CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les « démarches compétences » entraînent-elles un « retour du métier », tel qu’a pu l’appeler de ses vœux M. Dadoy (1989) ? Pour certains auteurs, comme Ph. Zarifian, la compétence ne signifie pas un retour du métier car la défaite de ce dernier est consommée. Elle offre en revanche l’opportunité d’un « retour du travail dans le travailleur » (2001, p. 35), c’est-à-dire d’une réappropriation par l’individu de son activité productive. Présentée comme la réponse idoine aux nouveaux impératifs économiques et techniques ainsi qu’à l’élévation des niveaux d’éducation de la population active, elle réclamerait le développement de l’autonomie et de l’initiative ouvrières, ainsi qu’une mobilisation inédite de l’intelligence. En appelant à une participation accrue des salariés, ce « modèle » de la compétence induirait « un renversement de fond par rapport à la problématique taylorienne », en tant qu’il relève « avant tout de la singularité et de l’initiative » et élimine la distance subjective entre le travailleur et son travail (ibid., pp. 39-40). Le travail pourrait ainsi devenir « l’expression directe de la puissance de pensée et d’action » du travailleur (ibid., p. 39). Autrement dit, l’espoir que l’individu puisse sortir de l’aliénation pour accéder, selon l’expression de Marx, à la propriété de ses capacités de travail acquises  [1] (Eigenschaften) reprend ici un nouveau souffle.

2 Face à de telles perspectives, nous partageons l’inquiétude de P. Rolle (2003), qui rappelle combien l’association et la participation apparaissent de façon récurrente comme « le seul remède concevable à la séparation grandissante du travail et du travailleur et à la scission de l’entreprise et de ses salariés »  [2]. Nous défendrons avec lui  [3] l’idée que la compétence prend sa source dans une « nouvelle qualité du travail », marquée par l’« automatisme social » (Naville, 1963), mais ne déterminant aucunement, en dépit de l’ampleur des transformations qu’elle entraîne, l’avènement de rapports sociaux marqués du sceau de la réconciliation. Cette initiative managériale qu’est la « compétence » ne produit pas de mouvement d’arrêt dans le processus de séparation du travail et du travailleur. Bien au contraire, elle s’inscrit dans un idéal de fluidité productive et sociale (Vatin, 1987) qui prend acte d’un tel processus et, de plus, s’inscrit « dans une série de mouvements qui contribuent à déstabiliser les relations collectivement construites sous le règne de la qualification » (Stroobants, 2003).

3 Nous nous intéresserons ici à la contribution de la « démarche compétence » à cette déstabilisation, à travers la « conversion » des ouvriers en opérateurs dans la sidérurgie. La figure de l’opérateur, cet « ouvrier indifférencié » selon l’expression de S. Beaud et M. Pialoux (1999, p. 72) travaillant dans un univers « aseptisé », est le fruit des politiques de modernisation des entreprises. Celles-ci, en transformant les modes de production avec l’introduction d’une gestion en flux tendus et d’automatismes en plus grand nombre, adressent de nouvelles exigences aux OS des chaînes de montage, en termes de polyvalence, coopération et disponibilité (ibid.). Les changements d’ateliers, le recours à une main-d’œuvre jeune ou encore la délocalisation de la production en petites unités sont les principaux leviers de cette transition. Ces « conversions », nécessairement imposées, participent d’une logique de « démoralisation » du groupe ouvrier, qui passe par la « dévalorisation sociale des vieux ouvriers » et la « disqualification des anciennes manières d’être » au nom du modernisme (ibid., chap. 3). La mise en place de « démarches compétences » participe également à la « conversion » des ouvriers qualifiés en opérateurs. Elle constitue le moyen pour l’entreprise de définir ses propres « métiers », en ajustant ses emplois au gré des fluctuations de l’activité, du marché et de ses stratégies productives. Loin d’offrir aux ouvriers la perspective de définir et de maîtriser leurs propres capacités productives, elle les subordonne de façon accrue aux propriétés des organisations en présence.

4 Quelles sont les modalités par lesquelles les démarches compétences contribuent à cette déstabilisation du groupe ouvrier ? À l’instar de ce que suggère H. Eckert (1999), nous considèrerons qu’elle résulte de la mise en place d’un « dispositif concret » au sens où l’entend M. Foucault  [4]. En effet, la promotion de la figure de l’opérateur compétent n’est pas réductible à un discours idéologique qui viserait à masquer la violence patronale faite aux ouvriers. La conversion s’impose bel et bien avec violence mais celle-ci, ainsi que le précise G. Deleuze (1986, p. 36), exprime l’effet d’un rapport de forces et non le rapport de forces lui-même. Cette distinction est importante car elle permet de mettre en évidence le dispositif à travers lequel s’opère la conversion. De fait, pour paraphraser G. Deleuze (ibid., p. 36), nous poserons qu’elle résulte de l’exercice d’un pouvoir qui « produit du réel, avant de réprimer », ou encore « produit du vrai avant d’idéologiser, d’abstraire ou de masquer ».

5 Le dispositif de conversion que nous proposons de décrire produit un nouvel ordre de réalité avec lequel les ouvriers doivent composer. Il comporte, comme tout dispositif, un mélange de « visible et d’énonçable » (ibid., p. 46). L’usine, qui renfermait jusqu’ici des ouvriers, s’adresse désormais à des opérateurs à l’aide de mots nouveaux, qui expriment une nouvelle manière d’énoncer les qualités du travail, en termes de compétence, d’autonomie, d’initiative. C’est de la rencontre entre l’usine (« forme de contenu » dirait Deleuze) et ce nouvel énoncé sur la qualité du travail (« forme d’expression ») que naît ce dispositif. Il institue le principe et les procédures concrètes d’une « normalisation des métiers »  [5] et de la conduite de l’activité professionnelle, par lesquels peut s’opérer la conversion de l’ouvrier à l’opérateur.

6 À partir de l’exemple de l’application de l’accord Acap 2000 dans la sidérurgie  [6], nous montrerons, dans un premier temps, les techniques de normalisation mobilisées par l’entreprise. Elles s’appuient sur une rhétorique vantant les mérites de cet « idéal de fluidité » qu’a décrit F. Vatin, en vue de renforcer la responsabilité des opérateurs face aux installations et de développer de nouvelles formes de coopération. Puis nous verrons que la normalisation accrue des « métiers » qui résulte de cet énoncé permet de neutraliser les anciennes sources de pouvoir dont disposaient les collectifs ouvriers et institutionnalise la participation au sein de l’entreprise à l’aide d’une nouvelle discipline de travail. S’il crée d’indéniables ressources de négociation individuelles, ce nouveau dispositif affaiblit les anciennes formes de solidarité. Il n’en reste pas moins que des formes d’adaptation et de résistance se développent, proches de celles que l’on rencontre dans les institutions totales. Nous interrogerons, pour finir, les incidences de ce phénomène sur la professionnalisation ouvrière.

Un projet de fluidité sociale à visée intégrative

7 La sidérurgie est une industrie de flux qui, contrairement par exemple à l’industrie pétrolière, a toujours rencontré de grandes difficultés dans la mise en œuvre de la fluidité productive. Pour des raisons à la fois techniques et économiques  [7], ses processus productifs restent entrecoupés de ruptures. Les flux d’aciers traversent différentes phases de transformation qui ne sont que partiellement intégrées. Sur le site que nous avons étudié, spécialisé dans la production de tôles inoxydables, ne sont présents que l’aciérie, le laminage à froid et le parachèvement, le laminage à chaud étant réalisé ailleurs. Ces différentes phases sont réalisées en ateliers séparés. La discontinuité technique de l’organisation productive est cependant considérée comme un facteur pénalisant la compétitivité de l’entreprise. Celle-ci a précisément investi dans une ligne de laminage à froid à « process entièrement intégré », destinée à réduire les stocks et à augmenter la productivité des outils  [8], en phase de lancement au moment de notre enquête.

8 Bien que marquée par la rigidité de l’organisation du travail, la fluidité constitue un idéal pour l’activité productive, mais aussi pour la gestion des hommes. On peut dire que la logique compétence a participé à la réalisation de cet idéal de fluidité sociale  [9], à l’occasion de la fin du système des préretraites  [10]. En déconnectant la progression de carrière de l’existence de postes vacants, l’accord signé promettait d’ouvrir un nouvel espace de mobilité, fondé sur l’acquisition continue de compétences et surtout libéré des rigidités démographiques, administratives et techniques de la « logique de postes ». Avec lui, les compétences deviennent un nouveau support pour l’évolution professionnelle et s’écartent de la dimension essentiellement technique qui prévalait jusqu’ici.

Vers une « prise de responsabilités »[11] économiques

9 Lors de son application, l’accord a permis d’opérer un tournant dans la définition de la qualification ouvrière. La gestion des postes s’inscrivait jusqu’ici dans un système de classement maison, articulé à la grille UIMM de 1975, dans lequel les postes ouvriers étaient pesés selon une méthode (la Job evaluation) mobilisant essentiellement des critères techniques et ergonomiques  [12]. La logique compétence a introduit des critères de responsabilité à visée plus économique. Les promoteurs de la démarche ont souhaité faire du salarié un « partenaire » de l’entreprise, dans un esprit de « copropriété » des installations considérées comme un « patrimoine » commun à l’entreprise et son personnel. Comme l’indique ce responsable, pilote de l’application de la démarche :

10

« L’objectif doit être que les opérateurs de différents métiers fonctionnent comme les copropriétaires d’une même machine. Il existe en réalité un seul et même métier, celui d’aciériste, à l’intérieur duquel une véritable polyvalence doit être développée, à savoir la maîtrise simultanée de plusieurs savoir-faire, comme la chaudronnerie, la mécanique, l’électricité. »

11 Invité à devenir partenaire de l’entreprise, l’ouvrier ne doit plus se contenter d’un savoir-faire étroitement circonscrit à un poste. Il doit acquérir une vue d’ensemble, ce qui suppose de redéfinir plus largement le périmètre des emplois et de diversifier les compétences à mobiliser. Une nouvelle carte des emplois a été établie par agrégation de postes et comptabilise désormais 33 « groupes métiers », contre plus de 1 000 postes de travail au début des années quatre-vingt-dix. Chaque « groupe métier » réunit tous les emplois d’un même atelier ou service et possède son propre référentiel de compétences, classées en quatre domaines : technique, relationnel, économique et de sécurité. Le « métier »  [13] couvre également une plage de coefficients hiérarchiques permettant une progression de carrière en son sein. De fait, les compétences techniques perdent leur caractère prépondérant dans le franchissement d’un certain nombre de seuils promotionnels.

12 La polyvalence ainsi qu’une participation élargie à la réalisation de l’activité sont devenues une nouvelle norme de référence pour la tenue des emplois ouvriers, rebaptisés emplois d’opérateurs. La diversification de leurs compétences requises en faveur d’une plus grande responsabilité économique a fait l’objet d’un relatif consensus chez les partenaires sociaux. Le projet d’intégration par le personnel des normes et objectifs de l’entreprise a été d’autant mieux accueilli qu’il s’inscrivait dans l’objectif ambitieux de construire une population plus homogène et plus qualifiée, favorisant une implication plus large dans l’activité. Il a d’ailleurs été suivi d’une requalification de l’ensemble des OS du niveau 1 de la grille UIMM. L’établissement ne possède plus que des ouvriers qualifiés.

13 Ce mouvement d’unification par le haut des profils d’opérateurs, davantage mobiles et polyvalents, s’accompagne d’une modification du périmètre de l’entreprise au profit d’un recentrage sur un même type d’activité. Pour des raisons historiques  [14], le site que nous avons étudié a eu, jusqu’ici, relativement peu recours à la sous-traitance, hors certains services généraux, la maintenance technique des automatismes et plus récemment la logistique  [15]. Néanmoins, le groupe auquel il appartient souhaite recentrer les établissements sidérurgiques sur une seule et même fonction. Ce projet passe par la « mutualisation » des services fonctionnels des différents sites et la création d’« unités de services partagés » centralisant un certain nombre de fonctions à un niveau national ou régional. Ainsi, la paie, l’informatique, la formation ont été regroupées pour intervenir sur plusieurs sites à la fois. Le recentrage des sites opérationnels sur leur activité de production entraîne une rationalisation des fonctions d’appui qui contribue directement à l’homogénéisation des profils des salariés au sein de chaque structure.

Vers la fluidité des mobilités internes

14 L’intégration des salariés dans cet ensemble unifié passe aussi par une réforme de la politique salariale et d’évaluation du personnel. L’objectif est de faciliter la mobilité interne, ce qui suppose de s’affranchir des « rigidités antérieures » en matière de rémunération. Le texte de l’accord, sans prétendre poser les jalons d’une politique salariale commune à l’ensemble de la sidérurgie, ne manquait pas de souligner certaines orientations à prendre dans ce sens  [16]. En effet, si la logique de postes n’est pas en soi un frein à la mobilité interne, elle a pu le devenir avec la multiplication des régimes de travail posté. Dans le site étudié, il existe quatre régimes de travail distincts, dont trois postés, faisant varier horaires et salaires selon les secteurs. Le régime des « feux continus » concerne par exemple l’aciérie et la tôlerie, soit près de la moitié des effectifs et peut procurer un gain salarial moyen de 25 % par rapport au travail de jour. L’autre moitié du personnel se répartit en trois autres régimes (3 × 8,4 × 8 ou régime journalier) correspondant à des niveaux de salaire également distincts mais tous moins avantageux que le précédent. Une logique salariale consistant à rémunérer le travail en fonction des tâches associées aux postes, et selon des critères de sujétion, ne peut que renforcer le cloisonnement entre les secteurs.

15 L’enjeu était de venir à bout de ces rigidités en instituant un principe de portage individuel des compétences acquises. La compétence n’est pourtant pas le seul moyen d’atteindre cette fluidité, qui peut tout aussi bien être obtenue avec une logique de poste et d’autres règles de mobilité. En cela, le recours à la compétence est un choix politique et non technique. Elle a fait l’objet d’un relatif consensus entre les partenaires sociaux car, si elle permettait à la direction d’envisager une plus grande flexibilité dans les usages de la main-d’œuvre, elle permettait aux organisations syndicales d’obtenir une garantie de continuité des carrières salariales  [17]. De plus, la perspective d’une reconnaissance de la qualification de la personne plus que du poste, en dépit de la fiction que représente une telle distinction (Alaluf, 1986), a suffisamment fait l’objet de revendications syndicales pour être bien accueillie (Le Corre, 2003).

16 Un double principe de fluidité est ainsi instauré : d’une part, une fluidité intra-métier, fondée sur l’intégration de la polyvalence aux obligations de chaque emploi  [18] ; d’autre part, une fluidité extra-métier, rendue possible par le fait que « toute compétence acquise dans un métier reste valable dans un autre ». L’espace de mobilité ainsi dessiné se limite résolument à l’établissement  [19]. Nous retrouvons ici le constat de D. Eustache (2001, pp. 319-320), pour qui « les systèmes de mobilité professionnelle et salariale fondés sur les compétences » sont essentiellement conçus « pour favoriser la flexibilité interne de la main-d’œuvre ».

Vers une plus grande prise en compte de l’individu

17 La politique salariale n’a pas uniquement servi à unifier l’espace de mobilité interne, elle a également contribué à une plus grande prise en compte de données d’ordre individuel dans le management pratiqué. Tout d’abord, avec la compétence, la part individuelle des salaires a été majorée par l’ajout d’un « complément personnel » au salaire de base  [20], lié à la reconnaissance d’une « performance individuelle ». La prescription et la reconnaissance des contributions individuelles sont confiées à la hiérarchie de proximité, qui voit son rôle accru dans ce domaine (Kalck et al., pp. 154-156). Il s’agit pour elle de différencier les tâches selon les compétences et les projets individuels, dans le cadre de situations de travail permettant de placer les salariés en condition de répondre à la finalité de l’entreprise. Si elle s’acquitte diversement de ces nouvelles exigences, à l’aide de régulations autonomes qui désamorcent les difficultés que soulève l’individualisation dans la coopération au sein des ateliers, pour autant, le principe d’une prise en compte des contributions personnelles ne reste pas lettre morte. Il se concrétise par une procédure, désormais systématique, d’évaluation du travail ouvrier pour tout changement de coefficient hiérarchique.

18 À cette plus grande prise en compte des contributions individuelles s’ajoute la prise en considération des opinions, souhaits et besoins des individus. On observe ainsi la mise en place de systèmes d’écoute et de services en direction du personnel, qui servent de support à l’individualisation des politiques sociales (Igalens, 2002). L’entreprise étudiée a ainsi lancé à partir de 1996 une enquête interne, réalisée tous les 2 ans, destinée à mesurer le climat social et à cerner les attentes des salariés. Cette consultation fournit une photographie du « ressenti » dans l’entreprise. Elle est conçue comme un « outil de pilotage » qui doit permettre d’enclencher des « démarches de progrès », suite au diagnostic qu’en tirent les directeurs des ressources humaines des sites. Elle permet ainsi l’identification de groupes de salariés dont les attentes sont homogènes et un meilleur ciblage des actions à mener  [21]. Par ailleurs, des centres d’appel ont été mis en place pour répondre aux questions du personnel sur la rémunération, les primes, l’intéressement, autrement dit pour permettre à chaque salarié de contrôler les données qui le concernent.

19 Le principe de ces prestations s’inscrit dans le souci d’instaurer un rapport direct entre le salarié et l’entreprise, en transformant les systèmes de médiation antérieurs. La pesée des postes qui était confiée, avant la mise en place de la logique compétence, aux experts de la direction du personnel pour la valorisation du travail a disparu. De même, les procédures de revalorisation de postes susceptibles d’être initiées par les organisations syndicales n’ont plus lieu d’être. La médiation des partenaires sociaux s’effectue désormais en amont – ils négocient des procédures d’évaluation et des enveloppes globales de promotions et avancements, qui sont confiées à la hiérarchie – et en aval. Ils siègent en effet, en plus des instances représentatives légales, dans une commission de suivi qui contrôle l’application des procédures et traite les demandes de recours. Or, les recours, qui ne peuvent être déclenchés qu’en cas de litige entre un salarié et sa hiérarchie, se raréfient, marginalisant ainsi l’intervention syndicale dans ce domaine. De la même façon, les recompositions de la fonction « Ressources humaines » favorisent la décentralisation de la gestion courante au niveau des hiérarchies opérationnelles, au profit d’un recentrage sur des missions plus politiques et stratégiques liées à l’existence même de l’entreprise (Fombonne, 2001, p. 572). Le salarié doit donc plus que jamais compter sur lui-même. La hiérarchie tend à devenir son interlocuteur principal mais les organisations syndicales ne sont pas en reste. Certaines développent des formes de coaching pour préparer les salariés à leurs entretiens d’évaluation et les aider dans leurs projets professionnels (Brochier et al., 2001a ; Tallard, 2001).

20 Toutes ces pratiques sont d’une grande cohérence. En prétendant transformer l’entreprise en espace de libre circulation que les ouvriers puissent s’approprier le plus largement possible, selon leurs ressources et leurs projets propres, elles font le vide autour d’eux et encouragent les « attitudes individualistes ». Ce faisant, elles « attribuent au salarié en tant qu’individu singulier une “valeur absolue” et lui accordent une indépendance par rapport au groupe auquel il appartient » (Igalens, 2002, p. 67). L’énoncé sur la base duquel s’appuie le dispositif de conversion est donc d’une grande clarté. Il crée les conditions d’une autonomie croissante de l’individu par rapport à sa catégorie d’appartenance. Il l’appelle à libérer son potentiel de mobilisation en vue d’une reconnaissance accrue de sa personnalité, ce qui se saurait se réaliser sans une certaine discipline de travail.

La participation, nouvelle discipline de travail

21 Les dispositifs de gestion des compétences ont été peu étudiés en termes de discipline de travail au sein des ateliers. Est-ce parce que l’on a cru qu’elle avait disparu au profit de la motivation, c’est-à-dire d’une mobilisation volontaire ? Pour Ph. Zarifian en effet (1998), « un aspect sensible de la logique compétence est que la mobilisation des compétences d’un individu ne peut pas être imposée ou prescrite. […] Les compétences ne se développent et ne se mettent en œuvre que sur la base d’une auto-mobilisation de l’individu ». À cette fin, l’entreprise doit jouer un rôle incitatif et créer les conditions qui permettent à l’individu de donner du sens à son travail, de se projeter dans la durée et de développer des projets professionnels. Dans un contexte de chômage de masse, elle doit en plus rassurer, offrir des garanties d’emploi durable et une politique salariale adaptée. Cette thèse s’appuie donc sur l’idée que la logique compétence se traduit par des systèmes d’incitations et de reconnaissance qui résolvent, par une confiance réciproque, la question de l’incomplétude du contrat de travail  [22].

22 Or, en direction des catégories ouvrières, les employeurs préfèrent traditionnellement le « contrat » à la « confiance » (Paradeise et Porcher, 1990, p. 11). Le taylorisme s’appuie ainsi sur un « déni de participation » (Martin, 1994) dont on peut dire qu’il visait à briser l’autonomie des ouvriers de métier dans le cadre de puissants contrôles externes. Les études réalisées sur ce point n’ont pas manqué de souligner les stratégies d’asservissement des savoir-faire de métier par lesquels la discipline industrielle s’est imposée (Coriat, 1979). Le contrôle de la mobilisation ouvrière passait également par une « discipline machinique » consistant en un étroit contrôle des corps (Gaudemar, 1982). Les pratiques disciplinaires n’ont toutefois pas disparu des formes de travail ouvrier qui revêtent les habits neufs de la compétence.

Compétence, discipline de travail et dispositif de conversion

23 En effet, dire que la qualité du travail a changé au profit d’une plus grande autonomie et responsabilité du personnel ouvrier ne signifie pas que le contrôle social au sein des ateliers ait disparu. Comme le rappelle S. Le Corre (2003, p. 64), la participation des salariés, pour les employeurs, constitue une incertitude qu’il s’agit toujours de contrôler, en particulier lorsqu’il ne leur est plus possible de l’éliminer. De fait, en sollicitant l’autonomie et la participation, les « démarches compétences » créent l’opportunité pour le groupe ouvrier de contrôler l’organisation de son travail  [23]. Or, elles se doublent de pratiques disciplinaires d’un nouveau type au sein des ateliers. Comme l’a montré F. Vatin pour les organisations à processus fluides (1987, pp. 163-164), l’objectif de la discipline n’est pas de contrôler le corps des travailleurs, mais bien leur esprit : « Il ne s’agit pas de les forcer à “faire” mais à “être” et à “penser”, soit à rester psychiquement vigilant. » Pour F. Vatin, cet objectif ne saurait être atteint dans le cadre des méthodes tayloriennes d’imposition de la contrainte mais il suppose, au contraire, une « intériorisation de la contrainte par le sujet ». La contrainte subsiste bien mais elle est en quelque sorte auto-administrée.

24 Est-ce à dire que le contrôle du travail ouvrier peut être laissé à la « conscience » des salariés, comme il était laissé aux « ouvriers de métier » dans les organisations « pré-tayloriennes » ? La réponse est évidemment négative. L’ouvrier de métier renvoie à une forme particulière de qualification du travail « où l’espace du savoir-faire technique individuel recouvre, réellement ou symboliquement, celui d’une collectivité sociale » (Vatin, 1999, p. 159). En revanche, l’espace de socialisation professionnelle de l’ouvrier salarié se limite à l’entreprise. Il revient donc à celle-ci de lui inculquer directement les savoir-faire associés à ses propres métiers. C’est pourquoi les démarches compétences ne sont pas réductibles à « la mise en musique, la mise en forme ou l’habillage de cette obligation faite aux salariés de s’impliquer dans le travail » (Durand J.-P., 2000, p. 22). Elles visent à susciter une dynamique d’apprentissages et à poser les jalons d’une nouvelle forme d’efficience organisationnelle  [24], en s’incrustant au cœur des pratiques professionnelles. La discipline de travail qui en résulte impose de nouvelles tâches, qui sollicitent de nouveaux savoirs et comportements, dont l’évaluation revient à la hiérarchie. Toutefois, cette discipline ne peut véritablement s’imposer qu’après que les opérateurs aient été dépossédés des sources de pouvoir que leur procuraient leurs emplois antérieurs.

25 L’élimination des sources de pouvoir des collectifs ouvriers constitue en effet un préalable à leur conversion à une nouvelle identité d’opérateurs compétents. Il faut les débarrasser de leur « culture incorporée », héritée de la logique de poste, pour les amener à partager une vision plus ambitieuse de leur activité. La conduite de ce « changement culturel » emprunte largement aux « techniques de mortification » observables dans les « institutions totales » décrites par E. Goffman (1968). À l’instar de ce que propose Ph. Bernoux (1981)  [25], il est en effet possible d’établir un parallèle entre les formes de socialisation ouvrière en usine et dans les « institutions totales »  [26]. Dans la lignée de Friedmann, Ph. Bernoux a mis en évidence l’ensemble des agressions contre la personnalité subies par les OS dans un système de travail qui les prive à tout moment du « pouvoir d’être soi-même »  [27] : la « perte de leur autonomie », qui vient de l’élimination des actes professionnels permettant l’affirmation de soi dans le travail, les « rationalisations de la servitude » qui instituent l’exercice d’un pouvoir par la disqualification du savoir ouvrier et, enfin, les effets psychologiques qui en découlent. L’analyse goffmanienne s’avère tout aussi précieuse pour décrire les modes d’inculcation d’une nouvelle discipline de travail à des collectifs d’ouvriers ayant, depuis, gagné en qualification. Ainsi, contrairement à Ph. Bernoux pour les OS, nous présenterons un dispositif qui, non seulement dépossède les ouvriers de leurs attributs antérieurs, mais installe les supports d’une nouvelle manière de se comporter au travail.

26 Précisons que les techniques de mortification que nous allons décrire « se déroulent souvent selon un processus non intentionnel ». Si elles consistent en une série de « procédés visant à mortifier la personnalité antérieure » (Goffman, 1968, pp. 56-57), elles ne relèvent en réalité « que du souci de régler aux moindres frais l’activité quotidienne d’un nombre important de personnes sur un espace restreint » (ibid., pp. 89-90). De fait, ces techniques ont des effets mortificateurs, tout en poursuivant des objectifs pragmatiques d’amélioration de l’efficacité organisationnelle. Il en va de même avec la mise en œuvre du dispositif de conversion de l’ouvrier en opérateur. Il poursuit des objectifs d’amélioration de l’efficience du travail mais produit des effets mortificateurs pour les formes autonomes de constitution des groupes ouvriers au sein des ateliers. En cela, la « personnalité » individuelle des membres du groupe n’est pas immédiatement affectée par le dispositif : c’est d’abord l’acteur collectif qui s’en trouve déstructuré. En contrepartie, l’individu doit pouvoir s’affranchir de ses attaches groupales et tenter l’aventure de la compétence, afin que la coopération ouvrière consiste en pratiques et savoir-faire constructifs – et non en régulations autonomes plus ou moins délinquantes. Le dispositif permet ainsi d’organiser la conversion des ouvriers en opérateurs compétents par un ensemble de procédés visant essentiellement à désarmer le groupe au nom de la libération de l’individu. Nous distinguerons ici le cas des ouvriers de production et des ouvriers de maintenance.

Le désarmement du groupe ouvrier en production

27 En production, le groupe ouvrier se retrouve privé des ressources d’action qui lui permettaient d’affirmer son existence dans deux domaines-clés : le déclenchement de grèves spontanées et le contrôle de l’affectation aux postes de travail (Bernoux, 1981). En effet, l’obligation de polyvalence entre outils et postes de travail rend les ouvriers interchangeables et fait disparaître les risques de blocage de l’activité. Les opérateurs ne sont bien évidemment pas privés de toute possibilité de faire grève mais ils le sont de cette forme spontanée, incontrôlée, pouvant surgir au sein d’un atelier, suite au mécontentement d’une catégorie exerçant une fonction-clé pour la production. Ainsi, les « pontiers » ne peuvent plus « bloquer un atelier » pour réclamer des revalorisations salariales car tous les opérateurs possèdent le permis pont, exigé pour occuper le plus bas coefficient de la grille ouvrière. La compétence distinctive du pontier, ce permis qui avait la fonction d’un titre de propriété, s’est banalisée et avec elle, l’opportunité d’une « échappée belle »  [28] au sein de l’atelier a disparu. Les grèves de pontiers s’apparentaient à ces grèves « surprises », qui ne pouvaient réussir qu’en s’appuyant « sur un consensus tacite »  [29]. Les grèves constituent de fait un moment intense de la vie des groupes. Loin de se réduire à leur définition juridique  [30], elles ont « pour objectif de créer et de souder la communauté de travail ». De fait, la solidarité des autres ouvriers avec les pontiers était totale et nous verrons qu’elle n’a pas disparu.

28 Une seconde occasion pour le groupe ouvrier de s’affirmer a disparu dans le domaine de l’affectation aux postes de travail. Le dispositif compétence rompt avec les règles tacites d’attachement aux outils que l’organisation clandestine des ateliers avait réussi à imposer (Monchatre, 2002). Il met à mal des régulations autonomes qui autorisaient l’appropriation de l’outil par l’ouvrier. Le temps jouait un rôle majeur dans cette prise de possession, puisque l’acquisition du métier, associé à l’outil, en dépendait, de même que des avantages salariaux étaient associés à une affectation durable sur des outils ingrats. Cette appropriation vertueuse des postes de travail n’est plus de mise. Le dispositif compétence rend la règle d’ancienneté caduque. Le temps passé dans un poste n’ouvre plus de droit à la promotion. C’est au contraire, outre la maîtrise reconnue du poste, l’acquisition de compétences périphériques qui devient décisive. La hiérarchie devient, de plus, le maître des apprentissages nécessaires aux évolutions de carrière. Au nom de l’intérêt des individus à développer leur potentiel, elle peut les envoyer sur de nouveaux postes, ce qui constitue pour elle une aubaine qui lui permet de pallier aux manques d’effectifs. Elle est d’ailleurs en mesure de leur prouver, en dernière instance, qu’ils sont capables de remplacer leurs collègues. Elle détient, avec l’opération de validation des compétences, un outil de mesure qui lui permet d’établir des équivalences. Ce savoir sur les compétences ouvrières n’est donc pas uniquement formel, il lui procure une ressource de pouvoir supplémentaire. Le monopole du jugement de compétence qu’elle a acquis lui permet de reprendre la main sur l’affectation dans les postes de travail.

29 Désarmés, les ouvriers ne peuvent refuser d’endosser l’habit neuf de l’opérateur qui leur est tendu. Ils ont perdu le contrôle collectif de deux sources de pouvoir qui leur permettaient, pour le meilleur et pour le pire, de peser sur la bonne marche du service. Une discipline individuelle de travail peut alors – au nom du meilleur ? – se substituer à la jouissance des postes, devenue interdite. On la repère à la grogne qu’elle suscite chez les intéressés. Elle s’incruste dans les pratiques antérieures pour les faire plier et affecte en cela le comportement au travail des opérateurs. Là où le groupe avait élaboré des réponses collectives pour le contrôle des affectations, les individus, désarmés, doivent individuellement adapter leurs pratiques professionnelles. Ils estiment ainsi que la polyvalence entre les outils, qui leur est demandée, a pour enjeu de les rendre davantage interchangeables, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils l’acceptent si mal. Or, dans la mesure où un refus de remplacement passerait potentiellement pour un refus d’obtempérer, leur mécontentement s’exprime par la plainte, non par la combativité. Ils opposent alors, sans relâche, à cette polyvalence requise, une conception du métier fondée sur l’appropriation de leur outil, dont le couronnement est associé à la figure du « premier » d’outil, qui pilote les installations :

30

« Je pense qu’ils veulent partir sur de la polyvalence à outrance, mais personnellement je pense pas que ce soit une bonne chose. Les outils sont trop compliqués pour bien pouvoir les connaître, comme j’estime connaître bien le ZR1, je pourrais pas connaître trois ou quatre outils comme ça, c’est pas possible. […] Je vois vis-à-vis des collègues qui sont, eux, polyvalents, quand ils reviennent sur le train, malgré que ce sont des gens qui ont bien travaillé dessus, non… et l’adaptation, on n’est pas... il y a trop de choses. Le métier de lamineur exige tellement de doigté, tellement de compétences, même propres à l’outil, je sais pas, il y a le métier de lamineur global […] Il peut y avoir des bons résultats sur un outil […] Et ça on les gagne sur les habitudes qu’on peut avoir sur un outil. Un polyvalent ne peut pas avoir ces habitudes, comme nous on les a. Je pense qu’ils partent sur quelque chose…, s’ils veulent vraiment faire ça, ils partent sur quelque chose qui va pas... ça mènera pas. Mais dans un autre sens, eux, ils pallient à leur problème de personnel. Parce que moi, si le train ne tourne pas, comme aujourd’hui, ça tombe bien [pour l’entretien que nous sommes en train de réaliser], le train ne tourne pas, ils ne peuvent pas m’envoyer sur le ZDR2. S’il manque quelqu’un sur le ZDR2, je peux pas y aller, parce que... si, peut-être, je peux faire le troisième ? Mais ça s’arrêtera là. Voire le deuxième ? » (Opérateur production)

31 La discipline de travail qui leur est demandée s’étend également aux relations avec les services connexes, que la hiérarchie n’entend plus centraliser. À partir du coefficient 215 par exemple, une coopération plus étroite est attendue avec la maintenance, non seulement dans la prise en charge d’opérations de maintenance de premier niveau mais également dans la gestion de la relation clients-fournisseurs avec ce service. Cette montée en responsabilité des opérateurs s’accompagne de procédures visant à renforcer la traçabilité de leur activité (Rot, 1998). La généralisation d’une discipline de reporting, qui s’impose aussi bien aux opérateurs de maintenance réalisant les interventions qu’aux opérateurs de production qui leur passent commande ou exécutent leurs procédures, suscite de la grogne sur la bureaucratisation de l’activité. De fait, une gêne s’installe dans la réalisation du travail.

32

« C’est pas professionnellement, ce qu’ils me demandaient en plus, c’est pratiquement [… ] C’est parce que je rapportais pas toujours ce que je faisais. Mon travail était fait, mais ce qu’il aurait fallu, c’est que je fasse une littérature, c’est pratiquement ça !
Le travail était fait mais ça manquait de littérature ! Voilà c’est ça. [… ] Et c’est parce que, quand il y avait un petit problème, on essayait de le régler, de le faire. Mais il fallait à chaque fois le signaler avant de... alors que je préférais, des fois, régler ce problème et puis après, après, ce qui les fâchait, c’est que je disais un peu après, “J’ai résolu votre problème...” mais c’était pas écrit. C’est tout, c’était peu de choses. [… ] Après on a fait des plannings tout ça, on rendait compte [… ] C’était peu de choses mais c’était noté ! » (Opérateur maintenance)
« Avant, si on faisait bien, on passait… Maintenant, le gars qu’a de l’ancienneté, qui dit : “Moi je fais bien mon travail, je vois pas pourquoi on me passe pas en 240 ?” Alors qu’il sait toujours pas prendre des initiatives quand y’a un arrêt d’outil en lien avec l’entretien, ni rédiger les bons de travaux, etc. ? Tout ça, c’est les compétences qui sont écrites et qu’on leur a demandé en plus ! » (Contremaître d’atelier)

33 Ainsi, la polyvalence demandée par l’entreprise est davantage qu’un puissant contre-poison à la grève spontanée et qu’un remède efficace pour la mobilité des hommes entre les postes, qui libèrent l’encadrement d’un fardeau. Elle agit directement sur le comportement des ouvriers en leur imposant une discipline à laquelle ils ne peuvent pas se soustraire, sous peine de saborder leur carrière. De fait, les opérateurs ne peuvent plus ignorer les problèmes qui se posent à l’organisation du travail dans l’atelier. Il leur faut prendre en compte, pour la conduite de leur propre activité professionnelle, les problématiques de l’encadrement et, en particulier, être solidaire avec lui pour tout ce qui relève de la bonne marche de l’atelier.

34

« Bon, tous les agents d’ici vous diront pas ça, mais c’est quand même, comment je vais vous dire ça, disons qu’on a quand même compris le langage de la hiérarchie. [...] Ceux qui y arrivent, on peut même se permettre de blaguer et tout ça, on peut se le permettre ! Y’ a plus le truc, bon, c’est le petit ouvrier qui fait son petit boulot et qui demande au grand chef, il y a plus ce truc-là, maintenant, c’est deux personnes qui sont concernées par le même boulot, quoi, c’est tout. […] C’est très important au niveau humain. On se concerte et, comme ça, on peut inciter les jeunes à aller sur d’autres outils. « a fait partie un peu de nos responsabilités, tout faire pour que ça tourne. Et le truc qu’on a supprimé, c’est la barrière hiérarchique ! » (Opérateur production)

35 Il en va de même pour l’accès aux promotions. Comme l’avait pressenti L. Tanguy (1994) dans son analyse de l’accord Acap 2000, la formation n’est plus un droit mais un devoir. De fait, une discipline de formation et de contrôle des acquis s’impose pour toute évolution professionnelle  [31]. La hiérarchie, qui reçoit périodiquement les ouvriers en tête à tête, leur assigne des objectifs individuels de progression, dans des domaines situés au cœur et à la périphérie de leur technicité ouvrière (sécurité, réalisation d’études économiques, animation de groupes de travail autour de problèmes à résoudre, etc.) et valide les compétences acquises. Les automatismes que l’ancienneté pouvait autoriser n’ont plus droit de cité.

36

« Ce qu’il y a c’est que, maintenant pour avoir [une promotion], il faut prouver. Alors qu’avant, c’était tant d’années, on nomme, il y avait quelque chose qui découlait. Tandis qu’avec cet accord-là, si vous ne prouvez rien pendant dix ans, il est logique que vous n’avez rien. » (Opérateur production)

37 La compétence généralise ainsi une discipline industrielle de suivi des apprentissages ouvriers qui possède des supports visibles. De même que le livret ouvrier a été un instrument de repérage de leurs capacités professionnelles au XIXe siècle (Germe, 1986, pp. 361-362), les supports des entretiens professionnels, dont le salarié dispose d’une copie comme sa hiérarchie et la DRH, permettent de repérer ses compétences acquises, validées dans une logique cumulative. Ces supports d’entretien sont devenus pour les opérateurs une preuve d’acquisition de compétences, qu’ils peuvent eux-mêmes suivre à la trace, en comptabilisant les « cases qu’il [leur] reste à noircir ». Ils manipulent d’ailleurs ce document comme un attribut pouvant les servir ou les discréditer : ils l’exhibent ou le cachent à l’enquêteur, selon le type d’information sociale qu’ils sont disposés à livrer sur eux-mêmes. La conformité de leur engagement au service de l’entreprise possède maintenant son dispositif de mesure :

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« Alors, on se “cible”, selon une grille de ce qu’on sait faire, de ce qu’on sait à moitié faire, de ce qu’on a jamais appris à faire. […] Je trouve que c’est bien, c’est super ! […] « a vient de nous. Comme je vous dis, on peut travailler dans un autre secteur, on a peut-être des capacités qu’on n’est pas reconnu pour. Et ça, c’est un écrit qui reste […] Parce que nous, on en a une copie. Puis après, c’est conservé par notre hiérarchie. Comme là, il va le ressortir, l’ancien, et on va essayer de compléter ce qui manque. Parce que pendant ces quatre ans, il y a eu des formations internes à l’usine, extérieures à l’usine. Tout ça, ça compte… » (Opérateur production)

39 Désarmés sur le plan collectif, les opérateurs disposent désormais d’un formidable instrument de négociation individuelle de leurs compétences. Ils peuvent négocier la reconnaissance de leur savoir-faire en échange des prestations qu’ils réalisent. C’est au nom de l’acquisition d’une nouvelle identité, plus valorisante, que cette discipline parvient à s’imposer. Comme le soulignent S. Beaud et M. Pialoux (1999, pp. 97-102), les directions d’entreprise tentent d’imposer aux ouvriers de nouvelles représentations d’eux-mêmes. Avec la compétence, l’ouvrier doit vouloir « voir plus loin », non seulement pour l’intérêt de l’entreprise mais également pour sa propre image sociale. Sa conversion en opérateur passe par la disqualification des tâches et des intitulés de postes ouvriers, tels qu’ils avaient été prescrits et définis jusqu’ici, au profit de nouveaux comportements professionnels :

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« Sur le site X, il y avait le problème des pontiers toujours en grève. Le fait est qu’ils avaient peu de perspectives de progression professionnelle. Nous les avons donc réunis et leur avons posé la question de savoir quelle était leur identité professionnelle : comment ils se présentent à leurs proches ? Nous, on ne disait rien, on ne faisait que les écouter.[…] D’eux-mêmes, ils en sont venus à se dire que ce n’était pas satisfaisant de se présenter comme pontier. C’est quand même mieux de se dire aciériste ! Pontier ou pocheur, cela ne parle pas en dehors de l’entreprise. L’opération a été payante, puisque avec la revalorisation des filières de carrière, les gars ont eu intérêt à descendre de leur pont pour s’intéresser aux machines et ça a mis fin aux grèves ! » (Responsable RH Groupe)

41 La promesse d’une identité convoitée, offrant la possibilité d’une sortie par le haut de la condition ouvrière et de ses prétendus archaïsmes a de quoi séduire dans un contexte d’affaiblissement des relais politiques et syndicaux de la classe ouvrière (Beaud et Pialoux, 1999). Dans le site étudié, la CGT se revendique porte-parole des « ouvriers » et on peut faire l’hypothèse que les équipes appartenant aux syndicats signataires de l’accord Acap 2000 (CFDT, FO, CFTC, CGC) représentent les « opérateurs »  [32]. Les représentants des ouvriers n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer les méfaits de la logique compétence. S’ils détiennent toujours, dans l’usine étudiée, la majorité relative et une implantation qui reste vigoureuse en production, la logique compétence a entraîné une coalition des représentants des opérateurs, qui les a en partie marginalisés. Ainsi, avec la possibilité désormais offerte aux opérateurs de négocier individuellement leur compétence, l’alliance vertueuse entre qualifiés et non-qualifiés, qui a fait la combativité de la classe ouvrière, est battue en brèche.

Portrait de l’opérateur de maintenance en donneur d’ordres

42 Un processus de conversion comparable, neutralisant leur puissance d’agitation interne au profit d’une image socialement valorisée, a eu lieu pour les ouvriers de maintenance. La sous-traitance des tâches qui ne sont pas susceptibles de se ramener à une surveillance des flux conduit à une transformation profonde du travail des « hommes de l’art » que sont les ouvriers d’entretien. Comme nous l’avons évoqué plus haut, une partie des interventions curatives, relevant d’une maintenance de premier niveau, est déléguée aux opérateurs de production. Quant aux opérations lourdes de maintenance préventive, qui supposent des arrêts d’équipements, elles sont confiées à des prestataires extérieurs. Les ouvriers d’entretien ont donc dû se convertir à une nouvelle culture professionnelle. Leur activité est désormais centrée, d’une part, sur la fiabilisation des outils et des systèmes, ce qui leur demande de maîtriser de nouvelles techniques de détection et les rapproche des techniciens et, d’autre part, sur la gestion des sous-traitants chargés de la maintenance cyclique des automatismes.

43 Avec ces nouvelles attributions, l’identité des ouvriers d’entretien est bousculée. Le nouveau découpage des emplois réunit, pour les opérateurs de maintenance mécanique par exemple, des spécialités appartenant à d’anciens métiers distincts, comme la mécanique et la chaudronnerie. Ce « mélange » des spécialités n’a pas manqué de heurter les sensibilités des professionnels de l’atelier central. Dix ans après, la blessure n’est pas totalement refermée :

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« Quand on me demande ce que je fais à l’extérieur, je dis que je suis chaudronnier !
Ben ouais ! Chaudronnier, les gens, ils savent que je suis chaudronnier. On peut pas dire qu’on est mécanicien ! C’est pour ça, l’appellation des corps de métier, ça me paraît tout de même important. Un boucher restera un boucher, c’est pas un pâtissier. Il y a de la confusion, dans la tête des gens, tout le monde n’est pas prêt à faire des concessions. C’est trop facile de vouloir faire des familles, débaptiser, rebaptiser, tout le monde ne s’y retrouve pas. […] Mais de toute façon, […] même si votre appellation de métier n’existe plus, le chaudronnier, mentalement, il est sur le terrain. » (Opérateur maintenance)

45 Simultanément, ils ont acquis une nouvelle source de pouvoir et de prestige. Lors de chaque « arrêt préventif », ils choisissent les sous-traitants et les contrôlent, effectuent les consignations ainsi que le suivi des délais et de la qualité des interventions  [33]. Ainsi, l’homme de métier, à l’image du « tâcheron » décrit par B. Mottez (1966), est chargé du choix de l’entreprise prestataire, de l’organisation et de la surveillance de son travail. Il n’est plus jugé sur le résultat de son action propre d’homme de métier, mais sur le résultat de l’action de ceux qu’il supervise. Autrement dit, il contrôle une incertitude externalisée : l’exécution du travail des prestataires. Si cette figure imposée de « tâcheronnat » salarié demande une polyvalence plutôt bien acceptée, elle suscite toutefois chez les opérateurs un sentiment d’insécurité, lié à une prise de risques professionnels à laquelle ils ne sont pas toujours disposés. L’opérateur endosse à cette occasion une responsabilité personnelle qui témoigne de nouvelles conventions de partage des risques professionnels au cœur de l’activité salariée (Morin, 1999). À la perte du métier se substitue la prise de responsabilité au sein de l’entreprise et au nom de l’entreprise.

46 La gestion de ce risque est intégrée à leurs nouvelles attributions. Chargés de représenter les intérêts de l’entreprise, il leur faut assurer la sécurité des interventions du personnel sous-traitant et faire respecter les plannings d’intervention. Pour gérer les risques professionnels encourus par les sous-trai-tants, ils doivent leur faire observer une discipline de travail et en garder la trace. Si, en production, la traçabilité est perçue comme une contrainte et suscite de l’évitement  [34], elle peut, à l’inverse, s’avérer d’un grand secours en maintenance. Les opérateurs ont intérêt à garder une trace de leur activité de suivi des prestataires car elle peut les protéger en dégageant leur responsabilité juridique :

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« Vous prenez, mettons, l’exemple qui s’est passé, effectivement. Il y a eu une entreprise qui est arrivée, sur la toiture, un salarié qui traverse une tôle en plastique. Parce que d’ici, on voit sur la toiture, mais du côté tôlerie, c’est purement invisible. Et le type, il y est passé et il s’est tué. Bon ben, la première chose, l’enquête, parce qu’elle a été faite […], elle a porté au niveau du suivi. Et ben, imaginez qu’il y en a pas [de suivi], ou alors les risques mal identifiés, c’est tout de même au niveau juridique, il y a mort, c’est pas le patron qui va… c’est pas lui qui rentre en jeu là-dedans. Donc on a une responsabilité personnelle. Y’a certains travaux qu’on effectue avec une certaine appréhension. On n’y va pas de gaîté de cœur, que ce soit personnellement ou même en lançant les entreprises. On s’imagine le danger, les risques, à tous les niveaux.[…] Si vous intervenez sur des acides, en cave principalement, il y a des émanations, des risques d’éclaboussure, il faut tout le temps être vigilant que l’entreprise a mis sa ceinture de sécurité, ses protections, éventuellement voir plus loin.
– Vous devez donc contrôler leur travail et veiller à ce qu’ils respectent les consignes ?
– C’est notre travail. Le respect des consignes et surtout la législation du travail. Je leur dis tout le temps aux entreprises : “ici, on s’appelle pas Barnum ! Si vous voulez faire de la haute voltige, il y a des cirques.” » (Opérateur maintenance)

48 Dans un tel cadre, l’opérateur ne détient aucunement l’autonomie du « tâcheron » du XIXe siècle. Il n’est pas chargé de se comporter en « sous-entrepreneur » libérant l’employeur de l’exécution de certains travaux techniques en assumant seul l’organisation du travail. Il ne travaille pas en son nom, ni au nom de ses pairs, mais en celui de l’entreprise dont il défend les intérêts. L’opérateur engage sa responsabilité sur une prestation assurée par une société extérieure, selon un protocole d’intervention sur lequel il ne peut pas intervenir et dont il lui faut appliquer les procédures de suivi pour se protéger.

49 On pourrait être tenté de qualifier cette nouvelle discipline de « contractuelle » (Gaudemar, 1982). Elle tend en effet à faire assumer aux collectifs ouvriers une discipline de participation et d’apprentissages, incorporée à leurs rôles professionnels, dont l’employeur se réserve l’évaluation du résultat. Toutefois, elle s’en démarque nettement par son caractère purement individuel. La discipline contractuelle, telle qu’elle a été envisagée au début du XXe siècle dans les milieux patronaux, projetait d’encourager la participation ouvrière avec un nouveau mode de contrôle du procès de travail (ibid., p. 68). Elle se proposait de « transférer les tâches d’organisation et de discipline », dans le cadre d’une délégation de pouvoir auprès de sociétés coopératives ou d’un syndicat ouvrier. Cette utopie patronale imaginait même de substituer au contrat individuel un contrat collectif, entraînant la dissolution des « sujets individuels au sein d’un sujet ouvrier collectif dont le travail serait l’objet d’un véritable commerce contractuel » (ibid., pp. 70-71). Rien de tel ne se produit avec la logique compétence. La participation ouvrière est sollicitée sans qu’aucun groupe intermédiaire sous contrôle ouvrier n’ait l’opportunité de se constituer. La compétence s’inscrit en cela dans le processus d’élimination continue des formes collectives de propriété du travail en cours depuis la Révolution française (Sewell, 1983). Les aspects contractuels de la discipline qu’elle institue s’adressent à des individus qui doivent s’y soumettre en propre ou y soumettre des entreprises extérieures, dans le cadre de formes d’organisation du travail essentiellement contraintes.

Adaptations et résistances ouvrières

50 En partant du postulat selon lequel « tous les groupes cherchent à se préserver du contrôle, de la domination ou de la dépendance » (Dubar et Tripier, 1998, p. 96), on peut se demander ce que les ouvriers, devenus opérateurs, sont en mesure d’opposer à ces nouvelles exigences. La discipline à laquelle ils doivent se soumettre réduit considérablement leurs marges de manœuvres pour des initiatives « autonomes » leur permettant d’imprimer leur marque sur l’organisation du travail. Pour saisir les fissures dans lesquelles elles peuvent néanmoins se construire, nous poursuivrons ici le parallèle entre l’univers de l’usine et le fonctionnement des « institutions totales ». On sait que dans ces institutions les tendances à la solidarité existent mais restent limitées. Les reclus ont recours à « différents modes personnels d’adaptation selon le développement de leur carrière morale » (Goffman, 1968, p. 105). De fait, les recherches d’arrangements individuels avec l’institution prévalent. Mais des stratégies clandestines de construction de groupes subsistent. Les opérateurs se saisissent différemment de la nouvelle discipline de travail exigée et des formes de solidarité voient le jour, permettant à des groupes d’exister. Nous présenterons dans un premier temps les formes prises par ces stratégies individuelles d’adaptation, pour aborder ensuite les modes de fonctionnement et de résistance des collectifs.

Stratégies individuelles d’adaptation

51 Les stratégies d’adaptation ouvrière sont de trois ordres. Tout d’abord, au péril de leur carrière, les ouvriers peuvent opposer leur refus au nouveau dispositif. S’enfermant dans ce que Goffman appelle « la voie de l’intransigeance » (ibid., pp. 106-107), ils refusent ouvertement de collaborer avec leur hiérarchie et de se soumettre à la discipline demandée, voire contestent les nouvelles règles de promotion. Cette voie de l’intransigeance peut être empruntée de façon plus ou moins spectaculaire. C’est ici que se révèlent les « fortes têtes », telles que les désignent leurs hiérarchies, plutôt parmi les anciens de l’atelier. Refusant d’avoir à « noircir des cases », ils opposent leur ancienneté dans le poste à la nouvelle obligation de se former pour être promu et se montrent prêts à déclencher une procédure de recours auprès de la commission de suivi. Ces « inconvertibles », selon l’expression de S. Beaud et M. Pialoux, étaient pontiers, aides, manutentionnaires, spécialisés dans l’approvisionnement des outils et leur compétence, acquise en marge du flux, a été désintégrée. La hiérarchie tente de les neutraliser par différents types de compensation : maintien ou aménagement de leur poste de travail, augmentation individuelle, etc. Mais l’intransigeance constitue une étape vers ce que Goffman appelle « le repli sur soi » (ibid., p. 106), conduisant les salariés à devenir spectateurs. Ils refusent de se plier aux nouvelles normes de travail et s’installent dans un rôle d’observateur extérieur, sans perspective, généralement de façon irréversible. Nous signalerons simplement ici que l’âge et le parcours antérieur font beaucoup dans la disposition à la conversion. Le cas de cet ancien ouvrier de 51 ans, déjà reconverti dans le passé suite à une fermeture d’atelier et devenu technicien, illustre bien le rôle de l’usure dans l’inconvertibilité. Il a choisi de jeter l’éponge :

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« L’entretien s’est déroulé très, très bien. Mais bon, on est tombé d’accord en quelque sorte. Non, il n’y a pas eu de points de désaccords importants, non. Mon chef est de bonne foi. Je pense l’être aussi. Donc, on est bien tombé d’accord. Voilà. « a n’a pas changé ma situation. J’étais là, je reste là. Au coefficient 305. « a rien changé à mon coefficient puisque je ne remplis pas les cases pour aller plus haut...
Vous ne vous êtes pas mis d’accord sur les conditions pour “remplir les cases” ?
Si, si si ! Mais comme je lui ai dit : “Moi, la nuit, je dors”. C’est tout. Je tiens à garder ma vie personnelle équilibrée et ainsi de suite. Donc, euh... non, c’est un trop grand investissement […] Y a un moment dans sa vie on se dit : “Euh... ben merde, est-ce que je suis toujours stressé, est-ce que je rêve d’informatique ou est-ce que je vis normalement ?” C’est un choix aussi à faire. “Est-ce que je prends des anxiolytiques ou est-ce que je vis cool ?”... tout en étant sérieux ! Mais aujourd’hui celui qui se contente, entre guillemets, de faire bien son boulot et pas plus, ben, il risque d’être dépassé, hein... c’est un peu le problème. Tout ça pour un salaire... »

53 L’intransigeance peut également évoluer vers « l’installation » (ibid., pp. 107-108), c’est-à-dire la recherche de solutions qui permettent de cumuler les satisfactions trouvées dans l’institution en dépit des contraintes imposées. Nous appellerons figurants ces salariés qui prennent part au « drame social du travail », selon l’expression de Hugues (1996, p. 83) en s’y engageant prudemment, cherchant à ménager leurs forces plutôt qu’à s’épuiser dans la réussite. L’entreprise leur demande d’ajouter à leur savoir-faire un « supplément » de compétences, dont ils vont chercher à réduire les coûts d’acquisition. Ils finissent par endosser les responsabilités qui leur sont demandées au nom d’une conscience professionnelle inaltérable mais leur participation est conditionnée par les garanties qui leur sont proposées. En d’autres termes, ils acceptent de s’engager si l’entreprise leur signale qu’elle parie sur leurs compétences. Et la réciproque est vraie : des deux côtés, le pari est donc conditionnel.

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« Nous, on se sent un petit peu comme les casques bleus, on nous envoie au casse-pipe, mais le réserviste, qu’a le même salaire, on s’en… Donc là, pour le soldat, forcément, il sent quand même l’injustice. » (Opérateur maintenance)

55 La logique compétence produit enfin ses acteurs. Ils « adoptent l’opinion de l’administration ou du personnel à leur égard et s’efforcent de jouer le rôle du parfait [opérateur] » (ibid., p. 108). Les acteurs font le pari que le défi proposé vaut la peine et ils estiment avoir tout intérêt à y participer. L’entreprise leur a signifié qu’elle misait sur eux et se montre disposée à les accompagner dans les perspectives offertes par le nouveau dispositif. L’âge est évidemment important dans ce pari conjoint fait sur la compétence. Si les paris sont souvent faits sur les plus jeunes, qui sont aussi plus diplômés, les anciens « autodidactes » peuvent également y trouver leur compte. Ils sont alors reconnus pour leur investissement passé et sont fermement résolus à poursuivre dans cette même direction. Mais tous se félicitent de la perspective d’être reconnus dans leur singularité.

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« Par ce système-là, on peut reconnaître une personne. Et pour une personne sensible, ça fait du bien au moral. Au moins, j’existe ! La reconnaissance, ça compte, c’est le but de toute façon. Vous savez, c’est pas toujours donnez, donnez, donnez, il faut qu’on donne un peu aussi, que ce soit réciproque. « a c’est reconnu. Enfin, je pense. Je vous dis, tout le monde n’a pas la même optique que moi, la même vision. Il y a des gens ils vont... certains qui vont vous dire ça sert à rien. « a on ne peut pas l’empêcher, des contents, des mécontents il y en aura toujours. On n’a pas tous le même jugement, heureusement. » (Opérateur production, 47 ans, 28 ans d’ancienneté)

57 Comment ces trois personnages, aux intérêts différents, vont-ils coopérer ensemble ? Nous nous limiterons ici au cas de la production. Pour les opérateurs, la performance d’un collectif de travail est tributaire d’un certain nombre d’habitudes prises en commun, qui garantissent l’efficacité du travail d’équipe. Mais comment sont distribués les rôles sur un même outil ? Si la logique de poste stabilisait jusqu’à la figer la division du travail sur les outils, la démarche compétence présente des conditions radicalement opposées. Une nouvelle « distribution mobile des fonctions » (Naville, 1963) se met en place, qui fait que la répartition a priori des opérateurs est bousculée. Un même poste de travail peut être tenu par des opérateurs de coefficients différents et la polyvalence doit permettre leur circulation sur les outils en fonction des besoins de l’atelier. Il leur revient donc de parvenir à un accord en situation. Il leur faut pour cela gérer les concurrences pouvant survenir entre eux. Ils se retrouvent en effet en compétition pour l’occupation des postes les plus valorisés et en particulier ceux de pilote.

58 Les opérateurs ont deux alternatives pour ajuster leurs contributions et assurer la bonne marche des outils. Soit ils se considèrent à égalité sur le plan de la maîtrise et de la connaissance de l’outil et se coordonnent par ajustement mutuel, tels des professionnels aux compétences complémentaires :

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« Maintenant on est arrivé à un niveau où le premier et le deuxième, ils se valent. Il y a toujours le premier qui est un peu plus haut dans l’ancienneté, qui veut prendre un peu plus des décisions, et nous ça nous embêtait. Mais ça n’apparaît plus, ça, parce que moi je prends des initiatives, tout comme D., il prend des initiatives. On peut diverger entre nous, mais on a vite fait de trouver une solution. Il y a des moments où on tombe d’accord, des moments où je reste un peu plus dans mes idées. Si lui prend une décision de faire, dans l’absolu, c’est quand même lui à la fin qui prend la dernière décision, du simple fait que c’est l’ancienneté. Même si j’estime que c’est pas la bonne solution, je peux pas m’imposer, j’en tire les conséquences, lui aussi, donc chaque fois on s’en sort. On ne peut pas non plus avoir un comportement bête et dire : “Tu as vu, ça n’a pas marché, c’est ta faute”, chaque fois on reprend, c’est tout. Il faut progresser ensemble. Et dans l’intérêt, c’est un peu égoïste, dans notre intérêt, dans mon intérêt, dans le sien, dans notre intérêt. »
(Opérateur production)

60 Soit ils ne se considèrent pas à égalité, les écarts entre eux sont trop importants, et ils se coordonnent en fonction des indications que leur donne un pilote d’installation, chef d’orchestre de leurs contributions. Cette distinction du pilote et de ses coéquipiers n’est pas établie, dans la mesure où le modèle contenu dans la démarche compétence est celui qui précède : des opérateurs coopérant par arrangement mutuel, à pied d’égalité. Or, dans les faits, les équipes se composent de salariés aux niveaux de compétences inégaux. La polyvalence entre outils constitue un formidable instrument de souplesse pour la hiérarchie, mais en contrepartie, elle débouche sur des équipes composites. Un pilote est alors nécessaire pour orchestrer les contributions. Mais comment le désigner ?

61 La logique de poste résout le problème en désignant le « premier » a priori et il est toujours plus confortable pour une équipe de continuer à s’y référer :

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« C’est le travail des agents de maîtrise de composer de bonnes équipes. Nous on subit, on prend ce qu’on nous donne. Et ça change tous les jours ! Sur la CAL 1 par exemple il n’y a pas d’équipe stable, et pourtant, c’est une machine pénible… et la punition, c’est pour le premier ! » (Opérateur production)

63 En revanche, la logique compétence brouille les cartes de la distribution des rôles au sein des équipes et fait naître des tensions à deux niveaux. D’une part, l’encadrement ne doit pas être soupçonné de se dérober à ses responsabilités. Il doit, aux yeux des opérateurs, jouer un rôle d’entraîneur, responsable à la fois de la composition des équipes et d’une reconnaissance équitable des compétences mobilisées en leur sein, rôle qui est inégalement tenu. Les opérateurs redoutent alors d’être rendus responsables de dysfonctionnements résultant d’une mauvaise composition d’équipe. D’autre part, des tensions peuvent naître parmi eux, dans la mesure où un pilote peut en cacher un autre dont la contribution effective à la bonne marche des outils ne sera pas reconnue. En disqualifiant le critère de l’ancienneté, la démarche compétence tend à renforcer la concurrence entre jeunes et plus anciens pour le pilotage des installations. Si elle facilite les affectations de personnel, elle ne résout pas le problème de la différenciation des rôles sur les outils.

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« L’information entre les gens, ça filtre pas. Moi, je vais parler franc, je vais dire mon sentiment profond. J’ai fait... et j’ai travaillé avec B., premier lamineur de notre l’équipe.
Il y avait moi, il y avait lui, il y avait X qui est en apprentissage. B. a réussi à passer à 37, peut-être même voire 39 maintenant. Je vais pas me mettre en avant, mais peut-être un peu... mais bon, je suis plus rapide. J’ai aidé à rattraper des choses. Tout comme avec lui, j’apprenais. Avec, indirectement, mais beaucoup de choses, de techniques, que moi j’ai apprises à l’école, que j’ai su mettre en œuvre, j’étais un peu autodidacte vis-à-vis de mon métier, ce qui a fait que notre équipe, on lui a fait remonter son niveau. Lui il est passé.
C’est pas pour ça que j’étais jaloux, je trouve ça normal, je suis dans l’entreprise depuis très peu, je ne peux pas prétendre à autant. Mais tout ça, je sais que ça va, c’est de la réserve pour moi, qu’en temps voulu je peux le ressortir à mon prochain entretien, ça ce sera pour moi. Je ne veux pas être gourmand au point de tout vouloir tout de suite, mais je sais que moi, vis-à-vis de ce que j’ai apporté à l’équipe, ça lui a permis de progresser beaucoup. » (Opérateur production)

Privilèges, trahisons et divisions

65 Ces incertitudes ont des conséquences sur le coût de l’entraide au sein des équipes. Les opérateurs sont amenés à se comparer entre eux, à épier les marques de reconnaissance reçues par les uns et les autres. Tout acte de collaboration est devenu potentiellement monnayable pour la carrière. Ce phénomène est souvent dénoncé comme dommageable pour l’ambiance de travail. Quand quelqu’un fait preuve d’initiative, la question se pose de savoir s’il le fait « sincèrement », gratuitement, ou s’il le fait pour en tirer un bénéfice personnel. Certains opérateurs se comporteraient « comme des enfants » en dissimulant les objectifs d’évolution qu’ils poursuivent. La suspicion s’installe dans les équipes pour savoir qui est « sincère » et qui ne l’est pas et le sentiment d’entraide « en prend un coup ». Un intense travail d’étiquetage se met en œuvre pour qualifier les initiatives et les actes des uns et des autres. De fait, une concurrence s’est installée entre performance, compétence et ancienneté, et le bénéfice de l’entraide devient aléatoire. L’attention des opérateurs se focalise sur la recherche du traître, c’est-à-dire de celui qui, parmi eux, coopère pour gagner quelque chose, en l’occurrence une marque de reconnaissance de la part de la hiérarchie, et non pas pour aider le groupe à fonctionner, gratuitement, loyalement.

66 En effet, la gestion par les compétences suscite des jeux avec la règle, qui ont pour particularité de pouvoir se retourner contre le collectif lui-même. Parmi les stratégies mises en place par les opérateurs pour contrôler les zones d’incertitude créées par la compétence, il faut distinguer les tactiques dénoncées par les agents de maîtrise, de celles qui sont dénoncées par les ouvriers eux-mêmes. Les agents de maîtrise se plaignent des « opportunistes » qui font le maximum pour obtenir la validation de leurs compétences pour, une fois leur promotion obtenue, baisser la garde et ne plus mobiliser les savoir-faire qui leur ont été reconnus. Cette stratégie fait partie des formes de résistance ouvrière à la logique compétence. Les opérateurs font valider leur permis pont, leur compétence en « gestion de magasin » ou une série d’autres compétences périphériques à leur poste de travail, etc., mais reviennent après coup à leurs anciennes pratiques :

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« Un exemple, comme ça au hasard dans certaines équipes, d’ailleurs on en a parlé entre contremaîtres, y’a certaines personnes qui ont progressé un petit peu avec, mettons avec une gestion de magasin, et puis le moment passé, après, ils le font plus. Toujours est-il qu’ils sont passés ! […] Alors les gens trouvent à dire : “Ben pour ce qu’il a fait !” Et ils s’y retrouvent pas. Y’en a qui se retrouvent sur le côté par rapport à certaines personnes. Donc là, que faire aussi ? Les coter, alors qu’ils ne font pas non plus, les surcoter… ce qui casse le système puisque… dès qu’on a surcoté celui-là, ben, un autre va dire : “Mais moi, pourquoi pas moi ?”. » (Contremaître production)

68 Cet opportunisme est dénoncé par la maîtrise pour son caractère « déloyal » envers l’entreprise, mais il peut également s’avérer déloyal envers le collectif. Les opérateurs regrettent ainsi que certains d’entre eux s’illustrent par une mobilisation intense et « montent en allure » le temps d’obtenir leur avancement et, par la suite, se relâchent, pénalisant du même coup ceux qui n’ont pas encore été « validés ». Ces « adaptations secondaires » visant des profits individuels peuvent donc s’effectuer au détriment des autres opérateurs, sous la forme d’une participation intéressée à une performance collective :

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« Mais l’ouvrier qui a fait ça, j’ai pas d’estime pour lui. Parce que c’est pas logique que... de se relâcher comme ça. Qu’il essaie tout au moins de conserver un niveau acceptable. » (Opérateur production)

70 En termes goffmaniens, on peut dire que le caractère complexe, imprévisible, opaque de la règle qui va prévaloir transforme la moindre satisfaction obtenue en « privilège ». Le « système des privilèges » (Goffman, 1968, pp. 92-104) constitue une dimension essentielle de la culture de la compétence. Il conduit les opérateurs à fixer leur attention sur ces détails jusqu’à en être « obsédés » et disserter longuement sur les moyens d’obtenir ces faveurs. D’une manière générale, la reprise en main de l’affectation dans les postes par la hiérarchie et la disqualification du critère de l’ancienneté comme règle d’évolution favorise un tel système. Les opérateurs connaissent la hiérarchie des outils et des postes de travail. Ils savent décoder une affectation sur un « bon outil » comme l’octroi d’une faveur, de même qu’ils considèrent comme une punition l’affectation sur les outils réputés ingrats, sales ou pénibles. Il en va de même pour l’octroi des promotions et avancements. Il s’agit de privilèges, qui s’obtiennent dans des conditions perçues comme aléatoires, difficilement prévisibles, qui attisent la méfiance et la convoitise. Les opérateurs s’ouvrent alors une sorte de compte virtuel. C’est une « réserve », gardée en mémoire, dont il faut conserver une trace pour réclamer son dû ultérieurement. Et si l’échéance tarde trop, les « ouvriers bacheliers », exposés au désenchantement (Eckert, 1999), envisagent ouvertement de faire cavalier seul et de valoriser leurs acquis à l’aide d’un nouveau diplôme :

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« Moi, ce que je fais j’estime que ça vaut quelque chose. Je vais vous donner un exemple, il y a un jeune embauché sur Inox 2 – relations de famille, on appelle ça un “bombardé” – il gagne déjà plus que moi alors que son métier est moins élevé. Et cette diffé-rence-là existe encore. Et moi je fais 7 500 francs et lui il fait 8 500. Donc moi je peux pas accepter ça, donc je peux pas râler, je veux pas me mettre personne à dos, j’ai un bon outil, et ce que je veux, c’est avoir mes droits. Si jamais ça ne va pas, tant pis je passe un BTS. J’ai droit à deux ans, je vais mettre tout en œuvre pour me donner les moyens de l’avoir, je sais qu’au bout de... si j’ai mon BTS, bien sûr il faut que je l’aie, sinon c’est plus la peine, c’est 255 en rentrant en entreprise, et selon les conventions au bout de dix-huit mois c’est 285.
Donc si je leur fais voir ça, puis que je leur dis ils peuvent pas me le refuser. Au début ils me disaient “Oui mais…” Je vais voir le syndicat, je parle avec la [responsable] […] Je lui ai fait voir un peu mon résultat, tout ça, elle m’a dit “Il y a pas de problème, ça ne sera pas un argument pour t’empêcher d’y aller.” Dans ce cas, la balle c’est de mon côté. Pour l’instant, je vais pas être gourmand, moi je veux progresser normalement. Faire un BTS, c’est pas ce qui m’enchante le plus, j’en ai envie, mais bon j’ai pas le temps en ce moment et je me sens pas encore prêt dans la tête pour dire de repartir deux ans à l’école, ça va faire des sacrifices.
Mais si je suis obligé de passer par là, je le ferai. Si pour l’avoir je dois faire encore plus pour l’avoir, je vais le faire. Mais s’ils ne me reconnaissent pas comme je vais le demander, je saurai les calmer. » (Opérateur production)

Privilèges, loyautés et subversions collectives

72 Pour autant, ce système de privilège ne suscite pas uniquement de la division. Comme le souligne Goffman (1968, p. 94) : « L’importance que l’on attache à ces avantages conduit parfois à se montrer généreux et à partager. » Les privilèges ne se réduisent pas à des avantages matériels ou financiers, dont le bénéfice serait purement privé. Ils consistent plus globalement en satisfactions permettant de s’affranchir momentanément du poids de la contrainte. Ce sont aussi des « pratiques qui, sans provoquer directement le personnel [d’encadrement], permettent aux reclus d’obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions autorisées par des moyens défendus » (ibid., pp. 98-99). D’autres formes d’« adaptations secondaires » consistent à tirer bénéfice du système en détournant la règle. Le groupe élabore pour cela « une sorte de code et des moyens implicites de contrôle social pour se garantir contre la délation qui pourrait en menacer le fonctionnement ». Autrement dit, il se livre à des subversions collectives, tout en veillant à ne pas être dénoncé.

73 Les « spectateurs » jouent ici un rôle moteur. Ils ne sont pas disposés à la polyvalence et acceptent d’occuper des fonctions faiblement valorisées, que les « acteurs » et les « figurants » ont tout intérêt à leur déléguer. En revendiquant leur immobilité comme une transgression, les « spectateurs » ouvrent une brèche dans laquelle le groupe peut s’engouffrer. Les spectateurs incarnent un monde sans traître ni délateur et leur présence est rassurante pour les autres. Ils ont renoncé à la carrière telle qu’elle se présente ici et n’entrent pas dans la compétition. L’exemple des pontiers est particulièrement significatif. Au quotidien, les opérateurs n’ont aucun intérêt à se priver de pontiers. Ils ne sont pas disposés à remplacer ces collègues qui, de leur côté, ne souhaitent pas quitter leur poste de travail. Si donc « en théorie » les pontiers ont disparu au profit d’opérateurs polyvalents, ils continuent en pratique à occuper la même place au sein des ateliers. Une sorte de consensus silencieux couvre leur maintien à ces postes :

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« Le pontonnier, il descendra jamais. De toute façon ça lui convient largement, il est bien, il fait huit heures, il fait son travail, il fait ce qu’on lui demande, on a rien à lui dire.
Moi j’ai rien à lui reprocher, il est consciencieux dans son travail. Quoi lui demander de plus et lui il se complaît dans ce qu’il est ! C’est bien, on l’a mis sur un pont, il en est content, il veut pas descendre, laissons-le là. […]. Lui je le vois mal descendre sur un train, puis devoir aller chercher des bobines, avoir un peu plus de responsabilité et puis d’être malheureux à ce niveau-là, parce qu’il aura dû descendre pour avoir [sa promotion]... C’est son choix, il est libre. Tant qu’il fait son travail correctement on a rien à lui dire. C’est comme ça, il faut reconnaître que depuis que je suis dans cette équipe ici, je n’ai encore jamais eu une minute d’arrêt sur son dos. « a peut arriver, mais il s’organise très bien. Il descend, il vient voir ce qu’il y a à faire, il prend les fiches tout ça, c’est pourtant pas dans son travail. Il sait s’il y a ça, ça, là il peut se permettre de descendre un quart d’heure, d’aller chercher un café, c’est à peu près le temps qu’il lui faut, sans aucun problème. Ou alors si, on pourrait le prendre en défaut si, admettons, il descend, il va chercher un café puis on a une rupture. Quand on sort, admettons, un gros bout [de tôle], on va l’attendre. Jamais je n’irai lui reprocher quoi que ce soit, chose qu’ils s’empresseraient ici de mettre en avant : “Tiens, le pont n’est pas là ?”, “Non, il est parti chercher un café”, “Ben oui il est en bas”. Beaucoup de jugements au quotidien, comme ça, c’est... mais en négatif.
Quand la hiérarchie passe, comment je vais expliquer ça, au lieu d’être bien, on est plutôt sur nos aguets, à éviter de faire la moindre bévue, la moindre bêtise, tout ça pour éviter qu’on puisse nous le reprocher un jour. On est tout le temps sur nos gardes. » (Opérateur production)

75 Cette « couverture » n’est pas un acte gratuit. Elle est non seulement un moyen de tester qui est du côté du groupe et qui ne l’est pas, mais elle remplit également une fonction plus prosaïque. Elle permet aux « acteurs » de donner la pleine mesure de leur talent, dans le cadre d’une division du travail qui les préserve des tâches ingrates associées à la fonction. Protégés par le collectif, les spectateurs permettent au groupe d’exister en restaurant un mode d’organisation devenu interdit mais qui, parce qu’ils l’ont choisi, est celui qui va permettre au collectif de « battre des records ». C’est pourquoi il est si fréquent d’entendre des acteurs couvrir les spectateurs : « Si moi, je n’ai pas d’empileur, je ne peux pas travailler. Il faut en tenir compte et faire le partage plus équitablement. » L’encadrement de terrain n’est pas en mesure de s’opposer à cette prise de contrôle tacite sur l’organisation et a plutôt tendance à fermer les yeux sur ces infractions.

76 Si le groupe se structure en protégeant les plus exposés, la tolérance est moindre en direction des figurants. Les acteurs s’en méfient davantage. Ils voient en eux le passager clandestin qui va profiter de la performance d’ensemble sans effort, ou l’oiseau de mauvais augure qui va ralentir la performance de l’équipe. La qualité du pilote n’en sera pas reconnue pour autant. On pourrait sur ce point employer la métaphore suivante : il en va de la reconnaissance de la compétence des pilotes à faire fonctionner un collectif de travail comme de la reconnaissance des enseignants à faire évoluer les capacités d’apprentissage des élèves. Si l’on mesure la performance globale d’un lycée en prenant en compte ses résultats aux examens, les établissements disposant des meilleurs éléments sont les mieux classés  [35]. Si l’on prend en compte le travail fait par les équipes pédagogiques sur la montée du niveau des élèves, ce sont alors des établissements situés dans des quartiers plus difficiles, avec des élèves disposant de moins d’atouts au départ, qui prennent la tête du classement.

77 Convaincus que l’entreprise les évalue sur leurs performances, davantage que sur leurs compétences à faire travailler un collectif hétéroclite ou à régler des problèmes d’équipe, les opérateurs se protègent en freinant. D’une manière générale, ils estiment que l’entreprise ne leur accorde pas de droit à l’erreur. À l’instar de ce que décrivent R. Linhart (1978) ou Ph. Bernoux (1981) pour les OS, le freinage est non seulement un moyen de resserrer les rangs mais c’est également une tactique visant à limiter des performances qui risqueraient de se transformer en nouvelles exigences de production. Il consiste en un subtil mélange de « fonçage » et de prise de réserve. L’enjeu est de se solidariser avec un collectif au sein duquel il s’agit de conserver un niveau de production acceptable, sans être discrédité par l’image de collectifs peu performants. Toutefois, le dépit est profond devant les ingratitudes de l’entreprise qui conduisent les opérateurs à ces stratégies défensives :

78

« Toujours est-il que si ils savaient reconnaître ça, et qu’ils étaient francs et qu’on jouerait franc-jeu, ils seraient encore de loin gagnants. C’est-à-dire que moi, si je veux bien être honnête et sincère, c’est le jour où je dis : “J’ai eu tel problème, j’ai eu telle chose et j’ai pas pu faire voir ça et depuis quelque temps c’est comme ça parce qu’on a tel et tel problème », ils me disent : “OK, d’accord”, on met tout en œuvre pour le résoudre, mais on remet pas en cause mes compétences. C’est logique, parce que j’ai su quand même à un moment battre des records, on a battu des records à certains moments. “Tu as battu des records, maintenant tu as mis cette barre-là et t’as le record du monde, tu passes au-dessus maintenant”. Si tu veux ravoir, il faut repasser ce truc-là. C’est pas proportionnel, c’est un mouvement logarithmique, on tend sur mais on arrivera jamais. C’est-à-dire que là, l’effort qui a été fait là, il a fallu presque rien comme effort, mais pour gagner les 2 % [de productivité] en plus il faut... C’est une autre affaire ! Et ça, ils peuvent pas l’admettre, ça. » (Opérateur production)

79 Avec la logique compétence, l’entreprise ne reconnaît plus à l’ouvrier la propriété d’un poste de travail attitré. La violence du dispositif de conversion se manifeste précisément dans cette dépossession, moins brutale que pernicieuse, qui ne débouche pas sur une reconnaissance sans faille des efforts fournis. Les ouvriers font l’amère expérience de cet « imaginaire leurrant » qui caractérise le fonctionnement de l’entreprise (Enriquez, 1990, pp. 212-215), dont ils se consolent en continuant à se livrer à une appropriation collective de leurs postes de travail. Mais ils ne sortent pas indemnes de ce dispositif de conversion sur un plan individuel. Il crée les conditions d’un gouvernement personnel en développant un processus de subjectivation (Foucault, 1984 ; Deleuze, 1989). Qu’ils soient malmenés par le dispositif ou qu’ils y trouvent de nouvelles opportunités, ils sont en quelque sorte contraints de « se prendre pour objet de connaissance et domaine d’action, afin de se transformer, se corriger, de se purifier, de faire [leur] salut »  [36]. L’opérateur n’est donc pas uniquement un ouvrier mutilé. C’est un homme acculé, dans la gaîté ou l’amertume, à développer un savoir sur lui-même pour conserver sa qualification.

80 P. Naville a terminé son Essai sur la qualification du travail en s’interrogeant sur les conditions qui permettent de surmonter l’opposition entre « la fluidité des qualifications requises, typique de l’industrie moderne […] et la cristallisation des qualifications acquises ». Cette opposition devient, selon lui, « une contradiction sociale : l’ouvrier éduqué, qui a atteint un certain niveau commun de qualification, de pratique et de salaire, considère sa qualification professionnelle comme une acquisition définitivement liée à sa personne et à sa valeur, comme son “métier” par excellence ; d’où sa tendance croissante, l’âge venant, à refuser de changer d’emploi ; l’industrie, au contraire, exige un brassage permanent résultant de besoins mouvants » (Naville, 1956, pp. 147-148). Cette question est cruciale pour notre propos. Les démarches compétences représentent en effet les dispositifs concrets qui instituent cette fluidité des qualifications requises et viennent heurter de plein fouet la qualification acquise comme propriété de l’ouvrier. La « résistance » des opérateurs à se séparer de leur poste de travail reflète précisément cette contradiction. Toutefois, le problème soulevé est bien plus qu’un problème managérial. C’est un problème social, auquel les entreprises ne sont pas en mesure de répondre isolément.

81 La réponse traditionnelle à cette question épineuse consiste à reconnaître au salarié la propriété d’un poste de travail, défini par un niveau d’éducation, de formation et d’expérience, dont les ouvriers possèdent la jouissance en échange de leur stabilité dans l’emploi (Kerr, cité par Saglio, 2003). Le poste de travail s’inscrit, en outre, dans un « pacte social français taylorien » (Oiry et Iribarne, 2001, pp. 57-59) spécifique, prenant appui sur le système français des relations professionnelles. Défini conventionnellement par la mise en relation d’un certain type de formation et d’un certain type de tâches, il est le support de la qualification ouvrière et est reconnu, au sein des « marchés internes à la française », comme la propriété de son titulaire  [37]. Ce type de propriété est important car il participe directement au contrôle de l’échange salarial (Saglio, 2003). La propriété reconnue aux travailleurs, celle qui ne s’aliène pas dans l’échange, alimente en effet cette « valeur d’usage inabsorbée » qui leur procure des ressources de négociation (Rolle et Tripier, 1978), notamment parce qu’elle contribue à définir leur degré d’insubstituabilité (Paradeise, 1987).

82 Le management par les compétences percute de front ce pacte social en instituant une flexibilité fonctionnelle qui dépossède les salariés de la propriété de leur poste  [38] et, partant, de la qualification qui lui était rattachée (Richebé, 2002, p. 108). Pour autant, ils n’ont pas acquis la propriété d’un métier leur procurant la possibilité de contrôler collectivement leur travail ou de changer d’employeur au gré des opportunités (Piotet, 2002). Avec la dissolution des postes dans un principe de responsabilité, rien ne permet de dire que les ouvriers sont propriétaires des compétences qui leur sont reconnues. Elles ne leur procurent pas de « capital intangible de connaissances » car elles sont « mortelles » et « instables » (Reynaud, 2001, p. 11). Elles sont liées à un résultat, c’est-à-dire à une performance collective soumise à « un marché des produits qui est plus instable et concurrentiel » (ibid., p. 28), et leur destin est tributaire des politiques d’entreprise et de leurs volte-face. Leur champ de validité est circonscrit aux organisations qui les ont définies, leur transférabilité est problématique (ibid., pp. 18-20) et elles sont, de fait, aliénées dans l’échange.

83 Une telle « instrumentalisation de la compétence » peut être considérée comme le fruit d’une stratégie qui viserait à écarter les institutions construisant le compromis social sur les qualifications (Oiry et Iribarne, 2001). Elle nous apparaît plutôt comme la manifestation d’une tendance séculaire, de la part des entreprises, à externaliser la gestion de la main-d’œuvre pour en optimiser les usages (Rolle, 2003). La compétence prend place dans un dispositif de subordination beaucoup plus large, qui fait intervenir l’État et la branche professionnelle comme garants de la propriété individuelle de la compétence. Cette garantie est apportée par l’ouverture de droits individuels d’accès à des procédures d’évaluation et de reconnaissance des compétences dans l’entreprise (Besucco et Tallard, 1999) ainsi que de droits à la validation des acquis professionnels ou de l’expérience. Ainsi, les régulations qui encadrent la gestion des compétences ne procurent plus de droits collectifs (ibid., p. 139). Elles tendent davantage, d’une part, à équiper l’individu des supports qui attestent de sa qualification acquise  [39] et, d’autre part, à concevoir des systèmes de repères collectifs des qualités du travail facilitant la mobilité (Campinos-Dubernet, 2001 ; Liaroutzos et al., 2001).

84 S’agit-il pour autant de la généralisation d’un système de propriété du grade, inspiré du modèle en vigueur chez les sous-officiers  [40], ainsi que le suggère J. Saglio (2003) ? Si le salariat français peut effectivement apparaître sous l’influence d’un modèle de type fonction publique (Saglio, 1999), visant à donner au salarié les moyens de « tenir son rang », on peut s’interroger sur le sort réservé aux ouvriers dans cette mouvance. Le poste de travail leur procurait la reconnaissance d’une propriété pouvant s’acquérir sur le tas mais qui est devenue fragile avec la vulnérabilité croissante de l’emploi. La validation des acquis professionnels ou de l’expérience risque, en s’appuyant sur des épreuves de type scolaire, d’introduire de nouvelles barrières dans l’accès à la « propriété de soi » (Castel et Haroche, 2001). De fait, la « rente »  [41] de ces validations sera d’autant moins assurée qu’elles dépendront d’un accès à l’emploi et seront exposées à la concurrence de diplômes acquis en formation initiale. Si l’ouvrier bachelier est appelé à se fondre dans une condition salariale qui, bon gré mal gré, peut reconnaître son « rang » d’opérateur compétent, l’ouvrier risque, pour sa part, de connaître le sort de tous les « sans-grade ». Expulsé de son poste de travail, privé du contrôle des usages de sa capacité de travail (Rolle, 1996, p. 104) et objet de mortifications récurrentes pour l’accroissement de sa subordination, n’ayant, enfin, que ses bras comme monnaie d’échange, il risque fort de « payer de sa personne » pour obtenir un salaire. Il n’est pas certain, dans ces conditions, qu’il forme une catégorie en déclin. Il apparaît, au contraire, comme un groupe social plein d’avenir.

85 ANNEXE MÉTHODOLOGIQUE

86 L’enquête a été réalisée dans le cadre d’une étude portant sur l’évaluation de l’impact de l’accord Acap 2000 dix ans après son application, à la demande de la FGMM-CFDT. Cet impact devait être appréhendé à trois niveaux : celui des syndicats, des lignes hiérarchiques et des salariés. L’enquête a été réalisée dans ce site au cours du premier trimestre 2000, avec la participation de Jean-Paul Cadet et Christian Marquette.

87 Tous les syndicats, signataires et non signataires, ont été rencontrés avec l’accord de la commission de suivi. Ces entretiens ont fait l’objet d’un compte rendu, qui a été envoyé aux organisations syndicales et validé par elles. Pour les entretiens avec les salariés, la réunion en commission de suivi a permis d’identifier les métiers sur lesquels il était souhaitable de faire porter les investigations.

88 Quatre métiers ont été retenus : deux appartenant à la production, le laminage et le parachèvement inox, et deux appartenant à des fonctions support, l’informatique et la maintenance centrale. Dans ces métiers, l’objectif était de rencontrer une grappe hiérarchique, c’est-à-dire de descendre la ligne hiérarchique depuis le chef de département jusqu’au salarié.

89 Le choix des interviewés a été déterminé sur des critères d’âge et d’ancienneté, de formation, et de carrière – précisons que dans ce site l’ancienneté des salariés est élevée et leur niveau de diplôme est faible (voir tableau). En outre, il a été convenu de rencontrer des salariés ayant bénéficié de la démarche (au moins une promotion obtenue depuis le premier entretien professionnel), et des salariés n’en ayant pas bénéficié du tout (aucune promotion depuis la première vague d’entretiens). Au total, nous avons réalisé 35 entretiens, dont la moitié avec le personnel opérateur.

tableau im1
1999 Usine Opérateur Opérateur Informatique Opérateur laminage parachèvement et études maintenance Inox Inox de gestion mécanique Effectif total 1263 94 136 17 92 ¬ge moyen 45.2 46 43.2 43.8 49.6 Ancienneté moyenne 24.5 25.8 22 21 30.4 Coeff. moyen 243 212 197 317 238 Aucun diplôme 25.5 % 35.1 % 39 % 11.8 % 8.7 % Diplôme Niv. V 41.5 % 47.9 % 47.8 % 5.9 63 % Diplôme Niv. IV 21.9 % 17 % 13.2 % 35.3 % 28.3 % Diplôme Niv. III et + 11.1 % 0 % 0 % 47 % 0 % % temps partiel 8.8 % 7.9 % 15.4 % 7.6 % 12.1 % Filière métier [170-255] [170-255] [255-395] [170-270]

Notes

  • [*]
    Une première version, partielle, de ce texte a été présentée au séminaire « Professions » de l’Iresco du 17 janvier 2003, auquel je remercie Monique Vervaeke de m’avoir invitée, puis encouragée à poursuivre cette réflexion. Cet article doit beaucoup à une discussion engagée avec Sophie Le Corre, suite à la qualité de son intervention au séminaire « Compétences » du Céreq (voir bibliographie). Ma dette est par ailleurs immense envers Pierre Rolle, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler lors de ce même séminaire et dont l’apport a été majeur, ainsi qu’envers Henri Eckert, sans qui ce texte n’aurait pas vu le jour. Que tous soient remerciés pour leurs lectures attentives des différentes versions de cet article, sans oublier Jean Saglio pour ses encouragements. Il va de soi que le propos tenu ici n’engage que son auteur.
  • (1)
    Nous employons ici indifféremment capacités et qualités du travailleur.
  • (2)
    Cette inquiétude est partagée par Reynaud (2001), pour qui la « doctrine de la compétence » présente une part d’utopie très ancienne et surtout récurrente chez les entrepreneurs.
  • (3)
    Mais en empruntant un chemin différent, puisque nous nous appuierons sur une sociologie de l’atelier pour analyser les modalités de cette séparation.
  • (4)
    Pour une présentation de cette notion, voir Deleuze (1986,1989) et Foucault (1975).
  • (5)
    Selon l’expression de Dubernet (2002).
  • (6)
    D’autres aspects de ce travail ont été développés dans Monchatre (2002), Kalck, Marquette et Monchatre (2002), Baraldi, Durieux et Monchatre (2002), Brochier, Kalck, Marquette et Monchatre (2001a et b).
  • (7)
    Techniquement, la sidérurgie se distingue des autres industries de flux en ce qu’elle combine des opérations à la fois mécaniques et chimiques de transformation de l’acier. Les différentes phases de la production : haut-fourneau, aciérie, laminage restent techniquement autonomes. Cette faible intégration technique a eu pendant longtemps pour effet une faible intégration économique. C’est seulement depuis une trentaine d’années que l’on a vu se développer en France (à Dunkerque et FossurMer) des installations littorales cherchant à imiter le modèle de fluidité pétrolière. Voir sur ce point Vatin (1987, pp. 130-133).
  • (8)
    La ligne en question permet de réaliser en continu, par regroupement de tous les outils d’une tôlerie classique, l’ensemble des opérations contribuant à la production de tôles inoxydables, depuis la préparation de surface des « coils » (bobines d’acier brut) par décapage mécanique et chimique, le laminage, le recuit, décapage final et la finition de la tôle. La ligne peut contenir jusqu’à 2 km de produit, et jusqu’à 4 bobines en même temps. Le temps moyen de passage d’une bobine se décompte en heures (l’objectif est de 25 minutes à terme), quand il se décompte en jours dans les ateliers traditionnels. Le site étudié est le seul en Europe à disposer d’un tel équipement.
  • (9)
    Ce n’est en ce sens pas un hasard si l’idée de la logique compétence a commencé à être expérimentée, avant d’être généralisée à l’ensemble du groupe via Acap 2000, notamment dans le site de Dunkerque, représentatif de cette nouvelle génération d’usines fluides. Voir sur ce point Chatzis et al. (1995).
  • (10)
    Les vagues de départs des plus de 50 ans avaient créé artificiellement « un effet cheminée » déclenchant mécaniquement des promotions en chaîne. C’est ce risque de blocage des carrières que l’accord Acap 2000 visait à prévenir. Voir sur ce point Gavini (1993), Céreq Bref no 173 (2002), Monchatre (2002).
  • (11)
    Selon l’expression de Lichtenberger (1999).
  • (12)
    Les 5 critères étaient : les connaissances (savoirs), les qualités requises (critères d’aptitude), les responsabilités (techniques), les conditions de travail (pénibilité du poste). Cette pesée des postes déterminait des « classes » correspondant à des fourchettes de niveaux de rémunération. L’avancement dans la classe en termes d’échelon se faisait au mérite à partir d’une évaluation du N + 1.
  • (13)
    Nous parlerons ici indifféremment de groupe métier, métier, ou emploi.
  • (14)
    La sous-traitance est encore faiblement pratiquée sur ce site rural existant depuis la fin du XIXe siècle. La persistance de pratiques paternalistes de gestion en constitue sans doute la raison. De plus, ce site joue au sein du groupe un rôle de site d’accueil, c’est-à-dire qu’il accueille les salariés victimes de fermetures et s’emploie donc à les utiliser en priorité. Les autres établissements de l’entreprise étudiée recourent beaucoup plus à la sous-traitance.
  • (15)
    Le parachèvement, qui effectue des opérations de découpage, d’emballage et d’expédition des bobines d’inox, n’est pas sous-traité, mais constitue le secteur qui a le plus recours à l’intérim. On retrouve globalement, dans les choix d’extériorisation du travail qui sont faits dans les sites de production, le phénomène souligné par Vatin (1987), à savoir l’extériorisation des travaux qui ne peuvent se ramener à un contrôle des flux et qui sont associés à des ruptures du processus de production.
  • (16)
    L’accord prévoit sur ce point « l’abandon du système de salaire “au poste de travail occupé” ; la détermination des salaires de base à partir des classifications fondées sur les compétences individuelles » ainsi que « la prise en compte des performances individuelles et collectives ».
  • (17)
    En effet, lors de la fermeture d’un atelier par exemple, le reclassement des salariés ne pouvait pas toujours se faire à poste – donc à coefficient hiérarchique – équivalent. Outre qu’ils étaient susceptibles de perdre les avantages de leur régime de travail antérieur si celui-ci était plus intéressant, ils pouvaient subir une diminution de leur salaire de base, qui les pénalisait pour leur carrière salariale ultérieure et leur retraite.
  • (18)
    D’où il résulte la suppression des primes de remplacement : « Maintenant que la polyvalence est intégrée dans le métier, on ne paie plus la polyvalence. »
  • (19)
    Et ceci d’autant plus qu’il n’existe à ce jour aucune harmonisation des emplois et des compétences des différents sites de production du groupe.
  • (20)
    Ainsi qu’au complément dû au régime de travail. Ce salaire de base, désormais commun à chaque coefficient, est appelé « salaire de qualification » dans la nouvelle grille salariale négociée dix ans après Acap 2000, lors de l’application de l’accord « Cap 2010 », qui a notamment correspondu à la mise en œuvre des 35 heures.
  • (21)
    Ces actions correctrices visent à désamorcer les mécontentements que peut provoquer la diminution des augmentations salariales et à prévenir les conflits sociaux.
  • (22)
    Le contrat de travail est incomplet car il « comporte par construction un amont et un aval qui ne sauraient y être inclus » : il repose en l’occurrence, en amont, sur « un socle d’institutions et de règles qui donnent crédibilité et efficacité à l’hypothèse d’autonomie de la volonté » et en aval sur une incertitude, à savoir « la relation établie entre la force de travail juridiquement subordonnée et le produit effectivement livré » à terme (Paradeise et Porcher, 1990, p. 8). Voir sur ce point l’excellente présentation de S. Le Corre (2003), dont n ous su iv ro ns ici l’inv itation à inscrire l’analyse de la gestion des compétences dans celle des politiques participatives des entreprises.
  • (23)
    Les freins mis par les responsables patronaux aux expériences issues notamment du courant socio-technique tiennent à leur crainte des effets d’entraînement de la libération de l’autonomie ouvrière et, en particulier, des risques d’autogestion qui lui sont inhérents (voir Durand C., 1974).
  • (24)
    On peut sur ce point parler d’un « recul du déterminisme » dans les principes d’organisation du travail (Terssac, 1992 ; Héran, 1997). L’approche déterministe, selon laquelle les activités humaines peuvent être scientifiquement maîtrisées et anticipées, s’est notamment traduite par une séparation entre conception et exécution, ainsi que par une spécialisation fonctionnelle de l’organisation, telle que l’a préconisée Fayol. Dans ce cadre, le cloisonnement entre les fonctions est pensé comme une garantie d’efficacité – il permet d’isoler les problèmes pour mieux les réduire, en mobilisant des spécialistes pour optimiser chaque activité – mais il favorise l’émergence de forces centrifuges faisant obstacles aux synergies internes. Le recul du déterminisme fait place à des approches plus pragmatiques, restructurant le processus de production en développant la coopération entre services et avec l’extérieur. La mobilisation des compétences, le décloisonnement fonctionnel, la structuration de l’organisation par le marché contribuent à renforcer l’interdépendance entre les composantes de l’organisation, plaçant les salariés en situation de « répondre à la finalité de l’entreprise » (Héran, 1997, p. 134).
  • (25)
    J’en profite pour remercier S. Le Corre de m’avoir signalé cet ouvrage lors de la rédaction d’un précédent article.
  • (26)
    Nous reprenons ici la traduction de l’anglais « total institution » par « institution totale » et non « totalitaire », proposée par Ph. Bernoux (1981, p. 141). Précisons d’emblée que l’entreprise ne peut pas être assimilée à une institution totale, ne serait-ce que parce que le rapport que les salariés entretiennent avec elle est médiatisé par un emploi (Enriquez, 1990, p. 223). Toutefois, l’entreprise peut lui emprunter des « techniques » de socialisation. La conversion de la population ouvrière entraîne ainsi des mortifications rationnellement justifiées. Goffman précise lui-même (1968, p. 47) que les traits qu’il décrit pour les institutions totales ne s’appliquent pas qu’à elles seules.
  • (27)
    Selon l’expression de Sainsaulieu (1977).
  • (28)
    Selon l’expression de Perrot, citée par Bernoux (1981, p. 104).
  • (29)
    Perrot (1974), citée par Bernoux (1981, pp. 104-109).
  • (30)
    C’est-à-dire à un moyen de pression exercé par des salariés sur un employeur en cas de litige, pour obtenir la satisfaction de revendications (Bernoux, 1981, p. 103).
  • (31)
    Sur les incidences des démarches compétences sur l’offre et la demande de formation, voir Parlier (2001).
  • (32)
    Il s’agit toutefois d’un point délicat, sur lequel les divisions syndicales sont nombreuses, y compris au sein d’une même centrale. Dans le site étudié, la configuration syndicale ayant émergé autour de l’application de l’accord, fondée sur un clivage entre la CGT et les équipes appartenant à un syndicat signataire, ne reflète pas le cas général. Généralement, les syndicats sont restés en retrait de l’application de l’accord ou bien se sont divisés à cette occasion, parfois jusqu’à remettre en cause des alliances précédemment établies. Voir sur ce point Brochier, Kalck, Marquette et Monchatre (2001a et b).
  • (33)
    Ce travail de suivi des sous-traitants est normalement confié aux K 240-270. Il peut toutefois être confié à des K 215 expérimentés.
  • (34)
    La traçabilité pose en effet le problème délicat de l’imputation des responsabilités (Rot, 1998, pp. 14-15).
  • (35)
    Nous pensons ici aux travaux de C. Thélot sur le classement des établissements scolaires.
  • (36)
    M. Foucault (1984, p. 59).
  • (37)
    Saglio (2003, p. 9). C’est la thèse de Kerr (1954) que présente ici Saglio.
  • (38)
    Sellier (2000), cité par Richebé (2002).
  • (39)
    Pour une présentation de l’offre de certification permettant une validation des acquis professionnels, voir Labruyère et al. (2002).
  • (40)
    « Le développement des logiques de compétences correspondrait ici à un rapprochement des modes de gestion des marchés internes des modèles de gestion fondés sur le primat de la propriété du grade. Sans toutefois que celui-ci ne garantisse l’emploi, ce qui rapproche donc ce mode de gestion de l’allocation des postes du modèle des sous-officiers plutôt que des modèles de l’emploi public en général. » (Saglio, 2003). Ce raisonnement va à l’encontre de l’idée, très répandue, selon laquelle la logique compétence, en privilégiant la reconnaissance des compétences liées aux situations de travail, s’oppose à la logique de grade en vigueur dans la fonction publique (Amadieu et Cadin, 1996, p. 95). Il est pourtant parfaitement pertinent si l’on tient compte du fait que la gestion des compétences, en hiérarchisant les compétences plutôt que les tâches, déconnecte l’emploi du coefficient hiérarchique, à l’instar de ce qui se passe dans l’armée (Rolle, 2003, p. 84). De même, si l’on postule que la reconnaissance d’une qualité ou propriété inaliénable est la condition de possibilité d’un rapport de subordination, alors la logique de grade est la « forme » latente d’un compromis social autour de la compétence. Le problème, social, qui subsiste est que le grade risque de se dégrader en cas de mobilité externe, surtout contrainte, car les certifications attestant des compétences acquises ont le même statut qu’un diplôme et leur reconnaissance par les employeurs reste problématique.
  • (41)
    Selon l’expression de Saglio (2003). Castel parle de « propriété sociale » (Castel et Haroche, 2001).
Français

Que recouvre le glissement sémantique d’ouvrier à opérateur ? Pour certains analystes, il s’inscrit dans l’avènement d’un nouveau modèle, « la compétence », promettant un « retour du travail dans le travailleur » (Ph. Zarifian), grâce à une meilleure prise en compte de sa participation. L’idée qui sera défendue dans cet article est que la « compétence », loin de produire un mouvement d’arrêt dans le processus de séparation du travail et du travailleur, contribue au contraire à sa poursuite. Elle conduit en effet à une normalisation des métiers de l’entreprise et s’appuie sur un véritable « dispositif » de conversion de l’ouvrier en opérateur, au sens que M. Foucault donne à ce terme. Nous présenterons pour cela l’idéal dans lequel s’inscrit la figure attendue de l’opérateur, pour analyser les modalités selon lesquelles une nouvelle discipline de travail est instituée au sein des ateliers. Les modes d’adaptation et de résistance ouvrière qu’elle suscite conduisent à s’interroger sur la signification du statu quo qui en résulte. La question ainsi posée renvoie plus largement aux formes de propriété qui sont reconnues aux ouvriers et aux supports dont ils disposent pour choisir, librement, leur activité.

Deutsch

Vom Arbeiter zum Operateur : Chronik einer Verwandlung.

Wie ist die semantische Verschiebung von Arbeiter zu Operateur zu verstehen ? Für bestimmte Forscher handelt es sich um ein aufkommendes neues Modell, « die Kompetenz », mit dem die « Rückkehr der Arbeit zum Arbeiter » versprochen wird (Philippe Zarifian), dank einer besseren Berücksichtigung seiner Beteiligung. Die in diesem Ansatz verteidigte Meinung ist, daß die « Kompetenz » bei weitem nicht zum Stillstand im Trennungsprozeß von Arbeit und Arbeiter führt, sonder im Gegenteil, zu seiner Weiterführung beiträgt. Sie führt in der Tat zu einer Normalisierung der Unternehmenstätigkeiten und stützt sich auf ein echtes « Dispositiv », im Sinne von Michel Foucault, der Verwandlung des Arbeiters zum Operateur. Wir stellen dazu den Idealfall vor, in dem das Wunschbild des Operateurs auftritt, um damit die Modalitäten zu untersuchen, den entsprechend eine neue Arbeitsdisziplin im Betrieb eingeführt wird. Die Anpassungs- und Widerstandsarten der Arbeiter, die dadurch hervorgerufen werden, führen zur Frage nach der Bedeutung des hieraus resultierenden Status Quos. Die so gestellte Frage verweist im weiteren Sinne auf Eigenschaftsformen, die den Arbeitern zuerkannt werden, und auf die ihnen zur Verfügung stehenden Unterstützungen zur freien Wahl ihrer Aktivität.

Español

Del obrero al operador : crónica de una conversión.

Qué recubre el desliz semántico de obrero a operador ? Para ciertos analistas éste se inscribe en el advenimiento de un nuevo modelo, la « competencia », prometiendo un « retorno del trabajo en el trabajador » (Philippe Zarifian), gracias a una mejor consideración de su participación. La idea que será defendida en este artículo es que la « competencia », lejos de producir un movimiento que frene el proceso de separación entre trabajo y el trabajador, al contrario contribuye a mantenerlo en marcha. En efecto conduce a una normalización de las ocupaciones de la empresa y se apoya en un verdadero « dispositivo » de conversión del obrero en operador, en el sentido que M. Foucault da a este término. Presentaremos por eso el ideal en el cual se inscribe la esperada figura del operador, para analizar las modalidades según las cuales una nueva disciplina de trabajo es instituida dentro de los talleres. Los modos de adaptación y de resistencia obrera que suscita nos hace interrogar sobre la significación del statu quo que resulta de ello. La pregunta así formulada reenvía mas ampliamente a las formas de propiedad particular que son reconocidas por los obreros y a los soportes de los cuales disponen para elegir libremente su actividad.

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  • Zarifian Ph., 1998. – Les effets de la mise en œuvre des compétences professionnelles, Tome 8 des Journées internationales de la formation « Objectif compétences », Deauville, CNPF.
  • ó 1999. – Objectif compétence, Paris, Éditions Liaisons.
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Sylvie Monchatre
Céreq 10, place de la Joliette – BP 31321 13567 Marseille Cedex 02
monchatre@cereq.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/-0001
https://doi.org/10.3917/rfs.451.0069
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