CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le process tracing est une méthode qui vise à analyser les processus et les séquences de décisions et d’événements qui mènent à une situation, un résultat que le chercheur souhaite expliquer  [1]. Comme le rappelle Yves Surel dans son article, et comme l’illustrent les autres articles de ce numéro spécial, depuis quelques années, la science politique recourt de plus en plus volontiers au process tracing. Parallèlement à cette utilisation croissante de la méthode du process tracing dans les travaux de science politique, les publications méthodologiques sur cette méthode, ses fondements ontologiques et épistémologiques se sont multipliées  [2]. Ces publications cherchent à définir et systématiser l’utilisation de cette méthode. Les aspects auxquels s’intéressent ces écrits méthodologiques sont principalement : les diverses variantes de la méthode, ses bonnes pratiques, les moyens d’améliorer sa validité – notamment en matière d’inférence causale – et la question de savoir si et à quelles conditions elle peut s’intégrer à des protocoles de recherches multiméthodes.

2Cette littérature méthodologique foisonnante n’est pas sans produire quelque confusion et un exercice de « concept stretching »[3]. Elle est le plus souvent purement méthodologique. Elle développe des notions très abstraites et des suppositions philosophiques ainsi que des concepts souvent complexes  [4]. Bien que ces publications soient souvent très importantes, beaucoup se trouvent de plus en plus éloignées des recherches concrètes. L’avantage des articles présentés dans ce numéro spécial est d’aborder la méthodologie du process tracing sur la base de recherches empiriques. Il nous semble cependant nécessaire et utile de chercher à tirer des enseignements généraux de cette littérature, afin notamment d’identifier les différents usages possibles du process tracing ainsi que ses traits saillants et ses apports principaux.

3Au cours du temps, au lieu de se stabiliser, les définitions du process tracing se sont multipliées (nous en présentons vingt différentes dans le tableau 1 ci-après), et la méthode a été parfois abusivement revendiquée et utilisée à partir du moment où il s’agissait d’analyse de phénomènes qui se déploient dans le temps. Il n’est qu’à considérer la diversité des définitions et des usages du process tracing que nous avons réunis dans les tableaux 1 et 2 pour percevoir l’état de confusion, de discorde et de débats internes dans lequel se trouve la littérature méthodologique sur le process tracing. Notre objectif est ici de clarifier la situation, de mettre en évidence ce que les différentes approches de cette méthode ont en commun, ce que son utilisation peut apporter à la science politique, en particulier à l’économie politique comparée et à l’analyse des politiques publiques, et aussi quand et comment elle peut être utilement mobilisée.

4Pour ce faire, nous commençons par synthétiser les éléments communs qui ressortent de la lecture de la littérature méthodologique récente sur le process tracing : cette méthode vise à retracer des mécanismes causaux, de manière inductive ou déductive. Puis nous nous concentrons sur cette relation entre process tracing et analyse causale pour en saisir les implications méthodologiques et ontologiques. Nous revenons ensuite sur les distinctions entre usages inductifs et déductifs du process tracing, ce qui permet de distinguer le process tracing du travail historique, ou bien des analyses causales quantitatives. Nous soulignons ensuite ce qui nous semble être la valeur ajoutée et les apports spécifiques des travaux appliquant le process tracing. Nous terminons en formulant dix propositions pour mener au mieux des recherches en suivant la méthode du process tracing.

Le process tracing vise à retracer des mécanismes causaux, de manière inductive ou déductive

5Le process tracing est à l’origine une méthode développée par les sciences cognitives et la psychologie pour l’étude de la prise de décision individuelle [5]. C’est au sein des études des organisations que s’est ensuite développé le process tracing, notamment avec les travaux de Lawrence Mohr. Il introduit la distinction entre analyse de la variance et analyse du processus dans l’étude du changement organisationnel [6]. Cette distinction a permis de faire ressortir les différences ontologiques entre les méthodes qui traitent le temps comme une variable ordinaire (dans les analyses de séries temporelles par exemple) et celles qui explorent l’essence dynamique des processus en en analysant les séquences (dans les études de cas notamment) [7].

6Alexander L. George a été, en 1979, le premier politiste à proposer d’utiliser le process tracing dans la discipline  [8]. Il suggérait alors d’appliquer la méthode explicative des historiens afin de savoir si une corrélation statistique entre des variables indépendantes et la variable dépendante était de nature causale. « Le chercheur soumet le cas dans lequel cette corrélation apparaît à une analyse approfondie, comme un historien le ferait, afin d’établir s’il existe un processus intervenant, c’est-à-dire un nœud causal, entre les variables indépendantes et dépendantes. » [9] Alexander L. George met ainsi en avant « la procédure du process tracing » comme une « tentative de retracer le processus – les étapes successives – par lequel les croyances influencent les comportements » [10], et comme un moyen de produire « des arguments historiques à propos des processus causaux dans l’étude des prises de décision humaines et organisationnelles » [11]. En science politique, ce sont d’abord les chercheurs en relations internationales et en économie politique internationale, puis en économie politique comparée qui ont suivi cette voie. Ils ont d’abord appliqué le process tracing pour expliquer les processus de prise de décisions individuelles et collectives, en cherchant à comprendre ce qui déterminait ces décisions, mettant notamment au jour « les effets des divers arrangements institutionnels sur l’attention, le traitement (des informations) et le comportement » [12].

7Le process tracing est aujourd’hui une méthode souvent citée en science politique. Cependant, son développement ne s’est pas appuyé sur une conception univoque. Ainsi, nous dénombrons dans la littérature méthodologique pas moins de dix-huit sortes d’usages apparemment différents du process tracing depuis la première apparition de la notion (tableau 2 ci-après). Et les multiples publications cherchent trop souvent à différencier leur propre et « bon » usage de celui des autres, engageant par là une guerre méthodologique absconse le plus souvent éloignée des réalités de la recherche empirique. Afin de contribuer à stabiliser l’usage du process tracing en science politique, nous voudrions ici souligner les principaux traits communs qui ressortent d’une lecture transversale de cette littérature méthodologique sur le process tracing. Deux éléments essentiels nous semblent émerger de la littérature.

8Tout d’abord, la plupart des auteurs conviennent aujourd’hui que les méthodes de process tracing permettent une analyse qualitative systématique et rigoureuse de la temporalité et de la causalité. C’est une méthode qui non seulement permet d’identifier et de mettre en exergue des mécanismes causaux, mais surtout qui vise à en étudier le contenu. Pour le dire de façon simplifiée, c’est une méthode qui vise à étudier ce qui se passe entre X et Y. Pour reprendre une formule d’Andrew Bennett et Jeffrey Checkel : « le process tracing est une technique essentielle pour saisir les mécanismes causaux en action » [13].

9Comme l’illustre l’article de Cyril Benoît dans ce numéro, cette méthode peut être utilisée en complément des approches fondées sur la mise en évidence quantitative des corrélations. Il est cependant important de souligner dès maintenant que les aspirations explicatives de ceux qui font du process tracing diffèrent de celles des chercheurs appliquant des méthodes statistiques multivariées comme les régressions par exemple [14]. Les études statistiques cherchent à quantifier les effets causaux moyens que les facteurs causaux (les variables indépendantes) ont sur un résultat (la variable dépendante), et supposent que ces effets moyens peuvent être isolés en étudiants de nombreux cas où l’on retrouve les facteurs analysés. Ceux qui utilisent le process tracing ne cherchent pas une estimation précise de certaines causes spécifiques (quel pourcentage de la variance est expliquée par une variable indépendante), mais cherchent plutôt à identifier « le processus par lequel certaines variables pertinentes ont un effet » au sein d’études de cas uniques ou limités [15]. Leur but est d’observer le mécanisme causal au moyen d’une analyse qualitative approfondie d’études de cas circonstanciés, plutôt que d’estimer statistiquement leur effet à travers l’études de nombreux cas. Ils considèrent que l’analyse des effets causaux comprend à la fois l’analyse des effets qu’ont les causes, mais aussi l’analyse de chaînes causales et de mécanismes causaux, et donc l’analyse des causes des effets  [16]. Ils sont sensibles au contexte dans lequel les processus causaux se déploient, et cherchent à comprendre les conditions spatiales et temporelles des mécanismes. Ils visent à théoriser les effets du temps et du contexte plutôt que de chercher à les supprimer de l’analyse par un raisonnement que se voudrait ceteris paribus[17].

10Le deuxième trait saillant qui émerge de notre analyse de la littérature est que les nombreuses variantes du process tracing peuvent être regroupées en deux usages principaux de la méthode : un usage plutôt inductif, visant à construire une théorie, c’est-à-dire à mettre au jour et à préciser des mécanismes causaux, et un usage plutôt déductif, visant à tester (et à affiner) la théorie, c’est-à-dire à vérifier au moyen d’un ou de plusieurs cas empiriques si les mécanismes causaux élaborés par la théorie sont bien ceux qui expliquent le lien entre X et Y  [18]. Nous considérons cette différenciation entre approche inductive et déductive comme étant importante à au moins deux titres. Tout d’abord, le process tracing apparaît comme la principale (si ce n’est la seule) approche permettant à la fois d’élaborer des théories (approche inductive) et de les tester (approche déductive). Deuxièmement, le process tracing permet de construire un pont avec les approches quantitatives et s’avère donc essentielle pour les recherches fondées sur les méthodes mixtes, même s’il faut rester vigilant sur la conception de la causalité sous-jacente à chaque approche particulière. Il ne s’agit pas ici pour nous d’opposer deux types d’usages du process tracing[19], mais bien de souligner les différents usages possibles de cette approche, et leurs conséquences, notamment en matière de causalité.

Process tracing et mécanismes causaux

11Nous l’avons déjà souligné, les définitions du process tracing sont nombreuses et variées. David Waldner remarque à juste titre que l’expression est devenue un « terme générique » [20]. Pour certains, il est pratiquement devenu un buzzword[21]. Le tableau 1 présente l’évolution des principales définitions du process tracing. On voit que celles-ci sont passées de la définition d’une méthode d’analyse des processus décisionnels à un moyen d’identifier les processus causaux, puis à une méthode produisant des explications nouvelles d’un cas, éventuellement applicables au phénomène plus large dont ce cas est une manifestation. Tullia G. Falleti en donne finalement une définition simple et complète : « l’analyse temporelle et causale des séquences d’événements constitutifs du processus étudié »  [22].

Tableau 1. Définitions du process tracing (par ordre chronologique)

« Comme son nom l’indique, cette procédure [le process tracing] entend explorer et expliquer le processus de décision par lequel des conditions initiales données se trouvent traduites en résultats. [...] On s’efforce de mettre en évidence : les stimuli auxquels les acteurs prêtent attention ; le processus qui traite ces stimuli pour parvenir à des décisions ; le comportement réel qui s’ensuit ; les effets de différents environnements institutionnels (et d’autres variables) sur cette attention, ce traitement et ce comportement. »Alexander L. George, Timothy J. McKeown, « Case Studies and Theories of Organizational Decision Making », dans Robert F. Coulam et Richard A. Smith (eds), Advances in Information Processing in Organizations, Greenwich, JAI Press, 1985, vol. 2, p. 21-58.
« Les démarches de process tracing – comme l’analyse de protocoles verbaux ou les méthodes à base de tableaux d’informations – ont été élaborées pour étudier les processus cognitifs qui sous-tendent la prise de décision. » « Les modèles de processus s’intéressent plus directement aux étapes parcourues entre l’introduction des inputs d’information et le résultat en termes de décision. »Kevin J. Ford, Neal Schmitt, Susan L. Schechtman, Brian M. Hults, Mary L. Doherty, « Process Tracing Methods : Contributions, Problems, and Neglected Research Questions », Organizational Behavior and Human Decision Processes, 43 (1), 1989, p. 75-117, résumé et p. 75.
Le process tracing « lie théorie et travail empirique en se servant des implications observables d’une théorie pour proposer de nouvelles observations à faire pour évaluer la théorie ». Elle est utile pour trouver « des hypothèses plausibles sur les mécanismes causaux », mais pas pour produire des inférences causales fortes, « parce que plus qu’un seul mécanisme peut être activé ».Gary King, Robert O. Keohane, Sydney Verba, Designing Social Inquiry. Scientific Inference in Qualitative Research, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 227-228.
« Ce type d’enquête constitue la méthode du process tracing. Le chercheur examine des conjonctions spécifiques de facteurs et de résultats, et tente de dessiner des analyses causales et d’inférences pour ces cas particuliers. Et dans la plupart des cas, on peut comprendre cette approche comme un effort pour découvrir les micro-fondations des phénomènes en question. »Daniel Little, « Causal Explanation in the Social Sciences », The Southern Journal of Philosophy, 34, supplement, 1995, p. 31-56, ici p. 45.
« Le process tracing permet de tester des théories à partir d’observations internes de cas. »Stephen Van Evera, Guide to Methods for Students of Political Science, Ithaca, Cornell University, 1997, p. 56.
« La méthode du process tracing tente d’identifier les processus causaux – la chaîne causale et le mécanisme causal – qui interviennent entre une (ou des) variable(s) indépendante(s) et le résultat de la variable dépendante. » « Le process tracing offre un terrain commun aux historiens qui s’intéressent à l’explication historique et aux politistes et autres chercheurs en sciences sociales qui sont sensibles aux complexités des événements historiques mais s’intéressent plutôt à la théorisation de catégories de cas et à l’explication de cas individuels. »Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 206 et p. 223.
« Faire du process tracing, c’est en général retrouver le fonctionnement du ou des mécanismes causaux à l’œuvre dans une situation donnée. On retrace soigneusement ce à quoi l’on s’attend concernant le fonctionnement du mécanisme. » « Le grand intérêt du process tracing est que, bien conduite, elle place la théorie et les données en étroite proximité. On voit très vite ce qui marche et – tout aussi important – ce qui ne marche pas. Et ce processus d’apprentissage se déroule à plusieurs niveaux : méthodologique, théorique et métathéorique. »Jeffrey T. Checkel, « It’s the Process Stupid ! Process Tracing in the Study of European and International Politics », ARENA Working Paper, 26, octobre 2005, <http://ideas.repec.org/p/erp/arenax/p0206.html>, p. 6 et p. 22.
Le process tracing est « un style d’analyse utilisé pour reconstituer le processus causal qui s’est déroulé dans un cas unique [...]. Ses caractéristiques sont les suivantes : (a) des éléments factuels de différentes sortes (observations non comparables) concourent à vérifier un résultat unique ; (b) le processus causal lui-même est généralement assez complexe, impliquant une longue chaîne causale et éventuellement plusieurs aiguillages, boucles de rétroaction, etc. » « Au lieu d’examiner de multiples exemples de X1 → Y (recherche sur un grand nombre de cas), on examine un seul exemple de X1 → X2 → X3 → X4 → Y. »John Gerring, Case Study Research. Principles and Practices, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 126 et p. 173.
« Le process tracing peut comporter à la fois une étude inductive et une étude déductive des événements et séquences composant un cas. L’examen inductif peut révéler des processus causaux potentiels que le chercheur n’avait pas théorisés a priori. Dans une démarche déductive, on aura une représentation théorique des événements qui doivent s’être produits dans un cas donné si la théorie que l’on soumet à investigation constitue une bonne explication du cas. Selon la théorie testée, certaines des étapes posées en hypothèse dans le cas étudié peuvent être définies comme des conditions nécessaires au sens strict et d’autres, plus souplement, comme présentant plusieurs processus substituables ayant pu intervenir en tel ou tel point. »Andrew Bennett, Colin Elman, « Case Study Methods in the International Relations Subfield », Comparative Political Studies, 40 (2), 2007, p. 170-195, ici p. 183.
« Le process tracing consiste à examiner les éléments factuels d’un cas donné – ou d’un segment bien délimité dans le temps et l’espace d’un phénomène donné – pour en tirer, et éventuellement en tester, des explications alternatives. Autrement dit, le process tracing veut aboutir à une explication historique d’un cas individuel, et cette explication peut ou non fournir une explication théorique pertinente d’un phénomène plus large dont le cas est une manifestation. »Andrew Bennett, « Process Tracing : A Bayesian Perspective », dans Janet Box-Steffensmeier, Henry E. Brady, David Collier (eds), The Oxford Handbook of Political Methodological, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 217-270, résumé.
Le process tracing est « une procédure conçue pour identifier les processus reliant un ensemble de conditions initiales à un résultat particulier ».Pascal Vennesson, « Case Studies and Process Tracing : Theories and Practices », dans Donatella Della Porta, Michael Keating (eds), Approaches and Methodologies in the Social Sciences. A Pluralist Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 223-239, ici p. 224.
« La méthode du process tracing peut être utilisée pour évaluer des hypothèses sur les causes de tel résultat particulier dans un cas donné. C’est sans doute l’instrument le plus important d’inférence causale en étude qualitative et en étude de cas. Les tests relevant du process tracing peuvent aider le chercheur à établir que : (1) tel événement ou processus a eu lieu, (2) tel autre événement ou processus a eu lieu après celui-ci, (3) le premier a été une cause du second. »James Mahoney, « The Logic of Process Tracing Tests in Social Sciences », Sociological Methods & Research, 41 (4), 2012, p. 570-597, ici p. 571.
Dans le chapitre de son ouvrage consacré au process tracing, Ingo Rohlfing souligne que le process tracing aide à analyser deux différents types de processus, ceux réalisés et les processus anticipés.Ingo Rohlfing, Case Studies and Causal Inference. An Integrative Framework Research, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012, chap. 6.
« Le process tracing implique évidemment des processus, des mécanismes et un groupe hétérogène d’éléments factuels. Il ne sera pas facile de subsumer ces considérations dans une définition unique. [...] Je définis le process tracing comme un mode d’inférence causale fondé non sur la covariation mais sur la concaténation. Le process tracing est une recherche de caractère longitudinal, dont les données consistent en une séquence d’événements (actions individuelles ou collectives, changements d’état individuels ou collectifs) représentés par des observations non standardisées portant sur une unité d’analyse unique. [...] En restant à l’intérieur d’un cas unique, le process tracing privilégie la validité interne sur la validité externe ; ce qu’elle perd en généralité, elle le gagne en capacité de produire des explications relativement complètes. »David Waldner, « Process Tracing and Causal Mechanisms », dans Herold Kincaid (ed.), The Oxford Handbook of Philosophy of Social Science, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 65-84, ici p. 67-68.
« Essentiellement, ce qui caractérise les chercheurs qui font du process tracing c’est qu’ils veulent aller au-delà de la seule identification de corrélations entre variables indépendantes (les X) et résultats (les Y). » « Le process tracing est sans doute la seule méthode permettant d’étudier les mécanismes causaux. »Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Process-Tracing Methods. Foundation and Guidelines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2013, p. 1-2.
« L’idée du process tracing est d’identifier et de découper la “chaîne causale” reliant les variables indépendantes à la variable dépendante et d’examiner en détail chacune de ces séquences. »Martino Maggetti, Claudio Radaelli, Fabrizio Gilardi, Designing Research in the Social Sciences, Londres, Sage, 2012, p. 59.
« Les techniques que l’on peut ranger sous l’appellation “process tracing” sont particulièrement adaptées pour mesurer et tester des mécanismes causaux posés en hypothèse. »Andrew Bennett, Jeffrey T. Checkel, « Process tracing : From Philosophical Roots to Best Practices », dans Andrew Bennett, Jeffrey T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences. From Metaphor to Analytic Tool, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 3-37, ici p. 3.
« Le process tracing peut aider à valider le design et les hypothèses modélisées dans les expérimentations naturelles : à travers la découverte de ce que j’ai nommé les assignations et traitements des observations de processus causaux (causal-process observations, CPO) ainsi que des tests de validation des modèles des CPO. »Thad Dunning, « Improving Process Tracing : The Case of Multi-Method Research », dans Andrew Bennett, Jeffrey T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences. From Metaphor to Analytic Tool, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 211-236, ici p. 214.
« Le process tracing est particulièrement précieux pour établir les traits caractéristiques des événements qui composent les séquences individuelles (c’est-à-dire leur durée, leur ordre, leur rythme) ainsi que les mécanismes causaux qui les relient entre eux. Il n’y a pas de substitut au process tracing quand il s’agit d’analyser les événements qui constituent les séquences et les processus qui sont étudiés dans les recherches historiques comparatives. »Tulia G. Falleti, James Mahoney, « The Comparative Sequential Method », dans James Mahoney, Kathleen Thelen (eds), Advances in Comparative Historical Analysis. Resilience, Diversity, and Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 211-239, ici p. 212.
« Je définis la méthode du process tracing guidée par la théorie comme l’analyse temporelle et causale des séquences d’événements constitutifs du processus étudié. »Tulia G. Falleti, « Process Tracing of extensive and intensive processes », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 455-462, ici p. 457.

Tableau 1. Définitions du process tracing (par ordre chronologique)

Tableau adapté de Christine Trampusch, Bruno Palier, « Between X and Y : How Process Tracing Contributes to Opening the Black Box of Causality », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 437-454, ici p. 440-441.

12À l’origine une méthode pour analyser le processus de prise de décision au niveau individuel et les micro-fondations du comportement (ce que la méthode désigne toujours en sciences cognitives), elle est devenue en sciences sociales une méthode permettant de scruter en détail les mécanismes qui peuvent se déployer au-delà du niveau individuel et analyser les mécanismes causaux macro. Le process tracing se présente donc maintenant surtout comme une méthode pour identifier de nouveaux mécanismes causaux ou bien tester des hypothèses sur les mécanismes causaux prévus par la théorie afin de combler les insuffisances de l’analyse de corrélation, qui ne fait que souligner la coïncidence entre deux variables. La méthode est souvent considérée comme la voie royale pour résoudre le problème du mécanisme de la causalité, auquel ni les méthodes statistiques ni les méthodes expérimentales n’apportent de réponse, ce qui a frustré des générations de chercheurs en sciences sociales  [23].

13Ainsi, les pratiquants du process tracing prennent les processus au sérieux. Ils analysent des « observations de processus causaux (CPO : causal process observations) », définies comme « un fait observé ou recueilli qui fournit de l’information sur le contexte, le processus ou le mécanisme et qui renforce notablement l’inférence causale »  [24]. Ils cherchent à traiter certaines faiblesses de l’analyse statistique, notamment à résoudre les problèmes auxquels se heurtent les analyses de corrélation quand il s’agit de préciser la causalité, son type et sa direction  [25]. Ils considèrent impossible d’analyser des processus sans données qualitatives et utilisent ainsi des sources primaires telles que documents et entretiens, littérature secondaire décrivant le résultat qui les intéresse. Ils peuvent aussi utiliser des données quantitatives tant que celles-ci permettent de retracer des processus  [26]. Le process tracing peut aussi aider à résoudre le problème de biais de sélection des données, à éviter le problème d’omission de variable (omitted variable) et les corrélations fallacieuses (spurious correlation)  [27].

14Globalement, toutes ces définitions confirment que la principale caractéristique de cette méthode est que l’on y reconstitue des processus afin de saisir ces derniers de manière fidèle et précise et d’expliquer tel ou tel résultat constaté. Tous les pratiquants de la méthode cherchent à identifier ou à préciser des mécanismes causaux et temporels.

15Mais qu’est-ce qu’un mécanisme causal ? Andrew Bennett et Jeffrey T. Checkel définissent ainsi les mécanismes causaux : « Processus physiques, sociaux ou psychologiques fondamentalement non observables par lesquels opèrent – mais seulement dans des contextes ou des conditions spécifiques – des agents dotés de capacités causales pour transférer de l’énergie, de l’information ou de la matière à d’autres entités. Ce faisant, l’agent causal modifie les caractéristiques, capacités ou propensions des entités affectées, et la modification persiste jusqu’à ce que d’autres mécanismes causaux agissent sur eux. »  [28] Derek Beach définit les mécanismes causaux comme « une série de parties imbriquées composées d’entités engagées dans des activités qui transmettent des forces causales aux résultats [...]. Les entités peuvent être comprises comme les facteurs (acteurs, organisations ou structures) qui se livrent à des activités, et les activités sont ce qui produit le changement ou transmet les forces causales »  [29]. James Mahoney a relevé pas moins de vingt-quatre définitions de ce qu’est un mécanisme causal dans la littérature en sciences sociales  [30]. Ce serait outrepasser largement l’objet de cet article que de se pencher sur ces vingt-quatre variantes. Ce qui importe ici, c’est de souligner que, au-delà de cette diversité, les pratiquants du process tracing sont unis par la volonté de ne pas se satisfaire d’une corrélation entre variable(s) indépendante(s) et dépendante. Ils veulent comprendre ce qui lie entre eux facteurs causaux, événements, séquences et résultats.

16Dans le débat actuel, il est possible de distinguer deux ontologies des mécanismes causaux. Comme le rappelle Peter Hall, l’ontologie contient « les hypothèses fondamentales que les chercheurs émettent à propos de la nature du monde social et politique et en particulier de la nature des relations causales dans ce monde »  [31]. Certaines approches supposent une conception déterministe des mécanismes causaux, tandis que d’autres soutiennent une compréhension probabiliste de la causalité  [32]. Alors que le déterminisme implique qu’un mécanisme spécifique produira toujours un même résultat spécifique  [33], une approche probabiliste soutient que « les mécanismes interagissant avec le contexte dans lequel ils opèrent, les résultats du processus ne peuvent pas être déterminés a priori par la seule connaissance du type de mécanisme à l’œuvre »  [34]. Cette différence de conception des mécanismes causaux, entre ceux qui postulent des liens univoques entre X et Y et ceux qui préfèrent une approche en termes de « mécanismes génératifs », pour reprendre l’expression de Renate Mayntz  [35], a comme nous l’expliquons plus loin, des implications importantes sur la manière de faire du process tracing.

17En résumé, pour tous ceux qui pratiquent le process tracing, l’analyse purement quantitative ne suffit pas pour comprendre ce qui lie ensemble les variables (ou les événements). Il faut de la recherche qualitative. Mais cette dernière doit aussi être informée par de la théorie pour savoir à l’avance où chercher des mécanismes causaux ou quels mécanismes causaux on souhaite tester empiriquement. Comme l’a montré Peter Hall, un mécanisme causal étant une assertion sur la manière dont certaines variables intermédiaires et certains processus qui leur sont liés causent un certain résultat, on a besoin, pour identifier un mécanisme causal par la méthode du process tracing, d’une théorie sur ce mécanisme  [36]. Autrement dit, il convient de toujours combiner approche empirique, historique et théorique.

Les usages inductifs et déductifs du process tracing

18Ainsi, tous les pratiquants du process tracing évoluent entre théorie et empirie. Il n’est donc pas surprenant que pratiquement tous insistent sur la dialectique entre démarche inductive et déductive caractéristique du process tracing[37]. Cependant, les approches diffèrent par le poids relatif qu’elles accordent au raisonnement inductif ou déductif. Le choix de l’une ou l’autre perspective dépend de l’état de l’art, de la question de recherche, ainsi que de la vision épistémologique et ontologique de la réalité sociale adoptée par le chercheur. Le tableau 2 classe les différentes approches du process tracing en fonction du poids respectif qu’elles accordent à l’induction ou à la déduction. Malgré le grand nombre d’approches du process tracing recensées, il est possible de situer chacune d’entre elles dans l’une de ces deux catégories. Ce qui semble différencier les formulations des usages du process tracing relève parfois surtout de la compétition pour la bonne labellisation qui anime trop souvent les chercheurs en méthodologie. Mais le panorama d’ensemble montre qu’en dernière analyse on ne peut vraiment distinguer que deux types principaux de process tracing.

Tableau 2. Types d’usage du process tracing

Nom Description Références
Usages plutôt inductifs
La procédure du process tracing « Une approche plus directe et potentiellement plus satisfaisante de l’interprétation causale dans les analyses de cas unique consiste à tenter de retracer le processus – les étapes successives – par lequel les croyances influencent les comportements. Le process tracing cherche à établir les voies par lesquelles les croyances d’un acteur ont influencé sa réception et son appréciation des informations reçues à propos de la situation, sa définition de la situation, son identification et évaluation des options, ainsi que, finalement, le choix de l’action retenue. » Alexander L. George, « The Causal Nexus between Cognitive Beliefs and Decision-Making Behavior : The “Operational Code” Belief System », dans Lawrence S. Falkowski (ed.), Psychological Models in International Politics, Boulder, Westview Press, p. 95-124, ici p. 113.Cf. aussi Alexander L. George, « Case Studies and Theory Development : The Method of Structured, Focused Comparison », dans Paul G. Lauren (ed.), Diplomacy. New Approaches in History, Theory, and Policy, New York, The Free Press, 1979, p. 43-68.Alexander L. George, Timothy J. McKeown, « Case Studies and Theories of Organizational Decision Making », dans Robert F. Coulam et Richard A. Smith (eds), Advances in Information Processing in Organizations, Greenwich, JAI Press, 1985, vol. 2., p. 21-58.
Explication historique, narration détaillée « C’est le type habituel des historiens. Leur objectif est généralement d’expliquer la survenue d’un ensemble spécifique d’événements dans un ensemble limité de cas, par exemple celle de la Révolution anglaise en 1640 ou de la première guerre mondiale en 1914. » Peter A. Hall, « Systematic Process Analysis : What It Is and How to Use It », European Political Science, 7 (3), 2008, p. 304-317, ici p. 305.Cf. aussi Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005.
Backward process tracing (reconstitution) « L’investigateur reconstitue le processus causal qui a produit l’issue du cas étudié en en remontant la piste et en inférant du contexte, à chaque étape, ce qui a causé chaque cause. Si cette remontée réussit, elle conduit l’investigateur à une cause première. » Stephen Van Evera, Guide to Methods for Students of Political Science, Ithaca, Cornell University, 1997, p. 70.
Induction de processus « Observation inductive de mécanismes causaux apparents et restitution heuristique de ces mécanismes comme hypothèses potentielles à tester ultérieurement. » Andrew Bennett, Alexander L. George, « Process Tracing in Case Study Research », MacArthur Foundation Workshop on Case Study Methods, 17-19 octobre 1997, p. 3, <http://www.ciaonet.org/wps/bea03/index.html>.
Explication analytique « Convertir une narration historique en explication causale analytique exprimée dans des formes théoriques explicites. » Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 211.
Explication plus générale « L’investigateur construit une explication générale plutôt qu’une reconstitution détaillée de processus causal. » Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 211.
Analyse de processus « L’analyse de processus multiplie la puissance d’investigation du chercheur en lui permettant d’examiner les mécanismes spécifiques par lesquels une variable indépendante exerce un effet sur une variable dépendante. L’analyste part d’une association observée, puis se demande si cette association reflète une causalité en cherchant des mécanismes qui lieraient cause et effet dans des cas particuliers. » James Mahoney, « Comparative-Historical Methodology », Annual Review of Sociology, 30, 2004, p. 81-101, ici p. 88.
Process tracing à des fins de construction théorique « Dans sa forme la plus pure, le process tracing à des fins de construction théorique part d’un matériel empirique et met en œuvre une analyse structurée de ce matériel pour y détecter la présence hypothétique d’un mécanisme causal plausible liant X à Y. [...] Le process tracing à des fins de construction théorique est utilisée dans deux situations de recherche différentes : (1) quand nous savons qu’une corrélation existe entre X et Y mais qu’en l’absence de théorie pour nous guider nous ignorons par quels mécanismes ils sont liés (construction théorique X-Y-centrée) ; ou (2) quand nous connaissons un certain résultat (Y) sans être sûrs de ses causes (construction théorique Y-centrée). » Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Process-Tracing Methods. Foundation and Guidelines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2013, p. 16.
Process tracing à des fins d’explication de résultat « Ce type de process tracing peut être pensé comme une étude de résultat unique, définie comme la recherche des causes d’un résultat spécifique dans un cas singulier. » Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Process-Tracing Methods. Foundation and Guidelines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2013, p. 18, se référant à John Gerring.
Process tracing guidée par la théorie « Je définis la méthode du process tracing guidée par la théorie comme l’analyse temporelle et causale des séquences d’événements constitutifs du processus étudié. Le processus doit être clairement conceptualisé dans le cadre de théories existantes. Dans ces séquences, l’ordre de succession des événements est lui-même porteur de conséquences causales. » Tulia G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 455-462, ici p. 457.
Usages plutôt déductifs
Tester la prédiction de processus « Dans le process tracing, l’investigateur explore la chaîne d’événements ou le processus décisionnel par lesquels les conditions initiales du cas sont transcrites en résultats. Le lien de cause à effet entre variable indépendante et résultat est dégagé et divisé en étapes plus petites ; puis l’investigateur cherche des faits observables témoignant de chaque étape. » « Les prédictions de processus sont souvent uniques – c’est-à-dire qu’aucune autre théorie ne prédit la même configuration d’événements ou le même témoignage d’acteur sur les motivations – de sorte que le process tracing constitue souvent un bon test pour mettre à l’épreuve une théorie. » « Procédure de congruence et process tracing sont des méthodes de test plus puissantes que la comparaison contrôlée. » Stephen Van Evera, Guide to Methods for Students of Political Science, Ithaca, Cornell University, 1997, p. 64, 65 et 56.
Vérification de processus « Vérifier si les processus observés entre variables dans un cas donné correspondent à ce que prédisaient des théories antérieures. » Andrew Bennett, Alexander L. George, « Process Tracing in Case Study Research », MacArthur Foundation Workshop on Case Study Methods, 17-19 octobre 1997, p. 3, <http://www.ciaonet.org/wps/bea03/index.html>.
Analyse systématique de processus Peter A. Hall conçoit l’analyse systématique de processus comme un mode explicatif de type théorique qui compare le déroulement historique aux attentes empiriques concurrentes dérivées de la théorie. La méthode consiste en quatre étapes : former une théorie ; en dériver des prédictions ; observer ; tirer des conclusions.« Cette méthode postule que les observations portant sur les prédictions d’une théorie à propos du processus par lequel un certain résultat est causé constituent pour cette théorie un test aussi pertinent que les prédictions sur la correspondance entre un petit nombre de variables causales importantes et les résultats qu’elles sont supposées produire. » Peter A. Hall, « Systematic Process Analysis : What It Is and How to Use It », European Political Science, 7 (3), 2008, p. 304-317, ici p. 310.Cf. aussi Peter A. Hall, « Tracing the Progress of Process Tracing », European Political Science, 12 (1), 2013, p. 20-30.
Méthode de congruence « L’investigateur utilise une théorie déductive ou une généralisation empirique pour produire une prédiction/explication du résultat de la variable dépendante. Si le résultat concorde avec la prédiction, il y a au moins présomption ou possibilité d’une relation causale. » Il s’agit de « neutraliser successivement, en s’appuyant sur la théorie, toutes les variables indépendantes sauf une pour produire des attentes sur la variable dépendante, attentes que l’on compare alors avec la valeur réelle observée ».« La caractéristique essentielle de la méthode de congruence est que l’investigateur part d’une théorie et tente d’évaluer la capacité de celle-ci à expliquer ou à prédire le résultat dans un cas particulier. » Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 181.Sur les mérites de l’analyse de congruence, cf. aussi : « Quelle est l’approche explicative qui apporte une vision nouvelle ou plus riche ? Comparaison des mérites descriptifs et explicatifs de différentes théories », dans Joachim Blatter, Markus Haverland, Designing Case Studies. Explanatory Approaches in Small-N Research, Basingstoke, Pagrave Macmillan, 2012, p. 27, tableau 1.1.Et aussi Joachim Blatter, Till Blume, « In Search of Co-variance, Causal Mechanisms or Congruence ? Towards a Plural Understanding of Case Studies », Swiss Political Science Review, 14 (2), 2008, p. 315-356.
Process tracing causal L’analyse de ce « qui rend le résultat (Y) possible. La mise en évidence de l’interaction temporelle entre les conditions ou les mécanismes conduisant à certains résultats. » Joachim Blatter, Markus Haverland, Designing Case Studies. Explanatory Approaches in Small-N Research, Basingstoke, Pagrave Macmillan, 2012, p. 27, tableau 1.1.
Mise à l’épreuve de la théorie « Dans le process tracing visant à tester une théorie, on connaît X et Y et soit l’on dispose de conjectures préexistantes sur un mécanisme plausible, soit on est en mesure, par raisonnement logique, de formuler un mécanisme causal à partir de la théorisation existante. » Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Process-Tracing Methods. Foundation and Guidelines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2013, p. 14.
Process tracing efficace « Le nœud du process tracing efficace est qu’il maximise l’efficacité des outils analytiques relativement à l’investissement en ressources. Il part d’une relation causale provisoirement établie par l’analyse de corrélation, l’analyse comparative ou l’analyse de congruence et d’un mécanisme causal spécifié ex ante ; il sélectionne des cas qui promettent une validité externe en plus de la validité interne établie par process tracing ; et se limite à analyser ceux des processus qui sont décisifs pour une explication et pour discriminer entre plusieurs explications concurrentes. » Frank Schimmelfennig, « Efficient Process Tracing : Analyzing the Causal Mechanisms of European Integration », dans Andrew Bennett, Jeffrey T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences. From Metaphor to Analytic Tool, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 98-125, ici p. 102.
Reconstitution de mécanisme « Les inférences causales sont éprouvées en évaluant la correspondance entre les éléments de preuves attendus par la théorie et ceux effectivement trouvés pour chaque partie du mécanisme. »« L’évaluation des preuves comporte trois étapes lorsque l’on teste une théorie au moyen du process tracing : (1) établir des prévisions sur les empreintes empiriques que chaque partie d’un mécanisme est censée laisser dans un cas donné, et évaluer si la preuve prédite est théoriquement certaine et/ou unique par rapport au mécanisme théorisé, (2) rassembler des évidences empiriques et évaluer si la preuve prévue est bien trouvée parmi celles-ci, et (3) évaluer s’il est possible de faire confiance à la preuve trouvée. » Derek Beach, « It’s All about Mechanisms : What Process-Tracing Case Studies Should Be Tracing », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 463-472, ici p. 468-469.

Tableau 2. Types d’usage du process tracing

Tableau adapté de C. Trampusch, B. Palier, « Between X and Y... », art. cité, p. 443-444.

19La forme la plus inductive du process tracing vise à produire une explication historique d’une situation ou d’un certain résultat (outcome) et à identifier ou mettre au jour les mécanismes causaux qui l’expliquent. Elle est apparentée aux approches historiques. Elle s’en différencie cependant par la volonté de mettre en exergue des mécanismes causaux, éventuellement généralisables théoriquement  [38]. Dans la littérature la plus récente, cette première modalité peut être appelée « induction de processus », « explication analytique », « analyse de processus », « process tracing causal », « process tracing à des fins de construction théorique » ou encore « process tracing à des fins d’explication de résultat » (cf. tableau 2).

20À la différence du travail mené par les historiens, le chercheur part ici des observations et du déroulement historique mais se demande si ces éléments permettent d’identifier les variables intermédiaires, mécanismes causaux ou chaînes causales à l’œuvre. L’objectif est principalement de contribuer à la construction de théorie en produisant des hypothèses et en mettant au jour de (nouveaux) mécanismes causaux. Relève aussi de cette catégorie une modalité qui considère le temps comme un facteur causal ou, pour reprendre les mots de Tim Büthe, qui « prennent au sérieux la temporalité » [39]. Il s’agit de narrations qui explorent des séquences, qui endogénéisent des variables explicatives et dans lesquelles « le temps lui-même [...] devient un élément d’explication causale, un facteur dans le modèle »  [40]. Comme le souligne T. G. Falleti : « L’avantage comparatif du process tracing par rapport à d’autres méthodes des sciences sociales réside dans son potentiel de révélation des mécanismes causaux qui lient entre eux les événements constitutifs des processus [...]. Le but est d’élaborer des théories de moyenne portée qui tiennent pleinement compte du contexte et de la causalité complexe. »  [41]

21Cependant, les pratiquants du process tracing à orientation inductive n’analysent pas les processus sans théorie. Par exemple, certains analyseront les séquences ayant abouti à telle ou telle décision politique en se servant de la théorie des ressources de pouvoir  [42] pour débrouiller l’écheveau des préférences et des intérêts des acteurs et des coalitions qu’ils forment ; d’autres s’aideront des analyses classiques de la prise de décision politique pour identifier les diverses séquences du processus d’élaboration d’une politique publique  [43]. Autrement dit, l’analyse inductive des processus ne consiste pas simplement à faire des observations naïves d’événements empiriques dont on tirerait ensuite des idées théoriques ; c’est une analyse (au sens plein de « décomposition ») de processus, informée par la théorie, qui cherche les chaînes causales liant entre eux les événements observés.

22C’est ce qui conduit T. G. Falleti à proposer que le process tracing inductif soit conçu comme une reconstitution « guidée par la théorie » de processus « intensifs », opération qu’elle définit comme l’analyse temporelle et causale des séquences d’événements qui constituent le processus étudié  [44]. Ces processus intensifs doivent être clairement conceptualisés, tant théoriquement qu’opérationnellement, par référence aux théories existantes. La méthode du theory guided process tracing (TGPT) présuppose que, dans ces séquences temporelles d’événements, l’ordre de succession de ces derniers a des conséquences causales  [45]. La méthode est comparative par nature, c’est-à-dire que l’on compare diverses séquences. Elle permet au chercheur d’identifier différentes configurations de séquences et les causes et les conséquences qui leur sont liées  [46].

23La modalité plus déductive du process tracing peut être appelée dans la littérature « vérification de processus », « analyse systématique de processus », « méthode de congruence (ou analyse de congruence) »  [47], « mise à l’épreuve de la théorie », « process tracing efficace » ou encore « reconstitution de mécanisme » (cf. tableau 2). On en trouvera une bonne une illustration pratique dans la deuxième partie de l’article d’Antoine Maillet et Pierre-Louis Mayaux dans ce numéro thématique.

24Ici, le process tracing part de la théorie et évalue la plausibilité des attentes empiriques tirées de celle-ci en comparant les éléments factuels avec les prédictions de la théorie. Le chercheur collecte des éléments – certains confirment, d’autres infirment – et évalue dans quelle mesure le déroulement des faits s’accorde avec les attentes théoriques. Il compare les éléments recueillis et le déroulement historique effectif avec les élaborations théoriques découlant de telle ou telle hypothèse sur les mécanismes causaux.

25Dans cette approche plus déductive, beaucoup d’auteurs ont montré comment utiliser le process tracing comme test d’inférence causale. Pour Derek Beach, « l’évaluation des preuves comporte trois étapes lorsque l’on teste une théorie au moyen du process tracing : (1) établir des prévisions sur les empreintes empiriques que chaque partie d’un mécanisme est censée laisser dans un cas donné, et évaluer si la preuve prédite est théoriquement certaine et/ou unique par rapport au mécanisme théorisé, (2) rassembler des évidences empiriques et évaluer si la preuve prévue est bien trouvée parmi celles-ci, et (3) évaluer s’il est possible de faire confiance à la preuve trouvée » [48] (cf. tableau 2). James Mahoney souligne lui aussi que le process tracing « peut être employé pour évaluer les hypothèses sur les causes d’un certain résultat [outcome] dans un cas donné » et va jusqu’à affirmer qu’il est « l’outil le plus important d’inférence causale en recherche qualitative et en étude de cas »  [49]. Van Evera avançait l’idée que le process tracing est capable de produire de bons tests de la théorie parce que « les prédictions de processus sont souvent uniques » [50]. Il distingue quatre catégories de tests pour caractériser le degré de certitude et d’unicité d’une inférence causale : l’indice simple (« straw in the wind »), le « cerceau » (hoop test), le « pistolet fumant » (smoking gun) et le test « doublement décisif » (double decisive) [51]. La littérature la plus récente le suit en recommandant de mettre en œuvre la logique d’inférence bayésienne dans les travaux de process tracing (cf. l’article de Cyril Benoît dans ce numéro).

26Dans le contexte d’une étude de cas unique, cette analogie entre process tracing et statistique bayésienne nous semble impliquer que la causalité soit définie en termes déterministes si l’on souhaite tester des mécanismes causaux de manière strictement déductive  [52]. Derek Beach et Rasmus Pedersen montrent que l’emploi d’une conception déterministe du mécanisme causal – où « chaque partie du mécanisme est conceptualisée comme un élément individuellement nécessaire de l’ensemble »  [53] – aide à tester des théories par la méthode du process tracing, parce que des prédictions à la fois uniques et certaines sur les processus causaux sont alors possibles.

27Une des questions centrales est de savoir s’il est possible d’affirmer une inférence causale sur la base d’un seul cas. Pour James Mahoney, le process tracing permet d’analyser les « causes d’un résultat particulier dans un cas particulier » [54]. Cependant, quand on n’analyse qu’un résultat particulier dans un cas particulier (et non – par définition – une population de cas), les tests d’inférence paraissent plus fragiles. Il est possible d’admettre une similitude entre process tracing et logique bayésienne dans la mesure où les deux cherchent à produire des explications nouvelles et recourent à des sources de données diversifiées [55]. Mais il faut souligner que l’analyse bayésienne est beaucoup plus standardisée [56]. Or, à vouloir transférer cette qualité dans le process tracing, on court le risque d’affaiblir un des principaux points forts de cette dernière méthode, à savoir qu’elle permet d’étudier un cas en restant à l’intérieur de ses limites et sans restreindre a priori l’éventail des conclusions possibles (on y trouvera peut-être une causalité déterministe, mais on ne la présume pas d’emblée).

28L’application de la logique bayésienne à des études de cas par process tracing repose sur une vision déterministe de la causalité, sinon il ne serait pas possible d’appliquer les tests d’inférence bayésienne à un cas unique. Il ne faut pas ici confondre validité interne (qui porte sur la qualité des évidences fournies) et externe (qui permet de généraliser une thèse au-delà du cas analysé) quand on évalue les méthodes qualitatives et les méthodes propres à l’étude de cas. La validité interne s’obtient en veillant à la qualité des données et en utilisant les ratios de vraisemblance à la manière bayésienne  [57]. Comme les méthodes propres à l’étude de cas « connaissent » leurs cas, le degré de validité interne dans les travaux de process tracing n’est généralement pas mauvais. En revanche, on pourrait améliorer la validité externe des études de cas uniques ou limités, en sélectionnant soigneusement – guidé par la théorie – les cas étudiés plutôt qu’en restreignant l’univers des processus causaux à une conception déterministe. La sélection des cas les plus concluants (les cas les moins probables ou les plus probables – least likely et most likely cases[58]) rend possible l’opération qui consiste à tester une théorie au moyen d’études de cas  [59].

29Quoi qu’il en soit, comme l’illustrent parfaitement les articles de ce numéro thématique, le process tracing, dans son approche plutôt inductive ou plutôt déductive, est en pratique toujours une démarche itérative, un va-et-vient entre théorie et empirie. Comme nous le faisait remarquer Marcus Kreuzer, « la mise à l’épreuve de liens causaux révélera toujours des liens qui ne fonctionnent pas comme annoncé. Le process tracing sert donc non seulement une importante visée diagnostique mais aussi une visée curative, tout aussi importante, celle d’améliorer la théorie »  [60]. Et ce n’est pas là le moindre mérite de la méthode.

Les valeurs ajoutées du process tracing

30Une bonne part de la littérature sur le process tracing souligne son coût important en temps (de recherche) et en espace (d’écriture) [61]. Pourquoi alors s’en donner la peine ? Cela se justifie quand le process tracing apporte à une recherche une valeur ajoutée que n’offre pas une autre méthode. Quelles sont ces circonstances ?

31Tout d’abord, on a besoin du process tracing quand on postule qu’il y a un processus à reconstituer ou, pour éviter le truisme, quand on veut comprendre des mécanismes de changement [62]. Son principal mérite est alors de révéler les mécanismes causaux sous-jacents et la façon dont ils se déploient dans le temps.

32Peter A. Hall souligne que certaines assertions ontologiques conduisent aussi au process tracing[63]. Si l’on admet que le contexte et le temps sont des éléments à prendre en compte dans les explications, qu’ils sont causaux, alors le process tracing s’avère indispensable parce que les événements ne se produisent jamais « toutes choses égales par ailleurs » et que les mécanismes doivent être compris dans leur environnement institutionnel et historique spécifique  [64].

33Markus Kreuzer rappelle en outre que « prendre la temporalité au sérieux »  [65] permet d’éviter une rationalisation fonctionnaliste a posteriori. En se concentrant sur une séquence causale ou plusieurs chaînons causaux, on se donne plus de chances de lire l’histoire dans le sens où elle se déroule. Cela constitue un puissant correctif aux éventuelles erreurs fonctionnalistes  [66]. Les théories engendrées par le process tracing racontent généralement une histoire causale beaucoup plus complexe que les modèles statistiques utilisés pour les tester.

34D’une façon générale, toute recherche qui veut saisir le comment de la causalité, et ne pas se contenter du simple constat d’une covariation, doit faire appel au process tracing. Comme le fait remarquer Derek Beach, « retracer les étapes du processus causal entre X et Y est la raison même pour laquelle un chercheur s’engage dans le process tracing des mécanismes causaux »  [67]. Pour Derek Beach, la valeur ajoutée analytique de la reconstitution de mécanismes causaux repose sur le fait que, grâce au process tracing qui identifie et retrace les mécanismes causaux reliant X à Y, la relation établie entre X et Y est bien une vraie et non une fausse causalité. On comprend mieux le processus causal qui mène de X à Y en éclairant comment X, par un certain mécanisme, contribue à produire un résultat Y. Il est ainsi possible de fournir une explication substantielle au lien causal observé  [68].

35Dès lors, de nombreux chercheurs soulignent que le process tracing peut aider à rapprocher approches qualitatives et quantitatives et à fournir aux recherches fondées sur les méthodes mixtes des inférences causales beaucoup plus fortes. Une des preuves de l’importance prise par le process tracing en science politique est que, tandis que dans les années 1970 et 1980, certains chercheurs quantitatifs et expérimentalistes considéraient les études de cas et le process tracing comme menant à une impasse (« wrong headed »  [69]), ces dernières années, de plus en plus d’analyses statistiques et de recherche expérimentale s’accompagnent d’études de cas fondées sur le process tracing[70].

36Afin de montrer la richesse des contributions produites par les recherches qui s’appuient sur le process tracing, nous présentont ci-après quelques exemples de travaux empiriques utilisant le process tracing, et soulignons leurs apports théoriques.

37Les études de cas utilisant explicitement le process tracing se sont en effet multipliées ces dernières années et ont permis des avancées théoriques importantes, notamment en économie politique comparée. À titre d’exemple, nous identifions les grands acquis de certains travaux appliquant cette méthode dans les champs des relations professionnelles, des politiques sociales et des politiques de régulation bancaire en économie politique comparée  [71]. D’une façon générale, ces travaux ont amélioré la compréhension de la formation des préférences et des coalitions politiques et ont permis de comprendre les mécanismes des changements institutionnels et politiques. Dans ces travaux, les préférences, les coalitions et les changements politiques et institutionnels sont considérés comme des résultats qui doivent être expliqués et qui peuvent non seulement avoir des causes multiples, mais aussi être affectés par des contingences historiques.

38Certains de ces travaux, plutôt d’orientation inductive, ont montré que les préférences et les coalitions politiques ne sont ni toujours les mêmes ni statiques ; au contraire, elles changent en fonction des différences ou des évolutions de contexte [72]. Comme le souligne T. G. Falleti, le process tracing « explique des préférences formées ou modifiées de façon endogène ; elle peut aussi intégrer des effets de rétroaction » [73]. Il semble dès lors difficile de postuler, comme le font souvent les analyses quantitatives, les mêmes préférences pour un groupe social similaire (syndicat, cadres, « outsiders », etc.) quel que soit le contexte étudié.

39Dans l’analyse des changements institutionnels, les travaux mettant en œuvre un process tracing inductif ont contribué à affiner la compréhension des types et des mécanismes de changement, et ont identifié des voies et des conditions politiques spécifiques pour les changements institutionnels  [74]. Ils soulignent tous combien la temporalité et l’ordonnancement des séquences ont de l’importance  [75]. Toutes ces recherches qui insistent sur l’importance des contextes temporels et institutionnels dans les processus de changement amènent à douter de la possibilité de tirer des lois universelles de l’analyse de processus réels.

40Les travaux d’orientation plus déductive comparent les développements historiques avec des hypothèses rivales et concurrentes sur les mécanismes causaux à l’œuvre [76]. Dans le domaine de l’économie politique comparée, ils le font, par exemple, en comparant l’explication des préférences politiques au moyen de la théorie des ressources de pouvoir [77] avec d’autres approches telles que l’approche Varieties of Capitalism[78]. Ils peuvent aussi évaluer les avantages et les inconvénients de différentes approches institutionnalistes  [79] pour l’analyse des changements de préférences ou des changements institutionnels de politique publique. Ces recherches plus déductives ont introduit des considérations davantage axées sur les acteurs dans l’analyse des changements politiques et institutionnels, complétant ainsi les perspectives d’économie politique plus anciennes et plus structurelles par des considérations micro, notamment fondées sur l’institutionnalisme comportemental ou le constructivisme.

Les « dix commandements » du process tracer

41Si nous soutenons cet intérêt croissant pour le process tracing et lui accordons une importance particulière dans nos travaux, nous savons aussi que les pratiquants du process tracing risquent parfois de produire des narratifs médiocres qui ne feront que conforter certains collègues dans leur idée que la recherche qualitative n’est pas véritablement de la « science » sociale. C’est pourquoi nous aimerions proposer, sur la base de notre expérience et des principales leçons de nos recherches, une série de consignes pour mener au mieux des recherches reposant sur le process tracing. Nous pensons que la qualité des travaux ayant recours au process tracing peut être grandement améliorée si les dix étapes suivantes sont sérieusement observées [80].

42

  • 1) Tout d’abord, comme pour toute recherche en sciences sociales empiriques, un chercheur faisant appel au process tracing devrait commencer par clarifier son ontologie. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, le fait de concevoir des mécanismes causaux comme opérant de manière déterministe ou de laisser de la place à la contingence en ayant une vue probabiliste fait une grande différence. Peter A. Hall l’exprime bien : « L’ontologie est en fin de compte cruciale pour la méthodologie car la pertinence d’un ensemble particulier de méthodes pour un problème donné repose sur des hypothèses sur la nature des relations causales qu’elles sont censées découvrir. » [81] L’ontologie retenue contribue ainsi à prendre notre décision concernant la variante du process tracing que nous appliquons.
  • 2) En second lieu, le chercheur doit déterminer si son intérêt épistémologique est inductif ou déductif. Cette décision dépend beaucoup de l’état des connaissances, de celui des théories existantes, des données disponibles et de la question de recherche posée. L’objectif de la recherche est-il d’identifier de (nouveaux) mécanismes causaux, d’élaborer ou de préciser une hypothèse, voire une nouvelle théorie, sur un effet ou un mécanisme causal (usage inductif) ? Ou bien de soumettre à une épreuve de plausibilité un effet ou un mécanisme causal déjà théorisé (usage déductif) ? On gardera cependant en mémoire que le process tracing en pratique repose toujours sur un va-et-vient entre théorie et empirie, que la démarche inductive est informée par la théorie, tandis que la démarche déductive permet aussi d’affiner en retour la théorie à l’aune des processus constatés empiriquement [82].
  • 3) Troisièmement, un chercheur doit être transparent sur ses hypothèses épistémologiques lorsqu’il associe le process tracing avec d’autres méthodes. L’application du process tracing dans la recherche multiméthode (qu’il s’agisse des méthodes comparatives à la John Stuart Mill, ou des approches quantitatives statistiques ou expérimentales) constitue l’une des voies très prometteuses. Mais avant de s’y engager, il convient cependant d’avoir réfléchi aux présupposés épistémologiques et ontologiques sur lesquels une telle combinaison de méthodes peut reposer (notamment en matière d’approche déterministe ou probabiliste).
  • 4) Quelle que soit la variante choisie, inductive ou déductive, le chercheur qui pratique le process tracing a aussi besoin d’une base théorique explicitée, de manière à savoir à l’avance où porter son attention analytique (même dans le cas d’une approche inductive), quels acteurs étudier et interroger, quelles séquences historiques ou événements analyser. S’il conduit une épreuve de plausibilité (usage déductif), il lui sera utile de connaître les théories concurrentes. La qualité d’un travail de process tracing sera meilleure si les théories utilisées pour explorer ou expliquer un cas ont déjà fait leurs preuves dans des recherches antérieures. Il ne suffit pas d’aligner des hypothèses concurrentes mais il convient de les passer en revue à l’aune de leur solidité théorique [83].
  • 5) Cinquièmement, il faut bien réfléchir au choix du ou des cas étudiés. Le gain théorique procuré par une étude de process tracing dépend fortement du choix du cas, qui doit être guidé par la théorie. Ici, nous recommandons d’appliquer les stratégies de choix de cas suggérées par Arend Lijphart, Harry Eckstein et John Gerring [84], qui sont devenues canoniques. Les types de cas les plus importants sont les « cas cruciaux », les « cas extrêmes », les « cas les plus probables », les « cas les moins probables », les « cas typiques » et les « cas déviants ».
  • 6) Sixièmement, l’observation empirique joue un rôle central. La bonne observation des processus causaux demande du temps, la maîtrise des éléments de contexte [85] et « une bonne connaissance des cas individuels » [86]. C’est dire qu’il faut diversifier les sources de données, si le cas le permet mener des entretiens (mais ne pas tout faire reposer sur les seuls entretiens) et des observations. Dans le cadre de la collecte des données, l’intégrité historique et la spécificité du cas doivent être sérieusement prises en considération. Il est notamment très important de réduire au maximum les biais de sélection dans l’utilisation des sources primaires et secondaires [87]. En outre, la validité des mesures doit être optimisée par la contextualisation des données d’observation et des indicateurs et par le recours à des indicateurs communs corrigés. La collecte des données doit être une opération extrêmement réfléchie [88].
  • 7) Le recours à l’analyse contrefactuelle et aux expériences de pensée peut constituer une étape utile de la recherche  [89]. Une « série d’événements en séquence » ou des segments d’une chaîne causale peuvent être reconstitués par construction mentale et cognitive dans des cas où la réalité et sa perception sont en discordance. Toutefois, Alexander George reconnaît aussi à juste titre qu’il s’agit là d’une démarche difficile et ambitieuse [90].
  • 8) Il convient aussi de s’efforcer avec le plus grand soin de déterminer (et de rendre très explicite) les bornes temporelles de la recherche : quand les processus que l’on analyse ont commencé et quand ils s’achèvent. On doit ici s’aider tout autant des cadres théoriques que de l’observation rigoureuse des processus causaux  [91]. Philippe Bezes et Bruno Palier détaillent dans ce numéro spécial avec précision comment identifier ces bornes temporelles pour ce qui concerne les trajectoires de réformes (précepte 2).
  • 9) Il convient aussi de réfléchir à la façon dont le chercheur utilisant le process tracing peut participer à la « révolution de la transparence » actuellement menée au sein des recherches quantitatives et qualitatives [92]. Alors que fournir une annexe avec ses données est devenu la norme des travaux quantitatifs, ajouter aux études qualitatives une annexe de ce type répertoriant (voire reproduisant) par exemple les entretiens menés semble compliqué mais en partie souhaitable, bien que souvent difficile du fait de problèmes d’anonymat. Il semble surtout nécessaire de rendre transparent ce qui fonde les décisions du chercheur de retenir telle ou telle donnée, qu’il s’agisse de données quantitatives (pourquoi retenir telle donnée, tel proxy, telle question dans un sondage pour approcher une attitude politique particulière par exemple) ou qualitatives (pourquoi telle partie de l’entretien a été retenue en guise d’éléments de preuve).
  • 10) Enfin, les chercheurs doivent se rappeler, au moment de conclure leur recherche, que le process tracing, quand il s’agit d’une méthode d’interprétation causale d’un seul cas, n’est pas une explication causale démontrée par une analyse statistique. Mais plus on se conformera fidèlement aux étapes que nous venons d’énumérer, meilleure sera sans doute l’interprétation causale.

43La méthode du process tracing suscite un intérêt croissant depuis plusieurs années. De nombreux articles et ouvrages ont été publiés pour discuter non seulement de ses fondements ontologiques et épistémologiques, mais aussi des critères permettant de la standardiser et de la formaliser. Cette littérature propose également de très nombreuses définitions de la méthode : nous en avons recensé pas moins de vingt, et pas moins de dix-huit types d’usage. Si l’on compare cela au fait qu’il n’y a que trois principales logiques différentes pour les analyses de régression (OLS, Logit et Probit), on comprend pourquoi les approches qualitatives sont parfois tenues pour floues et manquant de rigueur. Le nombre élevé de variantes de la méthode du process tracing engendre un risque de concept attrape-tout. C’est pourquoi nous avons cherché dans cet article à souligner les traits essentiels et communs aux approches fondées sur le process tracing, ses principaux usages et sa valeur ajoutée.

44Pour simplifier la présentation du débat, nous avons regroupé les usages du process tracing en deux types principaux selon que la méthode a une visée plutôt inductive (tout en restant « guidée par la théorie ») ou plutôt déductive (tout en restant prête à affiner la théorie testée). Nous avons souligné que le process tracing est une méthode particulièrement adaptée pour étudier le contenu des mécanismes causaux, soit pour mettre en évidence des mécanismes causaux et leur contenu (usage inductif du process tracing), soit pour tester la réalité du mécanisme causal avancé par des théories préexistantes (usage déductif). Les travaux reposant sur le process tracing, parce qu’ils sont capables de suivre les positions et les actions des acteurs, aident à débrouiller l’écheveau des mécanismes du changement (dans les préférences aussi bien que dans les institutions), tout en réintroduisant le temps et le contexte dans les explications. C’est pourquoi le process tracing est une méthode indispensable aussi bien pour élaborer que pour tester de nouvelles théories en sciences sociales.

Notes

  • [1]
    Ce texte repose sur des recherches et séminaires qui ont bénéficié du soutien apporté par l’Agence nationale de la recherche et l’État au titre du programme d’Investissements d’avenir dans le cadre du labex LIEPP (ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02). Une partie des résultats a été publiée dans Christine Trampusch, Bruno Palier, « Between X and Y : How Process Tracing Contributes to Opening the Black Box of Causality », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 437-454. Pour adapter ces travaux à ce numéro spécial, nous nous sommes appuyés sur une traduction de Rachel Bouyssou.
  • [2]
    Cf. notamment, par ordre de publication : Peter A. Hall, « Aligning Ontology and Methodology in Comparative Research », dans James Mahoney, Dietrich Rueschemeyer (eds), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 373-404 ; Alexander L. George, Andrew Bennett, Case Studies and Theory Development in the Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 2005 ; John Gerring, Case Study Research. Principles and Practices, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, chap. 7 ; Andrew Bennett, « Process Tracing : A Bayesian Perspective », dans Janet Box-Steffensmeier, Henry E. Brady, David Collier (eds), The Oxford Handbook of Political Methodology, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 217-270 ; Peter A. Hall, « Systematic Process Analysis : What It Is and How to Use It », European Political Science, 7 (3), 2008, p. 304-317 ; David Collier, « Understanding Process Tracing », Political Science & Politics, 44 (4), 2011, p. 823-830 ; James Mahoney, « After KKV : The New Methodology of Qualitative Research », World Politics, 62 (1), 2010, p. 120-147 ; Joachim Blatter, Markus Haverland, Designing Case Studies. Explanatory Approaches in Small-N Research, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012 ; James Mahoney, « The Logic of Process Tracing Tests in Social Sciences », Sociological Methods & Research, 41 (4), 2012, p. 570-597 ; James Mahoney, Gary Goertz, A Tale of Two Cultures. Qualitative and Quantitative Research in the Social Sciences, Princeton, Princeton University Press, 2012, chap. 8 ; Ingo Rohlfing, Case Studies and Causal Inference. An Integrative Framework, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012, chap. 6 ; Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Process-Tracing Methods. Foundation and Guidelines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2013 ; Peter A. Hall, « Tracing the Progress of Process Tracing », European Political Science, 12 (1), 2013, p. 20-30 ; David Waldner, « Process Tracing and Causal Mechanisms », dans Harold Kincaid (ed.), The Oxford Handbook of Philosophy of Social Science, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 65-84 ; Andrew Bennett, Jeffrey T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences. From Metaphor to Analytic Tool, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Causal Case Study Methods. Foundations and Guidelines for Comparing, Matching, and Tracing, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2016 ; Tasha Fairfield, Andrew E. Charman, « Explicit Bayesian Analysis for Process Tracing : Guidelines, Opportunities, and Caveats », Political Analysis, 25 (3), 2017, p. 363-380 ; Gary Goertz, Multimethod Research, Causal Mechanisms, and Case Studies. An Integrated Approach, Princeton, Princeton University Press, 2017 ; Derek Beach, « Achieving Methodological Alignment When Combining QCA and Process Tracing in Practice », Sociological Methods & Research, 47 (1), 2018, p. 64-99.
  • [3]
    Pour reprendre une expression suggérée par Yves Surel.
  • [4]
    A. Bennett, J. T. Checkel, Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., p. 16.
  • [5]
    Kevin J. Ford, Neal Schmitt, Susan L. Schechtman, « Process Tracing Methods : Contributions, Problems, and Neglected Research Questions », Organizational Behavior and Human Decision Processes, 43 (1), 1989, p. 75-117 ; Michael Schulte-Mecklenbeck, Anton Kuehberger, Joseph G. Johnson (eds), A Handbook of Process Tracing Methods, New York, Taylor & Francis, 2018.
  • [6]
    Lawrence B. Mohr, Explaining Organizational Behavior, San Francisco, Jossey-Bass, 1982.
  • [7]
    Andrew H. Van de Ven, Marshall Scott Poole, « Alternative Approaches for Studying Organizational Change », Organization Studies, 26 (9), 2005, p. 1377-1404.
  • [8]
    Alexander L. George, « Case Studies and Theory Development : The Method of Structured, Focused Comparison », dans Paul G. Lauren (ed.), Diplomacy. New Approaches in History, Theory, and Policy, New York, The Free Press, 1979, p. 43-68.
  • [9]
    A. George, « Case Studies... », art. cité, p. 46.
  • [10]
    Alexander L. George, « The Causal Nexus between Cognitive Beliefs and Decision-Making Behavior : The “Operational Code Belief System“ », dans Lawrence S. Falkowski (ed.), Psychological Models in International Politics, Boulder, Westview Press, 1979, p. 95-124, ici p. 113.
  • [11]
    Alexander L. George, Timothy J. McKeown, « Case Studies and Theories of Organizational Decision Making », dans Robert F. Coulam et Richard A. Smith (eds), Advances in Information Processing in Organizations, Greenwich, JAI Press, 1985, vol. 2, p. 35.
  • [12]
    A. L. George, T. J. McKeown, ibid.
  • [13]
    A. Bennett, J. T. Checkel, Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., p. 9.
  • [14]
    P. A. Hall, « Systematic Process Analysis... », art. cité, p. 305-306.
  • [15]
    P. A. Hall, ibid., p. 306.
  • [16]
    James Mahoney et Gary Goertz font la distinction entre la stratégie d’analyse des « causes des effets » que l’on trouve dans les approches qualitatives, et la stratégie d’analyse des « effets des causes » dans les recherches quantitatives. Cf. J. Mahoney, G. Goertz, A Tale of Two Cultures..., op. cit.
  • [17]
    Tulia G. Falleti, Julia Lynch, « Context and Causation in Political Analysis », Comparative Political Studies, 42 (9), 2009, p. 1143-1166, ici p. 1152.
  • [18]
    Sur la mise en exergue de ces deux types d’usage, cf. aussi A. George, A. Bennett, Case Studies and Theory Development, op. cit. ; Tulia G. Falleti, « Theory-Guided Process-Tracing in Comparative Politics : Something Old, Something New », Newsletter of the Organized Section in Comparative Politics of the American Political Science Association, 17 (1), 2006, p. 9-14.
  • [19]
    Le texte d’Antoine Maillet et Pierre-Louis Mayaux dans ce numéro souligne combien une telle opposition est vaine.
  • [20]
    D. Waldner, « Process Tracing and Causal Mechanisms... », art. cité, p. 67.
  • [21]
    A. Bennett, J. T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., p. 4.
  • [22]
    Tulia G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 455-462, ici p. 457.
  • [23]
    D. Beach, R. B. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit., p. 1-2.
  • [24]
    David Collier, Henry E. Brady, Jason Seawright, « Sources of Leverage in Causal Inference : Toward an Alternative View of Methodology », dans H. E. Brady, D. Collier (eds), Rethinking Social Inquiry. Diverse Tools, Shared Standards, Lanham, Rowman & Littlefield, p. 229-266, dont p. 277. Sur les CPO, voir aussi J. Mahoney, « After KKV... », art. cité ; Thad Dunning, « Improving Process Tracing : The Case of Multi-Method Research », dans A. Bennett, J. Checkel (eds), Process Tracing..., op. cit., p. 211-236.
  • [25]
    Sur ce point, cf. notamment Jeffrey T. Checkel, « It’s the Process Stupid ! Process Tracing in the Study of European and International Politics », ARENA Working Paper, 26, octobre 2005, <http://ideas.repec.org/p/erp/arenax/p0206.html> ; A. L. George, A. Bennett, Case Studies and Theory Development..., op. cit.
  • [26]
    Cf. Derek Beach, « It’s All about Mechanisms : What Process-Tracing Case Studies Should Be Tracing », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 463-472 ; et l’article de Cyril Benoit dans ce numéro spécial.
  • [27]
    Cf. James Mahoney, « Comparative-Historical Methodology », Annual Review of Sociology, 30, 2004, p. 81-101 ; et Marcus Kreuzer, « Assessing Causal Inference Problems with Bayesian Process Tracing : The Economic Effects of Proportional Representation and the Problem of Endogeneity », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 473-483.
  • [28]
    A. Bennett, J. T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., p. 15.
  • [29]
    D. Beach, « It’s All about Mechanisms... », art. cité, p. 464-465.
  • [30]
    James Mahoney, « Beyond Correlational Analysis : Recent Innovations in Theory and Method », Sociological Forum, 16 (3), 2001, p. 575-93, dont p. 579-580.
  • [31]
    P. A. Hall, « Aligning Ontology... », cité, p. 374.
  • [32]
    Sur cette distinction, cf. également A. Bennett, J. T. Checkel (eds), Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., p. 10-11.
  • [33]
    J. Mahoney, « Beyond Correlational Analysis... », art. cité, p. 580 ; T. G. Falleti, J. Lynch, « Context and Causation in Political Analysis », art. cité, p. 1147.
  • [34]
    T. G. Falleti, J. Lynch, « Context and Causation in Political Analysis », art. cité, p. 1147.
  • [35]
    Renate Mayntz, « Mechanisms in the Analysis of Social Macro-Phenomena », Philosophy of the Social Sciences, 34 (2), 2004, p. 237-259, ici p. 245.
  • [36]
    P. A. Hall, « Tracing the Progress of Process Tracing », art. cité.
  • [37]
    Cf. notamment A. George, A. Bennett, Case Studies..., op. cit. ; D. Beach, R. B. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit. ; A. Bennett, J. T. Checkel, Process Tracing..., op. cit., p. 7-18 ; M. Kreuzer, « Assessing Causal Inference Problems... », art. cité ; Antoine Maillet, Pierre-Louis Mayaux dans ce numéro thématique.
  • [38]
    P. A. Hall distingue très nettement l’explication historique du process tracing parce que manque à l’analyse historique l’objectif théorique et analytique du process tracing (cf. P. A. Hall, « Systematic Process Analysis... », art. cité). Toutefois, A. George et A. Bennett citent les « chroniques historiques » comme une variante du process tracing (cf. A. George, A. Bennett, Case Studies and Theory Development..., op. cit.).
  • [39]
    Tim Büthe, « Taking Temporality Seriously : Modeling History and the Use of Narratives as Evidence », American Political Science Review, 96 (3), 2002, p. 481-493.
  • [40]
    T. Büthe, ibid., p. 486 ; cf. aussi T. G. Falleti, « Theory Guided Process Tracing », art. cité ; Ph. Bezes, B. Palier dans ce numéro thématique.
  • [41]
    T. G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », art. cité, p. 456.
  • [42]
    Walter Korpi, « Power Resources Approach vs. Action and Conflict : On Causal and Intentional Explanations in the Study of Power », Sociological Theory, 3 (2), 1985, p. 31-45. Pour des exemples de ce type de travaux, cf. infra.
  • [43]
    Cf. Bruno Palier, Yves Surel, Quand les politiques changent. Temporalités et niveaux de l’action publique, Paris, L’Harmattan, 2010 ; et l’article d’Yves Surel dans ce numéro thématique.
  • [44]
    T. G. Falleti, « Theory-Guided Process-Tracing in Comparative Politics... », art. cité ; « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », art. cité.
  • [45]
    Cf. les développements de Ph. Bezes et B. Palier dans ce numéro pour un approfondissement de ce point.
  • [46]
    T. G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », art. cité.
  • [47]
    A. George, A. Bennett, Case Studies and Theory Development..., op. cit. ; J. Blatter, M. Haverland, Designing Case Studies..., op. cit. ; D. Beach, R. B. Pedersen (Process-Tracing Methods..., op. cit.) distinguent nettement process tracing et méthode de congruence, tandis que J. Gerring (Case Study Research..., op. cit., p. 173, n. 2) écrit que les deux sont synonymes.
  • [48]
    D. Beach, « It’s All about Mechanisms... », art. cité, p. 469.
  • [49]
    J. Mahoney, « The Logic of Process Tracing Tests in Social Sciences », art. cité, p. 571.
  • [50]
    Stephen Van Evera, Guide to Methods for Students of Political Science, Ithaca, Cornell University, 1997, p. 65.
  • [51]
    Ibid., p. 31-32.
  • [52]
    A. Bennett, « Process Tracing : A Bayesian Perspective », cité ; D. Collier, « Understanding Process Tracing », art. cité ; J. Mahoney, « The Logic of Process Tracing Tests in Social Sciences », art. cité ; D. Beach, R. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit. ; D. Beach, « It’s all about Mechanisms... », art. cité.
  • [53]
    D. Beach, R. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit., p. 31.
  • [54]
    J. Mahoney, « The Logic of Process Tracing Tests in Social Sciences », art. cité, p. 571.
  • [55]
    Martino Maggetti, Claudio Radaelli, Fabrizio Gilardi, Designing Research in the Social Sciences, Londres, Sage, 2012, p. 60.
  • [56]
    M. Kreuzer, « Assessing Causal Inference Problems... », art. cité ; Cyril Benoît dans ce numéro.
  • [57]
    M. Kreuzer, ibid.
  • [58]
    Harry Eckstein, « Case Study and Theory in Political Science », dans Fred I. Greenstein, Nelson W. Polsby (eds), Handbook of Political Science, Boston, Addison-Wesley, 1992 (1re éd. : 1975), p. 79-138.
  • [59]
    Cf. aussi sur ce point Ingo Rohlfing, Case Studies and Causal Inference. An Integrative Framework Research, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012 ; D. Beach, R. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit.
  • [60]
    C. Trampusch, B. Palier, « Between X and Y... », art. cité, p. 449.
  • [61]
    Colin Hay, « Process Tracing : A Laudable Aim or a High-Tariff Methodology ? », New Political Economy, 21 (5), 2016, p. 500-504.
  • [62]
    Bruno Palier, « Ambiguous Agreement, Cumulative Change : French Social Policy in the 1990s », dans Kathleen Thelen, Wolfgang Streeck (eds), Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 127-144 ; T. G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », art. cité.
  • [63]
    P. A. Hall, « Aligning Ontology and Methodology in Comparative Research », cité.
  • [64]
    T. G. Falleti, J. Lynch, « Context and Causation in Political Analysis », art. cité ; D. Beach, « It’s All about Mechanisms... », art. cité ; Ph. Bezes, B. Palier dans ce numéro special.
  • [65]
    T. Büthe, « Taking Temporality Seriously », art. cité.
  • [66]
    M. Kreuzer, « Assessing Causal Inference Problems... », art. cité.
  • [67]
    D. Beach, « It’s All about Mechanisms... », art. cité, p. 465.
  • [68]
    D. Beach, « It’s All about Mechanisms... », art. cité.
  • [69]
    A. George, T. McKeown, « Case Studies and Theories of Organizational Decision Making », cité, p. 22.
  • [70]
    T. Dunning, « Improving Process Tracing : The Case of Multi-Method Research », cité.
  • [71]
    Il s’agit des champs dans lesquels se situent nos travaux.
  • [72]
    Cf. par exemple : Christine Trampusch, « The Welfare State and Trade Unions in Switzerland : An Historical Reconstruction of the Shift from a Liberal to a Post-Liberal Welfare Regime », Journal of European Social Policy, 20 (1), 2010, p. 58-73 ; Martin Seeleib-Kaiser, Adam M. Saunders, Marek Naczyk, « Social Protection Dualism, De-Industrialization and Cost Containment », dans David Brady (ed.), Comparing European Workers. Part B. Policies and Institutions (Research in the Sociology of Work, Volume 22), Bingley, Emerald Group, 2011, p. 83-118 ; Marius Busemeyer, « Business as a Pivotal Actor in the Politics of Training Reform : Insights from the Case of Germany », British Journal of Industrial Relations, 50 (4), 2012, p. 690-713.
  • [73]
    T. G. Falleti, « Process Tracing of Extensive and Intensive Processes », art. cité, p. 458.
  • [74]
    Cf., par exemple, B. Palier, « Ambiguous Agreement, Cumulative Change », cité ; Giuliano Bonoli, Bruno Palier, « When Past Reforms Open New Opportunities : Comparing Old Age Insurance Reforms in Bismarckian Welfare Systems », Social Policy and Administration, 41 (6), 2007, p. 555-573 ; Simon Steinlin, Christine Trampusch, « Institutional Shrinkage : The Deviant Case of Swiss Banking Secrecy », Regulation & Governance 6 (2), 2012, p. 242-259.
  • [75]
    Pour plus de détails, cf. Ph. Bezes et B. Palier dans ce numéro.
  • [76]
    Cf., par exemple : Patrick Emmenegger, Paul Marx, « Business and the Development of Job Security Regulations : The Case of Germany », Socio-Economic Review, 9 (4), 2011, p. 729-756 ; Orfeo Fioretos, Creative Reconstructions. Multilateralism and European Varieties of Capitalism after 1950, Ithaca, Cornell University Press, 2011 ; Manuela Moschella, « Different Varieties of Capitalism ? British and Italian Recapitalization Policies in Response to the Sub-prime Crisis », Comparative European Politics, 9 (1), 2011, p. 76-99 ; Kimberly Morgan, « Forging the Frontiers between State, Church, and Family : Religious Cleavages and the Origins of Early Childhood Care and Education Policies in France, Sweden, and Germany », Politics and Society, 30 (1), 2002, p. 113-148 ; Daniel Mügge, Widen the Market, Narrow the Competition. Banker Interests and the Making of a European Capital Market, Colchester, ECPR Press, 2010 ; Bruno Palier, Kathleen Thelen, « Institutionalizing Dualism : Complementarities and Change in France and Germany », Politics and Society, 38 (1), 2010, p. 119-148 ; Lucia Quaglia, « The Politics of Insurance Regulation and Supervision Reform in the European Union », Comparative European Politics, 9 (1), 2011, p. 100-122 ; Christine Trampusch, « Europeanization and Institutional Change in Vocational Education and Training in Germany and Austria », Governance. An International Journal of Policy, Administration and Institutions, 22 (3), 2009, p. 371-397 ; Christine Trampusch, « Why Preferences and Institutions Change : A Systematic Process Analysis of Credit Rating in Germany », European Journal of Political Research, 53 (2), 2014, p. 328-344.
  • [77]
    W. Korpi, « Power resources approach... », art. cité.
  • [78]
    Peter A. Hall, David W. Soskice (eds), Varieties of Capitalism. The Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press, 2001.
  • [79]
    Peter A. Hall, Rosemary C. R. Taylor, « Political Science and the Three New Institutionalisms », Political Studies, 44 (5), 1996, p. 936-957.
  • [80]
    Pour d’autres conseils de ce genre, cf. aussi D. Beach, R. B. Pedersen, Process-Tracing Methods..., op. cit. ; A. Bennett, J. T. Checkel, Process Tracing in the Social Sciences..., op. cit., et en particulier David Waldner, « What Makes Process-Tracing Good ? Causal Mechanisms, Causal Inference, and the Completeness Standard in Comparative Politics », p. 126-152 ; Derek Beach, Rasmus Brun Pedersen, Causal Case Study Methods. Foundations and Guidelines for Comparing, Matching, and Tracing, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2016.
  • [81]
    P. A. Hall, « Aligning Ontology and Methodology in Comparative Research », art. cité, p. 374.
  • [82]
    Cf. l’article d’Antoine Maillet et Pierre-Louis Mayaux dans ce numéro thématique.
  • [83]
    Cf. M. Kreuzer, « Assessing Causal Inference Problems with Bayesian Process Tracing », art. cité ; ou Cyril Benoît dans ce numéro.
  • [84]
    Arend Lijphart, « Comparative Politics and the Comparative Method », American Political Science Review, 64 (3), 1971, p. 682-693 ; H. Eckstein, « Case Study and Theory in Political Science Eckstein », cité ; John Gerring, Case Study Research, op. cit.
  • [85]
    J. Gerring, ibid., p. 172.
  • [86]
    J. Mahoney, « After KKV... », art. cité, p. 131.
  • [87]
    Cameron G. Thies, « A Pragmatic Guide to Qualitative Historical Analysis in the Study of International Relations », International Studies Perspectives, 3 (4), 2002, p. 351-372 ; Markus Kreuzer, « Historical Knowledge and Quantitative Analysis : The Case of the Origins of Proportional Representation », American Political Science Review, 104 (2), 2010, p. 369-392.
  • [88]
    Robert Adcock, David Collier, « Measurement Validity : A Shared Standard for Qualitative and Quantitative Research », American Political Science Review, 95 (3), 2001, p. 529-554.
  • [89]
    Voir la façon dont Alexander L. George aborde cette question à propos de la méthode de congruence : « The Role of the Congruence Method for Case Study Research », working paper, MacArthur Program on Case Studies, Georgetown University, Washington (D. C.), 18-22 mars 1997.
  • [90]
    A. L. George, ibid., p. 7.
  • [91]
    Cf. à ce sujet notamment T. G. Falleti, J. Lynch, « Context and Causation in Political Analysis », art. cité.
  • [92]
    Andrew Moravscik, « Trust, but Verify : The Transparency Revolution and Qualitative International Relations », Security Studies, 23 (4), 2014, p. 663-688.
Français

Resume

De nombreuses publications méthodologiques portent sur le process tracing, ses fondements ontologiques et épistémologiques, et cherchent à en définir et systématiser l’utilisation. Cette littérature suggère de nombreuses définitions différentes du process tracing. Le présent article se propose de passer en revue les différentes approches afin d’en souligner les traits communs et de dresser une typologie des usages du process tracing. Le process tracing permet de mettre au jour des mécanismes causaux ou de tester un mécanisme causal théoriquement présumé. Deux principaux types d’usages sont identifiés : les usages inductifs (tout en restant « guidés » par de la théorie) et les usages déductifs (mais étant toujours prêts à affiner les théories testées). Les recherches appliquant le process tracing en économie politique comparée permettent notamment de savoir comment changent les intérêts et les institutions.

Mots-clés

  • process tracing
  • méthode
  • épistémologie
  • théorie
  • mécanismes causaux
Bruno Palier
Bruno Palier est directeur de recherches du CNRS à Sciences Po (Centre d’études européennes). Il dirige le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences po (LIEPP). Il est docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales. Il travaille sur les réformes des systèmes de protection sociale en France et en Europe. Il a récemment codirigé avec Philip Manow et Hanna Schwanser, Welfare Democracies and Party Politics. Explaining Electoral Dynamics in Times of Changing Welfare Capitalism (Oxford University Press, 2018) (Centre d’études européennes, 27 rue Saint Guillaume, 75007 Paris, France).
Christine Trampusch
Christine Trampusch est professeure à l’Université de Cologne, spécialisée en économie politique comparée et en sociologie économique. Elle est liaison professor avec l’Institut Max-Planck pour l’étude des sociétés de Cologne. Elle travaille sur les politiques de formation, d’emploi, de protection sociale et de régulation bancaire. Elle a publié de nombreux articles dans des revues comme European Journal of Industrial Relations, European Journal of Political Research, German Politics, Governance, Journal of European Social Policy, New Political Economy. En 2012, elle a dirigé, avec Marius Busemeyer, The Political Economy of Collective Skill Formation Systems publié par Oxford University Press (Cologne Center for Comparative Politics, Postfach 411020, 50870 Cologne, Allemagne).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/01/2019
https://doi.org/10.3917/rfsp.686.0967
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