CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Ce numéro spécial s’inscrit dans la suite d’une série de dossiers que la Revue française de science politique a consacré, depuis une quinzaine d’années, à l’analyse des politiques publiques [1]. Au travers de nouvelles interrogations sur les approches et les méthodes en cours au sein de ce domaine de recherche, il permet d’en suivre les profondes évolutions, en France notamment, où ce domaine s’est autonomisé par rapport au droit et aux sciences du gouvernement, qui reposaient sur une démarche relativement descriptive et séquentielle du travail gouvernemental.

2 Mais, comme le montre la diversité des postures de recherche présentées dans les articles que l’on va lire, l’analyse des politiques publiques s’est aussi enrichie au point de reposer sur des approches très différentes, qui sont ici mises en dialogue. C’est sans doute grâce à des ancrages disciplinaires multiples (sociologie, économie politique, science politique, histoire) et à une inscription revendiquée dans les débats et courants internationaux que cette diversification a été possible. Cette diversité n’empêche pas le débat, l’enrichissement réciproque et le dialogue, comme l’illustrent les références croisées des différents textes publiés, qui ont fait l’objet de discussions serrées préalablement à leur publication [2]. Il ne s’agit donc pas ici de prétendre à une unité artificielle de l’analyse des politiques publiques en France, mais plutôt de mettre en discussion les différentes approches et méthodes.

3 Il convient cependant de noter (comme le font remarquer plusieurs participants à ce numéro spécial) que, plutôt que de méthode à strictement parler, les auteurs se préoccupent surtout de discussion théorique, cherchant à situer leur propre démarche au sein du développement de l’analyse des politiques publiques, mais aussi par rapport aux différentes approches en présence au sein de la science politique ou d’autres sciences sociales. Cette tendance révèle sans doute une relative faiblesse de l’analyse des politiques publiques aujourd’hui, à savoir son manque d’assise méthodologique solide, comme le souligne l’analyse critique et réflexive de Philippe Bongrand et Pascale Laborier. On trouvera cependant de nombreuses pistes pour comparer et affermir les méthodes, non seulement dans ce texte, mais aussi dans ceux de Patrick Hassenteufel ou de Christine Musselin, par exemple.

4 Il reste que les discussions de méthodes ne doivent jamais être déconnectées des questions théoriques et de l’approche retenue. C’est là ce qui réunit tous les textes rassemblés ici. Il s’agit, pour chacun d’eux, d’exposer, de définir, de situer et d’expliciter une démarche de recherche spécifique, avec ses propres questions, ses angles particuliers d’analyse, ses propres références théoriques (ses postulats, pour reprendre les termes de Christine Musselin). On peut lire, en effet, combien ces diverses approches reposent sur des épistémologies très différentes. Ainsi, certaines d’entre elles privilégient la démarche hypothético-déductive (notamment l’approche en termes de choix rationnel, présentée par Sylvain Brouard et Richard Balme, mais aussi certains travaux comparatifs mentionnés par Patrick Hassenteufel), d’autres une démarche inductive (c’est la posture revendiquée par la sociologie de l’action organisée, présentée par Christine Musselin, mais aussi – bien que sous une forme sans doute différente, par les néo-institutionnalismes, présentés par Bruno Palier et Yves Surel) ; certains cherchent des régularités (« modèles » du choix rationnel ou bien « mécanismes » pour l’approche cognitive des politiques publiques ou pour ceux qui tracent systématiquement les processus à travers une grille d’analyse fondée sur les « trois I »), quand d’autres insistent sur les singularités (approche socio-historique, présentée par Gilles Pollet et Renaud Payre) ; les niveaux d’analyse privilégiés sont aussi différents, les approches comparatives, la combinatoire des « trois i », l’approche cognitive des politiques publiques se situant plutôt au niveau macro ou méso, l’approche socio-historique, organisationnelle ou rationaliste plutôt au niveau micro. L’importance des acteurs dans l’analyse des politiques publiques est affirmée par tous, mais conçue de façon très différente, portée par ses préférences et ses stratégies pour les uns (choix rationnel et sociologie des organisations), prise entre idées et intérêts pour d’autres (approche cognitive des politiques publiques). Ce rapide tour d’horizon montre la diversité de l’analyse des politiques publiques aujourd’hui en France et à quel point ses débats recoupent ceux qui traversent l’ensemble des sciences sociales.

5 Près de 20 ans après le Traité de science politique dirigé par Madeleine Grawitz et Jean Leca [3], on peut donc voir combien l’analyse des politiques publiques a mûri. En 1987, alors qu’elle émergeait à peine des sciences administratives et des études américaines du gouvernement, la meilleure des présentations de cette approche (alors au singulier), retenue par les responsables du traité avec Jean-Claude Thoenig pour le tome IV consacré aux politiques publiques, consistait en un découpage sectoriel des domaines de recherche, reflétant par là qu’une seule et même démarche de recherche pouvait être appliquée aux différents secteurs de l’action publique. Aujourd’hui, les recherches, les références théoriques, les méthodes et les approches se sont multipliées. Sur un même secteur d’action publique peuvent se développer des démarches très diverses et toute l’analyse des politiques publiques ne se réduit pas à des recherches sectorielles (ce point est discuté notamment par Pierre Muller et par Christine Musselin). L’analyse des politiques publiques a su tirer profit des débats théoriques et de la cumulativité du savoir en sciences sociales pour devenir une sous-discipline à part entière de la science politique, dont le récent Dictionnaire des politiques publiques[4] permet, tout comme ce numéro, de mesurer la fécondité.

Notes

  • [1]
    Cf. notamment « Politiques publiques en France, l’Europe, le marché, l’État », Revue française de science politique, numéro spécial, 42 (2), avril 1992 ; le forum « Enjeux, controverses et tendances de l’analyse des politiques publiques », Revue française de science politique, 46 (1), février 1996, p. 96-133 ; « Les approches cognitives des politiques publiques », Revue française de science politique, numéro spécial, 50 (2), avril 2000 ; « Les approches nationales des politiques publiques », Revue française de science politique, numéro spécial, 52 (1), février 2002.
  • [2]
    La plupart des articles ont fait l’objet d’une présentation dans le cadre du séminaire du pôle « Action publique » du Cevipof.
  • [3]
    Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, 4 vol.
  • [4]
    Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
Pierre Muller
Bruno Palier
Yves Surel
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2006
https://doi.org/10.3917/rfsp.551.0005
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