestion a priori éloignés de ceux habituellement associés aux start-ups. Iels mentionnaient explicitement la start-up, ou bien employaient des termes issus de son champ lexical – la « disruption », « l’innovation », le « projet », le « réseau », etc. Nous avons donc investigué sur les mobilisations, les incarnations et les effets locaux de la start-up [13].

9L’article est construit de la manière suivante : à partir de la lecture de discours prescriptifs sur la start-up, une première section conceptualise un esprit start-up. Notre quadruple enquête de terrain nous conduit ensuite à mettre en évidence des manifestations plurielles de la start-up dans des réformes administratives et des politiques publiques, soit des startupisations variées de l’action publique. Par leurs traits partagés, ces startupisations signalent un même déplacement de l’action publique. Nous montrons toutefois dans une section subséquente que la startupisation de l’action publique est contrainte en raison d’un encastrement de la start-up dans la bureaucratie ; par conséquent la start-up contribue davantage à renouveler, qu’à subvertir, la conduite bureaucratisée de l’action publique. Notre conclusion détaille les contributions de l’article à la recherche.

La start-up comme nouvel esprit de l’action publique ?

10La littérature en action publique a offert de nombreuses conceptualisations pour penser les transformations récentes de l’action publique : New Public Management (Hood, 1989, 1991, 1995), révolution entrepreneuriale (Osborne, Gaebler, 1993), gouvernance (Rhodes, 1994, 1996), digitalisation (Dunleavy et al., 2006). D’autres concepts ont été forgés pour appréhender plus largement les mutations de la gestion et de la bureaucratie, notamment le nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999).

11Dans cette section, nous étudions dans quelle mesure la start-up annonce un changement inédit dans la conduite de l’action publique. Pour ce faire, nous analysons un ensemble de discours prescriptifs sur la transformation de l’action publique par la start-up, produits en France par Yann Algan, Thomas Cazenave, Nicolas Colin, Pierre Pezziardi et Henri Verdier (voir annexe pour une présentation du corpus analysé et des parcours de leurs auteurs). Les discours de ces hommes ne représentent certes pas l’ensemble des prescriptions formulées au sujet d’un renouvellement de l’action publique par la start-up, mais ils constituent un espace cohérent où la formalisation de la relation entre start-up et transformation de l’action publique y est développée et aboutie [14]. Nous conceptualisons à partir de ces discours un esprit start-up, porteur de réagencement social et organisationnel, d’un ethos spécifique et de promesses de réinvention du monde.

Le réagencement du monde par la start-up

12Les discours prescriptifs sur la start-up annoncent un bouleversement de l’action publique et du monde social. Algan et Cazenave (2017, p. 81) et Pezziardi et Verdier (2017, p. 10) parlent à ce sujet de « révolution ». Ce bouleversement implique un renouvellement de la coordination des activités humaines dont nous exposons à présent les composantes.

13La start-up se traduit par une réticularisation des activités, qui défait les cloisonnements et les frontières organisationnelles. Pezziardi et Verdier expliquent : « L’intelligence se déploie dans des réseaux ouverts, des communautés, la “multitude” » (Pezziardi, Verdier, 2017, p. 11-12). Dans ce contexte, la bureaucratie doit être défaite : il faut « décorseter les organisations » (Algan, Cazenave, 2017, p. 27). L’organisation bureaucratique est remplacée par des administrations dites de mission, soit des équipes de petite taille, reposant sur des compétences et des profils divers (non exclusivement fonctionnaires) fonctionnant en mode projet et en réseaux ; ces équipes sont financées en fonction de leur impact et ce financement vise à accroître les responsabilités (Pezziardi et al., 2019 ; voir aussi Pezziardi, Verdier, 2017, p. 12 ; Pezziardi, Guilluy, 2019 ; et Algan, Cazenave, 2017, p. 37).

14La start-up implique ensuite une autonomisation des individus. Dans leur essai L’Âge de la multitude, Verdier et Colin soulignent : « L’autonomie n’est désormais plus seulement offerte à des équipes, mais aux individus » (Colin, Verdier, 2016, p. 145). L’organisation du travail doit offrir aux acteur·rice·s des espaces pour déployer leur inventivité et accompagner la mise en œuvre de leurs idées. Les organisations doivent ensuite accepter de se transformer sur la base des innovations proposées. « Faire entrer l’innovation radicale au cœur de nos organisations nécessitera […] de libérer la capacité d’innovation et d’expérimentation » expliquent Pezziardi et Verdier (2017, p. 15).

15La start-up s’inscrit enfin dans un contexte de digitalisation de l’action publique (Dunleavy et al., 2006) qu’elle renforce. Parce qu’elles sont à même de relier des collectifs et des individus dispersés, les nouvelles technologies permettent une conduite des activités transversales impliquant davantage les citoyen·ne·s (par exemple Pezziardi, Verdier, 2016, p. 23) [15]. Dans leur rapport de 2013 remis au centre d’expertise Fondapol, Pezziardi et ses coauteurs demandent à placer « l’informatique au service des innovations sociales dans nos organisations » (Pezziardi et al., 2013, p. 34).

16Le réagencement du monde par la start-up est donc fait d’un triple processus de réticularisation, autonomisation des individus et digitalisation. Ce triple processus ne semble pas tant constituer une révolution qu’une syncrétisation, dans un contexte de digitalisation, de discours antérieurs de New Public Management et de gouvernance, auquel il emprunte respectivement les idées de désagrégation des bureaucraties en petites unités « corporatisées » (Dunleavy, Hood, 1994) et de réticularisation des activités (Rhodes, 1994, 1996). Ce réagencement repose par ailleurs sur un ethos spécifique, qui signifie l’intériorisation par les individus d’injonctions vectrices d’un engagement renouvelé dans l’action publique.

Les injonctions constitutives d’un ethos de la start-up

17À la start-up est associé un ethos (Weber, 1991, 1963 ; voir aussi Bédard, 2015), soit un ensemble de pratiques cohérentes, constitutives de la start-up, et dont il est attendu une intériorisation par les acteur·rice·s. « La figure du héros moderne n’est plus le haut fonctionnaire aux brillantes études ou le trader millionnaire, c’est aujourd’hui l’entrepreneur, et demain, le “faiseur” au sens large » expliquent Pezziardi et Verdier (2017, p. 36). Nous présentons ici trois injonctions caractéristiques de l’ethos de la start-up.

18L’esprit de la start-up repose sur une injonction au dépassement de soi. « Ce n’est plus seulement une force de travail que les salariés mettent à disposition de leur employeur : c’est aussi leur créativité, leur désir, leur singularité, voire leur intimité. C’est leur vie dans toutes ses dimensions », expliquent Colin et Verdier (2016, p. 144). Pezziardi dresse quant à lui l’éloge de chefs de produit qui « ont la rage au corps et font de la réussite du projet une affaire personnelle », et d’informaticiens, qui « peuvent y passer quinze heures par jour pour que ça marche » (Pezziardi, Verdier, 2016, p. 28). Plus largement, la métaphore du pari et le champ sémantique du défi sont omniprésents dans les écrits prescriptifs sur la start-up. À ce titre, l’ethos du start-upper peut être vu comme la conversion d’un « ethos bureaucratique » (Du Gay, 2000 ; Mills, 2013 ; Weber, 1963) puisant dans le même registre vocationnel au service de l’intérêt général.

19La start-up signifie ensuite une injonction à être innovant·e. « L’innovation, c’est une désobéissance, pas un plan ! […] Nous avons besoin de nous éloigner d’anciennes vérités à l’origine de nos systèmes » s’exclament Pezziardi et ses coauteurs (Pezziardi et al., 2013, p. 34). Certains documents de notre corpus reprennent le concept de disruption, qui renvoie à la capacité à proposer une innovation radicale (Christensen, 2011 ; Dru, 2015). Nicolas Colin et Henri Verdier font de la « disruption » un mot-clé d’un nouvel art de la guerre conduit par les start-ups (Colin, Verdier, 2016, p. 227-231). « On ne crée une start-up que pour renverser la table », écrivent-ils (ibid., p. 231).

20La dernière injonction de la start-up est celle de faire preuve d’ascétisme créatif : l’esprit start-up exige de créer sous contrainte de temps et de ressources. Sur son blog, par lequel il fournit notamment un ensemble d’instructions pour lancer des start-ups d’État, Pierre Pezziardi met en garde :

21

N’acceptez pas plus de moyens, vous importeriez du risque ! Quel que soit le sujet, une start-up = 4 personnes et 6 mois […]. Une start-up qui ne trouve pas son marché en six mois doit être dissoute (Pezziardi, 2014).

22De même, Pezziardi et Verdier font l’éloge d’initiatives plébiscitées par leurs usager·ère·s et reposant sur « une exceptionnelle frugalité de moyens » (Pezziardi, Verdier, 2017, p. 7). Si l’injonction à faire preuve d’ascétisme rappelle l’appel à la parcimonie de discours de New Public Management (Hood, 1991, 1995), la créativité et la mise en avant d’une contrainte de temps distinguent la start-up de discours austéritaires. La start-up peut davantage être entendue comme une actualisation de l’esprit entrepreneurial des années 1990 (Osborne, Gaebler, 1993 ; Osborne, Plastrik, 1998 ; Bezes, Jeannot, 2018) : les trois injonctions susmentionnées se retrouvent par exemple dans le best-seller d’Osborne et Gaebler pour une révolution entrepreneuriale de l’action publique (Osborne, Gaebler, 1993). La start-up s’épanouit toutefois dans un contexte de digitalisation (voir supra). Elle est enfin vectrice de promesses.

Les promesses de la start-up

23La start-up comme esprit formule un ensemble de promesses de réenchantement du monde. Selon Pezziardi et Verdier (2017, p. 36), le soutien aux start-ups d’État « peut galvaniser une génération d’intrapreneurs de la fonction publique et émanciper une foule de contributeurs ». Cette section présente les promesses de la start-up.

24La start-up promet le déploiement d’une agilité collective, c’est-à-dire une adaptabilité, une flexibilité et une simplification portées collectivement. L’agilité, et son pendant contraire, la lourdeur bureaucratique, sont en effet des leitmotivs de notre corpus de documents. Algan et Cazenave (2017) pointent du doigt la complexité de l’action publique, qui « bride de fait les marges de manœuvres et nuit à la qualité et à l’accessibilité du service public » (p. 78). L’agilité repose alors sur l’association de tou·te·s à la conduite du changement. Pezziardi et ses coauteurs promettent le développement d’une dynamique de « débureaucratisation […] en permettant l’émergence d’initiatives réellement innovantes et créatrices de valeur hors des règles de la technostructure et fondée sur le volontariat » (Pezziardi et al., 2013, p. 34-35).

25La start-up promet ensuite une suppression des rentes et une réduction des inégalités, à la fois par le contenu des projets mis en œuvre et par la sélection méritocratique de cell·eux qui les portent. Selon Pezziardi, les innovateur·rice·s peuvent défaire les « forces qui tentent de préserver le système tel qu’il est » (Pezziardi, Verdier, 2016, p. 24). Nicolas Colin explique de son côté que « soutenir les start-up, c’est se tourner vers l’avenir ; c’est aider les jeunes entrepreneurs plutôt que les vieux rentiers » (Colin, 2018).

26La start-up promet dernièrement une conversion en action des indignations : elle offre un exutoire accessible au mécontentement. « Nous attirons des personnalités généreuses, romanesques et engagées, qui veulent servir l’intérêt général une fois dans leur carrière » explique Henri Verdier au sujet de la mission Étalab, dont le rôle est d’encourager les innovations à partir de l’accès aux données publiques (Pezziardi, Verdier, 2016, p. 28). Sur son blog, Pierre Pezziardi défend :

27

Seul un intrapreneur sincèrement indigné par une situation imparfaite […] pourra prendre le risque de se lancer dans une innovation radicale. Les conservatismes légitimes du système réclament un engagement, une opiniâtreté et un sens du dialogue tout particulier. Relisez cette phrase 4 fois s’il vous plaît. Relisez-là encore, car vous êtes encore en train de faire l’inverse, je vous vois lister des problèmes, récolter des idées, inventorier des solutions, convoquer des groupes de travail, effectuer un premier chiffrage… STOP. Cherchez un indigné ! (Pezziardi, 2014.)

28Dans les propos précités, l’exutoire au mécontentement promis par la start-up doit être bénéfique à la société en même temps que vecteur d’une réalisation de soi.

29Le réagencement du monde, les injonctions et les promesses présentées dans cette section traduisent une insatisfaction vis-à-vis de la bureaucratie wébérienne (Weber, 2003). La réticularisation et l’autonomisation des individus s’opposent à la verticalité, au commandement hiérarchique, au cloisonnement bureaucratique et à la division du travail fondée sur l’expertise – chacun·e est appelé·e à innover. L’ethos associé à la start-up se distingue de l’ethos bureaucratique (Weber, 1963) : il s’oppose notamment au suivi des ordres et à la mise en œuvre de décisions planifiées. Les promesses de la start-up peuvent quant à elles être lues en négatif comme des critiques courantes de la bureaucratie – de rigidité, de privilège, et d’inutilité sociale. L’esprit start-up recycle enfin des éléments de la bureaucratie wébérienne que les organisations complexes auraient échoué à satisfaire, à savoir la méritocratie et le don de soi.

30Cette analyse appelle deux observations. La start-up peut premièrement être entendue comme symptomatique d’un nouvel esprit du capitalisme émergeant notamment d’une insatisfaction à l’égard de la bureaucratie wébérienne (Boltanski, Chiapello, 1999). Mais les processus de transformation et les injonctions constitutives de la start-up dépassent les composantes du nouvel esprit du capitalisme – notamment par une individualisation poussée du travail.

31L’analyse fait deuxièmement apparaître Algan, Cazenave, Colin, Pezziardi et Verdier comme des entrepreneurs et des révolutionnaires, constitutifs d’une avant-garde bureaucratique (Bourdieu, 2012, p. 43 ; Bellon, 2018, p. 243 ; Lecler, 2015) : les cinq hommes importent un esprit start-up dans la bureaucratie, pour subvertir celle-ci. Pourtant, les changements invoqués ne sont pas vecteurs de la « révolution » que les promoteurs de la start-up annoncent : la start-up emprunte différents traits à plusieurs mouvements contemporains de transformation de l’action publique et des organisations. Notre analyse rejoint ainsi celles d’autres discours réformateurs, en soulignant que ces discours sont moins révolutionnaires qu’ils ne le paraissent à première vue (sur le New Public Management, voir Bezes, Musselin, 2015 ; Gruening, 2001 ; Jordan, 2007 ; sur la révolution entrepreneuriale, voir Carroll, 1996 ; Kellough, 1998).

32Notre conceptualisation permet enfin de nommer et de mettre en cohérence un ensemble de changements incrémentaux dans la conduite de l’action publique restés jusque-là non identifiés. Par cette identification il devient possible de saisir un renouvellement dans les promesses et les injonctions qui imprègnent les discours et les pratiques d’action publique. Nous poursuivons l’analyse en nous intéressant à des cas empiriques au sein desquels l’esprit start-up est diffus afin d’en saisir les ramifications, la diversité des manifestations et les possibilités de mise en œuvre.

Quatre startupisations de l’action publique

33La recherche en administration publique a mis en évidence que les transformations de l’action publique sont rarement à l’image des discours de réforme (sur l’entrepreneurialisation variée de l’action publique, voir par exemple Bezes et Jeannot, 2018). Il est possible d’identifier deux effets opposés de ces discours sur la transformation de l’action publique : d’un côté, un découplage (Meyer, Rowan, 1977), par lequel la conduite de l’action publique reste décorrélée des discours de réforme, d’un autre côté, une colonisation (Power, 1999), par laquelle les discours réformateurs imprègnent la conduite de l’action publique sans même d’injonction explicite à mettre en œuvre, localement, leurs prescriptions. Entre ces deux opposés, une myriade de situations est possible.

34Nous exposons dans cette section les transformations possibles de l’action publique par la start-up, à partir de l’étude de quatre réformes conduites dans trois contextes distincts : dans l’administration française, l’introduction d’une fonction d’audit interne et la valorisation d’actifs immatériels suite à deux réformes, respectivement de 2011 et 2007 ; dans l’administration fédérale canadienne, le déploiement d’analyses comparatives entre les sexes pour l’élaboration des politiques publiques à partir de 2016 ; et enfin, le renouvellement du financement européen des organisations culturelles par le programme Europe créative, mis en place en 2014. Bien qu’aucune de ces réformes ne vise directement la mise en œuvre de discours prescriptifs de startupisation, nous avons relevé dans chaque cas une startupisation idiosyncratique de l’action publique. Chaque sous-section de cette partie présente un terrain et expose la startupisation de l’action publique que nous y avons observée.

L’introduction d’une fonction d’audit interne dans l’administration centrale française

35L’introduction d’une fonction d’audit interne au sein de l’administration centrale française est l’objet d’une réforme de juin 2011. L’enjeu de cette réforme est de moderniser et professionnaliser l’ensemble du contrôle de l’administration. Celui-ci fait alors, depuis deux décennies, l’objet de critiques plurielles de chercheur·euse·s, haut.es fonctionnaires, consultant·e·s et élu·e·s, pointant du doigt l’inutilité de ce contrôle à améliorer le fonctionnement de l’administration (Célérier, Laguecir, 2021 ; Guillaume et al., 2009). La réforme exige des contrôleur·se·s de l’administration de conduire des missions d’audit interne, pour assurer la maîtrise des risques liée à la conduite des opérations dans les ministères. Les contrôleur·se·s sont encouragé·e·s à s’inscrire dans des parcours professionnels de certification à l’audit interne, qui font concurrence aux logiques de concours et de corps propres à l’administration. Au sein de chaque ministère, un·e responsable de l’audit interne est nommé·e ; iel travaille à enrôler ses collègues à l’audit interne et à développer celui-ci. Les responsables de l’audit interne de chaque ministère partagent leurs initiatives au sein du Comité d’harmonisation de l’audit interne (le CHAI), qui est l’instance interministérielle créée par la réforme pour coordonner l’audit interne de l’administration et définir un cadre de référence de celui-ci. En dehors de leurs rencontres aux réunions du CHAI, les contrôleur·se·s de l’administration investi·e·s dans l’audit peuvent s’inscrire à un réseau social en ligne créé pour l’occasion. Entre 2012 et 2015, nous avons interrogé quatre-vingts contrôleur·se·s investi·e·s dans la mise en œuvre de la réforme et assisté à six réunions du CHAI.

36La réforme de l’audit interne repose sur une réticularisation des fonctionnaires décrite ci-dessus. Le travail au sein du CHAI est présenté comme collégial, affranchi d’un commandement hiérarchique. Un contrôleur du CHAI s’était ainsi félicité : « Il n’est plus question de réforme en mode Gosplan » (entretien, CHAI, juillet 2013). La création d’un audit interne de l’administration repose de plus sur les contributions apportées sur leur temps libre par des contrôleur·se·s bénévoles. Un autre contrôleur du CHAI recourait à la métaphore de la start-up pour décrire ses conditions de travail au sein du comité :

37

Vous savez là nous ce qu’on fait, on est vraiment la start-up dans le garage à monter notre truc avec trois bouts de ficelles, hein ! (Notes d’observation, CHAI, avril 2013).

38Le CHAI recourt à diverses initiatives de gestion des impressions (Goffman, 1973) pour faire connaître l’audit interne de l’administration à peu de frais et se faire une place dans l’environnement bureaucratique. Le comité organise par exemple des journées de conférences. Il publie en ligne des études réalisées par les membres du comité et des guides méthodologiques, qu’il propose à chaque contrôleur·se de l’administration de mettre à jour par le partage de suggestions d’améliorations.

39La conversion à l’audit interne est perçue comme vectrice d’une pression importante pour les contrôleur·se·s impliqué·e·s. L’obtention du titre de Certified Internal Auditor (CIA), délivré par l’Institute of Internal Auditors, qui est l’association professionnelle dominante en matière d’audit interne, est décrite par des contrôleur·se·s comme difficile d’accès. L’un d’entre ell·eux rapporte :

40

Moi quand je préparais le CIA, je me levais le matin à quatre heures. C’est comme un sprinter qui fait les cent mètres : je faisais un questionnaire, je le répétais deux fois, trois fois, quatre fois, je laissais passer le machin, je venais ici puis je recommençais, pendant une demi-heure. J’en ai bouffé, vous savez (entretien, ministère de l’Intérieur, mai 2014).

41L’obtention du CIA n’apporte aucune rétribution financière ou de carrière ; elle est simplement présentée par ce contrôleur comme nécessaire à l’amélioration de ses pratiques de contrôle.

42Dans la mise en place de la réforme de 2011, l’esprit start-up se manifeste donc à travers la réticularisation et l’autonomisation des fonctionnaires, la faiblesse des ressources dédiées à un objectif ambitieux – inventer un audit interne de l’administration pour en renouveler le contrôle – et une pression importante exercée sur les contrôleur·se·s appelé·e·s à se dépasser ell·eux-mêmes.

La valorisation des actifs immatériels au sein de l’administration française

43Notre deuxième enquête porte sur la valorisation des actifs immatériels de l’État au sein de l’administration centrale française. Cette valorisation est l’objet d’une réforme de 2007 préparée par une commission de haut·e·s fonctionnaires et dirigeant·e·s d’entreprise (Levy, Jouyet, 2006). Les actifs immatériels se composent d’un ensemble éclectique d’éléments, comme le prestige des institutions de l’État et de ses bâtiments, et ses savoir-faire. La valorisation des actifs immatériels vise notamment à renouveler le financement de l’administration. Au moment de la réforme, le musée du Louvre vient de céder aux Émirats Arabes Unis l’autorisation, pour quatre cents millions d’euros, d’utiliser le nom Louvre. L’opération est perçue comme un exemple à suivre pour l’ensemble de la sphère publique. Au-delà de la cession de noms, différentes stratégies sont supposées générer des ressources, telles la mise en location de bâtiments et l’exploitation commerciale de produits dérivés, par exemple des montres ou des tasses affichant le logo d’un ministère ou d’un service de l’administration. La réforme crée une Agence pour le patrimoine immatériel de l’État (APIE) qui fournit des conseils aux gestionnaires de ministères et d’organisations publiques pour la valorisation du patrimoine immatériel des entités placées sous leur responsabilité. L’APIE doit de plus façonner un changement de la comptabilité de l’État pour intégrer à celle-ci la richesse tirée des actifs immatériels. Un réseau de référent·es relaie les recommandations de l’agence dans l’administration. Les gestionnaires disposent d’incitatifs financiers à se lancer dans la valorisation des actifs de leur organisation : en 2009 est adopté un décret qui autorise les gestionnaires de l’administration à garder pour leur service les revenus tirés de leurs initiatives, à rebours du principe d’unité budgétaire [16]. En 2017, nous avons conduit vingt-six entretiens auprès de fonctionnaires engagé·e·s dans la valorisation d’actifs immatériels, et trois entretiens auprès d’agent·e·s de l’APIE.

44À sa création, l’APIE est décrite par son premier directeur, Claude Rubinowicz, comme une « start-up » (Gasquet, 2007). L’APIE rassemblait en 2007 une vingtaine de membres, recruté·e·s pour l’essentiel hors de l’administration et doté·e·s de compétences en partie inédites dans l’espace administratif, notamment en marketing et droit de la propriété intellectuelle. Dans les entretiens auprès de membres de l’APIE, ces dernier·ère·s, qui reprennent à leur compte la métaphore de la start-up, affirment fonctionner en mode projet et de façon décloisonnée, pour être à l’écoute des attentes de l’administration et en mesure de forger une vision de l’immatériel de l’État reposant sur différentes expertises. Au contraire d’autres réformes contemporaines de celle-ci, comme la Révision générale des politiques publiques (RGPP), les grandes directions du ministère des Finances ne portent pas la réforme. De même que pour l’audit interne, un objectif ambitieux – ici, le renouvellement du financement de l’administration par l’immatériel – est dévolu à un ensemble réduit de fonctionnaires sans appui institutionnel fort.

45La valorisation du patrimoine immatériel exige de la part des fonctionnaires de faire preuve de créativité pour générer des revenus en puisant dans les ressources symboliques (de prestige, de réputation, par exemple) d’instances de l’administration. Plusieurs gestionnaires rencontré·e·s s’allient à des entreprises pour la commercialisation de produits dérivés. Ces gestionnaires se distinguent par des efforts de parcimonie. Le directeur d’un musée parisien nous partageait ses stratégies nouées avec des start-ups du domaine du design pour l’élaboration et la commercialisation de produits destinés à la boutique de son établissement :

46

Nous on n’a pas les moyens, comme le Louvre, d’aller voir […] des marques bien établies […]. On a plus tendance à aller vers des start-ups, des gens qui ne demandent pas des sommes astronomiques […]. Mais ces jeunes pousses elles sont comme nous : elles sont prises, tout le temps, à droite à gauche (entretien, mars 2017).

47Bien qu’appartenant à un des cinq plus grands musées parisiens en termes d’entrée, ce directeur de musée se sent plus proche de start-ups que des grandes marques établies du design, en raison à la fois de ses ressources et de ses conditions de travail. De similaires contraintes de moyens ressortent des propos d’un fonctionnaire du ministère de la Défense, qui se réjouissait d’avoir modernisé et amélioré le rayonnement de la revue de l’Armée de l’air, grâce au travail de son équipe :

48

Maintenant […], sans trahir de grand secret, on est la revue de la Défense qui a le meilleur taux de couverture [17], et de loin. […] Mon équipe éditoriale, mes infographes […], je les ai challengé·e·s. Je leur ai dit il faut qu’on se renouvelle, et donc on a été benchmarker : ensemble, […] on a été voir ce que faisaient les autres revues. […] On a été voir ce qui se faisait, ça, ça va vous surprendre, dans des magazines de société, en fait. C’est que des petits détails qu’on est allé chercher, voilà (entretien, Armée de l’air, mars 2017).

49Le fonctionnaire met ses effectifs au défi – « je les ai challengé·e·s » – en même temps qu’il introduit une compétition avec les services en charge des autres revues de son ministère. De plus, il souligne le caractère rudimentaire de la stratégie mise en œuvre : il s’est agi de collecter les « petits détails », pour accroître les ventes de sa revue. La valorisation du patrimoine immatériel de l’État reprend donc de la start-up les injonctions à faire preuve d’ascétisme créatif et au dépassement de soi pour les fonctionnaires disséminé·e·s dans l’administration, alors que l’APIE est investie d’une mission importante de renouvellement de la comptabilité, de la gestion et du financement de l’État.

Le déploiement de l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) au sein du gouvernement fédéral canadien

50Notre troisième enquête porte sur le déploiement de l’analyse comparative entre les sexes plus (l’ACS+) au sein du gouvernement fédéral canadien. L’ACS+ consiste à proposer une évaluation différenciée – selon des critères de genre, d’origine ou encore de capacité – des politiques publiques. Elle est mise en place dans le gouvernement fédéral canadien en 2011. En 2016, un rapport défavorable du vérificateur général – l’équivalent de la Cour des comptes en France – au sujet de l’ACS+ conduit le gouvernement Trudeau à annoncer un déploiement plus large de ces analyses dans l’ensemble de l’administration. La réforme est présentée comme innovatrice : il s’agit, pour mettre en œuvre des politiques publiques inclusives, de changer les regards et les pratiques de l’ensemble des fonctionnaires associé·e·s à l’élaboration des politiques publiques [18]. En dépit de l’importance de l’ambition, les ressources allouées à la réforme sont limitées. Au sein du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres (dénommé ci-après ministère des Femmes), une équipe de cinq personnes est en charge de sensibiliser à la conduite de l’ACS+ dans l’ensemble de l’administration fédérale. Des « référent·e·s ACS+ » sont nommé·e·s dans chaque ministère pour veiller à la bonne mise en œuvre de ces analyses par leurs collègues. En 2019, nous avons conduit dix-sept entretiens auprès de ces référent·e·s, ainsi que d’ancien·ne·s et actuel·le·s membres du ministère des Femmes.

51Comme les réformes précédemment évoquées, le déploiement de l’ACS+ repose sur une réticularisation et se caractérise par des ressources contraintes. Ces dernières se traduisent par des rythmes de travail éprouvants pour les fonctionnaires. L’une d’entre ell·eux nous fait part de journées de travail à rallonge, jusqu’à « deux heures du matin » pour travailler au déploiement de l’ACS+ dans son service. La rareté des ressources conduit les fonctionnaires du ministère des Femmes à viser la conduite d’un changement à distance. Le ministère des Femmes met en place des modules de formations en ligne, que les fonctionnaires de l’ensemble du gouvernement sont encouragé·e·s à valider. Une ancienne fonctionnaire du ministère des Femmes se souvient aussi de l’organisation d’une journée d’études :

52

Nous avons organisé un grand événement avec des invités internationaux […]. Il s’agissait vraiment de construire un élan positif sur le sujet. […] Nous avons aussi procédé à une évaluation des ACS+ conduits par les différents ministères, et notre ministre est allée ensuite présenter les résultats à ses collègues […]. Et comme chacun veut faire du bon travail… c’était une manière d’introduire une saine compétition (entretien, ministère des Femmes, avril 2019).

53La journée d’études, qui rappelle les colloques et conférences susmentionnés du CHAI, vise à « construire un élan positif » dans le gouvernement, pour que le changement se diffuse ensuite indépendamment du ministère des Femmes. L’élan repose ensuite sur une « évaluation des ACS+ » qui doit nourrir une émulation – une « saine compétition » – entre les ministères, ainsi appelés à se dépasser. Les référent·e·s ACS+ lancent, par ailleurs, en complément de l’aide du ministère des Femmes, diverses initiatives pour sensibiliser leurs collègues, comme des clubs de lectures ouverts aux fonctionnaires d’un service, proposant des livres en lien avec les questions de genre et d’oppression. L’exemple des clubs de lecture fait écho aux « bouts de ficelle » du contrôleur susmentionné du CHAI : il s’agit de chercher à faire, avec peu de ressources, et en comptant sur l’engagement bénévole des fonctionnaires. Le déploiement de l’ACS+ au sein du gouvernement canadien reprend donc de la start-up les injonctions au dépassement de soi et à l’ascétisme créatif, alors qu’un changement majeur des pratiques est annoncé.

Le financement des organisations culturelles par le programme Europe créative

54Notre dernier terrain porte sur le subventionnement européen de la culture, qui est assuré depuis 2014 par un programme de financement par projet intitulé « Europe créative ». Ce programme est piloté par l’Agence exécutive de la direction générale Éducation et culture de la Commission européenne. Le programme offre des financements d’une durée de quatre années au plus (Arfaoui, 2019). Sa mise en œuvre repose sur un ensemble hétérogène d’acteur·rice·s : des porteur·euse·s de projet qui postulent à un financement ; des formateur·rice·s d’instances associatives dites « points de contact », qui accompagnent les porteur·euse·s de projet ; des consultant·e·s qui apportent une aide complémentaire à celle des points de contact ; des expert·e·s évaluateur·rice·s qui notent les dossiers de candidature des porteur·euse·s de projet ; et des agent·e·s européen·ne·s qui vérifient la bonne tenue des engagements des porteur·euse·s de projet, des expert·e·s et des points de contact. Les points de contact sont des structures de petite taille, qui rassemblent généralement une dizaine de formateur·rice·s. Les expert·e·s comme les consultant·e·s sont le plus souvent des travailleur·euse·s autonomes – par exemple sous un statut d’auto-entrepreneur·euse en France. Entre 2014 et 2019, nous avons conduit une enquête faite de vingt-sept journées d’observations au sein d’un point de contact parisien, et de trente-six entretiens auprès de porteur·euse·s de projets, de formatrices du point de contact parisien, de consultant·e·s et d’expert·e·s.

55Le financement des organisations culturelles par le programme Europe créative repose sur une autonomisation et une réticularisation des acteur·rice·s décrite ci-dessus. Les porteur·euse·s de projet sont de plus enjoint·e·s à fonctionner en équipes de tailles réduites et à créer des alliances avec des acteur·ice·s les plus divers·e·s possible. L’objectif de ce fonctionnement en réseau est de mieux innover. Une formatrice du point de contact parisien soutient, devant une diapositive Power Point qui affiche le mot « disruptif » : « On a besoin d’un ensemble de regards très différents sur les choses […]. Il faut arriver à comprendre et à sortir des cadres qu’on a l’habitude, sortir du formatage aussi, qui fait que si on est tous identiques autour de la table, il y a de fortes chances qu’on ait tous à peu près la même idée » (notes d’observation, décembre 2014). La coprésence d’acteur·rice·s hétérogènes serait nécessaire à une innovation radicale et continue : selon une autre diapositive de formation, « il ne s’agit pas de sortir ‘un jour’ de l’expérimentation, mais de la rendre permanente ! » (Notes d’observation, mai 2015.) Cette innovation est présentée comme nécessaire, en raison des défis actuels qui se posent au monde capitaliste. Lors de l’une de nos observations, une formatrice avait expliqué :

56

Nous ne sommes plus en crise, nous sommes en transition : un nouveau monde se prépare, et il va falloir le changer et innover radicalement. Le capitalisme a détruit beaucoup de choses, notamment les connaissances et le savoir… […] On va voir aujourd’hui […] comment on arrive à contrebalancer par rapport au capitalisme classique (notes d’observation, mai 2015).

57Dans le même temps, les candidat·e·s sont encouragé·e·s à faire preuve de sobriété budgétaire. Lors des formations, l’opportunisme de porteur·euse·s de projet en recherche de fonds pour poursuivre leurs activités courantes fait l’objet d’une réprobation morale, de la part tant des formatrices que des participant·e·s : « ce n’est pas ça la mentalité », nous dit l’un de ces dernier·ère·s. Le financement des organisations culturelles par le programme Europe créative reproduit donc l’appel à l’innovation radicale et à l’ascétisme créatif caractéristique de l’ethos de la start-up.

58Nos quatre terrains d’enquête illustrent un déplacement commun dans la conduite de l’action publique par la start-up. En plus d’une coordination réticularisée et une autonomisation des acteur·rice·s, les réformes étudiées ont pour trait partagé une faible dotation en ressources humaines et matérielles associée à des objectifs ambitieux. Elles exigent de ce fait une mobilisation et une créativité importantes des acteur·rice·s. Ces changements sont portés par des acteur·rice·s varié·e·s et dans des contextes distincts. Les acteur·rice·s sont des contrôleur·ses dans le premier cas, des gestionnaires dans le deuxième, des fonctionnaires de différents statuts et développant une expertise en matière de genre dans le terrain canadien, et des accompagnateur·rice·s et porteur·se·s de projet dans la dernière étude. Concernant le contexte, si les premier et troisième terrains se situent dans des administrations centrales, les deuxième et dernier terrains rassemblent aussi des acteur·rice·s situé·e·s hors de celles-ci.

59Nous relevons par ailleurs, dans nos quatre terrains, la faiblesse de certaines composantes de l’esprit start-up. La digitalisation vantée par les promoteurs de la start-up apparaît, dans nos enquêtes, faible. Au mieux, les nouvelles technologies servent de support pour atteindre une large audience à peu de frais, ou coordonner les acteur·rice·s entre ell·eux. Elles ne sont pas vectrices des innovations renouvelant la conduite de l’action publique qu’annonçaient les discours réformateurs. L’innovation radicale n’est pas non plus attendue de tou·te·s les acteur·rice·s de nos terrains. L’injonction à innover est saillante dans deux de nos quatre terrains : les agent·e·s de l’APIE doivent réinventer l’État par ses actifs immatériels, et les candidat·e·s au financement d’Europe créative sont appelé·e·s à être « disruptif·ve·s ». Dans les deux autres cas, les objectifs ambitieux des réformes ne se traduisent pas par des injonctions à formuler des innovations majeures. Les attentes pesant sur les acteur·rice·s en charge de conduire la réforme relèvent d’un répertoire bureaucratique : pour transformer le contrôle de l’État, le CHAI doit proposer un cadre de référence de l’audit interne ; pour rendre les politiques publiques fédérales inclusives, la petite équipe du ministère des Femmes du gouvernement canadien prépare des formations à l’ACS+.

60Outre des processus de transformation et des injonctions qui pèsent sur les acteur·rice·s, nous avons montré que la start-up est porteuse de promesses, notamment de débureaucratiser l’action publique. La dernière étape de notre analyse explore ensemble l’enrôlement à la start-up des acteur·rice·s en charge de la mise en œuvre de réformes administratives et de politiques publiques, et la réalisation, par la start-up de ses promesses.

La start-up encastrée dans la bureaucratie

61L’esprit de la start-up se diffuse car la start-up annonce une débureaucratisation de l’action publique (voir section 1). Cette section explore la recomposition de la bureaucratie par la start-up à l’aune de trois dimensions de l’ordre bureaucratique : hiérarchique et inégalitaire, austéritaire, et de contrôle.

L’enrôlement à une bureaucratie inégalitaire par la start-up

62La bureaucratie wébérienne se caractérise par sa hiérarchie. Or, la start-up, telle qu’elle se manifeste dans nos quatre terrains d’enquête, s’insère dans un ordre bureaucratique hiérarchisé et inégalitaire, qu’elle n’altère pas.

63L’adhésion aux réformes étudiées dans nos enquêtes repose entre autres sur une aspiration méritocratique que ces mêmes réformes ne comblent pas. Dans le cas de l’introduction de l’audit interne dans l’administration française, des contrôleur·se·s soutiennent que l’audit interne est vecteur d’une salutaire mise au défi des contrôleur·se·s. Un contrôleur nous expose les insuffisances qu’il perçoit du fonctionnement actuel des services de contrôle, et auxquelles l’audit interne permettrait de remédier :

64

Quand on est un corps d’inspection et de contrôle on était considéré a priori comme compétents, et je pense que c’est ça qui change, c’est-à-dire que dans le monde d’aujourd’hui et de demain, […] on n’est plus à la naissance ou parce qu’on est nommé quelque part, considéré comme bon et compétent a priori. […] On est obligé maintenant de démontrer régulièrement qu’on est toujours compétent […], qu’on a réussi à s’adapter […]. Ce n’est pas parce que je suis sorti de l’ENA que je suis bon. Je l’ai été à l’époque, certainement, bon [rires], il y a quand même longtemps […]. Nous sommes passés à un système où le monde est plus dur, plus compétitif (entretien, service de contrôle du ministère des Finances, janvier 2014).

65Ce fonctionnaire formule une injonction à un dépassement continu de soi. Toutefois, il poursuit son propos en rappelant la hiérarchie entre services de contrôle, que l’audit interne ne modifie pas : il nous explique plus tard dans l’entretien que l’audit interne permet à son service, qu’il décrit comme un petit service de contrôle, d’« exister » par la revendication d’une spécialisation professionnelle, alors même que l’inspection générale des Finances, entendue comme le service de contrôle le plus prestigieux de l’administration, n’aurait « pas besoin de l’audit interne ». Plus largement, la plupart des contrôleur·se·s les plus investi·e·s dans l’audit au moment de notre enquête appartiennent aux services de contrôle les moins reconnus de l’administration, ou bien sont ell·eux-mêmes dominé·e·s dans leur service en raison de leur genre, ou de leur trajectoire antérieure (des femmes, ou bien des femmes ou des hommes ayant réalisé une entrée dans le corps sur nomination et non via l’ENA par exemple) ; or, leur investissement ne change rien à cette domination. La start-up offre simplement à ces contrôleur·se·s la possibilité de se sentir plus légitimes dans leur environnement.

66L’engouement entrepreneurial produit par la start-up n’est pas non plus associé à un renouvellement significatif de l’environnement bureaucratique. Dans le cas du programme Europe créative, les porteur·euse·s de projet provenant de grandes organisations s’estimaient redevables envers celles-ci. Suscitant l’approbation de ses collègues, une porteuse de projet affirme, lors d’une de nos observations : « On est tous entrepreneurs ici, donc on veut ramener de l’argent à l’organisation » (notes d’observation, juin 2016). La valorisation des actifs immatériels aurait pu se traduire par un changement plus significatif de l’environnement bureaucratique, puisqu’elle offre aux gestionnaires la possibilité de garder pour leur service les revenus tirés de leurs opérations de valorisation. Cette possibilité aurait pu entraîner une autonomisation des services de l’administration et un renouvellement des relations entre ceux-ci. Mais, les actifs immatériels rapportent des ressources inégales aux différentes instances, qui sont fonction de dotations de départ inégales elles aussi. Quand le directeur précité d’un musée parisien nous disait se décourager peu à peu face au lancement de produits dérivés, en raison de leur échec commercial lié à l’insuffisante renommée de son institution, un gestionnaire de la Patrouille de France commercialisait une montre de luxe en partenariat avec Breitling vendue 2 250 euros [19] – entre autres projets de co-branding[20] avec des marques de luxe. Dans chaque cas, les ressources tirées de l’exploitation commerciale de ces actifs constituaient de plus une part infime des budgets des instances concernées. Il nous a été plusieurs fois mentionné en entretien que ces ressources permettaient avant tout d’ajouter du « beurre dans les épinards » : à la différence du musée du Louvre, tirant des revenus substantiels de l’autorisation accordée aux Émirats arabes unis d’utiliser la marque Louvre (voir supra), les gestionnaires rencontré·e·s récoltent des revenus modestes de leur valorisation d’actifs immatériels. La start-up ne change donc pas tant l’ordre bureaucratique et ses inégalités, qu’elle produit un enrôlement des acteur·rice·s à cet ordre.

67Dans le cas canadien, l’enrôlement à l’ordre bureaucratique est toutefois faible. Nous avons rapporté les horaires de travail à rallonge observés avec le déploiement de l’ACS+ au sein du gouvernement fédéral. La personne dont nous citions les propos estimait certes que la justesse de la cause, à savoir mettre en place des politiques publiques inclusives, justifiait un tel investissement. Mais d’autres fonctionnaires reprochaient au gouvernement de tirer profit de leur engagement féministe et de l’incapacité afférente à refuser une charge de travail croissante : la conversion en action des indignations devenait exploitation. Ces reproches étaient formulés dans le contexte d’une vague de burn-outs et de démissions au sein du ministère des Femmes, attribuée à la faiblesse des ressources dédiées à la mise en œuvre des engagements féministes du gouvernement Trudeau, dont l’ACS+ fait partie. Cette vague de démissions et de burn-outs avait finalement entraîné des recrutements supplémentaires et la création de nouveaux postes managériaux, pour une reprise en main du ministère. L’exemple canadien illustre l’épuisement des acteur·rice·s que la start-up engendre, et la permanence de l’ordre bureaucratique qui survit à celle-ci.

Austérité et start-up : une relation ambivalente

68La bureaucratie wébérienne se caractérise par une utilisation parcimonieuse des ressources. L’attention portée à la frugalité est aujourd’hui accrue par le contexte austéritaire dans lequel la start-up se déploie [21]. Mais l’austérité joue un rôle doublement ambivalent vis-à-vis de la start-up, étant à l’origine autant de la forme start-up prise par les réformes et de l’enrôlement à celles-ci, qu’ultérieurement, de l’essoufflement des réformes et de leur soutien.

69Lors de nos terrains, les personnes rencontrées étaient acquises à l’idée de réformes économes. Les fonctionnaires engagé·e·s dans la mise en place de l’audit interne soulignaient l’importance de ne créer aucun poste de contrôleur·euse, ni aucun service permanent pour mettre en place la réforme, afin de ne pas alourdir l’organisation bureaucratique. Les fonctionnaires rencontré·e·s lors de l’étude de la valorisation des actifs immatériels exprimaient de leur côté une aspiration au dépassement de soi, pour générer des ressources en contexte austéritaire. Un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture nous décrit son investissement pour une exploitation commerciale de marques :

70

Le Label Rouge, c’est une vraie valeur, le logo Agriculture Biologique, ça a une vraie valeur. Je me suis dit, y’a peut-être, en s’appuyant sur l’APIE, […] un moyen de… […] lancer quelque chose qui permette de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État […], puisqu’on me disait toujours […] : « Ben oui, mais, on peut plus faire, on ne peut plus entretenir la cinémathèque, parce que y’a plus de sous, y’a plus de budget ». Ben oui, mais peut-être qu’en droit de la marque, etc. ça fait rentrer de l’argent, voilà ! […] Donc je suis parti à fond là-dessus (entretien, ministère de l’Agriculture, avril 2017).

71Le témoignage de ce fonctionnaire rejoint notre propos précédent sur un entrepreneuriat au service de la bureaucratie, qui repose notamment sur un ascétisme créatif. Au moment de l’entretien, ce fonctionnaire avait pourtant abandonné ses initiatives relatives aux actifs immatériels de son ministère. Il nous expliquait s’être découragé face à l’inertie de son environnement et l’indifférence des responsables politiques, qui ne voudraient « pas enrichir l’État ». Une fonctionnaire d’un ministère parisien critiquait également une centralisation hétéronomisante des ressources, en contradiction avec les incitations à valoriser les actifs immatériels :

72

On a une standardisation aujourd’hui, tout doit être harmonisé, tout tombe sous la coupe de Bercy, c’est un rouleau compresseur qui centralise tout. Le Service des achats de l’État, maintenant, décide unilatéralement, sans discussion, de ce dont on est censé avoir besoin, jusqu’au moindre crayon. Ça nous retire toute capacité d’initiative intelligente […]. Alors, on pense marque, individualité, etc. Mais c’est vide, si on n’a plus de moyens (entretien, ministère de la Culture, mars 2017).

73Dans le propos de cette fonctionnaire, la bureaucratie austéritaire entre en conflit avec l’autonomisation des individus que requiert la start-up. C’est enfin en protestation contre le manque de moyens, humains et financiers, alloués à l’incubateur beta.gouv.fr que Pierre Piezzardi en démissionne de la direction après six années à sa tête (Pezziardi et al., 2019). La start-up promet un renouvellement de l’action publique qui n’a pas lieu, en raison d’une bureaucratie austéritaire.

74Les faibles moyens alloués aux réformes empêchent celles-ci de réaliser l’objectif d’un changement d’ampleur dans l’administration. Lors de notre terrain, l’audit interne se creusait une place dans l’espace administratif, sans changer en profondeur les pratiques de contrôle, contrairement à l’objectif qui lui avait été assigné : il restait en grande partie découplé des pratiques des services de contrôle. Les contrôleur·se·s rencontré·e·s déploraient leurs difficultés à obtenir des financements pour des formations à l’audit – notamment la préparation de l’obtention du CIA susmentionné. Au moment de notre enquête sur la valorisation des actifs immatériels, le fonctionnaire précité du ministère de l’Agriculture nous soutint que « l’âge d’or de l’APIE » était passé. Selon lui et d’autres gestionnaires rencontré·e·s, l’APIE aurait décliné alors que l’entreprise de modernisation de l’État serait essentiellement passée par la mise en œuvre de la RGPP à la fin des années 2000 [22]. Sans le soutien de fortes directions de l’administration, comptant sur des effectifs réduits, l’APIE aura finalement été impuissante à insuffler un changement d’ampleur dans l’administration. Aujourd’hui, l’agence n’existe plus comme telle : l’« appui au patrimoine immatériel de l’État » est désormais une mission, fondue dans l’organigramme de la Direction des Affaires juridiques du ministère des Finances [23], et avant tout responsable de la gestion du portefeuille de marques de l’État – bien loin des objectifs de départ d’inventer une comptabilité des actifs immatériels et de renouveler le financement de l’État. L’absorption bureaucratique de l’agence signe à la fois sa réussite à faire reconnaître la légitimité de ses objets – les marques comme patrimoine immatériel – et son échec à survivre de manière indépendante. L’introduction de l’ACS+ au sein du gouvernement canadien échoue également à changer en profondeur l’administration. La réforme à distance menée par le ministère des Femmes, notamment via les formations en ligne et des formulaires à remplir lors des soumissions budgétaires auprès du ministère des Finances, se traduit par un surcroît d’activité bureaucratique pour les fonctionnaires. Plusieurs de ces dernier·ère·s rapportent en entretien la diffusion d’une « attitude de cocheur·seuse·s de cases » (tick-boxing mentality) où chacun·e se soumettrait à ces formations comme à une énième formalité bureaucratique sans effet réel sur les pratiques. Dans l’ensemble de ces terrains, l’austérité n’est certes pas le seul facteur d’échec : la littérature a abondamment traité des difficultés à transformer les organisations bureaucratiques (Streeck, Thelen, 2005 ; Bezes, 2007 ; Arnaboldi, Palermo, 2011 ; Aberbach, Christensen, 2014). Mais l’austérité semble quand même constituer une double condition de possibilité puis d’impossibilité d’une transformation de l’action publique par la start-up.

La start-up étouffée par le contrôle

75La bureaucratie se caractérise enfin par des dispositifs de contrôle et de rationalisation de l’activité. Là encore, ces dispositifs semblent rendre possible, puis empêcher, une startupisation de l’action publique.

76Dans la section précédente, nous avons soulevé les regrets de fonctionnaires canadien·ne·s au sujet d’une mentalité de « cocheur·euse·s de case » qui se diffuserait alors que le ministère des Femmes veille à la validation de ses formations en ligne et diffuse des formulaires pour la conduite de l’ACS+ dans l’ensemble de l’administration. Un tel découplage est un échec attendu de la mise en place de dispositifs de contrôle (Power, 1999) : les fonctionnaires gouvernementaux atteignent les objectifs fixés de formation, sans que cette dernière n’altère substantiellement leurs pratiques bureaucratiques. Ce découplage peut être aussi le résultat d’aspirations politiques à signaler vis-à-vis de l’extérieur un changement, plus qu’à mettre ce dernier en œuvre. Le mode start-up des réformes peut ainsi être symptomatique d’un couplage sélectif (Pache, Santos, 2012), et la traduction d’un effort de convergence organisationnelle seulement partiel, d’affichage.

77Notre terrain européen illustre de plus un phénomène de colonisation, soit un échec symétrique au découplage (Power, 1997), par lequel les règles et les indicateurs viennent distordre l’activité, de telle sorte que les objectifs affichés ne sont pas atteints. Le programme Europe créative repose sur un réseau d’acteur·rice·s divers.es (voir section 2), piloté à distance depuis les instances européennes grâce à des indicateurs. Depuis 2018, est ainsi publié un rapport annuel de bilan d’Europe créative, qui représente de manière chiffrée les réalisations du programme [24]. Aux porteur·euse·s de projet est aussi assigné un ensemble d’objectifs d’impacts, social, environnemental, éducatif ou encore sanitaire des actions conduites, destiné à prouver l’intérêt du travail du·de la bénéficiaire du projet financé pour la collectivité [25]. Or, les contrôles systématiques dont font l’objet les projets financés, destinés à vérifier le bon respect des engagements eût égard notamment à ces objectifs d’impact, entravent les efforts d’innovation des acteur·rice·s. Une porteuse de projet rapporte :

78

Nous avons été assez déçu·e·s des différents retours d’expertise […], notamment lorsqu’on souhaitait mettre en œuvre des choses très expérimentales et pilotes, ça semblait poser problème aux expert·e·s (notes d’observation, rencontre au Parlement européen à Paris, 6 octobre 2016).

79Les audits freinent à la fois l’adaptabilité et l’innovation – notamment la mise en place de projets « pilotes ». Ils contribuent de plus à favoriser les porteur·euse·s adossé·e·s à des organisations larges et stables. La multiplicité des objectifs d’impact à satisfaire et des indicateurs à proposer complexifie en effet le montage des dossiers de candidature. Les petites organisations, qui ne sont pas en mesure de procéder aux recrutements supplémentaires rendus nécessaires par ces exigences, sont évincées. « 50 % de mon travail, c’est déconseiller les organisations d’aller porter des candidatures […] parce qu’ils n’ont pas la capacité financière », nous dit un consultant auprès de porteur·euse·s de projets (entretien, 2 mai 2018). Alors qu’une formatrice du point de contact parisien soulignait : « On a besoin d’un ensemble de regards très différents sur les choses » (voir section 2), beaucoup des projets finalement retenus sont portés par acteur·rice·s d’organisations reconnues dans le domaine de l’action culturelle, régulièrement financées par l’Union européenne (UE), cofinancées par des programmes hors UE, et familières de ces modes d’évaluation. Le contexte auditisé dans lequel la start-up se déploie et le mode de financement par projet sont donc incompatibles avec la mise en œuvre de l’injonction à la disruption et la réalisation de la promesse de méritocratie.

80L’empêchement de la start-up par l’audit révèle une contradiction interne à la start-up : la réticularisation de l’activité est rendue possible par l’exercice d’un contrôle à distance reposant sur des dispositifs de surveillance et de mesure ; or, ce contrôle est incompatible avec la réalisation de la promesse d’agilité collective et de l’injonction à la disruption. Cette contradiction nous amène à souligner la complexité de la relation entre startupisation et rationalisation : la seconde rend possible, autant qu’elle empêche, la première.

81Cette section montre un encastrement bureaucratique pluriel de la start-up : la start-up est encastrée dans un ordre bureaucratique inégalitaire, austéritaire, et auditisé. La start-up semble donc davantage produire un enrôlement à, et un renouvellement incrémental de la bureaucratie qu’une subversion de celle-ci. Autrement dit, il y a certes une startupisation de la bureaucratie, mais nous observons bien plus une bureaucratisation de la start-up. Nos résultats font écho au travail d’Anne Bellon, qui interroge la transformation de l’État par une « révolution numérique ». Bellon affirme que la révolution attendue n’a pas eu lieu, son élan s’étant notamment brisé contre les digues de la bureaucratie étatique (Bellon, 2018, p. 525). Dans le même temps, elle identifie une « banalisation » du digital, approprié en de multiples lieux de l’espace bureaucratique (Bellon, 2018, p. 391). De la même façon, nous percevons une banalisation de la start-up : des réformes sont conduites implicitement « en mode start-up », et ce mode produit un enrôlement de fonctionnaires qui croient à un renouvellement de la conduite de l’action publique imprégnée de l’imaginaire start-up.

Conclusion

82Cet article a exploré comment la start-up peut transformer la conduite bureaucratisée de l’action publique. Il a conceptualisé un esprit start-up, porteur d’un réagencement du monde, d’un ethos spécifique et de promesses de renouvellement de l’action publique. À partir de quatre enquêtes de terrain, nous avons identifié un déplacement commun de l’action publique par la start-up : la start-up se traduit par une autonomisation des acteur·rice·s et une réticularisation de leurs activités ; elle produit une double injonction à un dépassement de soi et à un ascétisme créatif associé à la réalisation d’objectifs ambitieux. En ce sens, la start-up contribue à un renouvellement de la conduite de l’action publique. Ce renouvellement reste toutefois incrémental, pour deux raisons. D’une part, car la start-up ne se distingue pas radicalement de mouvements antérieurs de transformation de l’action publique. D’autre part, car en raison de son encastrement pluriel dans la bureaucratie, la start-up contribue davantage à produire un enrôlement à la conduite bureaucratisée de l’action publique qu’à subvertir celle-ci.

83Notre article apporte trois contributions à la littérature sur les transformations de l’action publique. Par la conceptualisation d’un esprit start-up et l’identification des déplacements produits par celui-ci, nous nommons des transformations de l’action publique qui ne sont pas réductibles à des mouvements et esprits précédemment identifiés dans la littérature. La startupisation identifiée de l’action publique coexiste avec d’autres processus de transformation de l’action publique plus qu’elle ne les remplace. Par exemple, nous avons montré que la RGPP, symptomatique d’un New Public Management austéritaire (Bezes, 2011), fragilise la valorisation des actifs immatériels dans l’administration française. De même, l’introduction de l’audit interne en mode start-up illustre une rationalisation et une startupisation conjointes de l’action publique – en d’autres termes une hybridation de logiques (Battilana, Lee, 2014 ; Bezes, Le Lidec, 2010 ; Ferry, Eckersley, 2020).

84Notre seconde contribution est d’enrichir notre compréhension des transformations de l’action publique par la start-up, à la suite des travaux conduits ces dernières années sur ce sujet en France (Alauzen, 2019a, 2021 ; Quijoux, Saint Martin, 2020) : il devient possible non seulement d’identifier des manifestations variées et locales de la start-up, au-delà de conceptions formalisées et de discours prescriptifs de la start-up, mais en outre de saisir ce que recouvre la start-up comme ensemble de promesses. Notre étude montre que la start-up fait émerger dans l’espace bureaucratique de nouvelles formes de l’action publique, tant au niveau du design des réformes que des discours et pratiques des fonctionnaires ordinaires chargé·e·s de leur mise en œuvre. Autrement dit, nous identifions ensemble une banalisation, une dilution (Bellon, 2018) et une diffusion de la start-up dans l’espace bureaucratique. La réalisation des promesses de la start-up est alors compromise par un encastrement bureaucratique des acteur·rice·s engagé·e·s dans la start-up et des projets qui s’en inspirent – et donc in fine de la start-up. Ce propos rejoint les résultats d’autres travaux, notamment de Marie Alauzen (2019a, 2021), Gilles Jeannot (2020) et Jacques Chevallier (2018) sur l’incapacité de l’État plate-forme en France à réformer profondément la bureaucratie, notamment en raison de la résistance opposée par de puissantes directions administratives aux projets de celui-ci. Avec Gilles Jeannot, nous montrons notamment que les réformes menées de manière traditionnelle, c’est-à-dire avec des budgets conséquents et un fort soutien institutionnel, persistent, et survivent aux réformes en mode start-up. Nous soutenons aussi, avec cet auteur, que les réformes en mode start-up permettent avant tout de renouveler marginalement l’approche de la gestion dans les administrations.

85La thèse de l’encastrement permet enfin de penser les différentes manières par laquelle la start-up est dominée par l’organisation bureaucratique : la start-up est portée, en même temps qu’empêchée, par une bureaucratie inégalitaire, austéritaire et de contrôle. Notre propos confirme la centralité contemporaine des bureaucraties dans l’action publique (Graeber, 2015, 2019 ; Hibou, 2012, 2013 ; Power, 1997). Il soutient que la startupisation de l’action publique est constitutive d’un redéploiement de la bureaucratie dans la conduite de l’action publique, par l’absorption des critiques de la bureaucratie que la start-up incarne.

Annexe : présentation des auteurs et des textes du corpus analysé pour la conceptualisation de la start-up

86Notre étude d’un esprit start-up se fonde sur l’analyse des discours de Yan Algan, Thomas Cazenave, Nicolas Colin, Pierre Pezziardi et Henri Verdier. Cette annexe présente les auteurs, puis les documents analysés dans l’article.

Présentation des auteurs du corpus

87Algan, Cazenave, Colin, Pezziardi et Verdier écrivent les uns avec les autres, formant une sorte de communauté épistémique (Haas, 1992) autour de la transformation de l’action publique par la start-up.

88Yann Algan (né en 1974) est professeur d’économie, et depuis 2015 doyen de l’École d’Affaires publiques de Sciences Po Paris, où enseignent Nicolas Colin et Thomas Cazenave. Ses travaux portent notamment sur l’économie collaborative et les Big Data.

89Thomas Cazenave (né en 1978) et Nicolas Colin (né en 1977) sont inspecteurs des Finances. Après quelques années à l’inspection des Finances – dont plusieurs en commun avec Colin –, Cazenave a été cadre à Orange et Pôle Emploi ; il a également travaillé au sein des cabinets de plusieurs ministres, dont Emmanuel Macron. Ce dernier préface la seconde édition de L’État en mode start-up dirigé par Algan et Cazenave et mentionné en introduction (Algan, Cazenave, 2017). Colin, qui est également ingénieur de formation, a alterné des passages au sein de l’administration et d’autres consacrés à créer des entreprises innovantes. Il est actuellement en disponibilité de l’inspection des Finances et codirige TheFamily, une entreprise de promotion de start-ups (Namur, 2014).

90Pierre Pezziardi (né en 1971) est ingénieur de formation, devenu consultant et entrepreneur spécialisé en nouvelles technologies. Pezziardi prend en 2015 la direction de l’incubateur beta.gouv.fr, qu’il quitte en 2019. Pezziardi et Verdier signent ensemble un article et un rapport pour la mise en place d’un État plate-forme en France (Pezziardi, Verdier, 2016, 2017). Pezziardi publie de son côté un ensemble de billets de blogs, rapports et tribunes pour la promotion de l’innovation dans la conduite de l’action publique (Pezziardi, 2014 ; Pezziardi et al., 2019 ; Pezziardi, Guilluy, 2019 ; Pezziardi et al., 2013) [26].

91Henri Verdier (né en 1968) est normalien de formation, et dirigeant d’entreprise spécialisé dans l’économie numérique. Il dirige de 2013 à 2015 Étalab, service en charge de l’ouverture des données publiques. À partir de 2015, nommé directeur interministériel du numérique et du système d’information de l’État, Verdier prend en charge avec Pierre Pezziardi la création de l’incubateur beta.gouv.fr. Avec Nicolas Colin, Verdier cosigne en 2012 L’Âge de la multitude, qui porte notamment sur le renouvellement de l’action publique « après la révolution numérique » (Colin, Verdier, 2016). Verdier signe également un chapitre de l’ouvrage L’État en mode start-up.

Présentation des textes du corpus

92Les documents analysés pour construire la première section de notre article figurent ci-dessous. Nous n’avons pas retenu l’ensemble des publications produites par les cinq auteurs : la collecte de documents s’est arrêtée une fois atteint un effet de saturation.

93Algan, Y., Cazenave, T. (2017 [2016]), L’État en mode start-up, Paris, Eyrolles.

94Colin, N. (2018), « Qu’est-ce qu’une “start-up nation” ? », L’Obs, 11 juillet 2018.

95Colin, N., Verdier, H. (2016 [2012]), L’Âge de la multitude, Paris, Colin.

96Macron, E. (2017), « Préface », dans L’État en mode start-up, Paris, Eyrolles, 2e éd., p. 7-10.

97Pezziardi, P. (2014), « Startup d’État, méfiez-vous des contrefaçons ! », blog L’Informatique conviviale [https://pezziardi.net/2014/09/25/startup-detat-mefiez-vous-des-contrefacons/].

98Pezziardi, P., Ghariani, H., Collombet, I. (2019), « Pour en finir avec la bureaucratie d’État », Horizons publics [www.horizonspublics.fr/numerique/pour-en-finir-avec-la-bureaucratie-detat].

99Pezziardi, P., Guilluy, T. (2019), « Il faut propager dans toutes les administrations les conditions de l’innovation », Le Monde, 24 janvier [www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/24/il-faut-propager-dans-toutes-les-administrations-les-conditions-de-l-innovation_5413654_3232.html].

100Pezziardi, P., Soudoplatoff, S., Quérat-Hément, X. (2013), « Pour la croissance, la débureaucratisation par la confiance », Paris, Fondapol-Fondation pour l’innovation politique.

101Pezziardi, P., Verdier, H. (2016), « Des “start-up d’État” pour transformer en souplesse l’administration », Le Journal de l’École de Paris du management, 120, p. 22-29.

102Pezziardi, P., Verdier, H. (2017), « Des startups d’État à l’État plate-forme », Paris, Fondapol-Fondation pour l’innovation politique.

Notes

  • [*]
    Les auteur·rice·s remercient vivement les trois évaluateur·rice·s de ce papier ainsi que l’équipe éditoriale de Gouvernement et action publique, pour leurs commentaires constructifs et leur accompagnement bienveillant. Les auteur.rice.s remercient également, pour leurs contributions plurielles à divers stades d’avancement de ce papier, Damien Piron, Sandrine Graf, et les participant·e·s du séminaire d’administration publique de l’École d’études politiques de l’université d’Ottawa.
  • [**]
    Nous reprenons le terme de « startupisation » du travail d’Erwan Lamy sur les mutations des politiques de la recherche scientifique en France (Lamy, 2020) ; nous proposons dans ce travail une conceptualisation de ce terme.
  • [3]
    À la différence des politiques des décennies précédentes, qui mettaient l’accent sur le soutien à l’investissement privé dans les start-ups (voir Aernoudt, 1999 ; Carpentier, Suret, 2013), ces dispositifs font des start-ups mêmes les objets de l’intervention publique.
  • [4]
  • [5]
    Une écriture épicène a été retenue pour cet article. Cette écriture épicène repose notamment sur l’utilisation du point médian, l’accord de genre selon la règle de proximité, et l’utilisation de pronoms « valise », comme « iels » pour « elles et ils » ou encore « cell·eux » pour « celles et ceux ».
  • [6]
    Le site britannique apolitical a entrepris de répertorier ces laboratoires dans le monde : [https://apolitical.co/government-innovation-lab-directory/].
  • [7]
  • [8]
    Start-up Europe a par ailleurs procédé à un benchmark des réalisations de différents pays : en 2016, le programme finance la réalisation par la firme Open Evidence d’une « start-up nation scorecard », qui classe les pays selon la qualité de leurs politiques publiques de soutien à l’innovation technologique (Osimo, 2016).
  • [9]
  • [10]
    Certains de ces incubateurs sont recensés ici [https://beta.gouv.fr/approche/incubateurs].
  • [11]
    Notons toutefois l’exception que constitue l’article de Jean Frances et Stéphane Le Lay (2020) : les auteurs soutiennent que le succès du concours de pitches « Ma thèse en 180 secondes » illustre la diffusion d’un esprit start-up à la recherche.
  • [12]
    À la différence des auteur·rice·s cité·e·s, qui montrent le rôle de la bureaucratie dans l’extension du marché et de la numérisation de la société, nous ne regardons toutefois pas comment la bureaucratie étatique peut participer d’une extension de la start-up. Cette interrogation peut faire l’objet d’une publication ultérieure.
  • [13]
    Anne Bellon relève également, de manière incidente à sa réflexion, le recours à la métaphore de la start-up dans plusieurs entretiens auprès des membres du Conseil national du numérique, qui travaillent à enrôler les membres du gouvernement à ce qui deviendra la loi République numérique, adoptée en 2016 (Bellon, 2021, p. 34).
  • [14]
    Si l’étude approfondie d’une entreprise de réforme de l’État par la start-up dépasse le cadre de cet article, nous pouvons toutefois avancer deux interprétations du travail d’Algan, Cazenave, Colin, Pezziardi et Verdier. L’« entrepreneuriat institutionnel » (Battilana et al., 2009 ; DiMaggio, 1988) d’Algan, Cazenave, Colin, Pezziardi et Verdier peut être rapporté à la tradition technocratique française de « réinventer l’État » (Bezes, 2009) : l’articulation d’un ensemble de discours prescriptifs autour du modèle de la start-up traduit un renouvellement des discours réformateurs inspiré d’expériences étrangères. Celui-ci est certainement aussi un résultat de l’institutionnalisation, ces vingt dernières années, de l’encouragement à créer des start-ups dans les grandes écoles françaises (Chambard, 2020a ; Villette, 2017), lesquelles entretiennent des liens étroits à la fois avec la haute fonction publique française et le monde de l’innovation technologique.
  • [15]
    Voir notamment Alauzen (2019b), Bellon (2021), Jeannot (2020), et Shulz (2019) pour l’étude d’innovations numériques dans l’administration française.
  • [16]
  • [17]
    Le taux de couverture désigne ici le taux de rentabilité de la revue.
  • [18]
  • [19]
  • [20]
    Le co-branding consiste à commercialiser un objet signé par deux marques.
  • [21]
    Sur les liens entre austérité et soutien public aux start-ups, voir Moisio et Rossi (2020). Les chercheurs Sami Moisio et Ugo Rossi, qui diagnostiquent l’émergence d’un État start-up – soit un État visant le renforcement de la compétitivité nationale par la start-up –, soutiennent que la start-up offre la possibilité d’entrepreneuriat à bas coût dans le contexte de l’après-récession de 2008. Dans leur propos, le soutien public aux start-ups produit donc un enrôlement des populations à l’austérité (Moisio, Rossi, 2020).
  • [22]
    La valorisation des actifs immatériels est lancée en 2007 juste avant les élections présidentielles. Le ministre Thierry Breton, qui avait porté la réforme, cède sa place à Christine Lagarde, qui aurait soutenu les actifs immatériels jusqu’à son départ en 2011, pour le Fonds monétaire international. Ensuite, selon les informations collectées lors de différents entretiens, la valorisation d’actifs immatériels serait peu à peu tombée en déshérence (Célérier et al., 2020).
  • [23]
    Voir ici [www.economie.gouv.fr/apie].
  • [24]
  • [25]
  • [26]
    Les courtes présentations biographiques ont été réalisées à partir des pages Wikipédia de ces cinq hommes.
Français

Cet article explore les transformations de l’action publique par la start-up. Il conceptualise un esprit de la start-up entendu au sens wébérien, et en souligne les effets transformateurs. L’analyse de quatre enquêtes de terrain fait ressortir des formes plurielles de « startupisation** » de l’action publique – c’est-à-dire des transformations variées de l’action publique par la start-up – dont les traits partagés signalent un déplacement commun de l’action publique. Cette analyse met de plus en évidence un encastrement de la start-up dans la bureaucratie, de sorte que la start-up contribue essentiellement à un renouvellement, plutôt qu’à une subversion, de la conduite bureaucratisée de l’action publique.

  • action publique
  • bureaucratie
  • encastrement
  • esprit
  • start-up
  • startupisation
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Laure Célérier
Université d’Ottawa, École d’études politiques
Mehdi Arfaoui
EHESS, Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/01/2022
https://doi.org/10.3917/gap.213.0043
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