CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’Accord de Paris, adopté par la COP21, s’est fixé des objectifs plus ambitieux encore que celui du plafond de hausse de 2 degrés Celsius des températures moyennes mondiales établi à Copenhague en 2009. En effet, ses 196 signataires se sont accordés pour maintenir ce plafond d’ici 2100 et pour poursuivre leurs efforts afin de tenter de limiter cette hausse à moins de de 1,5 degré Celsius. Sachant que la hausse de température déjà constatée depuis 1750 s’élève à 0,89 degré Celsius, cela ne laisse à la communauté internationale qu’un crédit d’émissions de carbone fort restreint, et lui impose, si elle veut réaliser ses engagements, de s’engager dans une transition énergétique d’ampleur. Est-ce réalisable, techniquement, financièrement, économiquement, socialement et ce à quel coût ?

2Le GIEC a été sollicité pour répondre d’ici 2018 à cette série de questions et principalement pour chiffrer la trajectoire d’émissions à respecter si l’on voulait réaliser l’objectif de limitation des températures à 1,5 degré Celsius.

De quel crédit d’émissions disposons-nous ?

3Dans l’attente, nous disposons déjà d’une série d’études et d’ouvrages permettant à un large public non spécialiste de se familiariser avec ces questions qui le concernent à divers titres. En tant que citoyen – comment réduire son empreinte carbone et consommer son énergie de manière plus efficiente ? –, en tant que contribuable – quelle taxe carbone, directe ou indirecte fixer ? –, en tant que propriétaire de son logement – quelle isolation, quelle source de chaleur, quelle orientation choisir ? –, ces questions ouvrent de larges champs d’investigation à une branche de la géoéconomie de l’énergie.

4Dans Zéro fossile. Désinvestir du charbon, du gaz et du pétrole pour sauver le climat, Nicolas Haeringer plaide carrément pour un désinvestissement massif du charbon, du gaz et du pétrole (ici énoncés par ordre alphabétique et non de priorités) pour sauver le climat (Éditions Les Petits Matins, 2015, 108 pages). S’appuyant sur les informations fournies par la Carbon Tracker Initiative, il avance des chiffres clefs que la grande presse a repris plusieurs fois à son compte. D’un côté les réserves des énergies fossiles, qui représentent, rappelons-le, 80 % du bilan énergétique mondial en 2014 : 1 816 gigatonnes de charbon, 614 gigatonnes de pétrole et 363 gigatonnes de gaz, soit un total arrondi de 2 795 gigatonnes d’énergies fossiles avec autant d’émissions potentielles de gaz à effet de serre (GES). Or sachant que depuis 1750, le monde a émis déjà 2 000 gigatonnes équivalent CO2, il ne lui reste qu’un crédit d’émissions de 565 gigatonnes pour limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius et seulement 400 gigatonnes pour le limiter à 1,5 degré Celsius. On voit qu’il s’agit là de chiffres très serrés, car au rythme annuel de près de 40 gigatonnes d’émissions de GES mondiales, il ne resterait que 14 ans ou 10 ans d’émissions. Ce qui signifie que les objectifs fixés à Paris seraient impossibles à atteindre. D’autres évaluations fixent notre crédit d’émissions à 1 000-1 200 gigatonnes, ce qui laisserait une marge d’adaptation d’une trentaine d’années. D’où le dilemme qui se pose à la communauté internationale. Si toutes les réserves d’énergies fossiles étaient extraites, utilisées, brûlées, il en résulterait une hausse moyenne des températures de 9 degrés Celsius à l’horizon 2100. D’où la conclusion de l’auteur : plus de 80 % des réserves de charbon, 50 % des réserves de gaz et 30 % des réserves de pétrole doivent rester dans le sol !

5Il est curieux que Nicolas Haeringer, chargé de la campagne pour 350 organisations en France n’ait pas abordé la thèse de la CCS (Carbon capture and sequestration) qui permettrait de capter le CO2 à la sortie des centrales thermiques, des cimenteries, pour les réinjecter dans des réservoirs désaffectés de gaz. Certes, il n’existe pour le moment que 14 unités expérimentales dans le monde dédiées à ce procédé, qui réduit le rendement des centrales de 30 %. En dehors de problèmes techniques encore non résolus comme l’efficacité du captage, la stabilité du CO2, qui devrait être stocké des milliers d’années, se pose surtout la question du coût de l’opération (80 à 100 dollars par tonne). Mais ce montant est assez proche de la taxe carbone que beaucoup d’économistes voudraient instaurer, dont Jean Tirole, qui a obtenu le Prix Nobel d’économie en 2014.

Le crépuscule fossile

6Sous ce titre, (Stock, 2015, 244 pages) Geneviève Férone-Creuzet, spécialiste de la notation sociale et environnementale, ancienne directrice du développement durable chez Veolia, tente de répondre à la question, déjà maintes fois posée, de la fin de l’ère du pétrole. En cette matière, il convient de partir des réalités : rien ne pourra se faire contre les compagnies pétrolières, charbonnières et gazières, dont la puissance financière, le capital technologique et l’influence politique sont reconnues de tous. Il conviendra donc de s’appuyer sur elles pour aboutir par étapes à une énergie décarbonnée. Rien ne se fera, d’autre part pour des raisons éthiques et désintéressées. Les industriels, aurait-elle dû ajouter, les États producteurs d’énergie fossiles, n’abandonneront leurs positions qu’en considérant froidement leurs options : conserver ces actifs fossiles au regard du mur climatique et réglementaire qui se rapproche pourrait devenir un risque financier et juridique et la perspective de reconstruire ailleurs une nouvelle rente serait alors plus attractive. Elle estime que nous sommes arrivés à un point d’inflexion de notre histoire, car le risque financier lié à la détention de titres fossiles devient tangible, rendant incertaine la rentabilité des capitaux investis. C’est en partie vérifié, encore faut-il faire la part des choses entre la baisse des cours boursiers résultant de la chute brutale des cours du pétrole, et le mouvement de désinvestissement des actions fossiles, initié par des universités, comme celle d’Oxford ou des journaux, comme le Guardian, et dont le montant est évalué à 920 milliards de dollars.

7Certes la dette climatique affecte les marchés financiers, mais le mouvement sera lent, et l’on ne peut exclure des soubresauts dans un sens ou un autre, en fonction des innovations technologiques, de l’état du marché et des deséquilibres sur le marché énergétique mondial. D’un autre côté, la notion de justice climatique se structure dans de nouvelles formes de recours : les citoyens peuvent traduire les États devant les tribunaux, comme ils l’ont fait l’été 2015 aux Pays-Bas. Mais là encore, le mouvement va prendre du temps. La justice pénale internationale n’a-t-elle pas mis 70 ans pour se doter d’une Cour permanente, dont les statuts n’ont été ratifiés que par 123 États, les 70 autres représentant la plus grise partie du poulain mondial (États-Unis, Chine, Inde, Russie) ? La création d’une Cour climatique a bien été évoquée en marge de la COP21 et on sait que l’Accord de Paris (art.52) a écarté toute possibilité de recours juridique en cas de perte et dommages dus au changement climatique. Bien sûr, les temps changent, la finance se verdit et banquiers, assureurs, gestionnaires de fonds et administrateurs, font le compte du coût des catastrophes naturelles. Les jeunes et les réseaux sociaux se mobilisent, mais il faudra encore une génération pour parvenir à modifier les comportements, à rénover les infrastructures existantes, à accroître de manière substantielle la part des énergies renouvelables… Tout est affaire de connaissance et d’éducation.

Le tour du monde des énergies

8Afin de procéder à un tour d’horizon complet de ce lien, devenu vital, entre énergie et climat, les éditions Quae ont récemment publié deux ouvrages. Le premier, de Paul Mathis, est une bonne synthèse vivante et documentée : L’énergie, moteur du progrès ? (2014, 174 pages), qui répond à 120 questions clés portant sur une gamme de sujets des plus variés. L’auteur commence par montrer le lien entre énergie et climat, en fournissant la quantité de CO2 émise lors de la combustion d’une tonne d’équivalent pétrole : pour le charbon, cela représente 4 tonnes de CO2, pour le pétrole et le gaz naturel, respectivement 3,1 tonnes et 2,3 tonnes. Ainsi, sur chacune des 120 questions traitées, qui vont de la mesure des énergies à la géopolitique, en passant par les innovations en cours ou probables (hydrogène, énergies marines, etc.), on trouvera des informations précises et accessibles. Qu’est-ce que l’énergie sous toutes ses formes, mécanique, électrique, etc. ? Comment la mesure-t-on, la stocke-t-on ? Par étapes, le lecteur est familiarisé avec des notions qu’il a peut-être oubliées, et qui lui permettront de mieux appréhender le lien entre énergie, climat et cycle du carbone. On y trouve expliquée l’importance de la photosynthèse ; pourquoi les bactéries produisent du méthane (un important gaz à effet de serre) ? De nombreuses réponses portent sur le réchauffement climatique, le rôle de l’homme, les différentes formes d’énergie renouvelables et les pistes d’avenir.

9Le second ouvrage paru aux éditions Quae, La guerre des watts, transitions énergétiques et perspectives, de Jean-Christian Lhomme, un des rares professionnels de l’énergie auteur de documentaires de référence, présente bien des points abordés dans le précédent. D’emblée, il indique que les alternatives aux ressources conventionnelles progressent mais sont loin d’être aussi évidentes qu’attendues, notamment, à cause d’une productivité défavorable aux flux intermittents. Ce n’est qu’à l’horizon 2030 – celui précisément qui a été choisi par les grands acteurs de la scène énergétique mondiale comme pic de leurs émissions de GES – que l’on peut envisager un outil de production équipé incluant pour la première fois une requalification du parc immobilier existant et une gestion efficace des postes de consommation.

10Les technologies smart grids, nouvelles venues dans les mix énergétiques, travaillent à une réorganisation du parc des centrales électriques vétustes en maitrisant les pics de consommation. Les réseaux smart homes coalisés avec les nouvelles performances des bâtiments permettront de réduire les factures domestiques. Reste à chiffrer le coût, le rythme et l’ampleur de ces mutations à venir, et bien entendu à en prévoir le transfert des pays industrialisés à ceux en développement, ce qui fut un des grands thèmes de la COP21. Le Fonds vert doté de 100 milliards de dollars à compter de 2020 permettra-t-il d’y pourvoir ? Bien des ONG parlent de sommes bien supérieures : 150, 200 milliards de dollars pour assurer la transition énergétique d’un bonne partie des pays du Sud.

11Sur chacune des sources d’énergie, qu’elles soient conventionnelles ou renouvelables, Jean-Christian Lhomme fait le point complet de la situation, décrit les innovations à venir, compare les coûts, les performances, les installations. Pour ne prendre que l’exemple du charbon (40,3 % de l’électricité mondiale), le rendement des centrales en service hors OCDE est de 30 %, par rapport à 38 % en Europe et en France. Chaque point de pourcentage ajouté au rendement thermique réduit les émissions de CO2 de 2 à 3 %. Ce qui conduirait – sachant que le charbon est responsable de 47 % des émissions mondiales, lesquelles sont proches de 40 gigatonnes de CO2 – à une baisse d’émissions de près de 6 gigatonnes. Un objectif qui est loin d’être négligeable.

12La lecture attentive de ce livre ouvre bien des perspectives. L’énergie mécanique de l’eau, qui est la troisième puissance électrique de la planète, avec 16,3 % de la production mondiale, soit l’équivalent de la consommation totale de l’UE, pourrait doubler sa capacité d’ici 2050. Les seules énergies marines (turbinages des marées, hydroliennes, énergie des vagues, énergie thermique des marées) représentent un potentiel réalisable équivalent à six fois la puissance électrique installée en France. Il en va de même des agro-carburants de seconde génération, du pétrole des micros algues, du bio méthane de deuxième génération, qui ont dépassé le stade expérimental. Éolien, solaire et géothermie, qui forment une triade désormais classique des énergies renouvelables sont appelés à connaitre des bonds technologiques, comme ces aérogénérateurs nouvelle vague deux fois plus grands qu’un Airbus 380, ou les capteurs photovoltaïques installés sur des milliers d’hectares.

13Il apparaît de plus en plus probable qu’à l’horizon 2030-2050, aucune ressource énergétique ne sera en mesure de gérer seule l’approvisionnement de la civilisation. Toutes apparaissent complémentaires et interdépendantes bien plus que concurrentes. Car il s’agira dans tous les endroits de la planète de fournir une énergie propre, stable, quantitativement adaptée aux besoins, conforme à des normes draconiennes de qualité et accessible à bas coût.

L’Energiewende : pari ou succès ?

14On se fait beaucoup de mauvaises idées en France au sujet de la transition énergétique allemande. Dans son ouvrage précité, Jean-Christian Lhomme ne cache pas ses doutes : « nos voisins allemands dépenseraient jusqu’à 1 700 milliards d’euros pour négocier un empannage électrique radical. Cependant dès 2020, l’Allemagne ne serait plus en mesure d’assumer seule sa propre consommation d’électricité et exposerait l’Europe à un blackout. » Dans Transition énergétique, comment fait l’Allemagne, (Les Petits Matins, 2015, 172 pages), Vincent Boulanger, journaliste installé en Allemagne et spécialiste des énergies renouvelables, se montre résolument confiant.

15L’Energiewende, qui dans ses grands traits consiste à sortir définitivement du nucléaire en 2022 et à réduire les émissions de GES de 80 à 95 % d’ici 2050, fixe un objectif pas si éloigné que cela de la loi française sur la transition énergétique qui table sur le facteur 4 (division par 4 des GES), soit une réduction de ceux-ci de 75 %. Mais on voit que l’effort que devra fournir l’Allemagne sera beaucoup plus grand que le nôtre. D’une part, parce qu’elle part d’un niveau d’émissions par tête beaucoup plus élevé que le nôtre, avec 11,2 tonnes équivalent CO2 contre 8 tonnes par habitant en France, alors qu’il leur faudra parvenir toutes deux à un niveau d’émissions de 2 tonnes par an et par habitant en 2050. Certes la part du nucléaire est beaucoup moins importante outre-Rhin qu’en France. La capacité installée y est 2,5 fois moindre qu’en France et le nucléaire ne produit que 29,5 % de l’électricité, soit près de 12 % de la consommation d’énergie primaire. L’Allemagne compte 19 réacteurs en activité dont les tout derniers sont programmés pour être fermés en 2022. La part de l’électricité renouvelable sera portée à 35 % en 2020, 50 % en 2030, 65 % en 2040 et 80 % en 2050. Pour le moment, la sortie programmée du nucléaire profite au charbon dont la part dans la production d’électricité a même augmenté, passant de 41,5 % en 2010 à 44,6 % en 2013, essentiellement en raison de la chute des cours du charbon américain consécutive à la révolution du gaz de schiste. Mais il semble bien condamné à terme, économiquement et politiquement.

16Les centrales au lignite, les plus polluantes, se sont vues assignées 2020 pour terme. Fin 2014, le secteur charbonnier n’employait que 33 500 personnes, mines et production électrique confondues, contre 371 400 en 2013 pour le secteur des renouvelables. L’Energiewende s’est donc fixée les objectifs extrêmement ambitieux d’atteindre une part des renouvelables à hauteur de 18 % de l’énergie totale en 2020 (contre 12,4 % en 2013), puis d’atteindre les 60 % voire les 80 % en 2050. Différents moyens énergétiques sont étudiés à cet effet avec 60 % pour l’éolien, 20 % pour le photovoltaïque, 10 % pour la biomasse et 10 % pour l’hydraulique et la géothermie. Il est difficile de prévoir si de tels objectifs seront réalisés et à quel coût. Toujours est-il que la transition énergétique mobilise de vastes pans de la société allemande ; ses chercheurs, son industrie, ses entreprises publiques et privées, mais aussi les habitants, les régions, les villes, ce qui laisse à penser que l’Energiewende peut réussir.

En Méditerranée, poursuivons les efforts

17En fait, tout autant qu’un problème mondial, la relation énergie/climat est aussi et avant tout une question nationale et régionale. Il reviendra aux divers acteurs étatiques de mettre en place une politique de transition énergétique efficace. L’exemple méditerranéen, passé en revue dans La transition énergétique en Méditerranée (Presses Universitaires de Provence, rives méditerranéennes 2015, 51, 172 pages) l’illustre parfaitement. Cette région, qui réunit les deux rives de la mare nostrum, verra sa consommation augmenter de manière notable au Sud. Pour le moment 22 % des fournitures de pétrole et 37 % de celles du gaz proviennent de la zone. Le potentiel des pays du Sud en matière d’énergies renouvelables ne demande qu’à être exploité. Les heures d’ensoleillement varient de 2 700 à 3 400 heures par an et la radiation annuelle moyenne varie entre 1 900 kilowatt-heures par mètre et par an sur les régions côtières et 3 200 kilowatt-heures par mètre et par an dans le Sud et les régions désertiques. Le potentiel éolien est également élevé, la vitesse de vent variant de 6 à 11 mètres par seconde. Pourtant, ces énergies renouvelables ne se développent qu’à un rythme de 1,7 % par an et il n’est prévu qu’un rythme de 1,9 % d’ici 2025, alors que l’on devrait pouvoir atteindre des rythmes bien supérieurs, de 5 à 10 % par an !

Eugène Berg
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/03/2016
https://doi.org/10.3917/geoec.078.0213
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