CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1La récession espagnole est marquée par une forte augmentation du chômage (figure 1) : le taux de chômage, défini comme le pourcentage de personnes au chômage par rapport à la population active, est ainsi passé de 10 % en 2008 à 25 % en 2014, et ce avec un taux d’activité [1] (part des actifs, c’est-à-dire chômeurs et employés, dans la population totale) en légère augmentation (de 70 % en 2004 à plus de 75 % en 2010, stagnant depuis, selon les chiffres de l’OCDE, figure 1), quelle que soit la définition du chômage adoptée (celle du BIT [2] ou l’autodéclaration). Cette évolution s’inscrit dans une tendance à la hausse du chômage depuis le début des années 1970 en Espagne, et plus largement dans beaucoup d’autres pays d’Europe occidentale (Italie, France, Belgique). Ce n’est donc pas vraiment une nouveauté que le taux de chômage soit élevé en Espagne, puisqu’il a déjà avoisiné les 20 % au milieu des années 1980 (1984) et 1990 (1994), mais par contre c’est la première fois (figure 1) qu’il augmente si brutalement, qu’il s’applique à un taux d’activité avoisinant les 80 %, qu’il dépasse les 25 % et qu’il se maintient à un tel niveau durant tant d’années. Dans ce contexte, on assiste à un déplacement de la question sociale [Castel, 1995], passant de « quel poste vais-je trouver ? » à « vais-je trouver un poste ? ».

Figure 1

Évolution harmonisée du taux de chômage général en Espagne, 1972-2014

Figure 1

Évolution harmonisée du taux de chômage général en Espagne, 1972-2014

Lecture : les taux d’occupation et d’activité sont respectivement le rapport de la population occupée (ayant un emploi) et de la population active sur la population totale. Le taux de chômage est le rapport des chômeurs (définis au sens du BIT) sur la population active.
Source : OCDE

2De prime abord, un tel contexte économique pose donc une question qui a sous-tendu la recherche ici présentée : quelles sont les conséquences socio-économiques de cette montée du chômage ? Cet article se propose d’investiguer une piste de réponse, confirmée dès le début de l’enquête : ce chômage de masse a relégué des pans entiers de la société espagnole dans un secteur caractérisé par une kyrielle de « petits boulots ». Ceux-ci ont pour point commun, malgré leur diversité, d’être à la marge de l’« emploi typique » entendu au sens habituel du terme (comme indépendant ou comme salarié en contrat à durée déterminée ou indéterminée) dans la mesure où ils ne répondent plus qu’en partie aux catégories, normes, et régulations qui prévalaient jusque-là : éclatement et individualisation des situations d’emploi, faiblesse des rémunérations, et mise en concurrence accrue entre travailleurs. Autrement dit, tout se passe comme si la récession de 2008 avait été un accélérateur de la tendance que Robert Castel appelait, dans le cas de la France, la « déstabilisation des régulations de la société salariale » [Castel, 1995]. Ce qu’on nomme ici les « petits boulots » constitue comme une « zone grise » entre l’emploi et le chômage, dont nous allons voir que les statistiques publiques du chômage ne rendent pas du tout compte. L’enquête a fait ressortir que les Espagnols n’ont pas un terme bien établi pour les désigner, ce qui reflète sans doute moins leur nouveauté que leur très forte hétérogénéité en termes de domaines d’emploi et des caractéristiques de ceux qui les pratiquent. En effet, tous ces petits boulots ne sont pas à proprement parler apparus avec la récession économique : certains « ont toujours existé » comme le disent certains enquêtés, d’autres se sont développés quantitativement, d’autres se sont métamorphosés. L’objectif de cet article est donc double. En premier lieu recenser ces petits boulots, en termes de différences de main-d’œuvre, de secteur d’emploi, et de conditions de travail. En deuxième lieu, il s’agit de donner des éléments de réflexion sur les phénomènes de désajustement, de décalages, ou simplement d’exploitation qu’ont connus certains travailleurs espagnols ces dernières années.

3Pour cela, nous nous appuyons principalement sur une enquête de terrain qui pose d’emblée la question de la délimitation et de la diversité du champ investigué (partie 2). Une première caractéristique centrale de ces emplois en marge est la manière dont ils font de fait passer l’emploi d’une dimension collective et sociale à une dimension plus individuelle, en faisant reposer de manière accrue les possibilités et les conditions d’emploi sur les individus (partie 3). Deuxièmement il est frappant de constater que les mécanismes de baisse des revenus sont complexes, renvoyant à des canaux plus divers que la simple réduction de salaire (partie 4). Enfin, les petits boulots sont l’objet de substantiels « effets de décalage » liés soit à des baisses de revenus en chaîne, soit à la concurrence présumée entre Espagnols et étrangers (partie 5).

2 – Présentation de l’enquête de terrain, la question de la délimitation et de la diversité du champ investigué

4Le point de départ de cette recherche était de documenter les conditions de vie des chômeurs de classes populaires [3], en termes de revenus et de consommation, d’emploi du temps, de sociabilité, et de rapports aux événements politiques et aux institutions (services sociaux, école, banques…). L’enquête était présentée en tant que telle dans le milieu d’interconnaissance : comment font les gens pour vivre lorsque le chômage est si élevé et pour s’adapter à ces nouvelles contraintes économiques ?

5Le dispositif d’enquête consistait en la réalisation de budgets de familles comptant au moins un chômeur et habitant la ville de Valencia (cf. ci-dessous) ou ses alentours, à partir d’observations et d’entretiens approfondis. Les familles étaient rencontrées par « effet boule de neige » via divers canaux : collectif de chômeurs, associations de distribution alimentaire, interconnaissance familiale ou amicale, hasard (café, métro). Les partis pris sous-jacents étaient de se donner une chance d’observer de près les problèmes économiques des chômeurs et les évaluations qui en résultent, en s’inspirant de l’approche ethnocomptable que proposent Alain Cottereau et Mokhtar Mohatar Marzok dans La famille andalouse [2012]. L’ethnocomptabilité se définit comme une « anthropologie de l’évaluation » ou une « comptabilité contextuelle », qui visent à « prendre en compte ce que les gens prennent en compte » [Cottereau et Marzok, 2012, p. 14]. L’une de ses particularités est de procéder par listages et comptages [4] avec les enquêtés, travail minutieux qui constitue un guide d’enquête pour décrire objectivement les budgets et les évaluations qui les sous-tendent. En outre, cette démarche est attentive à la visibilité ou non des pratiques économiques, tant au sein du milieu d’interconnaissance de l’enquêté que du point de vue des possibilités de mesures statistiques. Cela permet notamment de pouvoir discuter de la qualité de ces dernières, et en l’occurrence de la relative invisibilité des « petits boulots » dans les enquêtes de la statistique publique espagnole : il s’avère en effet bien difficile de faire rentrer ces petits boulots dans les cases usuelles de description d’un emploi dès lors que les cadres mêmes de la description de ces petits boulots ne sont pas établis a priori, d’où l’intérêt de les décrire au fur et à mesure de l’enquête. L’ethnocomptabilité permet enfin de mettre en relation des sphères sociales (privée/publique, travail/loisir) souvent séparées de fait dans les analyses sociologiques. Or ces petits boulots ont pour caractéristique d’être fortement encastrés dans diverses sphères sociales (familiale, sportive…) et dans différents types de dispositifs pour la réalisation du travail. Si notre étude partage ces points communs avec l’approche ethnocomptable, elle ne s’en revendique pas dans la mesure où nous reprenons ici des matériaux d’enquête issus de plusieurs ménages plutôt que de nous focaliser sur un seul de manière exhaustive comme le font A. Cottereau et M. Marzok [2012].

6L’enquête a été menée dans la ville de Valencia et ses communes environnantes, troisième agglomération d’Espagne après Madrid et Barcelone et située à environ 300 km au sud de cette dernière, au bord de la Méditerranée. Historiquement la région comportait, en vertu d’un climat favorable pour la culture des agrumes (oranges), un arrière-pays fortement agricole, dont le déclin à partir des années 1960 entraîna une émigration massive vers les villes côtières [Molla, 1979]. Actuellement, les principaux secteurs d’emploi de la région sont les services avec un fort secteur touristique saisonnier, suivi de quelques pôles industriels (un port, une usine de montage Ford de 7 000 salariés et des entreprises sous-traitantes) et d’un secteur de fabrication et d’exportation de meubles en crise depuis une quinzaine d’années. Les années 2000 y ont été marquées par une forte bulle immobilière, une prospérité apparente avec un des taux de chômage les plus faibles de l’Espagne d’avant la récession (autour de 7 %), la construction de projets aujourd’hui inachevés qui symbolisent la corruption locale (ce que les locaux appellent les « elefantos blancos », dont un énorme aéroport international à Castellón inutilisable en raison de défauts de construction, et des musées à l’architecture pharaonique), et l’arrivée d’immigrés d’Amérique latine, du Maghreb et de l’Europe de l’Est relégués dans les emplois peu qualifiés délaissés par les Espagnols (garde de personnes âgées et nettoyage domestique ou industriel pour les femmes, cueillette d’oranges ou secteur de la construction pour les hommes). La région a été une des plus touchées d’Espagne par la récession [Albertos Pueblo et Sánchez Hernández, 2014], avec un taux de chômage passant de 7 % en 2008 à 29 % en 2013 (25 % au premier trimestre 2015), l’effondrement brutal des prix de l’immobilier occasionnant une perte du PIB régional par habitant de plus de 20 % [Llaneras, 2014]. En quelques années, on passe donc de questions liées à la répartition des bénéfices, aux conditions de travail d’une éventuelle « classe ouvrière », à un contexte marqué par le chômage de masse. Toutefois, malgré ce point commun, on voit que la trajectoire socio-économique de cette région est bien différente de celle d’une région comme Roubaix étudiée par le collectif Rosa Bonheur [Rosa Bonheur, 2014] : le changement vers un contexte de chômage s’est effectué à Valencia de manière plus rapide (de 2008 à 2014) et forte (de 7 à 29 %, 25 % en 2015).

7Dès les premiers budgets, on s’est rendu compte de l’importance des petits boulots pour les chômeurs, en tant que source de revenus complétant ou même remplaçant les allocations-chômage [Roupnell, 2013]. Ces petits boulots rendaient souvent difficile l’établissement d’un budget mensuel « fixe » comme cela pourrait être le cas pour des fonctionnaires ou des salariés en CDI de longue durée. Cela donne lieu à au moins trois types de difficultés. Premièrement, beaucoup de ces petits boulots sont non déclarés et ne laissent donc pas de trace institutionnalisée qui faciliterait leur description objective [Weber, 1996] comme le fait une feuille de salaire avec le temps de travail, le type de contrat, la rémunération, les cotisations et parfois le type d’activité. Nombre d’enquêtés ne se souviennent par exemple qu’approximativement des valeurs en jeu et de leur mesure, d’autant plus lorsque ces revenus ont été irréguliers.

8À cette première difficulté s’ajoute le fait que beaucoup d’enquêtés enchaînent au cours du temps différents petits boulots et que leurs trajectoires professionnelles sont difficiles à décrire tout simplement parce qu’elles comportent de nombreux épisodes [Schwartz, 2011]. Si ceux-ci ont été déclarés, alors cette particularité espagnole qu’est le relevé de trajectoire professionnelle (« ficha laboral ») s’avère très précieuse pour l’enquêteur, puisqu’elle relève et date tous les contrats professionnels et périodes de chômage de l’enquêté depuis sa première entrée sur le marché du travail. En revanche, le travail non déclaré n’y figure évidemment pas. Lorsqu’elle a été possible, la consultation de ce relevé donnait fréquemment à voir des carrières très fragmentées, alternant périodes de chômage et d’emploi, déjà avant la récession.

9Enfin, on s’est heurté à une très forte diversité, en termes de secteur d’activité, de caractéristiques des personnes pratiquant ces petits boulots, et de régulation de l’emploi. La question s’est donc posée de savoir s’il ne fallait pas restreindre a priori le champ d’investigation [5]. Cela n’a pas été fait parce que cette diversité nous semble être en elle-même un trait significatif du marché du travail espagnol en cette période de récession, parce qu’elle était abordée en tant que telle par les enquêtés lorsque nous demandions si d’autres petits boulots leur étaient accessibles (« Pourrais-tu faire autre chose ? Serait-ce mieux ou moins bien ? »), et parce que disposer d’un éventail de configurations permet des comparaisons. En outre, ceci permet d’observer la manière dont ces différents types de petits boulots se font ou non concurrence, présentent chacun leur lot d’inconvénients et de petits avantages, et renvoient aux caractéristiques sociales des individus concernés.

10Néanmoins, on n’a pas non plus prétention à être exhaustif, il existe certains petits boulots dont on connaît l’existence par ailleurs, comme les personnes recrutées pour applaudir sur un plateau TV, mais pour lesquels on n’a pas rencontré d’enquêtés les pratiquant, sans doute en lien avec le lieu, les hasards et les biais de sélection propres à l’enquête de terrain.

11Dès lors, on a donc rempli un tableau recensant les différents petits boulots rencontrés au fur et à mesure de l’enquête (en ligne), et en complétant de la même manière leurs caractéristiques (en colonne). L’enquête, menée depuis avril 2014 en 5 séjours pour une durée cumulée de 7 mois a ainsi conduit à l’obtention d’un tableau initial de 29 lignes (chacune correspondant à un type de petit boulot) et de 30 colonnes, correspondant à 42 enquêtés (certains petits boulots correspondant à plusieurs enquêtés), qu’on a résumé ici en 14 lignes et 6 colonnes (figure 2), de manière à en donner une vue synthétique : description du petit boulot, rapport à la légalité, caractérisation minimale des revenus générés, noms anonymisés d’enquêtés repris dans la suite de l’article, éventuelle particularité des personnes faisant ces petits boulots, et secteurs d’activités concernés. Les informations dont on dispose sont hétérogènes dans la mesure où certains ont pu faire l’objet de plusieurs entretiens approfondis (cas de voisins, d’enquêtés-relais sur le terrain, personnes interrogées à intervalles réguliers), quand pour d’autres on ne dispose que de discussions informelles (cas de chômeurs rencontrés dans des mobilisations collectives, marches ou sit-in par exemple). L’ajout progressif de critères de catégorisation à mesure qu’ils apparaissent génère des trous que l’enquête de longue durée permet en partie de combler, parfois en retournant voir certains enquêtés. Dans le cadre de cet article, on se concentre principalement sur quelques cas décrits de manière relativement approfondie, certaines descriptions étant utilisées tout au long de l’article.

Figure 2

Tableau d’enquête des petits boulots à Valencia et ses alentours, 2014

Figure 2
N° Description synthétique Légalité Statut officiel d’emploi Caractéristique des revenus Exemples Particularité de la main-d’œuvre Secteurs 1 Ouvrier avec un statut d’indépendant Légal via un statut spécial (coopérative) Occupé Revenus réguliers de 1 200 € mensuels nets. Ni assurance chômage, ni congés payés, ni heures supplémentaires mieux payées, ni bonifications semestrielles Toni Non qualifiée Industrie 2 CDD de très courte durée (<3 mois) pour travail non qualifié Légal, mais non reproductible Occupé Salaires mensuels entre 800 et 1 000 € nets pour 40 heures légales, possibilité d’heures supplémentaires Rafa, Jose-Luis Non qualifiée Construction, industrie 3 Intérimaire Légal Occupé Revenus réguliers entre 800 et 2011 mensuels nets. Ni congés payés, ni bonifications semestrielles, heures supplémentaires obligatoires, mais non payées Miguel-Angel, Robert Non qualifiée, surtout immigrés dans l’agriculture Construction, industrie, agriculture 4 CDD à temps partiel de courte durée (moins de 10 h/semaine) Légal Occupé Revenus réguliers de moins de 300 € nets. Cotisation partielle à l’assurance-chômage, pas de possibilité d’heures supplémentaires, bonifications semestrielles à l’avenant Paco, Celia Diverse Services 5 Transport et commerce de drogue Illégal Chômeur Irréguliers et risqués Domingo, Pepe Jeune et non qualifiée
Figure 2
6 Ramassage dans les poubelles Illégal, mais toléré Chômeur Faibles (20 €/journée de 8-10 h) et irréguliers Rene, Vanesa immigrée Métaux, papiers, vêtements 7 Vente itinérante ou à domicile Légal Chômeur Indexées sur les ventes, et donc faibles Narcisse, Sheila, Mar Non qualifiée Services, électroménager 8 Travail non déclaré à domicile Illégal Chômeur Très variables : forte hétérogénéité des conditions d’embauche Loli Féminine Garde d’une personne âgée, d’enfants, ou ménage à domicile 9 Hébergement au domicile d’étudiants en séjour linguistique Légal Chômeur 20 €/étudiant/jour comprenant 3 repas matin/midi/soir Isabel Féminine 10 Raccordement illégal de l’électricité Illégal et réprimé Chômeur Environ 300 € la manipulation technique, ce qui correspond à 6 mois de facture Patricio Formation en électricité/électronique 11 Divers travaux au noir Illégal, mais toléré de fait, sauf délation Chômeur Rémunération très variable selon les conditions et les relations avec le client Isabel, Miguel Diverse Réfection, couture, réparation ordinateurs 12 Garde de personnes âgées ou handicapées à l’étranger Légal Chômeur Entre 450 et 580 €, selon les handicaps de la personne gardée et/ou le diplôme Mélanie Jeune ou immigrée Secteur de la dépendance 13 Gardien informel de parking Illégal Chômeur Très variables selon le parking et la journée Pas enquêté directement 14 Applaudisseur sur les plateaux TV Légal Chômeur Pas enquêté directement Pas enquêté directement

Tableau d’enquête des petits boulots à Valencia et ses alentours, 2014

3 – L’encastrement dans la vie personnelle

12On voudrait ici montrer comment ces petits boulots mettent en jeu la sphère personnelle des individus qui les pratiquent. À cet égard, les deux exemples ci-dessous sont particulièrement révélateurs.

13Isabel est rencontrée par interconnaissance en octobre 2014, elle a 50 ans et est au chômage depuis 2009 après avoir travaillé 25 ans comme assistante scolaire non fonctionnaire. Comme elle a cotisé plus de 20 ans et a plus de 45 ans, elle a droit jusqu’à sa retraite à l’indemnité forfaitaire de 426 € que touchent certains chômeurs en fin de droits, ce qui couvre tout juste son loyer de 410 €. Pour s’en sortir, d’une part elle héberge (gîte et couverts) tout au long de l’année des étudiants en voyage scolaire pour quelques jours ou venant suivre des cours d’espagnol intensifs pendant quelques semaines, ce qui lui rapporte 20 € par jour et par étudiant, de quoi il faut décompter trois repas et la consommation supplémentaire d’eau et d’électricité. Du coup, à la demande de l’institut de langue, elle a dû changer de chambre pour laisser celle disposant d’une armoire à l’étudiant en visite, et de manière à disposer de deux chambres-étudiants elle dort dans le salon qu’elle a divisé avec un rideau. D’autre part, elle a mis à profit les connaissances en couture qu’elle tient de sa mère pour faire des retouches et des rideaux. Comme elle a peur de mettre des annonces publiques pour ce travail au noir, tous ses clients sont connus par interconnaissance (réseau d’amis, de connaissances de son village d’origine), dont plusieurs de ses amis à qui elle n’ose pas demander les prix qu’elle s’était fixés. Ainsi, sur les mois de septembre 2014-janvier 2015, elle a gagné par ce biais entre 25 et 100 € mensuels.

14Carla, 25 ans, est rencontrée par hasard dans un train en novembre 2014, elle vient de finir son master en psychologie. Elle s’occupe dorénavant de garder des personnes âgées ou handicapées en Angleterre, grâce à des entreprises qui viennent recruter du personnel en Espagne pour des séjours de garde intensifs entre quatre et six semaines. Ça lui paraît bien payé (entre 450 et 580 £ la semaine de sept jours) et lui permet de pratiquer son anglais et de travailler par à-coups quand elle le veut. En revanche, les coûts du voyage aller-retour jusqu’au domicile de la personne en Angleterre sont à sa charge, les horaires sur place sont intensifs (24/24 heures, hormis quelques heures de pause à la mi-journée), et « on ne sait jamais sur qui on va tomber ». La dernière fois, la personne dont elle s’occupait était insomniaque et prise de délires, ce qui l’obligeait à être sur le qui-vive en permanence.

15On voit que ces petits boulots touchent jusqu’à la vie intime des travailleurs et façonnent les modes de vie, que ce soit dans l’aménagement du domicile (cas d’Isabel), de l’emploi du temps (cas de Carla), ou de relations de proximité forcées (les deux). Par conséquent, c’est la séparation même entre espace domestique et espace de production, historiquement rattachée à la révolution industrielle et à la généralisation du salariat, qui est ici remise en cause. Ces deux petits boulots sont invisibles du point de vue de la statistique publique qui considère ces deux femmes comme chômeuses.

16Le cas de Carla fait voir également une autre forme de l’investissement personnel requis par ces petits boulots : la prise en charge par le travailleur des frais liés à l’exercice du travail. Carla paie ainsi les frais de son voyage aller-retour jusqu’en Angleterre qui ne sont pas pris en charge par les firmes qui l’emploient, de même que beaucoup de fonctionnaires non titulaires ne sont plus remboursés de leurs frais de déplacement alors qu’ils sont parfois obligés d’aller travailler de plus en plus loin de leur domicile pour avoir un poste. On dispose également d’autres cas qui répondent à cette même logique :

17Toni, 31 ans, sans diplôme, est rencontré par interconnaissance, et travaille à la chaîne en faisant les trois-huit dans une entreprise de charcuterie industrielle de 400 employés. Son oncle maternel qui est responsable d’une section de l’entreprise « l’a fait rentrer » en juin 2012 alors qu’il était au chômage depuis plus de deux ans (2010-2012). Le trait frappant de son emploi est qu’il n’a pas de statut de salarié, en vertu du statut de coopérative de son entreprise, il est employé en tant qu’indépendant cinq jours par semaine pour 80 € la journée de huit heures. De cela il faut déduire 20 € mensuels d’équipement non fourni par l’entreprise (gants, tablier), 50 € de frais administratifs au service des ressources humaines qui s’occupe de tous les papiers et de régler automatiquement ces frais, et 230 € mensuels de cotisation sociale d’indépendant. La moitié des 400 employés de l’entreprise sont sous ce statut alors que les autres, avec qui selon Toni il est interdit de parler sur le lieu de travail, sont salariés. Toni estime gagner relativement bien sa vie (environ 1 200 € nets mensuels) par rapport à son entourage, mais n’a droit ni aux congés payés, ni au chômage, ni aux heures supplémentaires mieux payées et aux bonifications annuelles auxquelles ont droit les autres salariés. Cette situation n’est pas à proprement parler nouvelle, puisque le passage d’une partie de l’entreprise en statut de coopérative remonte aux années 1990. En revanche, avec la récession, l’entreprise a d’une part licencié ou baissé le nombre d’heures d’une partie des ouvriers indépendants, et d’autre part ne recrute plus aucun employé avec un statut de salarié alors que cela pouvait encore être le cas jusqu’en 2008.

18Paco, ancien ouvrier manutentionnaire, est au chômage depuis 2008. Nous le rencontrons dans un collectif de chômeurs jusqu’à ce qu’il obtienne en juin 2014 un emploi à temps partiel dans une entreprise de traitement des déchets sous-traitante d’une chaîne de grande distribution. Cet emploi est trouvé par l’intermédiaire de sa femme qui a sympathisé avec un père d’élève de l’école de leur fils. Il travaille de 7 heures à 12 heures les samedis et dimanche pour un salaire de 270 € mensuels nets (6 €/heure) avec un contrat annuel dépendant du renouvellement du contrat de sous-traitance. Le bruit court que certains salariés de la grande surface en question ne gagnent que 3 € de l’heure, « ils viennent parce qu’ils n’ont rien d’autre ». Comme sa femme est aussi au chômage depuis plus de deux ans et que ce salaire ne couvre pas leur crédit immobilier (350 € mensuels), il fait des « chapuzas », c’est-à-dire des petits travaux de rénovation ou d’aménagement chez des particuliers. Voici la liste des « chantiers » qu’il a réalisés lors de l’année 2014, pour un total de 730 € :

tableau im4
N° Quand ? Durée Avec qui ? Gains personnels nets Objet du travail Comment a été trouvé le travail ? 1 Février 1 journée Seul 40 € Peindre une chambre Via le collectif de chômeurs 2 Été 4 jours Seul 100 € + 70 unités de monnaie sociale Peindre un appartement Via le système de « monnaie sociale » 3 Été 4 jours Lui et un autre 150 € Peindre un appartement Via un ami 4 Été (Juillet ?) 5 jours Lui et deux autres 180 € Peindre une cage d’escalier Cage d’escalier d’un camarade du collectif de chômeurs 5 Juin 1 heure Seul 10 € Rebrancher et caler un four Une voisine âgée 6 Octobre 5 jours Lui et sa femme 200 € Peindre des volets La mère d’une amie 7 Novembre 1 jour Seul 50 € Peindre un appartement Voisine de ses parents

19Paco a fréquemment entendu parler d’histoires de « chapuzas » dont le commanditaire n’était pas satisfait de la qualité, et inversement de cas où le travailleur avait mal estimé le temps de travail nécessaire, même si ça ne lui est encore jamais arrivé. Certes, il lui est arrivé de travailler pour 36 € par jour (cf. tableau ci-dessus, cas n° 4), mais c’était pour faire une faveur à un camarade du collectif de chômeurs. Il demande normalement 10 ou 20 € pour un travail d’une ou deux heures, en faisant valoir le temps de déplacement, mais demande 50 € pour une journée de 8 heures. À la différence d’autres, Paco n’ose pas coller d’annonces publiques de peur de se faire dénoncer et contrôler, ce qui lui vaudrait une amende dont il ignore le montant, mais qu’il redoute. Il a donc bien du mal à trouver des chantiers, car ses contacts font peu de travaux, et qu’il y a beaucoup de concurrence, ce qui selon lui entraîne une pression latente à la baisse des montants qu’il peut demander et fait que la majorité des devis qu’il rend n’ont pas de suite.

20Cette prise en charge des frais d’emploi par le travailleur n’est pas anodine, elle constitue une réelle caractéristique de beaucoup de ces petits boulots, en faisant dorénavant reposer sur le travailleur les frais liés à l’exercice du travail et les éventuelles fluctuations qui s’y rattachent (quantité de matériau nécessaire dans le cas des « chapuzas », prix des billets de transport ou de l’essence), comme c’est par exemple le cas de Xary :

21Xary est une mère de famille de 50 ans rencontrée par voisinage ainsi que son mari Rafa (voir infra). Elle a toujours travaillé comme femme de ménage quelques heures par jour, pour compléter les revenus du foyer et « rester active » même sans cotiser. Elle a ainsi travaillé pendant 20 ans dans un foyer bourgeois du centre de leur petite ville aux abords de Valencia, cinq jours par semaine de 10 à 15 heures pour 900 € mensuels, soit environ 9 € de l’heure. Pour diverses raisons liées à leur expulsion immobilière et à un retour momentané dans son village d’origine, elle a arrêté ce travail, et repris un an plus tard un nouvel emploi de femme de ménage. Mais pas aux mêmes conditions : cette fois, après avoir cherché six mois en raison de la pénurie de ce type de postes, elle en a finalement trouvé un initialement payé 600 €, puis 400 € par mois pour trois heures quotidiennes de lundi à vendredi, et deux heures le samedi, de quoi il lui faut retrancher 80 € mensuels de transport public (train de banlieue puis bus, dont les tarifs ont augmenté avec la récession), ce qui revient à un salaire horaire effectif de 4,70 €/heure (en comptant le coût, mais pas le temps de transport). Le ménage qui l’emploie, travaillant respectivement dans l’orthodontie et des traitements de l’obésité non remboursés par la Sécurité sociale, a justifié cette baisse par une baisse de ses propres revenus.

22Enfin, trouver un petit boulot fait fortement appel aux relations personnelles du travailleur, comme cela apparaît dans tous les cas précédents (hormis celui de Carla) : Isabel et Paco trouvent leurs petits travaux exclusivement par relation, Paco et Xary ont trouvé leur emploi précaire par des parents de l’école de leur fils, Toni a été pistonné (« anchufe », lié au verbe « anchufar », qui signifie par ailleurs « brancher », par exemple une prise de courant) par son oncle syndicaliste et responsable d’un secteur de son entreprise. Ce trait n’est pas en tant que tel propre aux petits boulots ; d’une part on connaît depuis les travaux fondateurs de Granovetter [1973] l’encastrement social de la recherche d’emploi, d’autre part cette importance des contacts personnels pour trouver un emploi est une caractéristique de longue date du marché de l’emploi espagnol, comme l’ont par exemple montré Lizé et al. dans le cas du secteur automobile [Lizé et Lochet, 2006]. Comme le disent beaucoup d’enquêtés à propos de l’usine Ford locale en confirmant ce résultat, « pour les ingénieurs je ne sais pas comment ça fonctionne, c’est différent ils viennent de toute l’Espagne, mais pour les ouvriers [en contrat à durée indéterminée] et pour nous [intérimaires et CDD pour des sous-traitants] ça fonctionne par contact », et « avant on trouvait comme on voulait des offres à l’office de l’emploi et on changeait d’emploi comme on voulait, maintenant ils n’ont plus rien ». Il est en effet frappant de constater que la recherche d’emploi par interconnaissance a fortement augmenté avec la récession (figure 3), et que la très grande majorité des cas recensés (27 sur 29) ont été trouvés par ce moyen, à travers des types de contacts divers qui tous mettent en jeu l’ancrage local de la personne [Fol, 2010] : contacts familiaux de proche parenté (parents, frères, cousins, oncles), amicaux, de voisinage, liés à l’école des enfants ou à la paroisse locale. Or cette manière de trouver un petit boulot a des répercussions sur le travail en lui-même, en termes de productivité (on ne veut pas faire défaut à celui dont on est l’obligé) ou de mobilisation : il y a quelques mois, l’entreprise de Toni s’est mise momentanément à ne plus employer les prestataires indépendants en raison d’une baisse présumée des commandes et en leur signifiant de manière tout à fait illégale que s’ils ne renonçaient pas à leur droit de licenciement on ne ferait plus appel à eux à l’avenir. Toni a demandé son avis à son oncle qui lui a conseillé de ne pas protester, en arguant que l’activité allait reprendre. Il s’agit là d’une forme de contrôle social. Mais l’encastrement des petits boulots dans les relations personnelles a aussi des retombées sur cet autre trait caractéristique des petits boulots qu’est la faiblesse des rémunérations.

Figure 3

Méthodes de recherche d’emploi et taux de chômage en Espagne, 2005-2014

Figure 3

Méthodes de recherche d’emploi et taux de chômage en Espagne, 2005-2014

Lecture : au premier trimestre 2005, 74 % (échelle de gauche) des personnes en recherche d’emploi déclarent chercher à travers les amis, la famille ou un syndicat, alors que le taux de chômage (échelle de droite, courbe et axe des ordonnées en grisé) est à l’époque de 10,1 % (définition du chômage du BIT adoptée par l’Institut national statistique espagnol). Plusieurs techniques de recherche d’emploi étant cumulables, leur somme dépasse 100 %.
Source : Encuesta de Población Activa (EPA)

4 – Différents facteurs pour expliquer la faiblesse des revenus

23En effet, dans un contexte de fort chômage, comme le disent plusieurs enquêtés, donner du travail à quelqu’un revient à « faire une faveur », ce qui permet une pression à la baisse sur les rémunérations, comme le montre le cas de Rafa :

24Rafa a 50 ans, ancien commercial de matériaux de construction au chômage depuis 2008, lui et sa femme Xary (cf. supra) affrontent de gros problèmes financiers liés à leur crédit immobilier. Grâce à un entrepreneur rencontré dans sa paroisse, Rafa travaille ponctuellement dans une poissonnerie industrielle qui tourne au ralenti. Le travail de lavage et d’empaquetage est épuisant, le soir (18 h-2 h du matin) et en week-end prolongé (vendredi-samedi-dimanche), mais il a accepté d’être payé 100 € pour les trois jours, car il veut montrer à la paroisse sa bonne foi dans la recherche d’un emploi, espère ainsi être embauché si l’entreprise reprend son activité normale, et met parfois son fils de 18 ans à contribution pour lui donner un coup de main.

25Ce cas de Rafa montre comment le chômage de masse pèse à la baisse sur les salaires, la régulation et les conditions d’emploi, mais aussi comment ce type d’exploitation se trouve encastré dans un maillage de relations sociales qui amènent les travailleurs à accepter cette situation, parce qu’ils n’ont pas d’autres échappatoires. Un trait frappant est bien la faiblesse des revenus effectifs que la plupart de ces petits boulots procurent aux travailleurs. Alors que le salaire minimum horaire net légal est d’environ 5,50 € (somme qui fluctue marginalement selon la durée du contrat) en Espagne en 2014, notre tableau montre qu’en réalité plusieurs sont rémunérés en dessous de ce seuil, parfois de manière tout à fait légale, comme dans le cas de la cueillette des oranges sur lequel on souhaite s’attarder ici.

26Robert, immigré camerounais avec papiers, est arrivé en 2000. Nous le rencontrons dans une file de distribution alimentaire : jusqu’à la récession il travaillait dans la construction où il n’y a maintenant plus de travail, ce qui l’a amené à partir de 2008 à travailler dans la cueillette d’oranges dans la région de Valencia. Depuis 2008, ses revenus ont fortement diminué, selon lui pour plusieurs raisons :

  1. Recours accru aux machines dans certains secteurs géographiques (Lleida, en Catalogne) et pour certains fruits (vignes, fraises [6]…) où il est possible de les utiliser. Cette réduction de la demande globale de travail se traduit premièrement par l’impossibilité pour lui d’aller « faire la saison » dans ces autres secteurs où il allait parfois, et deuxièmement par un afflux croissant de main-d’œuvre obligée de quitter ces secteurs mécanisés pour venir travailler dans la récolte des oranges. D’où une réduction de la durée de la saison de récolte d’oranges (qui s’étale de fin septembre à décembre pour sa partie haute, suivie d’une basse saison qui peut se prolonger jusqu’en mai) qui se fait dorénavant plus rapidement, une hausse de la concurrence pour les postes de travail, et donc une pression à la baisse sur les salaires. Cette dynamique n’est pas nouvelle, mais se serait accentuée avec la récession, les producteurs cherchant à baisser encore leurs prix, et donc à rationaliser d’autant la production.
  2. En raison de la montée du chômage, les immigrés qui travaillaient dans la construction (maçons, électriciens, plombiers) se rabattent sur la récolte d’oranges. De surcroît, les Espagnols « reviennent » également travailler dans le secteur des oranges et occupent les postes les plus avantageux à l’échelle de ce secteur, c’est-à-dire ceux de contremaître (« corredor ») ou de « permanents » à l’année pour entretenir les vergers.
  3. Baisse du prix de la caisse d’oranges de 20 kg qui passe de plus de 1 € avant la crise (autour de 1,10 €) à 0,68 €.

27Or le travail est payé au panier et selon les modalités suivantes. Un conducteur et son véhicule emmènent de Valencia une équipe de huit personnes jusqu’au champ de récolte où ils travaillent ensemble toute la journée, qui commence une fois la rosée levée (sinon les oranges sont récoltées humides et pourrissent) et s’achève quand le champ est fini (donc parfois à la nuit). Le revenu d’une journée de travail est théoriquement le nombre de caisses que toute l’équipe (i.e. le chauffeur et ses huit personnes) a ramassé au cours de la journée, multiplié par le prix unitaire, puis réparti en principe de manière égale au sein du groupe de travail. Il faut retrancher le prix du transport payé par l’équipe au chauffeur propriétaire du véhicule, soit 7 € par personne comprenant les deux trajets aller-retour de chacun une heure environ. Ce prix est jugé élevé par Robert : selon lui, cette combine permet largement au propriétaire de rembourser l’achat du véhicule. La main-d’œuvre est engagée sur base d’un contrat d’intérim (« jusqu’à ce que la mission soit finie ») au statut d’« agrario ». Cette organisation du travail donne potentiellement lieu à beaucoup de tractations [7], pour le prix du transport, pour la stabilisation d’une équipe de travail, pour la répartition des parts au sein du groupe, pour la date et la périodicité de versements de salaire de la part de l’entreprise d’intérim, et pour obtenir les champs plus fournis et donc plus faciles à récolter, etc., qui se font pour l’essentiel entre immigrés (Maroc, Afrique noire, Pakistan, Équateur, Roumanie). D’après ce que dit Robert, il n’y a pas de « racialisation » des relations de travail telles qu’elles ont pu être constatées par exemple par N. Jounin dans le secteur du bâtiment parisien [2008].

28Par exemple, le 29 mai 2014, Robert et son équipe (9 travailleurs dont le chauffeur, tous immigrés) sont partis à 7 heures de Valencia, arrivés à 8 heures sur le champ où ils ont attendu jusqu’à 10 heures que la rosée se lève et travaillé non-stop jusqu’à 17 heures lorsque le champ était fini et le camion chargé des 432 caisses récoltées dans la journée. La caisse de 20 kg est payée ce jour 0,65 € à l’unité, soit un revenu du jour de (432*0,65)/9=31,20 € par personne, de quoi il faut décompter 7 € pour le chauffeur, soit un revenu net du jour de 31,2-7=24,20 € ; ceci sans compter les temps de trajet (retour à 18 h 15) correspond à un salaire horaire de 24,20 €/7 heures=3,45 €/heure, en dessous du salaire net horaire minimum espagnol qui est en 2014 d’environ 5 €/heure.

29De ce revenu il faut encore retrancher 1 € pour se connecter et rester en contact avec le pays via le cybercafé du coin, et la nourriture du jour, soit 4,61 € de courses au supermarché du coin qui se répartissent ainsi : deux paquets de yaourt (0,55 € l’unité), un paquet de petits croissants (430 grammes, 1,02 €), du pâté (0,79 €), un litre et demi de Tonic (0,60 €), un paquet de brie (200 grammes, 1,10 €). Robert s’autorise quelques variantes (en lien aussi avec ce qu’il reçoit de la distribution alimentaire où je l’ai rencontré et qui a lieu le dimanche soir), mais la tenue de ses consommations sur deux semaines (tickets de caisse à l’appui) montre qu’elles sont minimes (pain de mie plutôt que croissant, autre soda, maïs…). Ceci conduit à un reste à vivre de ce jour travaillé de 18,60 € : la principale partie de cette somme est utilisée pour les week-ends et les périodes chômées, le restant étant économisé pour financer le prochain séjour au Cameroun (où il n’a pas pu retourner depuis l’été 2012). Comme il n’y a pas d’autre travail possible dans la région de Valencia hors saison des oranges, il est inscrit au bureau de l’emploi et donc comptabilisé comme chômeur le restant de l’année.

30Pour l’instant il dispose de 190 € sur son compte et espère économiser au minimum 1 000 € à la faveur de la saison des oranges de cet hiver pour financer un séjour au Cameroun au printemps (billet d’avion et coût de la vie là-bas).

31Selon Robert, les autres emplois possibles pour les immigrés sont :

  • « chatarra » (« ferraille ») : terme qui désigne les ramasseurs de ferraille qui parcourent la ville avec leur crochet pour fouiller dans les poubelles et leur caddie qu’ils remplissent au fur et à mesure. Robert ne veut pas le faire, parce qu’il trouve cela dégradant et parce qu’il estime qu’il y en a déjà trop par rapport à ce qu’il est dorénavant possible de ramasser, les gens jetant moins en période de récession ;
  • le transport de drogue : Robert ne veut pas, car il a effectué une demande de nationalité espagnole qui lui permettrait de faire des allers-retours réguliers entre le Cameroun et l’Espagne, mais qui serait compromise en cas de problèmes judiciaires ;
  • « petits commerces personnels » de voitures, de téléphones portables et d’antennes paraboliques : Robert ne veut pas car, comme pour la drogue, il veut éviter tout ennui pénal lié à ces « petits trafics » et pratiquer ce type de commerce nécessiterait d’acquérir des connaissances dont il ne dispose pas pour l’instant ;
  • la vente de lunettes de soleil et autres ustensiles de plage aux touristes durant l’été : c’est à peine moins fatigant que la récolte d’oranges, la saison est courte et le revenu final mal assuré en raison de la nécessité de constituer des stocks de vente.

32L’exemple de Robert est intéressant à plus d’un titre en ce qu’il montre l’alignement tendanciel des revenus vers le coût minimal de ce qu’en termes marxiens on appellerait « la reproduction de la force de travail », la manière dont la régulation légale permet ce genre d’emploi, et l’absence d’alternatives pour ce type de main-d’œuvre immigrée non qualifiée. On retrouve là une dynamique commune à d’autres pays européens [Potot, 2010], même si l’Espagne se distingue par une succession de réformes depuis les années 1990, tour à tour ouvrant ou fermant son marché du travail aux immigrés.

33Mais cet exemple suggère aussi la complexité et la diversité des mécanismes en jeu pour expliquer la faiblesse des revenus, ce qui rejoint la distinction opérée par C. Avril [2014] à propos des employé-e-s à domicile entre faiblesse du salaire horaire et/ou faiblesse du revenu total.

34Effectivement, un premier facteur extensif de la faiblesse des revenus de ces petits boulots tient à la baisse de demande de travail, qui renvoie macroéconomiquement à la « baisse de l’activité économique » : notre tableau recense ainsi la baisse des heures prestées par un technicien pour l’organisation de congrès universitaires chaque année moins nombreux, selon lui en raison des coupes budgétaires, la baisse du nombre d’élèves au cours de judo qui entraîne une baisse des heures prestées pour un moniteur précaire, Toni (cf. supra) l’ouvrier avec un statut d’indépendant qui subit directement les fluctuations de la demande, l’ouverture et la fermeture incessante de cafés par des chômeurs, les ouvriers du meuble qui seraient à l’arrêt parce que les jeunes n’emménagent plus, la baisse du nombre d’enfants dans les cantines en raison de la mise à contribution des grands-parents pour faire manger les enfants le midi, etc. Tous ces mécanismes, évoqués par les enquêtés pour expliquer la situation, seraient sans doute à vérifier au cas par cas, mais suggèrent chacun une explication de fond de la faiblesse des rémunérations : c’est l’absence d’heures de travail disponibles. Un des corollaires de cet état de fait est la hausse progressive du travail à temps partiel (figure 4), soit pour des ex-chômeurs entrant sur le marché du travail qui ne trouvent pas de temps complet, soit pour des employés dont l’employeur réduit le temps de travail déclaré. Les travailleurs déclarés à temps partiel ne sont comptés comme chômeurs ni par les enquêtes de la statistique publique utilisant la définition du chômage du BIT, ni par l’office public de l’emploi espagnol auquel ils ne sont donc plus inscrits. Ceci a pour conséquences perverses d’une part qu’ils n’ont alors plus aucune chance d’être éventuellement appelés pour une offre d’emploi, et d’autre part qu’ils perdent de fait l’accès à certains subsides rattachés au chômage de longue durée [8]. On voit donc que l’emploi à temps partiel participe à limiter fictivement le niveau de chômage.

Figure 4

Part des contrats à temps partiel en Espagne, 2005-2015

Figure 4

Part des contrats à temps partiel en Espagne, 2005-2015

Lecture : Au premier trimestre 2005, la part des contrats à temps partiel est de 13 %.
Source : Encuesta Población Activa (EPA), 2005-2015

35Les travailleurs au noir sont également touchés par ce mécanisme en vertu de la hausse manifeste du nombre de chômeurs qui s’y adonnent, comme on l’a vu avec le cas de Paco (cf. supra, p. 11). Le cas des « chapuzas » de Paco est intéressant en ce qu’il montre bien l’absence de travail, que ce soit dans son emploi à temps partiel où ils n’ont pas besoin de lui pour plus d’heures, ou dans son travail au noir où la demande fait également défaut, ce qui donne lieu à des revenus sporadiques et aléatoires. En conséquence, il faut toujours aller chercher plus loin la tâche, phénomène qui ne concerne pas que les petits boulots : il y a moins de métaux à ramasser et donc il faut aller le chercher toujours plus loin (dans les villages environnants, ce qui nécessite un véhicule), les fonctionnaires intérimaires doivent se loger plusieurs jours par semaine loin de chez eux, les petits indépendants acceptent des chantiers qu’ils n’auraient pas pris « en temps normal », parce qu’ils ne constituent par leur corps de métier (un plombier qui fait de plus en plus de maçonnerie, un administrateur d’archives qui se met à faire des déménagements), les employés « fixes » font de plus en plus fréquemment le travail des « petites mains » qui ont été licenciées.

36La description du cas de l’immigré Robert suggère aussi qu’un second facteur intensif de la faiblesse des revenus est tout simplement le bas niveau des salaires à l’heure ou à la tâche : le panier de 20 kg d’oranges à 0,60 € engendre au final un salaire de 3,45 €/h, dans le cas de Paco la journée de huit heures à 50 € engendre un salaire un peu plus élevé de 6,45 €/h. Dans notre tableau et dans la mesure où ils peuvent être rapportés à l’heure ou à une tâche bien précise, aucun ne dépasse les 8 € de l’heure. Certains sont même parfois en dessous du salaire minimum horaire, comme dans le cas de Xary (cf. supra, p. 113) dont on a vu qu’elle est dorénavant payée 4,70 € de l’heure, à mettre en regard avec les 10 € qu’elle touchait avant la récession. Au moins deux mécanismes semblent à l’œuvre ici. D’une part la mise en jeu par les employeurs de la concurrence entre travailleurs, l’argument marxien de l’armée de réserve revient fréquemment, étant donné la précarité des statuts qui empêche toute négociation : « Ils m’ont dit : si ça ne te va pas, tu sais où est la porte. » D’autre part, comme on va essayer de le montrer, s’opèrent des décalages de rémunérations et de main-d’œuvre.

5 – Deux effets de décalage : répercussion en chaîne de la baisse des revenus et stigmatisation des travailleurs immigrés

37Le premier concerne les revenus : plusieurs baisses de rémunération sont justifiées par le fait que le revenu du commanditaire a lui-même baissé. Par exemple, on a vu que Xary accepte une baisse de salaire parce que sa situation financière personnelle l’oblige à l’accepter, mais aussi parce que c’est dû à la baisse de revenu de son employeuse, dont l’activité de médecin privé spécialisé dans l’obésité a baissé avec la récession. De la même manière, Paco ne peut pas monter ses prix de « chapuzas » parce que ses clients lui disent être à la peine financièrement. Autrement dit, les baisses de rémunération se répercutent sur les petits boulots via les employeurs qui les justifient par les baisses qu’eux-mêmes subissent, celles-ci étant évidemment très difficiles à vérifier, même si on sait que des secteurs comme la médecine privée non prise en charge par la Sécurité sociale (traitement contre l’obésité, appareil dentaire, chirurgie esthétique) ont pleinement subi la récession, au vu notamment du nombre de cliniques et instituts pour ces services qui ont fermé ces dernières années.

38Un second effet de décalage concerne la concurrence présumée avec les immigrés, selon un phénomène déjà relevé par G. Noiriel [2006] dans le cas français à propos de la stigmatisation accrue des immigrés en période de récession économique. Suite à une question sur les changements de son quartier populaire, Paco (voir supra, p. 9) explique :

39

« Avant [la récession] les Espagnols avaient les bons boulots, et les étrangers travaillaient à faire les ménages, garder des personnes âgées, dans la construction, des choses de ce type. Que s’est-il passé ? Eh bien il en est arrivé de plus en plus, ils rachetaient les appartements vieillots aux retraités qui changeaient pour un nouveau avec ascenseur, les prix ont monté. Mais comme il n’y a plus de travail, tout s’est cassé la figure. Une folie, un désastre ! Les Espagnols se sont retrouvés au chômage, et les immigrés ont continué d’occuper les mauvais postes, à cueillir les oranges, à faire des ménages, à garder des personnes âgées. Les postes sont déjà pris. C’est mal payé, mais tu ne peux pas entrer. Et s’il y a un poste, eh bien tu le dis à ton cousin, à ton neveu, à ton fils. C’est la même chose avec les oranges, les gens se bagarrent maintenant pour aller travailler au champ même si les salaires sont très bas, personne ne voulait y aller avant. Mais maintenant les groupes de cueilleurs sont formés, tu ne peux pas entrer, et il n’y a pas d’Espagnols. Quand je vais travailler le week-end à 6 heures du matin je vois des groupes de travailleurs qui attendent leur transport aux pompes à essence pour aller aux champs. C’est impossible de trouver un travail là-dedans. Ce n’est pas de leur faute, c’est le capitalisme. […] La même chose s’est passée avec l’immigration intérieure, quand ma mère et mon père sont arrivés de leur village [de l’intérieur des terres] à Valencia, la cousine de ma mère était déjà venue avant, et tu passes le poste de travail inoccupé à quelqu’un de ta famille. »

40Le point de vue de Paco est à mettre en regard de la description faite plus haut du cas de l’immigré Robert : si l’organisation du travail par équipe autogérée dans la cueillette des oranges conduit de fait les immigrés à s’autocoopter, il n’en reste pas moins que ces derniers ont été particulièrement touchés par l’augmentation du chômage en général et que leurs positions sur le marché du travail ont été modifiées par la mise en concurrence accrue avec des Espagnols qui face à la montée du chômage sont en partie revenus aux « sales boulots » (« trabajo cutre » en espagnol) qu’occupaient les immigrés avant la récession. Paco est d’extrême gauche et donc il voit ce décalage sur le marché du travail comme un trait du capitalisme, mais il en va tout autrement chez Xary (cf. supra, p. 10) qui, lorsqu’on lui demande comment va sa famille dans son village d’origine, répond :

41

« La vie est dure, il y a beaucoup de gens au chômage. Dans l’agriculture, il y a beaucoup d’immigrés, tous ces [9] gens ont pris les postes de travail dans l’agriculture, et maintenant il n’y a plus un Espagnol qui y travaille. Mais c’est que ces étrangers travaillent tous les jours, samedi, dimanche inclus, le jour du Seigneur. Avant, personne ne voulait d’étrangers dans l’agriculture, puis ils sont tous entrés quand il n’y avait pas de crise, parce que les Espagnols avaient des emplois plus qualifiés avec de meilleurs salaires, et maintenant que les Espagnols veulent revenir, eh bien il n’y a plus de travail ! Eux ne retournent pas dans leur pays parce que là-bas ils sont encore plus mal. […] Le problème est de trouver un travail, et ceux qui ont un travail sont tellement mal payés, ils sont exploités, ils sont comme s’ils étaient des immigrés dans leur propre pays ! Dans mon secteur de femme du ménage, si je touche 10 € à l’heure, vient une autre et elle occupe le poste de travail à 5 €. Voilà ce qui a créé des tensions. Par exemple, moi je demande 10 € de l’heure, et il y avait une annonce dans l’ascenseur d’une Équatorienne ou une Colombienne qui proposait de travailler pour 5 €. Voilà ce qui nous a fait du mal, ça casse le marché du travail. Parce qu’ils ne sont pas venus travailler ici avec les mêmes conditions qu’ailleurs. »

42Ces tensions racistes existaient sans doute dès avant la récession, mais se sont accrues avec l’augmentation de la concurrence entre travailleurs. Elles sont ensuite actualisées de différentes manières, notamment dans les queues de distribution alimentaire. Pour des raisons qu’il faudrait investiguer plus avant, cet enjeu ne trouve pour l’instant que peu de relais politiques.

6 – Conclusion

43On a donc vu ici trois traits caractéristiques de ces petits boulots apparus ou modifiés avec la récession économique : leur emprise sur la vie personnelle des travailleurs, la faiblesse de leurs rémunérations, et des effets en chaîne quant aux revenus ou à la place des immigrés sur le marché du travail. Les statistiques de l’emploi, qu’elles soient issues d’enquêtes de la statistique publique ou du bureau de l’emploi (statistique administrative), rendent très mal compte de cette dichotomie entre emploi et chômage, comme l’avait déjà noté K. Hart [1973] pour le cas du Ghana. Chaque petit boulot charrie son lot de tracas et de difficultés : ceci permet de rendre plus concrètes les conséquences de la récession qui sont souvent décrites de manière unifiée et globalisante, en particulier à travers d’abstraits indicateurs internationaux et agrégats macroéconomiques. Il ne s’agit pas d’en livrer une description catastrophiste [Mbembe et Roitman, 1995], mais d’aller vers une sociologie des récessions qui donne à voir les conséquences concrètes des fluctuations économiques sur les sociétés occidentales, avec l’idée que cela se traduit par une somme de changements qui s’agrègent les uns aux autres et dont les petits boulots constituent un type d’ajustement. Dans ce contexte, beaucoup se demandent dans quelle mesure cette marginalité est viable à long terme : c’est notamment à cette aune qu’il faut comprendre l’émigration des jeunes, le retour au pays d’immigrés étrangers, et l’exaspération latente face à la classe politique corrompue.

Notes

  • [1]
    Il importe de garder à l’esprit que le calcul du taux de chômage se fait à partir de la population active en âge de travailler (16-65 ans) et laisse donc de côté les inactifs, alors que cette catégorisation est discutable (par exemple dans le cas des femmes au foyer). D’où l’importance, surtout lors de comparaisons, de mettre en regard le taux de chômage avec le taux d’emploi (actifs occupés) ou d’activité (actifs occupés ou chômeurs), qui eux prennent en compte toute la population en âge de travailler.
  • [2]
    En application de la définition internationale adoptée en 1982 par le Bureau international du travail (BIT), un chômeur est une personne « en âge de travailler » qui répond simultanément à trois conditions :
    • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine de référence ;
    • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
    • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.
  • [3]
    Définies ici au sens d’O. Schwartz [2011] par l’insécurité économique, par des traits culturels particuliers, et par la domination sociale.
  • [4]
    Pour une présentation plus détaillée de l’ethnocomptabilité, voir l’introduction de C. & M., introduction, pp. 7-18.
  • [5]
    Cette question traverse toutes les recherches sur l’« économie souterraine » [Roché, 2014].
  • [6]
    Pour une description de « l’industrie des fraises » andalouse qui dès le début des années 2000 a massivement recours à la main-d’œuvre immigrée, voir Hellio [2008]. Pour les mobilisations autour des conditions d’emploi déplorables dans ce secteur dès avant la récession, voir Burchianti [2006].
  • [7]
    « – Et il y a de la concurrence entre les travailleurs ?
    – Hombre, il y a beaucoup de concurrence, si c’était de la concurrence positive ça ne ferait pas de problème, le problème est que c’est une concurrence négative là : comme dans les champs, c’est du sauve-qui-peut, on te paie selon la production, il y en a qui ne sont pas honnêtes et qui ne font pas le travail, ils sont prêts à utiliser tous les moyens pour rivaliser avec les autres même s’ils n’ont pas la capacité de produire autant, ils usent de tous les moyens pour pouvoir être à leur niveau, c’est une compétence un peu immorale, ça veut dire qu’on discute beaucoup dans les champs.
    Un exemple très simple : on arrive dans le champ, certaines personnes vont se mettre là où c’est beaucoup plus chargé avec des fruits, tu vois ce que je veux dire, là où les arbres sont bas, c’est des critères sur lesquels on se base, pour pouvoir avoir plus de caisses. Si le champ est mauvais on produit moins, s’il est mieux on produit plus. Donc discussions. »
  • [8]
    Sans entrer ici dans les détails, il existe en fait plusieurs aides de ce type, telles qu’une aide sociale monétaire ou l’accès à une formation, qui sont conditionnées à la durée passée au chômage, mais aussi aux ressources, à la situation familiale et à l’âge du chômeur.
  • [9]
    La dénomination des immigrés se fait ici avec le déterminant « esa », qui en espagnol sert entre autres pour désigner quelque chose avec distance et de manière péjorative.
Français

Cet article traite de la manière dont la montée du chômage à partir de 2008 en Espagne a eu des conséquences sur les petits boulots, définis comme ne répondant pas à l’« emploi typique » (CDI, fonctionnaire, indépendant) et qui sont pratiqués pour faire face à la récession. Pour cela, il s’appuie principalement sur une enquête ethnographique dans la région de Valencia et décrit plusieurs caractéristiques de ces petits boulots : une forte emprise sur la vie personnelle des travailleurs, de faibles rémunérations et des effets de décalage liés notamment à la concurrence entre natifs et immigrés.

Mots-clés

  • chômage
  • marge
  • récession
  • revenu
  • description

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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2016
https://doi.org/10.3917/rfse.017.0103
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