CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 160 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, soit 12% de la population totale, vivent en 2012 en Chine. Ce nombre grossit de 3% par an et atteindrait 248 millions en 2020. À la télévision, des publicités paradisiaques montrent – pour les plus fortunés – de somptueux lieux de retraite empreints de sérénité au milieu d’une nature bénéfique. La propagande d’État en appelle régulièrement aux devoirs de prise en charge des plus jeunes vis-à-vis de leurs aînés, devant les abandons de vieillards réduits à la mendicité et errant sur les routes, particulièrement en milieu rural.

2 Les maisons de retraite accessibles aux couches moyennes, peu nombreuses (2,5 millions de places estimées), le plus souvent spartiates avec des espaces lugubres de quelques mètres carrés par personne, inspirent une méfiance générale. Pour la grande majorité des personnes âgées – en regard des 17% seulement qui perçoivent une pension – aucun établissement ne se présente. Pour les plus démunis, la perte d’autonomie est insoluble et, pour tous, les coûts des soins de santé restent une hantise. La politique actuelle promeut l’achat sur projet des services sociaux par l’État, après appel d’offres, et l’installation dans les quartiers de centres institutionnels offrant, moyennant paiement, tous les services, outre le contrôle social et politique qu’ils assurent pour « l’harmonisation de la société ». Mais les personnes âgées restent indéniablement un problème en dépit du succès que rencontre la volonté de les « occuper » : gymnastique, chants en chœur, apprentissage de l’anglais, des technologies numériques, de la calligraphie, de la peinture, etc.

3 Dans cette conjoncture, des initiatives expérimentales sont les bienvenues, et c’est l’une d’entre elles dont nous proposons l’analyse dans cet article. Comme le lecteur le percevra très vite, c’est néanmoins d’un impossible « pouvoir gris » au sens actuel du terme qu’il est question ici.

UN CENTRE EXPÉRIMENTAL

4 Au cœur de l’ancien quartier de Canton, au bout de l’une des ruelles qui offre au regard les plus belles bâtisses, dans une des maisons restaurées à un étage se trouve ainsi un centre qui, durant la journée, accueille des personnes âgées et leur propose toute une kyrielle d’activités passionnantes. Comme à l’accoutumée en Chine, le concept de ce centre vient d’une organisation de Hong Kong, spécialisée dans le développement communautaire et prônant l’empowerment des populations les plus pauvres. Cette ONG [1] – qui dit lutter contre « l’exclusion », « l’aliénation » et vouloir augmenter les « capabilités » des acteurs – entretient des échanges avec la Chine continentale depuis 1988 et coopère avec le bureau des affaires civiles de Canton depuis 1995. Aux côtés du centre pour personnes âgées que finance l’ONG à hauteur de 160000 yuans par an, (à peu près 16 000 €) d’autres programmes ont été mis en œuvre dont le plus récent porte sur un centre de services sociaux, dans une autre partie de l’ancien quartier de Canton. La rhétorique de l’ONG hongkongaise est classique : espoir, honnêteté, sincérité, amour sont mis en avant avec l’excellence, l’équité, la justice sociale. Dignité, valeur de chacun, respect, partage accompagnent l’incontournable slogan « aider les autres, s’entraider, c’est s’aider soi-même ». Pêcheurs, handicapés, retardés mentaux, ouvriers, etc., sont les publics cibles privilégiés de l’ONG à Hong Kong.

LE CENTRE POUR PERSONNES ÂGÉES

5 À Canton, l’ONG s’est associée avec le comité de quartier qui a procédé en son sein au recrutement des personnels pour le centre pour personnes âgées dont il assure le financement des salaires. Le comité de quartier a en outre créé en 1996 une fondation de charité qui subventionne le centre, est très active dans le quartier et à laquelle participent financièrement des entrepreneurs modèles. L’un d’entre eux, antiquaire, organise régulièrement des excursions d’une journée dans des lieux touristiques où sont conviés pour des sommes très modiques les adhérents du centre. La fondation de charité met en scène fréquemment des spectacles édifiants où des « pauvres » montent sur l’estrade – devant un public convié pour l’occasion –, pour recevoir d’entrepreneurs généreux quelques denrées (huile, confiseries, riz), soigneusement empaquetées, parfois trop lourdes pour qu’ils puissent eux-mêmes les remporter. Avec force slogans sonores et chants politiques sur fond d’une musique tonitruante, l’ambiance est alors à la fête « rouge » sur la petite place du quartier récemment aménagée : des bassins où nagent quelques poissons rouges et des bancs de pierres y attirent grands-parents, parents et enfants tout au long de la journée. Les principaux équipements publics du quartier entourent cette place : un magnifique centre social, administratif et culturel offrant bibliothèque, salle de jeux, ordinateurs, etc., voisine avec une maison de retraite et un établissement de jour pour handicapés. Non loin de là des joueurs d’échecs ont l’habitude de se retrouver.

UNE VITRINE INSTITUTIONNELLE DE LA POLITIQUE DE L’ÉTAT-PARTI

6 Le centre pour personnes âgées est donc partie prenante d’un agencement institutionnel qui se veut un parangon politique de socialité. En tant que tel, il offre à l’observation une étrange combinaison de volontariats enchevêtrés. Ainsi, le centre pour personnes âgées a-t-il ses propres équipes de volontaires âgés qui partent rendre des visites à domicile à des plus âgés et moins mobiles qu’eux, ou encore montent de petits spectacles dans d’autres centres, par exemple, pour « malades mentaux supposés guéris », ou handicapés. Ces équipes de volontaires qui s’édifient en véritables brigades, se signalent par leurs tee-shirts aux couleurs éclatantes et bien reconnaissables. Elles agissent sur commande, ce qui ne diminue en rien leur enthousiasme, et n’ont aucune autonomie de décision ou de budget. Mais le centre pour personnes âgées reçoit aussi des volontaires de tous âges appartenant aux deux associations de volontaires présentes à Canton, la première relevant de l’Organisation des jeunes sous tutelle du Parti, la seconde dépendant de la municipalité. Ces organisations relèvent d’un ordre politique général répondant au monopole de l’État-parti et le maillage bénévole s’inscrit dans une perspective d’encadrement qui, cependant, peut déboucher dans l’avenir sur des logiques plurielles, trouvant leur inspiration, entre autres, sur Internet. D’autres volontaires viennent aussi de Hong Kong. Le département de travail social d’une des universités de Canton place par ailleurs dans le centre des étudiants en stage.

7 Des délégations africaines s’y rendent, censées puiser là une inspiration féconde pour la gestion de leurs aînés. Le quartier, la ruelle, le centre seraient en effet, chacun à leur manière, à la pointe des images-phares d’ouverture, d’intégration sociale, de modernisme que l’État-parti entend offrir au regard. La mise en application de valeurs antidiscriminatoires à l’égard des plus faibles, pauvres, âgés, handicapés de toutes sortes y rayonnerait de façon ostensible. La solidarité, l’entraide, le souci des autres y seraient prônés avec une force exceptionnelle. Ce petit paradis du care participe ainsi des objectifs idéologiques du gouvernement qui souhaite multiplier les façades de cohésion sociale autour des célèbres mots d’ordre d’harmonie, de civilisation et de bonheur qui se succèdent, renchérissant d’année en année, sur le mythe d’une société dotée non seulement de croissance économique, mais aussi d’élévation morale et « spirituelle ».

8 Le profil social et architectural du quartier, autrefois très commerçant, industriel et ouvrier, aujourd’hui abritant une population migrante importante, est en adéquation avec cette logique politique qui veut afficher qu’elle ne délaisse pas les couches les moins favorisées, dites « vulnérables ». Un livre a été édité en 2006 par le comité de quartier : il vante la « culture cantonaise » dont le quartier serait un des sites favoris. Y est rappelé qu’il a été retenu, après un concours, comme l’un des dix quartiers modèles de toute la Chine, qu’en 1987 le titre de la « rue civilisée » lui a été attribué parmi les premiers, que soixante-deux familles ont reçu le prix de « familles propres », sans oublier toutes les décorations dont l’énumération est infinie : « rue propre », « rue excellente pour l’enfant unique », « lieu vert » pour la place du quartier. Tous ces mérites politiques s’ajoutent à la nouvelle rhétorique philanthropique et caritative de l’État-parti.

UNE INVESTIGATION ANTHROPOLOGIQUE AU CŒUR D’UN MODÈLE EXEMPLAIRE

9 Que recouvre cette belle devanture ? Quels types de rapports sociaux se nouent au sein du centre, entre les personnes âgées, entre les personnels, entre ces deux groupes, et avec la population du quartier ? Telles sont les questions qui ont guidé l’investigation anthropologique fondée sur une immersion dans le centre et sur des entretiens en face-à-face avec tous les acteurs y participant de près ou de loin, tels les volontaires dynamiques, les charitables entrepreneurs ou encore les dirigeants du comité de quartier. Pour l’anthropologue, la plongée – dans le cadre d’une société gouvernée par un pouvoir communiste monopoliste – au sein d’une entité modèle a d’autant plus d’intérêt que ses membres lui ouvrent les portes – et leurs cœurs – avec une immense confiance, assurés qu’ils sont d’être les pionniers d’une aventure radieuse et peu soucieux de ses contradictions éclatantes. L’étranger est placé dans la position de l’admirateur convaincu de la justesse du modèle ou au moins à convaincre par une propagande active.

10 Le modèle jette ainsi une lumière crue sur les processus centraux de la société par la rupture qu’il établit de fait entre la réalité quotidienne partagée et le tableau idéal dans lequel elle devrait se couler. Dans cette optique, soulignons immédiatement que ne peuvent adhérer au centre pour personnes âgées que ceux dont les parents avaient déjà leur enregistrement résidentiel dans le quartier (hukou), ce qui, compte tenu de l’âge des protagonistes, implique de remonter aux premières décennies du XXe siècle. Le nombre des heureux élus est ainsi considérablement réduit, soit par leur lignée, soit par leur résidence actuelle. Certains font néanmoins trois heures de trajet en changeant de bus pour parfois assister ou participer à un événement remarquable. Supposé modèle d’intégration, le centre exclut de fait une très grande partie des anciens vivant dans le quartier. Et ceux qui en franchissent la porte joyeusement semblent aveugles devant, par exemple, la femme misérable qui se tient en face du centre et qui, transparente, assise sur une marche pour saisir un rayon de soleil, assemble inlassablement de minuscules objets (cheveux pour perruques, perles pour colliers) pour quelques yuans qui lui permettront ainsi qu’à son fils handicapé et à sa belle-fille retardée mentale de survivre. Ni l’un, ni l’autre n’ont le hukou du quartier et ne peuvent donc percevoir d’aide. En 2012, le principe du hukou n’est toujours pas aboli, même s’il est l’objet de débats importants depuis plusieurs années qui s’orientent vers sa nécessaire suppression.

DU PARTI AU TRAVAIL SOCIAL

11 Pénétrons dans un premier temps dans le centre pour personnes âgées, non par ces dernières qui en sont les bénéficiaires, enjointes aux divertissements et à l’oubli des difficultés passées, mais par ses salariées, toutes des femmes, qui en éclairent avec acuité, la gestion politique et ses enjeux de transformation. Deux personnages dominent la scène et exposent la tension – personnalisée – entre deux modes d’organisation inscrits dans deux périodes bien distinctes que séparent le passage à une économie de marché et à un capitalisme de plus en plus affirmé.

12 D’un côté une femme corpulente, proche de la retraite qui, après quelques années dans une usine du quartier, a fait toute sa carrière dans le comité de quartier dont elle est devenue le chef après être passée par les services de sécurité, des affaires civiles, de l’hygiène, du planning familial, c’est-à-dire de l’application de la loi sur la restriction des naissances, de l’urgence. Membre du Parti, agent loyal de l’État, fière de n’avoir découvert l’anglais qu’avec les slogans de Mao durant la révolution culturelle, elle fut la première directrice du centre pour personnes âgées. Elle l’a administré avec autorité, dans la continuité de ses activités passées, basées sur un schéma vertical de commandement et d’application par les masses des directives. De l’autre côté, une jeune femme menue de trente ans, chargée du planning familial dans le comité de quartier durant quelques années après ses études à l’université puis recrutée comme nouvelle directrice du centre. Elle a dû affronter le pouvoir enraciné de sa prédécesseure, les rivalités de ses collègues et les doutes des personnes âgées sur ses capacités. Ces dernières ont tissé une relation symbolique de parenté avec l’ex-directrice vue comme l’épouse du fils aîné (xi fu). Mais plus profondément, c’est bien le rapport à la conception elle-même du centre qui a été et est au cœur d’antagonismes ravageurs. Pour l’ancienne directrice, il s’agirait d’un « modèle étranger », peu fiable, et de ce point de vue elle a été largement suivie par les personnes âgées formées à un nationalisme aussi étroit que triomphant et habituées à un embrigadement affiché.

13 Pour la nouvelle directrice, il a fallu porter et défendre les idées de participation et de créativité des acteurs intrinsèques au projet hong– kongais, en convaincre les bénéficiaires et, enfin, démontrer que, malgré son jeune âge, elle maîtrisait parfaitement ses fonctions. Ce n’est qu’au bout de cinq années que la jeune femme a considéré avoir gagné la partie, tout en reconnaissant que beaucoup des adhérents du centre ne comprennent toujours pas bien quel est son rôle et sa signification, profitent de ce qui leur est offert sans croire au modèle de société qu’il devrait concrétiser : une société solidaire, « harmonieuse », inventive et joyeuse, toujours avide de nouvelles connaissances, bref une « société civile » intelligente et constructive où chacun fait profiter les autres de ses compétences et de ses savoirs. C’est pourquoi on aurait tort d’interpréter cette scène où deux héroïnes s’affrontent selon le principe d’un conflit de générations en dépit de la part apparente que l’âge y joue : il s’agit fondamentalement d’un rapport entre deux modèles de domination polique.

14 Ainsi, ce sont des personnes âgées elles-mêmes qui donnent dans le centre des cours d’anglais (un ancien professeur), d’hygiène et de maintien d’une bonne santé (un médecin), de danse, de politique, de cuisine, de médecine traditionnelle, etc. Dans ce cadre, toutes les bonnes volontés sont d’autant plus appréciées que les personnes âgées, de par leur éducation et leur expérience, sont l’objet de toute la confiance politique requise. La différence de salaire entre les deux femmes – due à l’ancienneté – a accusé le fossé entre elles dans un contexte où la rémunération des travailleurs sociaux est très faible, profession émergente et non encore balisée. Dans le centre, en 2007, les salaires mensuels se situaient entre 780 et 1200 yuans et si l’augmentation a été régulière, d’une manière générale, un travailleur social diplômé, en 2012, ne peut espérer gagner plus de 2500 à 3000 yuans.

UNE ÉQUIPE DE FEMMES LICENCIÉES DE LEUR UNITÉ DE TRAVAIL

15 Derrière ces deux directrices successives, dont la première devint la subordonnée de la seconde dans une phase transitoire très pénible pour elles deux, cinq à dix jeunes femmes selon les moments, en position subalterne, assurent la vie du centre. Le comité de quartier a privilégié dans ses recrutements des femmes licenciées (xiagang) de leur unité de travail et peinant à retrouver un emploi stable.

16 Donnons-en quelques exemples qui illustrent la concaténation dans le centre de plusieurs registres d’action potentiellement opposés, en raison des trajectoires de vie, des expériences de domination et d’exploitation, des visions du monde. Fille d’ouvrier, Xiu a 50 ans, est divorcée sans enfant et vit avec sa mère. « Jeune instruite », envoyée à la campagne en 1975 durant la révolution culturelle, rentrée en 1979 à Canton, son itinéraire de travail est chaotique : quatre ans ouvrière dans une usine chimique au contact de produits très nocifs pour la santé, treize ans dans différents jardins d’enfant, puis après la fin de son contrat, obligée à de petits travaux de subsistance. Pour son travail dans le centre, Xiu touche 780 yuans par mois en 2007, soit le salaire minimum de Canton, et, employée contractuelle, elle peut être renvoyée à tout moment. Une collègue de Xiu, âgée de 35 ans, licenciée après treize ans dans un magasin d’État qui ne voulait plus que de très jeunes vendeuses, fille et femme d’ouvrier, a, elle aussi, accepté avec empressement l’offre du comité de quartier qui a mis fin à une précarité croissante. Veuve de 50 ans, mère d’une fille à l’université, une troisième femme, envoyée comme « jeune instruite » à la campagne en 76, licenciée d’un magasin d’État en 94, était, elle aussi venue demander du travail au comité de quartier. Une quatrième, quasi analphabète, veuve aussi, fille de paysans, licenciée d’un restaurant, travaille quatre heures par jour au ménage du centre pour 400 yuans mensuels, dont 200 sont des cotisations sociales.

17 Toutes ces femmes regardent avec une distance relative et différente les rapports internes au centre qui constitue leur dernière planche de salut. En effet, elles sont à divers titres les premières victimes « collatérales » des réformes économiques qui, en installant l’économie capitaliste, ont conduit au licenciement des moins qualifiés et des plus âgés au profit d’une main d’œuvre jeune et plus docile.

18 D’autres employées en revanche espèrent encore un perfectionnement professionnel, enviant la jeune directrice de sa promotion exceptionnelle. Ainsi en va-t-il de Zhen, la quarantaine, qui après avoir travaillé dans un jardin d’enfants, a été recrutée en 2000 par le comité de quartier pour s’occuper de l’hygiène publique et en 2001 par le centre. Aspirant à une formation de travail social qui la rapprocherait de la couche moyenne de sa belle-famille, elle tente sans succès de trouver sa place dans le dispositif organisationnel du centre, atteint par les jalousies féminines, l’incompréhension de l’objectif de l’ONG hongkongaise, et aussi par l’activisme des volontaires extérieurs prêts parfois à peser de tout leur poids sur les décisions, et animés d’une bonne volonté perturbante. Toutes ces employées, à l’exception de la jeune directrice, sont en effet très éloignées intellectuellement et socialement des modèles anglosaxons importés de Hong Kong. Elles constituent en quelque sorte la partie échouée de l’ancien monde de la période maoïste et, sauf exception, ne sont animées d’aucun désir de franchir le mur qui sépare les deux régimes de sociabilité et de gestion. Le sentiment d’une impossibilité de s’élever contre l’ordre social global les habitent et elles acceptent leur destinée.

DES BÉNÉFICIAIRES SÉLECTIONNÉS

19 Venons-en maintenant aux personnes âgées que le centre accueille pour les « distraire », leur donner joie, dynamisme et entrain et leur faire oublier les malheurs qui ont émaillé et émaillent encore leur vie. Leur cotisation est de 10 yuans par an et elles sont environ une centaine d’inscrites. La production d’une cohésion collective, d’une « communauté » selon les termes du projet, est l’objectif principal et la préoccupation partagée par toutes les salariées. Or, les personnes âgées se révèlent être d’origines très diverses, « bonnes », c’est-à-dire ouvrières, ou « mauvaises », soit appartenant aux anciennes classes supérieures. Les bouleversements politiques qui ont agité la société chinoise à partir de 1949 ont remodelé à plusieurs reprises les positionnements individuels et familiaux, brassant les groupes selon les axes d’une lutte des classes violente et désormais abandonnée.

20 Toutes les variantes sont néanmoins présentes et sur six décennies les acteurs ont changé plusieurs fois de statut avec des déclins et des bannissements vertigineux – lors des Cent fleurs (1957), de la campagne anti-droitier (1957) et de la Révolution culturelle (1966-1976) – éventuellement rattrapés après, mais aussi avec des promotions fulgurantes, vite détruites ou minées par les coûts des soins après une maladie. Les inégalités et les différences sont donc innombrables et ce sont celles-ci, passées et présentes, que le centre vise à neutraliser dans l’imaginaire, voire à annuler. L’entreprise est ambitieuse et réalisée de façon pragmatique par des activités incessantes, créatrices d’une bonne humeur partagée. Les personnes âgées elles-mêmes s’engagent volontairement dans cette conception d’un moment de bonheur, saisi comme une parenthèse et une dernière opportunité, après tous les soubresauts et épreuves endurés. Une logique d’unification symbolique est donc en œuvre dans le collectif des bénéficiaires du centre qui interviennent aussi activement dans les rivalités et les conflits précédemment évoqués entre les salariées.

21 Une quarantaine d’entretiens a été effectuée avec des personnes âgées, dans le centre ou à leur domicile, en face-à-face. Le recueil de ces récits de vie a été extrêmement riche, apportant une connaissance de l’intérieur des évolutions politiques et une entrée dans les modalités variées de leur subjectivation. Plus nombreuses que les hommes à venir au centre et à s’entretenir avec nous, les femmes ont mis en scène dans la chronique de leur trajectoire des processus d’émancipation relatifs par le travail en particulier qui appellent une réflexion comparative avec la situation actuelle. Les épanchements ont néanmoins rouvert les blessures de nos interlocuteurs, l’amertume, la tristesse, parfois le désespoir et les larmes émergeant brutalement, indomptables – mais interdisant la plainte. Quels que soient les problèmes présents qu’affrontent les acteurs, l’idée que la vie est « meilleure » qu’elle ne le fût est bien enracinée. Elle résulte tout d’abord de la sélection qu’opère le centre qui ne reçoit que des personnes touchant une pension de retraite – sauf cas particulier – et bénéficiant d’un logement qui, sauf exception, est confortable et plus spacieux que les habitats antérieurs.

22 Cette idée d’un mieux-être est d’autre part le fruit de la conviction d’avoir échappé à des destins bien plus terribles, en souvenir de tous ceux qui, aux périodes politiques les plus dures – tel le Grand bond en avant (1958-1960) et la famine qui s’ensuivit (1958-1962), très présent dans les mémoires –, ont succombé ou ont vu leurs proches, dont leurs enfants, mourir. Les personnes âgées qui fréquentent le centre ne sont donc pas, a proprement parler, socialement représentatives d’une génération. La sélection effectuée par le centre conduit à une frange de la population qui a vu sa précarité économique réduite et a accédé à une stabilité relative, toujours menacée néanmoins par les coûts exorbitants des soins de santé. Cette frange – qui pour l’observateur trop empathique occulterait aisément la masse de ceux qui peinent à se maintenir dans des conditions d’existence minimales – offre toutefois l’intérêt d’un regard autoscopique sur les périodes qui précèdent et succèdent à l’avènement du gouvernement communiste et sur les décennies maoïstes.

UNE BULLE DE RECONNAISSANCE

23 La reconnaissance sociale ultime qu’offre le centre à certaines personnes âgées est une donnée importante dans l’entrain qu’elles manifestent à le rendre attractif. Cette reconnaissance inscrit des tableaux variés de retournements étonnants selon les trajectoires des acteurs comme le montrent les exemples suivants. Ru, d’allure robuste, âgé de 81 ans, donne depuis quatre ans un cours de calligraphie et de peinture dans le centre dont il est un des volontaires parmi les plus actifs depuis dix ans. Fils d’un vendeur de poissons si pauvre qu’il n’eut d’autres choix que d’épouser en 1945 une femme aveugle de naissance (fille analphabète d’ouvriers agricoles) qui lui donnera quatre enfants, Ru n’a été que quelques années à l’école primaire puis a travaillé dans différentes usines comme coolie comme son épouse. La famille vit dans les 18 md’une petite maison octroyée par l’unité de travail et que Ru a achetée ensuite et loue maintenant. Outre ses emplois réguliers, Ru fait de multiples petits travaux pour améliorer les ressources du ménage. Lorsqu’on lui propose de rentrer au Parti, il refuse, se déclarant trop égoïste et il se justifie aujourd’hui de n’avoir pensé qu’« à travailler pour gagner la vie ». L’école lui a donné le goût de la littérature et de l’écriture et, huit décennies après, Ru a enfin réussi à se faire reconnaître comme un maître en calligraphie, reconnaissance qui constitue sa dignité actuelle. Cette revanche tardive en regard de la palanche qu’il a portée sur l’épaule de si nombreuses années enorgueillit le vieil homme aux mains rugueuses qui décore le centre de ses beaux panneaux. Lui et son épouse cumulent 2000 yuans de retraite, payent 1000 yuans de loyer pour un appartement dans un immeuble de huit étages du quartier et reçoivent un revenu locatif de leur ancienne petite maison. Sa femme, venue au centre avec lui au départ, y a renoncé au bout d’un an. Lui au contraire, se réjouit de cette nouvelle sociabilité au sein de laquelle il a acquis un statut autrefois inimaginable.

24 Dans l’équipe des volontaires les plus remarquables du centre, Ru côtoie aussi Kun qui a reçu plusieurs prix pour sa diligence bénévole et est chargé du bulletin du centre, bulletin dans lequel il écrit des articles et de la promotion de la politique du Parti. Ainsi fait-il des cours aux personnes âgées pour leur expliquer les discussions issues des congrès. Mais, paradoxalement, Kun, qui possède la diction d’un militant de longue date, n’a jamais pu rentrer au Parti, compte tenu de ses origines – un père au Guomindang [2]. Envoyé vingt ans en rééducation dans une région montagneuse il a enchaîné deux campagnes politiques le bannissant ! Marié à son retour en ville avec une femme de tout aussi « mauvaise origine » – dont les frères avaient fui aux USA – Kun a acquis dans le centre une position politique de premier rang qui annule dans l’imaginaire la stigmatisation dont il a été très longtemps l’objet. Sa lignée et sa grande maison sont citées dans le livre édité par les autorités sur le quartier, lui qui malgré ses études à l’École normale, se vit interdire l’enseignement. Le couple vit dans un immeuble proche du centre. Il n’a eu qu’une fille qui, ajoute fièrement Kun, a pu devenir membre du Parti, sauvant ainsi l’honneur bafoué de son père. Kun, au sourire lumineux, s’est fait prendre en photo avec le premier ministre, lorsque ce dernier a visité le centre.

25 Citons encore Weï, dont le père fut président de l’Association de commerce et d’industrie et possédait dans le quartier une vaste et belle maison achetée par le père de son épouse, grand commerçant. Célibataire endurci, grand amateur d’opéra, Weï a vécu la révolution culturelle à l’usine où il était ouvrier en dépit de ses études, puis s’est fait embauché dans l’entreprise d’un ami sans être déclaré. Weï n’a donc pas de pension de retraite : il touche mensuellement 396yuans du comité de quartier et 120 yuans de la fondation de charité. Catégorisé comme « vulnérable », il reçoit régulièrement huile, sel, riz des autorités locales. Il vit avec son frère célibataire aussi, qui, lui, bénéficie d’une pension de retraite de 1 300 yuans. Weï apprécie beaucoup le centre où ses talents de chanteur sont reconnus. Ru, Kun et Weï, dont les destinées sont faites de contrastes saisissants, de leur origine à aujourd’hui, se retrouvent ensemble au centre, dans une sorte de bulle qui neutralise leurs différences de classe, d’éducation et les replonge dans une sorte d’égalisation fictive, de partage superficiel, de joie liquide, pourrait-on dire, en reprenant un vocable de Zygmunt Bauman [3].

DES FEMMES LABORIEUSES

26 Si quelques femmes sont issues des anciennes classes supérieures d’avant 1949, la majorité d’entre elles vient des couches paysannes et ouvrières et a connu des enfances extrêmement dures, dans lesquelles le travail a commencé à 7 ou 8 ans. Les petites filles ont été vendues comme servantes, embauchées comme coolie sur les chantiers, portant alors à deux les paniers de pierres, ou recrutées dans des ateliers et des petites usines où il leur fallait monter sur un tabouret pour atteindre la machine. Ces emplois précoces pour aider la famille ont pour pendant une absence générale d’éducation dans un contexte culturel qui, parmi d'autres privilèges, faisait de l’éducation un apanage masculin. Les épreuves de la misère, de la faim – la nourriture quand il y en avait était souvent réservée aux garçons – ont forgé le caractère de ces femmes qui, dès que l’occasion s’en est présentée avec les grandes campagnes d’alphabétisation (« nettoyer les aveugles »), ont tenté de sortir de leur analphabétisme complet ou partiel.

27 Le centre, avec ses cours nombreux, s’inscrit en continuité de cet effort permanent qui a guidé leur vie : échapper à l’ignorance, s’ouvrir à la connaissance. Certaines reconnaissent parfois que « leur tête ne marche pas assez bien » et en sont honteuses. Insistons aussi sur un fait notable : toutes nos interlocutrices dont les plus âgées sont nées en 1916 (donc avant la révolution soviétique) ont travaillé tout au long de leur vie, dans des emplois stables ou en changeant souvent. Le travail est ainsi au centre de la représentation qu’elles se font d’elles-mêmes. Les récits placent donc ce dernier au premier plan avec une excellente mémoire des supérieurs hiérarchiques, des salaires, du coût de la vie et des campagnes politiques. Le mariage, arrangé par les collègues le plus souvent, arrive en second. En troisième position, les enfants dont l’itinéraire se révèle pour beaucoup très cahotique : impossibilité de faire des études tout d’abord à cause de la révolution culturelle et de l’envoi à la campagne, difficulté ensuite de trouver un emploi, licenciement après les fermetures d’usine.

28 Une reproduction de classe est ici nettement à l’œuvre. L’implication dans le travail a d’autre part conduit ces femmes âgées à être en permanence confrontées aux structures politiques et à leurs conditionnalités : ne pas avoir été admises à rentrer au Parti reste pour le plus grand nombre, une tache, une ombre, un regret quand elles s’estimaient elles-mêmes méritantes, qualifiées, persévérantes, courageuses ou alors qu’elles assumaient une « mauvaise origine » – un parent émigré illégalement ou membre du Guomindang – qui constituait une barrière définitive. Leur volonté de « progresser » et leur persévérance sont frappantes et le rôle du travail dans cette entreprise d’émancipation est primordial. Corollairement leur fonction de gestionnaire des ressources et, dans les pires périodes comme la famine consécutive au Grand bond en avant, de maîtresses de la vie et de la mort, révèle leur intelligence des situations, leur prudence et leur perspicacité. Éviter les « ventres gonflés d’eau » revient comme un leitmotiv dans leur évocation de ces moments dramatiques. Durant la révolution culturelle, c’est encore elles qui tentent de négocier un départ dans une campagne pas trop éloignée pour leurs enfants. Et il semble, en les écoutant, que dans la province du Guangdong dont la capitale est Canton, autorités et populations se soient arrangées pour éviter les exils les plus distants et aient préféré placer les jeunes dans des villages où des parents résidaient. Cependant, ce rôle des femmes reste largement méconnu et oublié dans le cadre d’une société où la domination masculine est légitimée par la domination étatique et accrue par l’évolution capitalistique.

29 Notons en revanche, que ces femmes paraissent, lors de la Révolution culturelle, avoir toujours par prudence « suivi le mouvement », évitant de se distinguer, se fondant dans les actions, « criant jusqu’à avoir la gorge ulcérée », nous dit l’une, les slogans lancés. Lorsqu’elles évoquent la violence épouvantable de cette période, certaines se défendent très mollement d’y avoir participé, d’autres pas du tout, quelques-une surenchérissent. La protection d’elles-mêmes et des leurs semble avoir primé dans leur conduite, engendrant une forme de passivité dans l’activité spectaculaire réclamée.

PRIMAUTÉ DU POLITIQUE

30 Le lecteur n’aura pas manqué de se questionner sur l’absence d’enjeu que constituent les descendants, leur statut social et affectif, dans les relations interpersonnelles nouées par les personnes âgées qui se rendent au centre. Les études montrent souvent, à l’inverse, en France une importance croissante des enfants, comme référent identitaire indexé sur leur position sociale et leurs manifestations d’attachement. Ainsi une enquête anthropologique réalisée dans une maison de retraite accueillant principalement des ouvriers [4] avait mis en évidence la concurrence et les rivalités qui structuraient les rapports sociaux entre les pensionnaires dont le principal effort visait à réussir à dissimuler la rareté des visites de leurs enfants et à surenchérir sur leur réussite économique. L’existence des acteurs ne valait à leurs yeux que par ces preuves sociales et symboliques de leur continuité et de leur dépassement générationnels. Au contraire – sauf cas dramatique – le centre cantonais donne à voir une relative indifférence aux destinées des descendants, voire une résignation à leur éloignement et à leur précarité. En effet l’hypothèse de la transmission individuelle avait été rayée par l’ordre politique régnant antérieurement. C’est pourquoi, le champ des relations intra-familiales paraît minoré au profit d’un investissement fort sur la trajectoire propre du sujet, le collectif dans lequel il s’est intégré grâce au centre, sa valeur sociale à travers le volontariat développé.

31 Cette observation – qui désigne la prépondérance de la société dans les représentations – témoigne d’une génération qui s’est construite dans l’idéologie politique de l’époque maoïste qu’elle a incorporée et fait aujourd’hui perdurer. Depuis les réformes engagées à la fin des années soixante-dix, les imaginaires du collectif se sont peu à peu désintégrés au profit d’un recentrage sur le champ familial que l’enfant unique cristallise. Les investigations menées auprès des jeunes cantonaises éduquées, déchirées entre marché du mariage et marché du travail, hantées par le spectre de la femme restante [5], signalent ces évolutions notables où l’individu rétrécit ses intérêts, perd ses désirs et illusions sur la transformation de la société, s’éloigne des collectifs. Dans cette perspective, le centre expérimental du vieux Canton est bien un repère du passé de par les visions des acteurs. Mais corollairement, il s’inscrit pleinement dans le présent et y bâtit une continuité remarquable. En effet, à l’heure où la province du sud semble avancer un modèle d’ouverture en regard du nord – siège du pouvoir politique –, le centre pour personnes âgées du vieux Canton est emblématique de la politique sociale prônée par les autorités cantonaises, de l’institutionnalisation progressive des ONG, de l’importation, de l’imprégnation et de la mise en pratique efficace de concepts et d’idées venues du monde global via Hongkong.

32 Les gérontes modèles du centre pour personnes âgées indiquent ainsi le chemin d’un changement maîtrisé, approprié et relativement réussi. Dans cette voie, les coercitions antérieures sont laissées de côté et l’efficience de dynamiques collectives est réinvestie dans un monde au sein duquel le sujet individuel distingue les normes qui pèsent sur lui, même s’il n’a pas encore appris à les mettre à distance et à s’en affranchir. Répétons, pour conclure, qu’elles sont néanmoins au plus loin de l’hypothèse d’un « pouvoir gris » tel qu’il est pensé en France présentement et que les mythes de l’empowerment appliqués aux femmes et à tous les plus démunis du monde ne font pas partie de leur univers.

33 ?

Notes

  • [1]
    Nous taisons son nom afin de préserver l’anonymat des acteurs.
  • [2]
    Parti nationaliste fondé en 1912 par Sun yat sen.
  • [3]
    Bauman Z., La vie liquide, Editions du Rouergue, 2006.
  • [4]
    Selim M. (1982). « Rapports sociaux dans une résidence pour personnes âgées de la banlieue parisienne », Gérontologie, 44:4-10.
  • [5]
    Selim M. (2012). « Femmes savantes sur le marché du travail à Canton, l’Homme et la société 181:121-144.
Français

Cet article donne à voir les dynamiques internes à un centre pour personnes âgées installé dans le vieux quartier de Canton, capitale du sud de la Chine. Il est fondé sur une investigation anthropologique mêlant observation quotidienne, immersion relative et longs entretiens en face-à-face. L’auteure s’attache à restituer les logiques très diverses des personnes âgées qui le fréquentent autant que les politiques de l’État et de l’organisation non gouvernementale hongkongaise qui le finance en partie. Le lecteur appreciera cette plongée chaleureuse dans la vie de Chinois qui ont connu des boulersements politiques multiples et violents et manifestent des capacités d’action remarquables.

English

How To Become A Model Gerontocrat In Canton

How To Become A Model Gerontocrat In Canton

This article focuses on the internal dynamics of a centre for the elderly in the old part of Canton, capital of southern China. It is based on an anthropological study combining daily observation, relative immersion and detailed face-to-face interviews. The author sets out to present the highly diverse mentalities of the elderly people attending the centre, together with the relevant policies both of the state and of the Hong Kong NGO which provides partial funding. This is an enjoyable, warm-hearted exploration of the lives of Chinese people who have been through all kinds of violent political upheavals and demonstrate a remarkable capacity for taking action.

Monique Selim
ANTHROPOLOGUE, DIRECTRICE DE RECHERCHES DE PREMIÈRE CLASSE À L'INSTITUT DE RECHERCHES POUR LE DÉVELOPPEMENT (IRD). RESPONSABLE DE L'AXE TRAVAIL ET MONDIALISATION DANS L'UNITÉ MIXTE DE RECHERCHES 201 (UMR) IRD/PARIS 1 DÉVELOPPEMENT ET SOCIÉTÉS
Mis en ligne sur Cairn.info le 14/03/2013
https://doi.org/10.3917/gs.143.0207
Pour citer cet article
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