CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au-delà de leurs visibilités médiatique et politique et de leurs occurrences variables dans la vie des administrés, les infractions racistes ont également une existence « de papier » dans les archives des tribunaux correctionnels sous la forme d’« affaires » systématiquement classées et consignées [1]. Une fois obtenu le droit de les consulter, les chercheurs découvrent des dossiers plus ou moins épais qui apparaissent sous la forme de produits finis et résultent d’une série de démarches et qualifications policières et judiciaires, le plus souvent déclenchées par le dépôt de plainte d’un administré. Cet article explore les possibilités d’appréhension du traitement judiciaire des infractions racistes à travers une telle source.

2Ces possibilités sont en effet contraintes par la nature même de l’archive judiciaire. Si comme toute archive, elle ne « reflète » rien en elle-même (Farge 1997), sa construction répond à des enjeux définis indépendamment des questionnements sociologiques (Béliard et Biland 2008). Elle est le produit de la mise en œuvre de règles de droit et de jugements plus ou moins explicites par les acteurs des institutions judiciaire et policière qui trient et sélectionnent des données dans les différents supports d’information (plaintes, témoignages, expertises) à leur disposition pour qualifier juridiquement des faits (Dumoulin 2000). L’archive judiciaire se présente aux chercheurs sous une forme scripturale qui peut invisibiliser les tris successifs des policiers et parquetiers qui retranscrivent et qualifient, en les recadrant, les plaintes orales des administrés (Serre 2008 ; Proteau 2012). Comment objectiver en sociologue les logiques qui président au raisonnement judiciaire face aux infractions racistes, à partir d’archives ainsi caractérisées ? C’est à cette question de méthode, inscrite au cœur de la sociologie du droit, que cet article propose des pistes de réponses. Il présente une méthodologie éprouvée dans le cadre d’une enquête collective sur le traitement judiciaire des infractions racistes et qui se situe à l’intersection d’une approche externaliste et internaliste du droit (Israël 2009) : elle permet d’objectiver le raisonnement judiciaire tout en rendant compte des contraintes proprement juridiques qui pèsent sur les acteurs.

3L’article se focalise sur la constitution d’une base de données pour montrer l’intérêt d’adopter une approche à la fois quantitative et qualitative de l’archive judiciaire [2] (Lemercier et Ollivier 2012). En effet, malgré les limites imposées par sa forme scripturale, en tant que compilation de documents de diverses natures (producteurs différents, formats plus ou moins standardisés, registres discursifs mobilisés, etc.), l’archive judiciaire peut faire l’objet d’une variété de comptages et de comparaisons statistiques pour cerner l’« inconscient d’institution » (Spire 2008 : 71). En s’intéressant aux éventuelles régularités dans le raisonnement judiciaire, comme les types d’infraction ou le profil social des plaignants et des individus mis en cause, les chercheurs peuvent alors produire leurs propres statistiques, alors que l’institution judiciaire produit ses propres quantifications (Melot et Pélisse 2009).

4Du fait de la diversité et de la variabilité des documents constituant les dossiers, une série de champs libres dans notre grille de saisie permet d’intégrer des informations non anticipées, verbatims ou métadonnées ne se présentant pas de façon systématique mais sous une forme qualitative enrichissant la compréhension globale des dossiers. Ces éléments qualitatifs ont notamment permis des codages a posteriori de variables clés. Le croisement des données quantitatives et qualitatives permet alors de saisir plus finement le processus judiciaire.

5L’article expose d’abord les richesses et les limites d’une base de données dont la source première est de nature institutionnelle. Il défend ensuite successivement deux stratégies pour faire parler cette source dans une perspective sociologique : la première vise à la construction d’un indicateur pour cerner l’entendement judiciaire, la seconde à l’établissement de variables testant la pertinence de l’ethnicité pour éclairer le traitement judiciaire d’une affaire.

De la source institutionnelle à la base de données

6L’enquête repose sur des affaires judiciaires archivées. L’existence d’une demande institutionnelle de savoirs a facilité l’accès à ces dossiers, tout en faisant peser un risque de dépendance à l’égard du cadrage institutionnel. La nature même de cette source produite par des agents de police et parquetiers, transcrivant des informations nécessaires à leur activité, a constitué un second risque d’orientation des données saisies. Un travail de sélection et d’enrichissement continu de la base de données à partir de nouvelles variables construites par les chercheurs permet de contourner ces contraintes et de démultiplier les niveaux d’analyse des infractions racistes.

Une source institutionnelle

7Alors que des enquêtes sociologiques documentent la mise en œuvre du droit dans des domaines variés (droit des étrangers ou droit pénal par exemple) et que les hate crime studies forment un champ d’étude institutionnalisé dans le monde académique anglophone (Hall 2009), les travaux français s’intéressent peu à la mise en œuvre de la législation antiraciste (lois du 1er juillet 1972 [3], du 3 février 2003 [4] et du 27 janvier 2017 [5]). C’est à cette lacune qu’entend répondre l’enquête.

8Des demandes d’accès aux dossiers avec garantie de l’anonymat ont été adressées à quatorze tribunaux dans toute la France, de tailles diverses et de juridictions plus ou moins marquées par l’histoire de l’immigration. Sept n’ont pas répondu, quatre ont refusé pour divers motifs (absence de ressources matérielles et humaines, « absence d’infraction à caractère raciste [sic] », trois ont accepté, délimitant trois zones géographiques hétérogènes socialement : la zone du tribunal T1 inclut une ville moyenne en déclin démographique ainsi que des espaces péri-urbains et ruraux ; celle du tribunal T2 est en partie urbaine, en partie rurale ; celle du tribunal T3 est péri-urbaine, se situant à la périphérie d’une grande métropole. L’enquête sur les archives s’est organisée dans ces trois tribunaux [6].

9Notre base de données repose sur l’exploitation de 500 affaires (repérées grâce au logiciel Cassiopée [7]), inégalement réparties entre les trois juridictions en raison de leur taille et de leurs différences dans l’usage du logiciel, l’entretien des archives et l’intérêt porté à la question du racisme. À partir de la liste d’affaires potentielles, un sous-échantillon a été codé, dans lequel les années sont inégalement documentées : les affaires correspondent aux années 2006-2015 pour le T1, 2014-2015 pour le T2 et 2010-2015 pour le T3 (Tableau 1). Si le traitement est exhaustif pour les tribunaux T1 et T2, il repose sur un échantillon pour le tribunal T3 [8].

Tableau 1

L’échantillonnagea,b

T1T2T3Total
Affaires potentielles38844401833
Affaires échantillonnées38844249 b681
Affaires non trouvéesa1132741181
Affaires codées27517208500

L’échantillonnagea,b

a : Il arrive que des affaires listées dans Cassiopée ne figurent pas à leur emplacement dans les archives : elles peuvent avoir été perdues, empruntées par un magistrat ou avoir été mal rangées.
b : L’échantillon comprend tous les jugements, tous les classements sans suite (CSS) de 2010 et 2011 (car peu nombreux) et tous les CSS pour motifs a priori intéressants pour expliquer la qualification judiciaire du racisme (comme « préjudice peu important » et « irresponsabilité pénale »). Les autres affaires potentielles ont été échantillonnées de manière aléatoire.
Source : Enquête « Des paroles et des actes : la justice face aux infractions racistes » (DPDA) 2017, n = 500 affaires.

Une contribution aux statistiques sur les infractions racistes

10Ne traitant par définition que des affaires ayant fait l’objet de plainte et enregistrées [9], notre base de données éclaire un angle mort des statistiques existantes sur les infractions racistes. Par rapport aux statistiques sur la délinquance, produites par les agents de police et de gendarmerie et centralisées par le service statistique du ministère de l’Intérieur (Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, SSMSI), elle documente bien plus précisément le travail judiciaire. L’accès direct aux dossiers permet en effet de contextualiser les faits décrits et de retracer la trajectoire des affaires, des dépôts de plainte à leurs issues, là où les statistiques du SSMSI ne font qu’état des types de faits enregistrés. Notre base permet de spécifier les lieux des infractions qui surviennent dans nos juridictions : dans la rue, pour 26 % d’entre elles, dans un lieu privé (19 %), dans les parties communes d’immeubles (17,6 %), dans des commerces (8,6 %) ou encore dans les transports en commun (3 %).

11Notre base permet aussi de caractériser socialement les acteurs impliqués (plaignants, mis en cause et témoins). Elle comporte un volet « affaires » couplé à un volet « individus ». Si les enquêtes de victimation comme « Cadre de vie et sécurité » (CVS), dont les angles morts sont au demeurant connus (Zauberman 2015), renseignent le rapport subjectif des victimes à la démarche judiciaire [10], nos archives ne donnent que rarement accès aux plaignants et à leur parole : seuls 5 % des affaires déclenchées par des courriers adressés par les plaignants au parquet donnent un accès direct à leur parole. La principale limite d’une telle base est donc la faible visibilité de la subjectivité des plaignants. La place du qualitatif dans notre grille de saisie permet cependant de documenter les représentations que les policiers peuvent se faire des administrés en dehors des seules règles de droit qu’ils sont censés mettre en œuvre [11]. Entre les registres administratifs de suivi statistique des activités policières et les enquêtes de victimation directes sur échantillon, notre base de données documente ainsi le traitement judiciaire des plaintes des administrés (Desrosières 2005).

12Enfin, ces données se distinguent de celles de CVS, qui s’appuie sur un échantillon représentatif du recensement, ou d’enquêtes qui portent directement sur le racisme et les discriminations, comme « Trajectoires et origines » (Beauchemin, Hamel et Simon 2010) [12]. Par rapport à ces enquêtes, l’entrée par la nature des infractions permet de ne pas présumer qui peut être amené à porter plainte pour racisme et de cerner au plus près l’acception judiciaire du racisme [13].

Des affaires aux individus

13Face à une source institutionnelle, la principale difficulté consiste à « travailler sur des données qui ont été construites pour un usage professionnel étranger aux problématiques du chercheur » (Béliard et Biland 2008 : 107). L’introduction de nouvelles variables permet le « détournement » de ces données. Cette opération passe par la construction de deux objets distincts, mais intimement liés, dans une même base : le traitement institutionnel du racisme et les interactions conflictuelles à connotation raciale.

14Dans la mesure où notre base de données s’appuie sur des archives principalement produites par des agents institutionnels, on y trouve les informations que ces derniers estiment nécessaires à la qualification des faits. Nous avons sérié et codé des informations relatives aux individus mis en cause et aux plaignants (état civil, niveau d’études, métiers exercés, situation familiale, nationalité, casier judiciaire, etc.), les institutions produisant un véritable « savoir biographique » (Béliard et Biland 2008 : 107). D’autres informations portent sur les faits (date et lieu, nature, etc.) et leur mise en récit par les différents acteurs au fil des auditions. On recueille ainsi une multiplicité de points de vue sur un même événement. La base de données est également enrichie d’informations sur le travail policier et judiciaire : durée de l’enquête, recours à différentes expertises, etc. Elle offre des appuis pour expliquer comment les infractions racistes sont interprétées. Ces aspects sont contenus dans le volet « affaires », qui se caractérise par son entrée « par le dossier ».

15Par ailleurs, les informations recueillies par les policiers ont été sériées et codées pour étudier les situations conflictuelles dénoncées comme racistes. Nous avons construit plusieurs variables pour décrire les acteurs interrogés dans les différentes affaires, selon des catégories qui ne sont plus celles des policiers et parquetiers. Celles spécifiant les relations entre acteurs (nature des relations, existence d’un rapport hiérarchique ou de subordination, etc.) ouvrent ainsi la voie à une sociologie des auteurs et victimes du racisme. Elles apparaissent dans le second volet qui porte sur les « individus ». À titre d’exemple, à partir du constat que les policiers commentaient parfois les relations entre protagonistes (« il existe un passif entre plaignant et mis en cause ») ou encore de notre surprise face à l’importance du nombre de plaintes entre voisins, nous avons codé le type de relation entre plaignant et mis en cause selon six modalités, à partir des éléments glanés dans les procès-verbaux de synthèse des policiers : « proches », « travail, scolaire », « voisinage », « administrative », « connaissance lointaine », « aucune relation ». Ainsi, la grande majorité des faits dénoncés surviennent dans un cadre d’interconnaissance : celui de relations de voisinage dans 23,8 % des cas, de relations de travail (15,6 %), de relations administratives (6 %), de relations entre proches (5,4 %)… En bref, comme d’autres infractions et notamment les violences faites aux femmes, les conflits à connotation raciale faisant l’objet de plainte surviennent rarement entre inconnus (un peu moins d’un tiers dans notre cas).

Objectiver les contours de l’entendement judiciaire face aux infractions racistes

16Dans quelle mesure l’exploitation de cette base permet-elle d’identifier des régularités dans le traitement judiciaire des infractions racistes, au-delà de la mise en œuvre des règles de droit ? Peut-on observer un éventuel « inconscient d’institution » (Spire 2008 : 71) ? S’il est possible à la lecture des dossiers de distinguer matériellement la phase « police » de la phase « parquet » du processus judiciaire, il est malaisé de distinguer deux éthos institutionnels. C’est pourquoi nous avons opté pour une définition plus lâche de « l’inconscient institutionnel » qui ne renvoie pas à un sens pratique incorporé des agents d’une institution (police ou parquet), mais à un entendement partagé par policiers et parquetiers, dont on identifie les contours à partir d’une première analyse des issues judiciaires, grâce à l’introduction de variables originales.

Créer son propre indicateur pour mesurer la non-qualification du racisme

17S’interroger sur le traitement judiciaire des infractions racistes peut se décliner à travers la question suivante : les parquets donnent-ils moins souvent suite aux plaintes pour racisme qu’aux autres plaintes ?

18L’institution judiciaire dispose de son propre indicateur, le taux de réponse pénale [14], qui traduit le rapport entre affaires effectivement poursuivies et affaires poursuivables. Ces dernières se distinguent des affaires dites non poursuivables en raison de motifs tels que « absence d’infraction », « infraction insuffisamment caractérisée » ou divers motifs juridiques (listés dans le Tableau 5 en annexe). Mais les affaires poursuivables se subdivisent par ailleurs entre celles considérées par le parquet comme « opportunes » ou au contraire « inopportunes », c’est-à-dire pour lesquelles il manque des éléments permettant de poursuivre un individu mis en cause. Autrement dit, « classements sans suite » et « affaires non poursuivables » ne renvoient pas exactement aux mêmes affaires : les secondes ne constituent qu’une partie des affaires « classées sans suite ». Le taux de réponse pénale permet de constater que, dans les tribunaux étudiés, la réponse pénale moyenne pour l’ensemble des infractions est plus élevée que celle pour les infractions racistes. Pour T1, de 2008 à 2015, elle est de 93,9 % contre 77,5 % pour les infractions racistes ; pour T3, de 2013 à 2015, elle est de 89,01 % contre 71,5 % [15].

19Si cet indicateur met en évidence un écart important entre le traitement des infractions en général et celui des infractions racistes, il ne permet pas de documenter le raisonnement judiciaire au-delà de la stricte mise en œuvre de règles de droit. La construction de ce taux exclut du calcul les affaires « non poursuivables », laissant dans l’ombre des motifs de classement a priori révélateurs de l’appréciation d’une affaire par les acteurs du processus judiciaire, comme « absence d’infraction » ou « infraction insuffisamment caractérisée » (Figure 1), qui par ailleurs figurent parmi les principaux motifs mobilisés par les parquets pour classer sans suite une affaire dans laquelle le racisme a été invoqué par le plaignant.

Figure 1

Construction du taux de réponse pénale

Taux de réponse pénale
Définition : Rapport entre affaires poursuivies et affaires poursuivables
Détails :
* Affaires poursuivables = total des affaires − affaires non poursuivables
* Affaires non poursuivables = affaires estimées non poursuivables en raison des motifs :
  1. « absence d’infraction »
  2. « infraction insuffisamment caractérisée »
  3. « motifs juridiques »
  4. « auteur inconnu »
Motifs pris en compte pour dénombrer les affaires non poursuivables
Motifs dont le choix implique une évaluation du fond de l’affaireMotifs dont le choix n’implique aucune évaluation du fond de l’affaire
  • Absence d’infraction
  • Infraction insuffisamment caractérisée
* Motifs juridiques (liste non exhaustive) :
  • extinction de l’action publique : retrait de la plainte
  • extinction de l’action publique : irrégularité de la procédure
* Auteur inconnu

Construction du taux de réponse pénale

Lecture : Les « affaires non poursuivables » agrègent indifféremment celles dont le motif de classement implique une appréciation du fond de l’affaire et celles dont le motif de classement n’en implique pas.

20En agrégeant des motifs impliquant une appréciation subjective de la part des policiers ou des parquetiers et d’autres qui n’en impliquent pas, et en excluant par ailleurs des motifs potentiellement révélateurs d’une telle appréciation, la quantification qu’opère l’institution judiciaire s’avère problématique pour qui s’intéresse justement à la marge d’interprétation des magistrats face aux faits qu’ils ont à qualifier.

21Malgré son apparente objectivité, le choix des motifs « absence d’infraction » et « infraction insuffisamment caractérisée » découle d’une différence d’appréciation entre le plaignant et le substitut du procureur quant à la caractérisation juridique des faits. Par exemple, une injure est perçue comme raciste par un plaignant, enregistrée comme telle lors de la plainte, mais le parquet jugera, finalement, l’« infraction insuffisamment caractérisée ». Or, la construction du taux de réponse pénale ne distingue pas les motifs « absence d’infraction » et « infraction insuffisamment caractérisée » des motifs juridiques ou du motif « auteur inconnu » pour lesquels nous estimons qu’il n’y a pas de marge d’interprétation. La volonté d’identifier l’appréciation du magistrat à travers le choix des motifs de classement nous a donc amenés à construire un indicateur qui repose sur la distinction des motifs avec ou sans appréciation du fond de l’affaire par le magistrat.

22Pour saisir les raisons des classements sans suite à partir du dépouillement des archives judiciaires, nous avons donc construit un indicateur : le taux de classement sans suite pour infraction raciste non confirmée (CSS IRNC). Il renvoie au rapport entre les affaires pour infraction raciste non confirmée et l’ensemble des plaintes pour racisme. Les affaires pour infraction raciste non confirmée ne comprennent que celles qui ont été classées pour un motif impliquant une appréciation de l’affaire, c’est-à-dire : « absence d’infraction », « infraction insuffisamment caractérisée », « comportement de la victime » et « préjudice peu important » (Figure 2). Autrement dit, cet indicateur s’appuie sur le décalage entre le point de vue du plaignant et l’appréciation du parquet. Ce sont deux évaluations différentes d’une même « situation (non) raciste » qui se confrontent et qu’il s’agit d’analyser.

Figure 2

Construction du taux de css irnc

Taux de CSS IRNC
Définition : Rapport entre affaires pour infraction raciste non confirmée (IRNC) et l’ensemble des plaintes pour racisme Détails :
* Affaires IRNC = total des affaires non poursuivies pour des motifs impliquant une évaluation du magistrat en raison des motifs :
  1. « absence d’infraction »
  2. « infraction insuffisamment caractérisée »
  3. « poursuites inopportunes : comportement de la victime »
  4. « poursuites inopportunes : préjudice ou trouble peu important causé par l’infraction »

Construction du taux de css irnc

Lecture : Les IRNC ne comprennent que les infractions dont le motif de classement implique une appréciation du fond de l’affaire.

23On le voit, le taux de réponse pénale ne donne pas accès aux mêmes informations que le taux de CSS IRNC. Le premier permet la comparaison avec le traitement des autres affaires, ce qui est par définition impossible pour le taux de CSS IRNC. En revanche, l’intérêt de ce second indicateur est d’isoler les affaires classées qui donnent accès au raisonnement judiciaire, au-delà de la mise en œuvre des seules règles de droit, en les distinguant des « autres CSS », c’est-à-dire des affaires classées pour des motifs techniques comme l’extinction de l’action publique ou « auteur inconnu ».

24Dans l’ensemble des trois tribunaux, cette non-confirmation correspond précisément à 31,6 % des 500 affaires dépouillées (Tableau 2). Après les « autres CSS » (38,6 %), le CSS IRNC correspond donc à l’issue la plus représentée sur notre échantillon. Son poids est plus élevé que les alternatives aux poursuites [16] et les poursuites au tribunal rassemblées (26 %).

Tableau 2

Issues judiciaires des affaires

Effectifs%
Autres CSS19338,6
CSS IRNC15831,6
Tribunal7014
Alternatives aux poursuites6012
NR193,8
Total500100

Issues judiciaires des affaires

Note : Sur les 500 dossiers, 19 n’indiquent pas l’issue des affaires, sans que l’on sache si elles n’ont pas été traitées jusqu’au bout ou si elles ont été archivées partiellement, par erreur.
Source : Enquête DPDA 2017, n = 500 affaires.

Les définitions implicites du racisme à travers l’analyse statistique

25Nous avons souhaité identifier les facteurs pouvant influencer les CSS IRNC, par exemple le type d’infraction. Comme pour l’ensemble des infractions, les violences sont plus rarement classées sans suite que les infractions sans atteintes aux personnes. Mais l’analyse de variables construites a posteriori, comme la nature des relations entre protagonistes, permet d’aller plus loin. Si la très grande majorité des plaignants connait les acteurs mis en cause, la sur-représentation de classements IRNC parmi les dossiers où ils entretiennent des relations de proximité (voisinage, travail, relations amicales, amoureuses et familiales) montre la pertinence de cette variable relationnelle (Tableau 3).

Tableau 3

Les issues judiciaires pour les mis en cause selon le type de relation entre plaignant et mis en cause dans le processus judiciairea,b

Tableau 3
Type de relation entre plaignant et mis en cause Effectifs Non renseigné (%) Autres CSS (%) CSS IRNC (%) Alternative aux poursuites et poursuites (%) dont affaires au tribunal (%) dont coupables (%) Ensemble des mis en cause (%) Voisinage 136 5,9 26,5 42,6 25 7,4 4,4 100 Aucune relation 125 1,6 20 36,8 41,6 30,4 16 100 Travail / Scolaire 84 2,4 32,1 44 21,4 10,7 8,3 100 Proches a 26 0 38,5 42,3 19,2 7,7 3,8 100 Connaissance lointaine 26 11,5 23,1 15,4 50 26,9 11,5 100 Administrative b 25 4 24 28 44 40 20 100 NR 36 0 22,2 25 52,8 27,8 5,6 100 Ensemble 458 3,5 25,8 37,6 33,2 18,8 9,6 100

Les issues judiciaires pour les mis en cause selon le type de relation entre plaignant et mis en cause dans le processus judiciairea,b

a : Comprend les relations amicales, amoureuses, familiales.
b : Comprend les relations de services publics y compris avec la police ou en prison.
Note : Test exact de Fischer [17] sur le tableau de contingence sans les colonnes « dont affaires au tribunal » et « dont coupables » : p-value = 7,999992e-06.
Source : Enquête DPDA 2017. Calculs basés sur l’ensemble des 458 individus mis en cause pour lesquels on dispose d’au moins une information.

26Les affaires concernant des personnes qui jusque-là ne se connaissaient pas tendent à être surreprésentées de façon très significative au fil du processus judiciaire : 30,4 % des mis en cause ne connaissant pas la victime passent au tribunal contre 18,8 % de l’ensemble des mis en cause ; 16 % sont jugés coupables contre 9,6 % de l’ensemble des mis en cause. L’évolution est inverse pour les affaires de voisinage : 7,4 % des mis en cause ayant des relations de voisinage avec les victimes comparaissent en audience et 4,4 % sont jugés coupables. Par ailleurs, et c’est un résultat notable, les affaires entre voisins sont plus souvent classées sans suite pour IRNC (42,6 % des mis en cause concernés pour 37,6 % de l’ensemble des mis en cause). Il en va d’ailleurs de même pour les relations entre proches. Notons que le cas des relations administratives est particulier : si les individus mis en cause dans ce type d’affaires sont plus souvent poursuivis au tribunal et plus souvent condamnés, c’est parce qu’il s’agit majoritairement de configurations où les plaignants sont policiers, gardiens de prison ou fonctionnaires au guichet d’un service public. Les mis en cause sont alors plus souvent poursuivis parce que la parole du fonctionnaire est jugée plus crédible (c’est même du « flagrant délit » lorsqu’il s’agit d’un policier ou gendarme), facilitant l’administration de la preuve. Cependant, la faiblesse des effectifs de ces cas de figure invite à la prudence et doit conduire à les analyser en détail, et de manière qualitative.

27L’existence de conflits, autre variable construite a posteriori, met en lumière un point notable : la non-confirmation de l’infraction raciste concerne 45,5 % des individus mis en cause pour lesquels un conflit antérieur avec le plaignant est précisé dans le dossier [18]. La variable « provocation du plaignant », que nous avons construite pour distinguer les affaires où la personne mise en cause justifie ses propos ou actes en raison d’une « provocation » du plaignant, produit des résultats qui vont dans le même sens.

28À travers ces quelques résultats se dessinent les contours de la définition professionnelle de ce que devrait être une infraction raciste pour pouvoir être confirmée : une interaction conflictuelle (accompagnée d’injures et/ ou de violences physiques) entre des protagonistes qui ne se connaissent pas, n’ont pas eu de conflit antérieur et où l’individu mis en cause ne peut arguer d’une « provocation » ou d’une réaction (insulte ou violence) du plaignant [19]. Avoir des antécédents judiciaires – et ce, quelle que soit la nature des infractions passées (racisme ou non) – augmente les chances de répression de l’infraction, c’est-à-dire les chances que l’institution judiciaire reconnaisse l’infraction raciste [20].

29Pour les acteurs du processus judiciaire, la « gratuité » d’une agression indique son caractère potentiellement raciste et à l’inverse, un comportement « inapproprié » du plaignant (existence de conflits antérieurs, « provocation ») réduit ses chances d’être reconnu comme victime de racisme. L’infraction raciste semble ainsi reposer sur l’identification d’une « bonne victime ». Quant aux auteurs, les procureurs expliquent leurs réticences à faire découler des seules insultes racistes, même avérées, une qualification allant dans ce sens. Dans les entretiens, les magistrats distinguent les injures raciales d’individus « en colère » dans une situation de conflit, des injures racistes d’individus dont la politisation à l’extrême droite est connue :

30

« Vous avez des gens qui disent des choses horribles sans forcément avoir une motivation raciste derrière. Ils ont dit ça comme ils auraient pu dire autre chose. »
(Entretien avec un substitut du procureur, 18 mai 2017)

31Injurier racialement un individu ne suffit donc pas à révéler une motivation raciste. Or, dans les cas étudiés par la littérature étasunienne (Franklin 2002) comme dans nos affaires, on est interpellé par le caractère banal et quotidien des situations conduisant aux agressions racistes. Ce type de classement permet de repérer l’inconscient administratif à l’œuvre dans le travail de qualification du racisme en même temps qu’il met en jeu des définitions distinctes du racisme entre ceux qui estiment l’avoir subi et ceux qui sont chargés de le traiter [21].

L’ethnicité, un facteur d’objectivation du traitement judiciaire des infractions racistes ?

32Une seconde approche du traitement judiciaire emprunte à une tradition de recherche qui va au-delà du raisonnement juridique selon lequel le droit traite d’individus désincarnés. Sans s’y réduire, les travaux sur la justice et la police pointent les inégalités de classe que le traitement institutionnel des administrés perpétue (Herpin 1977) et les discriminations ethno-raciales qu’il (re) produit (Jobard et al. 2013). Dans la lignée des travaux s’intéressant aux caractéristiques sociales des protagonistes des infractions, notre parti pris a consisté à objectiver un nombre varié d’informations sur les individus de notre échantillon pour tester l’hypothèse d’une justice reproduisant des inégalités, au-delà d’un réductionnisme classiste (Sabbagh 2010). Prendre en compte la caractérisation des protagonistes permet par ailleurs de poursuivre l’objectivation du traitement judiciaire face au racisme.

L’insuffisance de la classe sociale pour caractériser les individus

33Les dossiers judiciaires permettent de situer mis en cause et plaignants dans l’espace socio-professionnel. Leur profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) a été codée d’après la profession déclarée [22]. À partir du niveau 2 de la nomenclature des PCS de l’INSEE, le recodage en trois grandes catégories (« classes populaires », « classes moyennes » et « classes supérieures ») situe les individus dans l’espace social hiérarchisé. Bien que la PCS n’ait pas été renseignée pour 38,6 % des mis en cause et pour 36,2 % des victimes, cette caractérisation des individus vient confirmer les résultats des travaux sur la « justice de classe ».

34Les plaintes concernent des individus appartenant principalement aux « classes populaires » (42,8 % des mis en cause [23] et 36 % des victimes [24]). La répartition par classe sociale des individus mis en cause peut être détaillée en fonction des issues judiciaires. Quand les mis en cause appartiennent aux classes populaires, 40,8 % des affaires font l’objet d’un CSS IRNC, 36,2 % d’alternatives aux poursuites et de poursuites, dont 19,9 % au tribunal, et 12,8 % font l’objet d’une condamnation. Pour les classes supérieures, ces taux sont respectivement de 43,2 %, 21,6 %, 18,9 % et 5,4 %. C’est donc au tribunal que le fait d’appartenir aux classes populaires pèse défavorablement sur le sort de l’individu mis en cause.

35Si ces premiers résultats, reposant au demeurant sur des taux de renseignement relativement faibles, présentent le traitement judiciaire du racisme sous un jour familier aux travaux sur la justice, ils ne s’appuient que sur un seul type de catégorisation sociale des individus de l’échantillon. Sans préjuger de la pertinence de l’ethnicité de celles et ceux qui se retrouvent impliqués dans de telles affaires, différents facteurs penchent en faveur de la prise en compte de cette variable. Premièrement, des enquêtes ont mis en évidence que le cadre légal républicain a pu s’articuler avec des représentations racialisées de la population administrée par les pouvoirs publics, en métropole comme dans les colonies et dans des contextes inégalement « aveugles à la race » (Blévis 2001 ; Hajjat 2012 ; Larcher 2015 ; Brahim 2017). Deuxièmement, concernant spécifiquement le traitement judiciaire d’infractions de diverses natures, d’autres enquêtes documentent la place de références différencialistes et racialisantes dans les pratiques des professionnels de la justice et des forces de l’ordre (Fassin 2015 ; Gauthier 2015 ; Bessière et al. 2018). Enfin, les dossiers qui constituent la source principale de cette enquête sont de part en part traversés par des catégorisations raciales ordinaires : à travers la dénonciation des infractions par les plaignants [25] et comme catégories professionnelles indigènes des forces de l’ordre.

36L’exploration des dossiers judiciaires donne ainsi à voir l’écart entre les catégories légitimes de lecture du monde social pour les représentants de l’État et celles qui peuvent être effectivement mobilisées dans les pratiques professionnelles. Si l’action publique, le droit et plus généralement le référent républicain sur lequel ils s’appuient sont colorblind, cet écart se manifeste dans nos dossiers à travers les catégories d’« Européen », « Nord-Africain », « Maghrébin », « Africain », plus rarement « négroïde », mobilisées pour identifier des suspects. Il se manifeste aussi à travers les ressources des agents de police, comme le logiciel d’exploitation du Système de traitement des infractions constatées (STIC-Canonge). Distinguant douze « types » d’apparence physique (Jobard et al. 2013), il est dans nos dossiers utilisé pour retrouver des suspects.

37La caractérisation des acteurs par leur seule classe sociale ne permet pas de rendre compte des effets possibles de ce référent racial, omniprésent dans les dossiers. Il s’agit donc d’en tester le caractère opérant.

Coder l’ethnicité pour tester ses effets sur le traitement différencié des acteurs…

38Comment coder l’ethnicité ? Si c’est bien de la construction sociale de frontières que naissent les groupes ethnicisés (Streiff-Fenart et Poutignat 1995), cela ne signifie pas que l’ethnicité n’ait pas d’existence sociale, comme en témoignent les discriminations ethno-raciales [26]. Il s’agit donc d’identifier les populations susceptibles de faire l’objet de telles discriminations lors du processus judiciaire. Cet objectif n’a pourtant rien d’anodin comme en témoignent, en France, les débats sur la pertinence des catégories ethniques. Pointant les risques d’essentialisation des individus et de leurs comportements (Spire et Merllié 1999 ; Simon 2003), ils invitent à penser étroitement l’usage et la pertinence de ces catégories avec les modalités de leur construction.

39Pour éviter le risque d’essentialisation, nous avons élaboré une triple catégorisation de l’ethnicité. La catégorie assignée renvoie à l’identification d’un individu par un autre (Avanza et Laferté 2005). Les indices les plus évidents de l’ethnicisation des acteurs, et en particulier des plaignants, sont les injures raciales, recueillies systématiquement dans la section qualitative du masque de saisie et regroupées selon douze modalités [27]. Mais l’assignation ne dit rien des catégories d’auto-perception des mis en cause et des plaignants [28]. La catégorie revendiquée renvoie alors aux groupes auxquels les individus s’identifient. Le taux de renseignement est, sans surprise, bien plus faible pour les catégories revendiquées (13,5 % des mis en cause et 10 % des plaignants) qu’assignées (81,8 % des victimes). S’il est donc malaisé d’utiliser ces deux catégories pour un traitement statistique, elles ouvrent néanmoins la voie à des exploitations qualitatives intéressantes, au-delà de leur intérêt pour l’objectivation du traitement judiciaire. La catégorie « informationnelle » s’appuie quant à elle sur la combinaison d’informations de l’état civil [29]. Cette troisième catégorie permet d’enrichir la caractérisation des protagonistes. Concernant les individus mis en cause en particulier, qui sont faiblement caractérisés par la revendication et par l’assignation, elle offre une précision qui permet de pallier le manque notable d’indication concernant leur ethnicité.

La catégorisation « informationnelle »

Dans leur enquête sur la ségrégation au collège, Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton choisissent les prénoms des collégiens comme « indicateur indirect » de leur ethnicité, prénoms qu’ils croisent avec la nationalité (Felouzis, Liot et Favre-Perroton 2007). Fabien Jobard et Sophie Névanen mobilisent le même type de méthode pour les personnes interpellées pour des infractions à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique, à partir des lieux de naissance et des noms ou prénoms (Jobard et Névanen 2007). Ces indices restent imparfaits : il existe des individus nés en France, de prénoms et noms chrétiens et français, par ailleurs « noirs » et qui se retrouveraient dans la catégorie « Européen » ou « Français ». Malgré ces limites, nous avons adopté ces mêmes modalités de codage qui restent les seules à permettre de saisir l’ethnicité des individus via la médiation d’archives. Mais elles sont complétées par d’autres variables disponibles dans nos dossiers. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur les lieux de naissance, la nationalité, les noms et prénoms des individus de notre échantillon ainsi que ceux de leurs parents. L’agrégation de ces informations permet de minimiser les risques de la logique indiciaire. Les catégories informationnelles obtiennent un taux de renseignement supérieur aux catégories assignées et revendiquées : 94,8 % pour les mis en cause et 98,9 % pour les victimes.
Les modalités de l’ethnicité présentées ici sont larges et regroupent, de fait, plusieurs origines régionales :
– « Blancs - Français » : de nationalité française et nés en métropole, à l’exclusion des individus entrant dans les autres catégories ;
– « Maghrébins - Arabes » : d’origine algérienne, marocaine, tunisienne, autres pays de langue arabe ;
– « Noirs » : d’origine angolaise, béninoise, cap-verdienne, comorienne, congolaise, gabonaise, guinéenne, ivoirienne, mahoraise, malgache, malienne, mauritanienne, nigériane, sénégalaise, sierra-léonaise, togolaise, et originaires des Antilles ;
– « Autres Européens - Blancs » : d’origine allemande, autrichienne, belge, bulgare, britannique, espagnole, italienne, polonaise, portugaise, roumaine, russe, slave ;
– « Autres » : d’origine argentine, arménienne, brésilienne, cambodgienne, thaïlandaise, turque, vénézuélienne, vietnamienne.
Quelques précisions s’imposent :
– « Origines régionales » est une expression imparfaite mais que nous avons préférée à « groupe ou origine nationale ». Il s’agit en effet de rassembler des individus parce qu’ils et/ou leurs parents sont natifs ou originaires d’un État ou groupe d’États de la même région, et/ou que leurs patronymes y sont usuels. Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’indices de l’ethnicité. Ainsi, qu’eux-mêmes ou leurs parents possèdent la nationalité d’un pays est un indice, non exclusif, et parmi d’autres, de l’ethnicité. En d’autres termes, nous ne cherchons pas par exemple à identifier les protagonistes qui, dans l’interaction, seraient perçus comme Algériens ou Italiens. Nous cherchons à identifier ceux qui sont perçus, en suivant le même exemple, comme « Maghrébins - Arabes » ou « Européens - Blancs ».
– « Blancs - Français » et « Autres Européens - Blancs » ont été distingués pour nous donner les moyens d’analyser des infractions à l’encontre d’« Européens blancs » dans les exploitations à venir de la base de données.
– Après avoir codé « Maghrébins », nous avons fini par adopter la catégorie plus large « Maghrébins - Arabes » en raison de la présence dans nos dossiers d’individus originaires de pays arabophones hors Maghreb et de Maghrébins potentiellement non arabophones. Ce choix repose sur l’hypothèse que, dans des interactions quotidiennes potentiellement ethnicisées, les individus ne font pas nécessairement la distinction.
– Enfin, que des individus soient noyés dans ces catégories larges n’exclut pas de décrire au plus près les types de racisme. Par exemple, racisme anti-Italiens ou anti-Portugais sont repérables grâce aux catégories assignées. C’est tout l’intérêt d’avoir démultiplié les types de catégorisation.

40L’ethnicité « informationnelle » ainsi codée a bien des effets : quand les plaignants sont « Maghrébins - Arabes », 45,2 % des affaires font l’objet d’un CSS IRNC, 29,7 % sont poursuivies, dont 11,6 % au tribunal qui mènent à 9 % de condamnations. Quand les plaignants sont « Français - Blancs », 32,9 % des affaires font l’objet d’un CSS IRNC, 40 % sont poursuivies, dont 28,6 % au tribunal menant à 10 % de condamnations. Les taux de condamnation de ces affaires sont comparables mais, tout au long du processus, être un plaignant « maghrébin - arabe » pèse défavorablement sur l’issue judiciaire. Quant aux mis en cause, quand ils sont « Français - Blancs », le taux de CSS IRNC est moins élevé (36,3 %) que pour les « Maghrébins - Arabes » (42 %), mais les taux respectifs sont proches pour les poursuites, dont celles au tribunal, et les condamnations.

41Ces quelques résultats soutiennent l’hypothèse des effets différenciés de l’ethnicité sur le processus judiciaire, hypothèse confirmée par l’analyse de régression logistique, toutes choses égales par ailleurs (Hajjat, Keyhani et Rodrigues 2019). La prise en compte de l’ethnicité des protagonistes des affaires donne donc à voir des différences de traitement des administrés que la seule classe sociale ne suffit pas à révéler. Ce ne sont pas seulement les plaignants des classes supérieures qui ont le plus de chance de voir l’infraction raciste confirmée lorsqu’ils déposent plainte, ce sont par ailleurs les plaignants « français - blancs ». Ces différences de traitement ne se manifestent pas de façon unilatérale ; l’ethnicité des protagonistes n’a pas d’effet homogène sur leur sort judiciaire. Ainsi, les effets propres de l’ethnicité sont différenciés : tout d’abord entre plaignants et individus mis en cause, mais aussi en fonction de l’étape de la procédure. La prise en compte de l’ethnicité vient ainsi complexifier les logiques de traitement des administrés par l’institution judiciaire.

42… et documenter les définitions du racisme à travers le traitement judiciaire Au-delà de l’enjeu de l’égalité des administrés face à la justice, l’ethnicité révèle aussi d’autres dimensions de la définition implicite du racisme telle que nous l’avons mise en évidence grâce à l’indicateur IRNC.

43Nous avons montré qu’à travers le traitement judiciaire, le racisme tendait à être défini comme une interaction conflictuelle entre inconnus. La description des protagonistes permet d’aller plus loin. Appréhendé sociologiquement, le racisme apparaît comme un rapport de domination et de pouvoir qui opère par racialisation des acteurs (Guillaumin 1972) et qui se construit comme un rapport entre majorité et minorités (Wirth 1941), définies selon des catégories racialisées. Une telle approche conduit alors à préciser qu’en France, le racisme cible les minoritaires « non blancs ». Cela a pour conséquence de distinguer le racisme ainsi défini des violences verbales et physiques à connotation raciale à l’encontre de « Blancs », par exemple à travers la catégorie d’« hostilité anti-“Blanc” ».

44Or, dans notre échantillon, si les « Français - Blancs » et « Européens - Blancs » constituent la majorité des mis en cause (respectivement 48,7 % et 15,3 %), on note aussi une représentation non négligeable des minoritaires (30,8 %) et ce, à tous les niveaux de la procédure. Cela peut être lu en termes de « clientèle pénale » des institutions policières et judiciaires (Jobard et Névanen 2007), c’est-à-dire de la propension de ces dernières à traiter et juger plus sévèrement les mis en cause les plus démunis et les plus marginalisés, en l’occurrence les populations minoritaires. Mais cela montre aussi, par définition, que les plaintes pour racisme à l’encontre de « non-Blancs » sont possibles.

45Le souligner peut surprendre : en effet, d’un point de vue juridique, injures et violences peuvent être qualifiées de racistes quel que soit l’individu mis en cause. D’un point de vue sociologique, il s’agit pourtant d’un fait qui doit retenir l’attention : il permet de mieux cerner les contours et les logiques de la définition judiciaire du racisme. Constater qu’une part non négligeable des mis en cause des infractions de notre échantillon sont « non-Blancs » (et que des plaintes sont enregistrées comme telles, indépendamment de leur issue) donne à voir une définition aveugle à la configuration de l’infraction en termes de rapport entre majorité et minorités, au moins au stade de l’enregistrement de la plainte. Pourtant, comme on l’a montré précédemment, la contextualisation opérée par les policiers et parquetiers des faits, des personnalités des protagonistes, de leurs antécédents, etc., peut peser sur les décisions et le destin judiciaire des administrés. Parmi ces critères de contextualisation, les rapports entre majorité et minorités ne semblent pas entrer en jeu. L’acception juridique du racisme conduit à poursuivre les auteurs des infractions qui ciblent minoritaires et majoritaires, que leurs auteurs soient minoritaires ou majoritaires. Deux points retiennent alors l’attention.

46Premièrement, notre échantillon donne à voir des infractions entre minoritaires. Par exemple, parmi les affaires [30] dans lesquelles la victime est « noire » (n = 61), 50,8 % des individus mis en cause relèvent de la catégorie « Français - Blancs », 11,5 % sont « Autres Européens - Blancs », 24,6 % sont « Maghrébins - Arabes » et 3,3 % sont « Noirs ». Ce fait mériterait une étude qualitative plus poussée pour examiner comment les rapports entre deux groupes minorisés peuvent être complexifiés par la minorisation de l’un par l’autre, en l’occurrence comment des « Maghrébins - Arabes » peuvent minoriser et racialiser des « Noirs » à travers des injures et/ou violences racistes.

47Deuxièmement, la présence de plaignants « français - blancs » dans notre échantillon ne signifie pas que les affaires en question aient été nécessairement qualifiées de « racisme anti-Français ». Ainsi, les victimes d’antisémitisme (assignées à « Juif ») apparaissent majoritairement comme « Français - Blancs » (catégorie informationnelle [31]). Autrement dit, les catégories informationnelles reflètent imparfaitement les rapports entre minoritaires et majoritaires et peuvent créer un angle mort, comme le montre le cas de l’antisémitisme.

48Malgré cette limite, la présence de plaignants « français - blancs » dans l’échantillon permet de cerner la question du « racisme anti-Français ». La catégorie « anti-Français » est elle-même très ambiguë dans la mesure où cette catégorisation a priori nationale renvoie de fait à une catégorisation raciale. Par exemple, lorsqu’une personne de nationalité française, quelle que soit son ethnicité, qualifie de « sale Français » une autre personne de nationalité française, quelle que soit son ethnicité, l’injure peut être considérée comme raciste par les acteurs chargés de son traitement. Or, dans les faits, ce sont surtout des Français non « blancs » qui injurient des Français « blancs ». Ainsi, le traitement policier et judiciaire de ce type d’infraction évacue la dimension nationale : il ne s’agit pas d’un « conflit entre Français ». Tout se passe comme si, en insultant un Français « blanc » de « sale Français », un Français non « blanc » était « altérisé » et ne se caractérisait plus par sa nationalité française.

49Dans notre échantillon, l’effectif est faible (n = 37) par rapport aux infractions anti-Maghrébins (n = 196) ou anti-Noirs (n = 110). Mais les taux de non-confirmation de l’infraction raciste sont plus faibles que pour les infractions anti-Maghrébins et anti-Noirs (16,2 % contre 41,8 % et 42,7 %) et les poursuites sont plus fréquentes pour le « racisme anti-Français ». Néanmoins, une fois arrivées au tribunal, les infractions « anti-françaises » voient leurs auteurs plus rarement condamnés que ceux qui ciblent « Maghrébins » et « Noirs ». Le traitement judiciaire des infractions de notre échantillon montre ainsi que les injures et violences « anti-françaises » sont pensées, jusqu’au tribunal du moins, à travers les mêmes catégories que celles à l’encontre des « non-Blancs » (Tableau 4).

Tableau 4

Les issues judiciaires pour les mis en cause selon le type de racisme et hostilité anti-française dans le processus judiciaire

Tableau 4
Type de racisme et hostilité anti-française Effectifs Non renseigné Autres css css infraction raciste non confirmée Alternative aux poursuites et poursuites Dont affaires au tribunal Dont coupables Ensemble des individus mis en cause Anti-maghrébin 196 6 (3,1 %) 45 (23 %) 82 (41,8 %) 63 (32,1 %) 27 (13,8 %) 19 (9,7 %) 196 (100 %) Anti-noir 110 2 (1,8 %) 29 (26,4 %) 47 (42,7 %) 32 (29,1 %) 21 (19,1 %) 12 (10,9 %) 110 (100 %) Anti-juif 37 1 11 9 16 11 7 37 Anti-musulman 32 1 7 11 13 8 7 32 Anti-européen 12 0 0 4 8 8 3 12 Anti-africain 11 1 3 5 2 0 0 11 Anti-asiatique 8 0 2 3 3 0 0 8 Anti-turc 4 0 1 3 0 0 0 4 Anti-corse 1 0 0 1 0 0 0 1 Anti-étranger 26 3 4 8 11 8 1 26 Hostilité anti-française 37 1 12 6 18 9 1 37 Racisme non explicite 6 0 4 2 0 0 0 6 Ensemble 458 16 (3,5 %) 118 (25,8 %) 172 (37,6 %) 152 (33,2 %) 86 (18,8 %) 44 (9,6 %) 458 (100 %)

Les issues judiciaires pour les mis en cause selon le type de racisme et hostilité anti-française dans le processus judiciaire

Source : Enquête DPDA 2017. Calculs basés sur l’ensemble des 458 individus mis en cause pour lesquels on dispose d’au moins une information.

50Peut-on dès lors conclure à une reconnaissance du « racisme anti-Blanc » par l’institution judiciaire ? La jurisprudence ne reconnaissant pas cette catégorie [32] et les condamnations suivant rarement les parquets en la matière, on est amené à apporter une réponse circonstanciée : il semble que la pertinence à qualifier de racistes ces violences et injures ne soit pas encore une évidence pour tous les acteurs du processus judiciaire. Cela souligne l’importance des cadrages dominants du problème du racisme au-delà des seules règles de droit. En effet, la lecture de la répartition des catégories assignées permet d’affiner la description des infractions et de les mettre en perspective avec l’indicateur de classement pour IRNC. On cerne ainsi les groupes les plus ciblés et les trajectoires judiciaires de ces infractions : « Maghrébins » et « Noirs » (hors « Africains ») figurent par ordre décroissant parmi les groupes les plus ciblés, devant « Juifs », « Musulmans » et « Français, chrétiens ». Parmi les catégories les plus représentées, les affaires pour lesquelles les personnes ciblées sont assignées à « Noirs » (hors « Africains ») et « Maghrébins » ont le plus haut taux de classement pour IRNC avec 42,7 % et 41,8 %. On observe, par ailleurs, que les infractions ciblant des personnes assignées à « Juifs » et « Musulmans » comptent parmi les infractions les plus poursuivies au tribunal [33]. On peut faire l’hypothèse que les probabilités différenciées de ces infractions d’être poursuivies au tribunal renvoient à une sensibilisation plus élevée des pouvoirs publics à l’antisémitisme et l’islamophobie qu’à la négrophobie. Dans le même sens, les injures et violences à l’encontre de personnes assignées à la catégorie « Blancs », soit celle du groupe majoritaire, ne font pas encore l’objet de la même sensibilisation et dénonciation comme racisme parmi d’autres, en tout cas au bout de la chaîne judiciaire, c’est-à-dire au tribunal.

51* * *

52Le format administratif des dossiers judiciaires ne condamne pas à reprendre tels quels les découpages de l’institution qui les a produites. Le cas des infractions racistes indique des pistes possibles d’objectivation de leur traitement judiciaire en identifiant les facteurs qui conduisent à des classements sans suite et pèsent sur leur trajectoire.

53Les contraintes qu’oppose cette source aux sociologues ont pu être contournées grâce à un nouvel indicateur pointant le travail d’évaluation et de tri opéré par les policiers et les parquetiers. Quant aux variables venant enrichir la caractérisation des individus, elles ont permis d’identifier certains ressorts du traitement inégal des administrés. Cette méthode se donne ainsi les moyens de dépasser l’opposition entre approches internaliste et externaliste du droit en faisant la part des contraintes proprement juridiques qui pèsent sur le traitement des infractions judiciaires, des logiques sociales qui y président. La sociologie des acteurs des infractions racistes est venue in fine éclairer celle du traitement judiciaire en soulignant à quel point l’évaluation des profils des acteurs et de leurs relations pouvait contextualiser les faits dénoncés et participer à l’abandon de la qualification de « racisme ». À ce titre, cette analyse du traitement judiciaire des infractions racistes rejoint de nombreux travaux sur les inégalités de traitement par l’institution judiciaire, au-delà de la diversité des infractions (Fischer et Spire 2009). L’analyse de ces classements sans suite, massifs, invite ainsi à nuancer le lieu commun qui voit dans la judiciarisation d’un problème public un signe de sa reconnaissance.

Annexe
Tableau 5

Ensemble des motifs de classement

Type d’affairesMotifs de classement sans suiteNoRemarques et subdivisions éventuelles
Affaires non poursuivablesAbsence d’infraction11Affaires enregistrées comme pénales mais qui se révèlent être de nature purement civile ou commerciale. Exemple : un chèque rejeté suite à un défaut de provision.
Infraction insuffisamment caractérisée21Circonstances indéterminées, charges insuffisantes ou Insuffisance de preuve.
Motifs juridiques31 à 37Obstacles juridiques empêchant le déclenchement des poursuites.
31. Extinction action publique : retrait de plainte
32. Extinction action publique : amnistie
33. Extinction action publique : transaction
34. Autres cas extinction action publique
35. Immunité
36. Irrégularité de la procédure
37. Irresponsabilité de l’auteur
Affaires poursuivablesPoursuites inopportunes41 à 4841. Recherches infructueuses
42. Désistement du plaignant
43. État mental déficient
44. Carence plaignant
45. Comportement de la victime
46. Victime désintéressée d’office
47. Régularisation d’office
48. Préjudice ou trouble peu important causé par l’infraction
Procédures alternatives mises en œuvre par le parquet (PAP)51 à 5851. Réparation / mineur
52. Médiation
53. Injonction thérapeutique
54. Plaignant désintéressé sur demande du parquet
55. Régularisation sur demande du parquet
56. Rappel à la loi / avertissement
57. Orientation structure sanitaire, sociale ou professionnelle sur demande du parquet
58. Composition pénale
Autres poursuites ou sanctions de nature non pénale61Ce motif correspond aux cas où une réponse autre que pénale a été apportée. Exemple figurant dans le guide édité par la Chancellerie : reconduites à la frontière pour les étrangers en situation irrégulière, sanctions commerciales de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer prononcées par les tribunaux de commerce, règlements réalisés par les compagnies d’assurance en cas d’accident de circulation, etc.
Au plan statistique, ce motif 61 est inclus aux procédures alternatives aux poursuites.
Affaires non poursuivablesAuteur inconnu71L’enquête n’a pas permis de retrouver le ou les auteurs de l’infraction.
Les affaires compostées figurent automatiquement parmi les délits et sont apparentées, parfois un peu rapidement, à des « auteurs inconnus ».
Non lieu à assistance éducative81Ce motif est ensuite intégré aux absences d’infraction.

Ensemble des motifs de classement

Source : « Les pratiques des parquets face à l’injonction politique de réduire le taux de classement sans suite » (Lenoir et Gautron 2014).

Notes

  • [1]
    Cet article s’inscrit dans le programme de recherche « Des paroles et des actes : la justice face aux infractions racistes », financé par l’Institute for Advanced Studies in the Humanities de l’université d’Édimbourg (Écosse). Nous tenons à remercier Sébastien Delarre, Solenne Jouanneau, Joanie Cayouette-Remblière et Delphine Serre pour leurs précieuses relectures. Cet article méthodologique évoque quelques résultats sur le traitement judiciaire des infractions racistes, présentés plus en détail dans « Infraction raciste (non) confirmée. Sociologie du traitement judiciaire des infractions racistes dans trois tribunaux correctionnels » (Hajjat, Keyhani et Rodrigues 2019).
  • [2]
    L’enquête s’appuie également sur des observations d’audiences et des entretiens.
  • [3]
    La loi de 1972 modifie celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et instaure des peines pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, pour diffamation et injure « à l’égard d’une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
  • [4]
    Le mobile « raciste, xénophobe ou antisémite » est reconnu comme circonstance aggravante pour les homicides volontaires, tortures, violences volontaires, dégradations de bien, dégradations dangereuses de bien privé.
  • [5]
    Cette loi élargit le mobile « raciste, xénophobe ou antisémite » (ainsi que le mobile homophobe) à tous les crimes et délits identifiés par le code pénal. Elle n’est pas en vigueur au moment de l’instruction des affaires étudiées par notre enquête.
  • [6]
    Après signature d’une convention de recherche encadrant la propriété intellectuelle des résultats et les questions éthiques (anonymisation et non-conservation de fichiers contenant des informations personnelles).
  • [7]
    Ce logiciel permet de lancer des « requêtes Infocentre » à partir des codes NATINF (nature de l’infraction). La requête Infocentre sur le racisme, élaborée par les services statistiques du ministère de la Justice, sélectionne les 160 codes NATINF des infractions liées au racisme, autrement dit associant « en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion » à des infractions comme « injure publique », « injure privée », « diffamation », « violence », « outrage », « discrimination », etc. L’échantillon décrit a été constitué à partir de la liste produite par cette requête.
  • [8]
    Comme l’indique le Tableau 1, il existe une différence entre les nombres d’affaires potentielles, échantillonnées et codées, ce qui peut induire un biais d’analyse, notamment lors de l’analyse de régression. Nous avons donc utilisé une variable de pondération en prenant en compte la structure des affaires potentielles et celle des affaires codées (proportions de poursuites judiciaires, d’alternatives aux poursuites et des différents motifs de classement sans suite).
  • [9]
    Une minorité des actes racistes font l’objet d’une plainte. Selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), entre 2007 et 2015, 975 000 personnes déclarent avoir été victimes d’injures à caractère raciste, antisémite ou xénophobe (soit 14 % de l’ensemble des 6 317 000 victimes d’injures). Seulement 8 % de ces victimes se sont déplacées au poste de police ou de gendarmerie et, parmi celles-ci, seulement 42 % ont formellement déposé une plainte (Scherr et Amrous 2017).
  • [10]
    L’enquête de victimation annuelle date de 1996 avec l’introduction d’un module dédié dans l’enquête permanente sur les conditions de vie des ménages (EPCVM, INSEE). Depuis 2007, elle a été remplacée par l’enquête « Cadre de vie et sécurité » (INSEE et Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale).
  • [11]
    Par exemple lorsqu’ils évoquent un conflit préalable entre un individu mis en cause et la victime ou lorsqu’ils précisent que la victime a un comportement agressif.
  • [12]
    L’échantillon de cette étude est représentatif des populations immigrées et originaires des DOM, des natifs descendants d’immigrés et d’originaires des DOM et de natifs descendants de natifs.
  • [13]
    Une définition sociologique du racisme exclurait de l’échantillon les acteurs dénonçant le « racisme antifrançais » (infra).
  • [14]
    Cet indicateur est censé rendre compte de l’amélioration des taux de poursuite, objectif de la politique pénale depuis 2004 (Lenoir et Gautron 2014).
  • [15]
    N’ayant codé que 17 affaires au tribunal T2, nous n’évoquons pas ce dernier dans le cadre de comparaisons entre juridictions.
  • [16]
    S’il ne souhaite ni poursuivre pénalement ni classer une affaire, le parquet peut opter pour une « alternative aux poursuites » qui peut par exemple prendre la forme d’un rappel à la loi ou d’une médiation pénale.
  • [17]
    Le test exact de Fisher est préféré au test du khideux en raison de faibles effectifs.
  • [18]
    Test d’indépendance du khi-deux sur le tableau de contingence sans les colonnes « dont affaires au tribunal » et « dont coupable » : khi-deux = 21,081 ; degré de liberté = 4 ; p-value = 0,0003051.
  • [19]
    Dans des affaires où le plaignant est supposé avoir provoqué le mis en cause ou avoir réagi au fait dénoncé, 40,7 % des dossiers des mis en cause sont classés pour racisme non confirmé, khi-deux = 9,5458 ; degré de liberté = 4 ; p-value = 0,04881.
  • [20]
    80,7 % des mis en cause ayant au moins une condamnation comparaissent au tribunal (pour 18,8 % de l’ensemble) et 43,9 % sont jugés coupables (pour 9,7 % de l’ensemble).
  • [21]
    On prend la mesure des preuves qui doivent être rassemblées pour qu’un plaignant puisse être considéré comme potentielle victime, notamment la présence d’un témoin. En effet, seules les injures publiques devant des personnes présentes peuvent être poursuivies au tribunal correctionnel. Si ce point ne fait pas l’objet de l’article, notre enquête rejoint les travaux sur les violences faites aux femmes et sur l’importance des témoins dans l’administration de la preuve des faits (Pérona 2017).
  • [22]
    Après avoir entré en clair les professions déclarées, nous les avons recodées en PCS de l’INSEE grâce à l’application ah hoc créée par Cécile Rodrigues, utilisable avec le logiciel R et disponible en ligne. URL : https://github.com/Grisoudre/RecodPCS.
  • [23]
    69,3 % des mis en cause avec PCS connue.
  • [24]
    57,6 % des victimes avec PCS connue.
  • [25]
    C’est parce que des interactions conflictuelles sont accompagnées d’injures raciales qu’elles font le plus souvent l’objet de plainte pour racisme (84,4 % de nos 500 affaires sont constituées d’injures). Les injures ne sont pas pour autant exclusives d’autres infractions : elles peuvent, par exemple, être associées à des violences.
  • [26]
    Dans les lignes qui suivent, les guillemets rappellent la dimension construite de ces catégories.
  • [27]
    Des modalités ont été ajoutées au fil de l’exploitation des dossiers, puis appliquées à l’ensemble des 500 affaires : « maghrébin », « musulman », « noir », « africain », « juif », « asiatique », « portugais / espagnol / italien », « rom », « turc », « étranger », « corse », « français / blanc / chrétien ». « Noir » et « africain » ont été distingués dans la perspective d’une analyse des injures raciales.
  • [28]
    Par exemple, de l’injure « sale Arabe » découle l’assignation des plaignants à « Maghrébin », indépendamment de la façon dont ils se perçoivent.
  • [29]
    C’est de l’intérêt de cette catégorie qu’il est essentiellement question dans les lignes qui suivent.
  • [30]
    Pour la clarté de l’analyse, nous ne prenons en compte, ici, que les 293 affaires où l’on retrouve une seule victime et un seul mis en cause.
  • [31]
    37 des 62 victimes d’infraction(s) anti-juive(s) sont dans ce cas.
  • [32]
    La jurisprudence considère que les « Français » correspondent à un groupe (national) protégé par la législation antiraciste. Ce n’est pas le cas des « Français blancs dits de souche ». Dans l’affaire « Nique la France » visant le sociologue Saïd Bouamama et le rappeur Saïdou, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que « les “Français blancs dits de souche” ne pouvaient correspondre à un “groupe de personnes” au sens de la loi sur la presse et donc en toutes ses dispositions civiles » (arrêt no 16-80.522 du 28 février 2017). Si elle relaxe le sociologue, elle renvoie le rappeur devant la cour d’appel de Lyon, qui le juge coupable d’injures publiques raciales et de provocation à la discrimination à l’encontre des « Français » (arrêt du 12 janvier 2018). Finalement, la Cour de cassation est à nouveau saisie et relaxe le rappeur parce que « les propos poursuivis, pour outranciers, injustes ou vulgaires qu’ils puissent être regardés, entendent dénoncer le racisme prêté à la société française, qu’elle aurait hérité de son passé colonialiste » et ne contiennent « aucun appel ni exhortation à la discrimination, la haine ou la violence » (arrêt no 18-80.525 du 11 décembre 2018).
  • [33]
    Sont toutefois pris en compte 37 dossiers pour faits anti-juifs et 32 dossiers pour faits anti-musulmans.
Français

L’article propose une réflexion sur les enjeux qui entourent la construction d’une base de données originale construite dans le cadre d’une enquête collective sur le traitement judiciaire des infractions racistes. Comment traiter, dans une perspective sociologique, des informations initialement produites par des acteurs à des fins professionnelles ? L’article avance plusieurs propositions pour objectiver le traitement judiciaire des infractions racistes.

Ouvrages cités

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Narguesse Keyhani
Narguesse Keyhani a été post-doctorante dans le cadre de l’enquête collective « Des paroles et des actes » (groupement d’intérêt public GIP-Justice). Elle mène par ailleurs avec V.-A. Chappe une enquête sur les mobilisations contre les discriminations à la SNCF. Elle est actuellement chercheuse post-doctorante à l’institut Convergences pour les migrations de l’Institut national d’études démographiques (INED) et associée à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP, CNRS-ENS Cachan-Univ. Paris 10).
Abdellali Hajjat
Abdellali Hajjat est maître de conférences en science politique à l’université Paris-Nanterre et membre de l’Institut des sciences sociales du politique. Ses champs de spécialité sont la politique de la nationalité, les mobilisations immigrées, l’islamophobie et, plus récemment, la sociologie des racismes. Il a notamment publié La marche pour l’égalité et contre le racisme (Éd. Amsterdam, 2013) et, avec M. Mohammed, Islamophobie (La Découverte, 2013).
Cécile Rodrigues
Cécile Rodrigues est ingénieure d’études CNRS en production, traitement et analyse de données quantitatives au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS, Univ. Lille-CNRS).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/09/2019
https://doi.org/10.3917/gen.116.0125
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