CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les activités de services sont devenues dominantes dans nos sociétés contemporaines. Elles représentent aujourd’hui près de 70% du PIB et de l’emploi dans la plupart des pays développés. Cependant, comme ont pu le montrer certaines recherches, les services constituent encore à bien des égards la face sombre de l’analyse économique (mais également des sciences de gestion) en ce sens que l’essentiel des outils mais aussi des méthodes et des modèles dont nous disposons aujourd’hui peinent à cerner les spécificités de ce secteur.

2 Il n’en demeure pas moins que depuis quelques années, certains courants (relevant tant des disciplines d’économie que de gestion ou encore de sociologie) ont cherché à mieux saisir ce que d’aucuns appellent « la nébuleuse des services ». Ils ont contribué à faire le point tant sur les spécificités des services (immatérialité, interactivité, immédiateté, inscription temporelle et inscription sociale) que sur ce qu’il est convenu d’appeler « la société de services » (qui pour certains prendrait l’orientation d’une société urbaine et d’abondance, d’une société du savoir ou encore d’une société plus juste, etc.).

3 Ces différents travaux, riches et bien documentés, présentent le grand intérêt d’offrir des réflexions renouvelées sur la nature et les clés de lecture possibles des mutations des sociétés économiques contemporaines.

4 Pour autant et paradoxalement, la question du vieillissement qui se pose de manière centrale à la plupart des activités de service (il suffit de penser à la relation vieillissement – besoins en services à la personne) semble totalement occultée. Si l’on retrouve parfois quelques réflexions spécifiques à certains secteurs (par exemple l’adaptation de l’offre au vieillissement), force est de constater que l’on dispose de très peu de travaux académiques ou d’ouvrages de synthèse sur cette question.

5 C’est tout l’objet de cette livraison de Gérontologie et Société que de tenter de réduire le gap existant entre la « société des services » et la « société des seniors [1] ». L’objectif que nous nous sommes fixé est de comprendre le rôle des seniors dans la dynamique de développement des services ainsi que l’incidence du développement des services sur la catégorie spécifique constituée par les seniors.

6 Ce numéro propose treize contributions originales articulées autour de quatre grandes parties : la première présente le cadre général de ce numéro. Notre article introductif passe en revue les théories et modèles de la société de services au crible du vieillissement. Il montre qu’à quelques exceptions près, ces théories et modèles ne sont pas réellement parvenus à intégrer dans leur construction la problématique du vieillissement et la place des seniors. La contribution de Pascale Hébel revient sur la structure de la consommation des seniors en accordant une place particulière à la consommation de services. Elle met en particulier en évidence le fort potentiel de consommation chez les seniors. Néanmoins, ce dernier cache une réelle diversité de situations au sein de la population concernée. Plus encore, l’auteur relève l’existence de besoins en services importants mais encore mal couverts dans les conditions actuelles de l’offre.

7 La deuxième partie est consacrée à un secteur de service singulier : celui de la distribution. Camal Gallouj et al., proposent une revue de la littérature et un état de l’art des recherches actuelles sur le thème grande distribution et seniors. Ils montrent que ces derniers se caractérisent par un certain nombre de besoins spécifiques en matière d’offre commerciale, besoins qui commencent à être perçus et valorisés par les distributeurs. De ce point de vue, la poussée démographique des seniors devrait contribuer à refaçonner cette offre dans un avenir proche. Isabelle Barth et Blandine Antéblian approfondissent cette approche en s’intéressant à la fréquentation des grandes surface par les seniors. Elles reviennent sur leurs rythmes et habitudes d’achat ainsi que sur les types de magasins fréquentés. Constatant que le temps des courses est d’abord, du point de vue des seniors, un temps de socialisation, elles appellent à une meilleure prise en compte de cette population et de ses attentes dans les stratégies et pratiques des distributeurs. Enfin, Fache et al., reviennent sur la désormais célèbre figure du (senior) greeter de l’enseigne américaine Wal Mart. Ce retour est une occasion d’aborder un certain nombre de représentations liées à l’attractivité professionnelle des personnes de plus de 65 ans. Les auteurs montrent que la relation de service, entendue comme espace privilégié de reconnaissance de la personne au travail, offre, dans certaines conditions, la possibilité d’une rencontre entre les attentes des entreprises de distribution et celles des salariés et retraités les plus âgés.

8 La troisième partie déploie le lien « services-seniors » au travers de plusieurs exemples et modèles de services spécifiques qui présentent des enjeux importants pour les seniors. Samuel Guillemot et Bertrand Urien proposent une analyse fine de l’offre de services biographiques et tentent de mettre en évidence les principaux facteurs motivationnels sous-jacents à l’élaboration d’une histoire de vie par les seniors. Erick Leroux, pour sa part, aborde le secteur du tourisme. Il met en évidence l’importance accordée par les seniors aux questions de santé dans le cadre de leur comportement touristique. C’est une approche plus générale qu’adopte Serge Guérin. Cet auteur, en revenant sur les problématiques du don, de la réciprocité et de la solidarité, montre que la société de services est aussi une société du care ou encore de l’accompagnement bienveillant. Certaines des intuitions et propositions énoncées par Serge Guérin sont en quelque sorte approfondies dans les deux articles suivants qui s’intéressent au processus de gestion interne dans les services. Jean Yves Duyck et Natacha Pijoan analysent en effet les enjeux de la gestion des ressources humaines ou GRH dans les établissements de services aux personnes âgées dépendantes. Ces auteurs, en s’appuyant sur une analyse des représentations des métiers et des conditions de travail dans les établissements considérés, dégagent un certain nombre de pistes possibles d’amélioration de la qualité de l’emploi des salariés et du service rendu aux personnes âgées. Dans une perspective voisine, Gérard Vallery et Sylvain Leduc s’interrogent sur les compétences des aides à domicile auprès des personnes âgées. Ils mettent en avant toute la complexité du travail des aides à domiciles et l’ensemble des compétences sociales que ces dernières sont amenées à mobiliser dans leur travail. Compétences sociales qui participent directement à la construction de leur identité professionnelle. Et plus largement de celle des emplois de service en général.

9 La quatrième partie est enfin l’occasion d’envisager la relation « seniors-services » dans sa dimension spatiale et territoriale. Clovis Sabau, Hélène Blasquiet-Revol et Marie-Anne Lenain montrent en quoi les seniors (retraités) peuvent être tout à la fois des usagers et des acteurs à part entière de la société de services. Ces auteurs considèrent que, malgré de nombreuses difficultés sous-jacentes, la création d’activités de services en milieu rural pour et par les retraités devrait constituer une opportunité pour l’avenir. Véronique Roussel et al. s’interrogent quant à eux sur l’efficacité des centres locaux de coordination gérontologique (CLIC). Ils montrent en quoi les niveaux de performance et les atouts peuvent être différents selon que les CLIC considérés sont issus de démarches top down ou à l’inverse de démarches bottom up. Juliette Rochman et Diane-Gabrielle Tremblay enfin proposent une analyse attentive et précise du programme « municipalité amie des aînées » au Québec. Après avoir présenté les enjeux relatifs au vieillissement au Québec, ainsi qu’à la demande et à l’offre de services, ces auteurs mettent en perspective l’action du gouvernement face au défi de société que représentent une réelle intégration des aînés et une réelle reconnaissance de leur place et de leur rôle dans la société de services.

10 Le dossier se conclut par un libre propos qui apporte une illustration de la problématique de ce numéro au travers de l’histoire de la création d’une entreprise de service aux personnes âgées, retenue pour son caractère à la fois exemplaire des contraintes rencontrées, dynamique et innovant.

Notes

  • [1]
    Les seniors sont entendus ici dans le cadre d’une acception large. Les articles présentés dans ce dossier s’intéressent donc parfois aux jeunes seniors, parfois aux seniors plus âgés voire dépendants, parfois encore aux seniors retraités.
Camal Gallouj
Professeur CEPN-CNRS, Université Paris 13 et EBS Paris
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Mis en ligne sur Cairn.info le 08/02/2011
https://doi.org/10.3917/gs.135.0010
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