CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans la dernière édition de son ouvrage classique consacré à la Sociologie de l’éducation, Mohamed Cherkaoui peut encore écrire que « la relation entre le politique et l’éducatif est un thème récent que sociologues et politistes n’ont commencé à étudier que depuis le début des années soixante [1] ». Ainsi, malgré quelques travaux majeurs (ceux notamment d’Annick Percheron et aujourd’hui, d’Anne Muxel ou de Vincent Tournier), la science politique française reste très discrète sur ces questions [2] pourtant cruciales que les fondateurs de la démarche sociologique avaient, à l’inverse, consacrées comme une branche essentielle des sciences sociales [3]. Au point que certains auteurs [4] considèrent aujourd’hui, par exemple, que la sociologie durkheimienne offre une théorie de la socialisation qui résume à elle seule la problématique de l’auteur d’Éducation et sociologie[5].

2 L’héritage de Durkheim est toutefois ici ambivalent. On se souvient que, à l’inverse du reste de son œuvre, l’analyse de la socialisation emprunte chez lui des perspectives variées : socio-historique et psychosociologique [6]. Si cette dernière orientation a abondamment été reprise et affinée [7], la perspective socio-historique, développée principalement dans L’évolution pédagogique en France[8], a largement été ignorée. Faut-il voir ici la conséquence de l’ambiguïté fondatrice des rapports entre sociologie et histoire chez Durkheim ? Ou peut-être, l’effet d’une alliance ultérieure forte entre les études consacrées à la socialisation notamment politique et l’approche béhavioriste ? Désireux de mesurer les effets de la socialisation, les chercheurs ont peut-être sous-estimé l’importance qu’il convient d’accorder à la trajectoire historique des structures et des offres de socialisation. C’est à l’évocation d’un épisode oublié de cette histoire que notre article sera consacré.

3 À partir d’une enquête socio-historique portant sur certaines technologies de socialisation civique [9] et religieuse dans la France de la fin du 19e siècle, nous voudrions proposer trois axes de lecture des phénomènes de socialisation politique. La première contribution d’un regard socio-historique est d’appeler l’attention des chercheurs sur la difficulté à différencier aisément la socialisation politique des autres types de socialisation. C’est ainsi que, pour nombre de citoyens français à la fin du 19e siècle, la socialisation civique est étroitement imbriquée avec la socialisation religieuse qui continue durablement à servir de matrice, tant cognitive qu’identitaire, à la socialisation politique. Cette absence de frontière entre les différentes dimensions de la socialisation plaide en faveur d’une prise en compte globale de ces questions. Le regard socio-historique favorise aussi, en conséquence, la remise en cause de certaines ruptures souvent présentes dans les travaux contemporains consacrés à la socialisation politique. L’analyse de certaines technologies de socialisation civique (on pense particulièrement aux catéchismes et/ou manuels électoraux) atténue, par exemple, la distinction faite classiquement entre socialisation primaire (ou initiale) et socialisation secondaire. Là encore, une approche continue de ces questions ouvre la voie à des hypothèses neuves. Enfin, l’approche socio-historique – si elle confirme que la socialisation renvoie à un processus d’interaction complexe entre les individus et leur environnement social [10] – insiste sur la dimension fortement conflictuelle de ce processus. Arrêtons-nous tout d’abord sur l’affaire des « catéchismes augmentés », qui occupe le débat public français à la fin des années 1880, avant d’en analyser les dimensions proprement politiques [11].

A propos de l’affaire des « catéchismes augmentés » récit d’un conflit de socialisation civique

4 En remplaçant l’instruction morale et religieuse par l’instruction morale et civique, la législation des années 1880 établissant le principe de la laïcité scolaire implique que l’instruction religieuse devienne désormais une matière d’enseignement facultative [12], refoulée à l’extérieur des emplois du temps et des locaux de l’école publique française [13]. Cette séparation des locaux ne sera pas – loin de là – toujours acceptée aisément par les élites politiques ou religieuses locales ou par les parents des élèves. C’est ainsi que le Conseil Général des Vosges (dont fait partie à l’époque Jules Ferry) votera, le 20 août 1891, le vœu suivant :

5

« Le ministre de l’Instruction publique aura la faculté, sur la demande des conseils municipaux et après avis du Conseil départemental, d’accorder l’usage des locaux scolaires pour l’enseignement religieux, en dehors des heures de classe, dans les communes où l’intérêt des enfants paraîtra commander cette mesure [14]. »

6 Ce refoulement affecte gravement, selon ses détracteurs, le maintien de l’enseignement religieux auprès de la jeunesse. Ne plus donner l’enseignement religieux à l’école, c’est, pour beaucoup de catholiques, le supprimer dans les faits. La charge de travail supplémentaire que cette exclusion entraîne pour les curés ou pour les desservants, le manque de locaux (et surtout de locaux chauffés en hiver) pour accueillir les enfants, telles sont les deux raisons pratiques principales qui motivent cette crainte. De façon tout aussi concrète, l’établissement de frontières claires entre l’Église et l’école implique que l’usage du livre du catéchisme, principal véhicule de l’évangélisation des enfants, soit désormais interdit dans les écoles publiques, et facultatif dans les écoles privées [15]. Ce faisant, l’enseignement du catéchisme devient un nouveau point de discorde entre les autorités académiques et le clergé. Contrairement au vœu émis par J. Ferry, lors du débat sur la loi du 28 mars 1882 [16], cet enseignement est source de multiples conflits locaux [17]. Les horaires de cet exercice religieux sont, par exemple, l’objet de nombreux désaccords entre l’instituteur et le ministre du culte. Le premier reproche souvent au second de choisir des plages horaires qui perturbent son propre enseignement, soit qu’elles empiètent franchement sur les heures destinées à l’enseignement profane, soit qu’elles obligent les enfants à arriver en retard à l’école communale [18]. Plus durables sont, cependant, les conséquences de cette séparation sur les moyens mis en œuvre par l’Église pour socialiser les élèves des écoles publiques. Se voyant exclus d’un espace privilégié de socialisation [19], les catholiques vont très rapidement multiplier les initiatives leur permettant de conserver un contact avec la majorité des enfants en âge d’être scolarisés. De façon paradoxale, la laïcité scolaire provoque le premier mouvement catéchistique d’ampleur que connut la société française [20]. Pour aider les desservants dans leur tâche pastorale, des laïcs (surtout des femmes) se proposent, dès 1884, pour leur servir d’auxiliaires dans les catéchismes. C’est ainsi, par exemple, qu’à Paris, deux femmes (Mlle Marguerite Sorin de Bonne et Mlle Aubineau) fondent, en 1886, une association des dames catéchistes, nommée l’Œuvre des Catéchismes. D’implantation d’abord parisienne, cette association vivement encouragée par Mgr d’Hulst connaît rapidement un essor important et regroupe, à la veille de 1914, plus de soixante confréries diocésaines réparties sur l’ensemble du territoire national. Une autre initiative mérite d’être mentionnée. « Quand on ne peut pas avoir d’école libre, faute de ressources, faute de maîtres ou pour toute autre raison, on peut, propose l’abbé Garnier, réaliser quelque chose du même bien avec une école de catéchisme » [21]. Dans l’esprit du fondateur de l’Union nationale et de la Ligue catholique de l’évangile, cette institution qui peut être établie « dans des locaux qui ne remplissent pas les conditions réclamées pour les bâtiments scolaires » doit permettre d’apprendre, de façon régulière et approfondie, « la prière, le catéchisme, la manière de répondre à la messe, la lecture du latin, le chant des psaumes et des cantiques, l’Évangile, l’histoire sainte, en un mot, tout ce qui fait partie d’une bonne éducation chrétienne ». Véritable complément à l’école publique dont elle comble le silence religieux, cette école de catéchisme est présentée comme un moyen simple et facile permettant de sauver « les quelques âmes qui seront plus tard le levain de la messe » [22]. Les renseignements manquent pour apprécier la réussite de cette initiative provoquée elle aussi par la mise en place de la laïcité scolaire.

7 De façon générale, cependant, c’est sur le catéchisme paroissial que le clergé fonde l’essentiel de son action envers la jeunesse et bien souvent envers leurs parents. La très grande majorité des enfants de l’école publique suivent, en effet, cet exercice religieux dont l’assiduité conditionne l’accès à la première communion. Si elle ne provoque pas, contrairement aux craintes émises par de nombreux catholiques, une baisse sensible des effectifs qui suivent cet exercice religieux, la laïcité scolaire modifie considérablement le statut du manuel de catéchisme. C’est désormais, pour beaucoup d’enfants, le seul ouvrage d’instruction religieuse qu’ils ont entre les mains. C’est, en conséquence, pour le clergé le seul moyen d’atteindre de nombreux élèves des écoles publiques. Nous comprenons alors l’attention accrue que l’Église porte à cet ouvrage que le quotidien Le Français, proche du duc de Broglie et du catholicisme libéral de Mgr Dupanloup, présente ainsi en avril 1882 :

8

« Notre manuel d’instruction morale est tout fait depuis longtemps, sans que M. Paul Bert, ou M. Ferry ou M. Burdeau, ou le Conseil supérieur de l’instruction publique lui-même, ait à y mettre la main ; c’est notre catéchisme diocésain, dans ses chapitres consacrés aux commandements de Dieu, aux vertus et aux vices ; c’est le seul qui puisse donner satisfaction à nos consciences, le seul que nous puissions avec sécurité laisser mettre entre les mains de nos enfants, le seul que nous achèterons pour eux et que notre instituteur leur apprendra. »

9 En précisant ainsi les attentes qui pèsent sur le catéchisme et en faisant un discours d’opposition à la morale laïque, cet extrait permet de mieux comprendre les additions au texte classique du catéchisme opérées par certains prélats à partir de 1890 [23]. La situation politique française (les élections législatives de 1889 marque un recul certain des candidats conservateurs de tradition catholique malgré un fort engagement du clergé dans la campagne électorale) et romaine (marquée, elle, à la fois par le toast du cardinal Lavigerie à Alger, le 12 novembre 1890, et l’encyclique Later Sollicitudines du 10 février 1892 qui engage les catholiques français à accepter la forme républicaine du gouvernement) les incite à actualiser le texte d’un catéchisme qui n’avait pas évolué depuis de nombreuses années. Le premier catéchisme à introduire des leçons complémentaires est celui que l’archevêque libéral d’Aix, Mgr Gouthe-Soulard, fera imprimer en juin 1890 [24]. Ce nouveau catéchisme « augmenté » contient neuf nouvelles questions portant sur les devoirs des parents envers leurs enfants en matière d’éducation, sur les devoirs électoraux des chrétiens et sur la position de l’Église vis-à-vis du mariage civil et du divorce. Dès la fin de l’année 1890, d’autres évêques imitèrent l’attitude de l’archevêque d’Aix en intégrant des leçons similaires dans leurs catéchismes diocésains [25]. Dans la Lettre-circulaire qui accompagne la nouvelle édition de son catéchisme, le prélat d’Aix justifie ainsi son intervention dans un domaine éloigné des questions purement spirituelles :

10

« Nous avons cru devoir rappeler les devoirs du citoyen et du Français. Destinés à prendre part au gouvernement de leur pays, les enfants sauront que c’est pour eux un devoir de conscience de bien voter aux élections, quand l’heure sera venue, leurs parents, légers, ignorants et inconscients sur cette question capitale, pourront en faire leur profit [26]. »

11 Intervenant quelques mois à peine après la Lettre encyclique Sapientiae Christianae de Léon XIII sur les principaux devoirs civiques des chrétiens [27], cette campagne des évêques en faveur d’une définition spécifiquement catholique du devoir civique traduit l’attention croissante de l’Église envers un mode de gouvernement et de sélection des gouvernants auquel elle se ralliera officiellement quelques mois plus tard. Elle témoigne aussi de la volonté de l’Église de restaurer son emprise sur la socialisation tant religieuse que politique de ses fidèles. Une conviction anime son combat : l’Église catholique constitue une communauté identitaire qui a pour vocation de transmettre son héritage moral, social et culturel. Groupe de référence par excellence, elle se caractérise encore à cette époque par des relations intimes (notamment au moment de l’aveu et du pardon), par le sentiment de l’unité historique et culturelle de ses membres, par une très forte et très ancienne solidarité, par la grande homogénéité religieuse des normes et des valeurs partagées par les croyants qui la composent. Dans une telle perspective, socialiser c’est confirmer l’intégration de l’individu à une communauté religieuse qui informe, de manière prioritaire, l’ensemble de ses sentiments et de ses attitudes. Dans sa Lettre encyclique du 10 janvier 1890, Léon XIII précise clairement la voie que doit suivre le chrétien en cas de conflit entre son appartenance à l’Église universelle et son appartenance à la communauté civique nationale :

12

« Or si la loi naturelle nous ordonne d’aimer de tout notre cœur et de protéger le pays où nous sommes nés et où nous avons été élevés, à ce point même que le bon citoyen ne craigne pas d’affronter la mort pour sa patrie, à plus forte raison à l’égard de l’Église. Car elle est la cité sainte de Dieu vivant et la fille de Dieu lui-même, de qui elle a reçu sa constitution. C’est sur cette terre, il est vrai, qu’elle accomplit son pèlerinage ; mais, établie pour enseigner et guider les hommes, elle les appelle à la félicité éternelle. Il faut donc aimer la patrie terrestre, qui nous a donné de jouir de cette vie mortelle ; mais il est nécessaire d’aimer d’un amour plus ardent l’Église, à qui nous sommes redevables de la vie immortelle de l’âme, parce qu’il est raisonnable de préférer les biens de l’âme au bien du corps et que les devoirs envers Dieu ont un caractère plus sacré que les devoirs envers les hommes [28]. »

13 Le pape poursuit en rappelant que, pour l’Église, l’obéissance au pouvoir politique terrestre est subordonnée au respect par ce dernier de l’ordre social voulu par Dieu :

14

« Cependant, la hiérarchie de ces devoirs se trouve quelquefois bouleversée, soit par le malheur des temps, soit plus encore par la volonté perverse des hommes. Il arrive, en effet, que parfois les exigences de l’État envers le citoyen contredisent celles de la religion à l’égard du chrétien, et ces conflits viennent de ce que les chefs politiques tiennent pour nulle la puissance sacrée de l’Église, ou bien ont la prétention de se l’assujettir. De là, des luttes, et dans ces luttes, la vertu mise à l’épreuve. Deux pouvoirs sont en présence, donnant des ordres contraires. Impossible de leur obéir à tous les deux à la fois : “Nul ne peut servir deux maîtres. Plaire à l’un, c’est mépriser l’autre. Auquel accordera-t-on la préférence ? L’hésitation n’est pas permise. Ce serait un crime, en effet, de vouloir se soustraire à l’obéissance due à Dieu pour plaire aux hommes”. Cette réponse, que faisaient autrefois Pierre et les Apôtres aux magistrats qui leur commandaient des choses illicites, il faut, en pareille circonstance, la redire toujours sans hésiter. Il n’est pas de meilleur citoyen, soit en temps de paix, soit en temps de guerre, que le chrétien fidèle à son devoir ; mais ce chrétien doit être prêt à tout souffrir, même la mort, plutôt que de trahir la cause de Dieu et de l’Église [29]. »

15 S’inscrivant dans un parcours idéologique que William Ossipow a parfaitement étudié [30], cette Lettre encyclique marque le début du changement d’attitude de l’Église envers la République. Constatant que le modèle idéal de société chrétienne auquel l’Église aspire n’avait plus guère de chance de se concrétiser, l’accent du discours léontin se déplace de façon à concurrencer – sans prétendre les éliminer – les discours profanes quant à la définition légitime du comportement politique. Afin de soustraire les fidèles à ces discours, dont les manuels de morale et d’instruction civique en usage dans les écoles publiques depuis la rentrée de 1882 constituent la traduction pédagogique [31], le pape entend rappeler aux citoyens chrétiens la responsabilité particulière – et particularisante – qui s’impose à eux dans la Cité terrestre. En appelant ainsi les catholiques à « retourner aux principes chrétiens et y conformer en tout la vie », le pape étend à la sphère des élections l’application des règles et des normes édictées par Dieu [32]. L’usage des institutions politiques modernes n’échappe pas à la direction de l’Église qui entend désormais faire des fidèles des « citoyens dont le mandat est de servir les intérêts de Dieu [33] ». Cette conception totalisante de l’autorité de l’Église débouche sur une injonction extrêmement claire concernant l’attitude des catholiques lors des prochaines élections :

16

« Ces préceptes renferment la règle à laquelle tout catholique doit conformer sa vie publique. En définitive, partout où l’Église ne défend pas de prendre part aux affaires publiques, l’on doit soutenir les hommes d’une probité reconnue et qui promettent de bien mériter de la cause catholique, et pour aucun motif, il ne serait permis de leur préférer des hommes hostiles à la religion [34]. »

17 L’acceptation du système politique pluraliste, que confirmera l’encyclique sur le ralliement du 10 février 1892, ne renforce pas la liberté du citoyen catholique qui ne saurait, sous peine de péché grave, voter pour un candidat n’ayant pas fait une profession de foi conforme aux vœux de l’Église. L’appartenance religieuse du citoyen interdit, de façon la plus stricte, certaines options politiques jugées contraires à l’orthodoxie catholique et lui commande de bien voter, c’est-à-dire, de voter chrétiennement. La lettre encyclique de Léon XIII exhorte enfin les évêques à prendre « soin de répandre partout Notre parole, et [de faire] comprendre à tous combien il importe de mettre en pratique les enseignements contenus dans cette lettre » [35]. C’est afin de suivre cette direction que les dix-sept évêques recensés précédemment vont modifier leurs catéchismes diocésains afin d’y inclure, en particulier, une leçon relative aux devoirs électoraux des chrétiens.

18 Le savoir-faire pratique mis en œuvre pour diffuser cette leçon complémentaire nous renseigne, de façon assez précise, sur la stratégie de socialisation choisie par les prélats. À l’origine, la leçon qui sera ultérieurement incriminée par le Conseil d’État est diffusée sur une feuille volante que le desservant distribue aux enfants lors du catéchisme. C’est cette option qui sera choisie, par exemple, par l’évêque de Mende, qui fera tirer à 10 000 exemplaires la leçon complémentaire et la fera distribuer avec ordre de la coller à la fin des catéchismes. Dans un second temps, ce sont les libraires eux-mêmes qui collèrent les deux feuilles et les paginèrent avec un tampon encreur (pages 76 et 77). Enfin, la leçon fut intégrée à la place qui lui était impartie (page 42) dans la nouvelle édition imprimée à cet effet [36]. Le parcours de la leçon dont l’évêque de Coutances ordonne l’enseignement est tout aussi significatif. Au début du mois de janvier 1891, la leçon est enseignée oralement par les desservants. Quelques mois plus tard, l’évêque fait distribuer aux enfants le texte de la leçon sur une feuille volante. Feuille que les ministres des cultes doivent coller à la fin du manuel. À la rentrée de 1892, les nouveaux catéchismes disponibles insèrent la leçon dans le corps du volume. La leçon occupe alors sa place définitive sous le titre de leçon 8 bis [37]. Cette insertion progressive de la leçon consacrée aux devoirs électoraux des chrétiens traduit bien le statut que les évêques lui assignent. Au départ, sa matérialité (une feuille volante) fait d’elle une leçon exceptionnelle, isolée de l’ensemble du catéchisme et enseignée de façon quasi-dérogatoire. Au fur et à mesure que le temps passe, la leçon s’intègre de façon de plus en plus durable et harmonieuse dans le catéchisme pour perdre finalement tout statut d’exceptionnalité et rejoindre sa place à côté des autres commandements divins. Dans le catéchisme du diocèse de Quimper et de Léon, la leçon, distribuée tout d’abord sous forme de complément imprimé sur feuille volante [38], s’intégrera ainsi à la 20e leçon consacrée au quatrième commandement [39]. De précaire, la leçon devient là encore définitive et consacre l’extension du champ d’influence du dogme catholique souhaitée par Léon XIII.

Socialisation civique et construction normative de l’institution électorale

19 Ne se contentant pas de régir les divers domaines de la vie familiale et sociale, le catéchisme englobe désormais le comportement et les attitudes politiques. Si les différentes leçons rédigées par les évêques suivent ce parcours de banalisation, leur contenu diffère cependant d’un évêché à l’autre. Les catéchismes les plus modérés optent pour une formulation prudente et enseignent principalement le respect et l’obéissance envers les gouvernants que Dieu, source de toute autorité, a placé au rang de guides de la société. La leçon imprimée dans le catéchisme du diocèse de Rennes expose, en ces termes, les devoirs des « chrétiens comme citoyens » :

20

« 1.D. – Quels sont nos devoirs envers l’autorité civile ou temporelle ?
R. – Nos devoirs envers l’autorité civile ou temporelle sont de la respecter et de lui obéir en tout ce qui n’est pas contraire à la loi de Dieu.
2.D. – Pourquoi l’autorité civile a-t-elle droit à notre respect et à notre obéissance ?
R. – L’autorité civile a droit à notre respect et à notre obéissance parce qu’elle vient de Dieu, et que Dieu l’a établie pour le bien de la Société.
3.D. – Devons-nous aussi prier pour ceux qui nous gouvernent ?
R. – Oui, nous devons prier pour ceux qui nous gouvernent, afin qu’ils nous gouvernent chrétiennement et pour le plus grand bien du pays.
4.D. – Comment obtiendrons-nous d’être gouvernés chrétiennement ?
R. – Nous obtiendrons d’être gouvernés chrétiennement, en votant aux élections pour des hommes résolus à défendre les intérêts de la Religion et de la Société.
5.D. – Est-ce un devoir de voter aux élections ?
R. – Oui, c’est un devoir de voter aux élections.
6.D. – Est-ce un péché de mal voter aux élections ?
R. – Oui, c’est un péché de mal voter aux élections.
7.D. – Qu’est-ce que mal voter aux élections ?
R. – Mal voter aux élections, c’est voter pour des hommes qui ne seraient pas résolus à défendre les intérêts de la Religion et de la Société.
8.D. – Pourquoi est-ce un péché de mal voter aux élections ?
R. – Parce qu’on se rend responsable du mal que peut faire celui pour qui on vote [40]. »

21 À l’encontre des théories modernes du pouvoir, cette leçon ne reconnaît pas l’autonomie du pouvoir politique par rapport à l’autorité religieuse et confirme le refus de l’Église d’adhérer au principe du suffrage universel. Ce faisant, cette leçon est proche dans son contenu des développements consacrés à ce thème par les manuels de morale et d’instruction civique en usage dans les écoles catholiques [41]. L’innovation provient toutefois de la forme que prend désormais cet enseignement et du public auquel il est destiné. N’étant pas réservé aux élèves des seules écoles libres, le catéchisme touche également les enfants de l’enseignement public qui y trouve une doctrine du pouvoir politique contraire sur des points essentiels (origine du pouvoir, conditions d’obéissance à ce dernier…) à celle que leur enseignent les instituteurs laïcs. Plus encore, dans la plupart des diocèses étudiés, la leçon sera diffusée [42] voire lue en chaire lors de l’office dominical et souvent publiée dans le bulletin paroissial. Socialisation primaire et secondaire se rejoignent ici pour contester la conception républicaine de l’acte électoral. Désireux de sensibiliser les électeurs en âge de voter (et donc pas seulement les futurs électeurs), les élites catholiques n’hésiteront donc pas à propager largement ces leçons de catéchisme dans des manuels électoraux [43], des tracts [44], dans la Bonne Presse [45], etc.

22 Dans tous ces cas, la forme que prend cette leçon d’instruction civique concurrente est déterminante. Fidèle à un modèle pédagogique qui fait appel à la mémorisation et à l’apprentissage par cœur des réponses apportées aux questions [46], cette leçon – rattachée au 4e précepte du Décalogue – renvoie au lecteur une représentation de soi assez différente de celle qu’il reçoit à l’école publique [47]. Ne visant pas à assurer essentiellement la compréhension du message, le procédé pédagogique employé fait de l’enfant ou de l’adulte un auditeur passif ayant une certaine disposition d’esprit faite de déférence, de respect et de dévotion. Loin de voir dans le citoyen cet être de raison qui décide de façon libre et autonome de son vote [48], cette leçon nouvelle vise à encadrer et à guider, de façon stricte, son comportement électoral. Les deux derniers couples de question/réponse illustrent parfaitement cet encadrement et établissent un commandement nouveau, celui de voter pour des candidats « résolus à défendre les intérêts de la Religion et de la Société ». En assortissant cette direction de vote d’une sanction divine, le catéchisme rend l’électeur responsable « du mal que peut faire celui pour qui on vote ». Cette définition du vote chrétien est formulée, de façon encore plus radicale, par le Catéchisme du diocèse de Quimper et de Léon qui établit une homologie stricte entre la religion du candidat et celle des électeurs :

23

«… – Comment obtiendrons-nous un gouvernement chrétien ?
R. – Nous obtiendrons un gouvernement chrétien en choisissant, pour nous gouverner, des chrétiens honnêtes, consciencieux et capables.
… D. – Pourquoi est-ce un péché de mal voter aux élections ?
R. – Parce qu’en votant mal aux élections, nous choisissons pour nous gouverner des ennemis de Dieu et de la religion, et par conséquent des ennemis du pays [49]. »

24 Le catéchisme imprimé dans le diocèse de Périgueux et de Sarlat va encore plus loin et fait du vote un moyen d’apostolat chrétien identique à la prière :

25

« D. – Tout chrétien est-il obligé de défendre l’Église ?
R. – Oui, tout chrétien est obligé de défendre l’Église selon son pouvoir, comme un enfant doit défendre sa mère.
D. – Comment le chrétien peut-il défendre l’Église ?
R. – Le chrétien peut défendre l’Église principalement par la prière, par l’exemple, et, s’il est électeur, par le vote.
D. – Pour qui l’électeur chrétien doit-il voter ?
R. – L’électeur chrétien doit voter pour les candidats sincèrement dévoués à la religion et à l’Église.
D. – Comment peut-on connaître ces candidats ?
R. – On peut connaître ces candidats à leurs paroles et à leurs actes, et en demandant conseil aux hommes sages et vraiment chrétiens.
D. – Celui qui vote sciemment pour des hommes ennemis de la religion et de l’Église commet-il un grand péché ?
R. – Oui, celui vote sciemment pour des hommes ennemis de la religion et de l’Église commet un grand péché.
D. – Pourquoi celui qui vote sciemment pour des hommes ennemis de la religion et de l’Église commet-il un grand péché ?
R. – Parce que celui qui vote sciemment pour des hommes ennemis de la religion et de l’Église se rend responsable du mal que feraient ces hommes par leurs lois et leur administration.
D. – Celui qui ne vote pas fait-il un péché ?
R. – Oui, celui qui ne vote pas, quand il le peut, fait un péché.
D. – Pourquoi celui qui ne vote pas, quand il le peut, fait-il un péché ?
R. – Parce que celui qui ne vote pas, quand il le peut, laissera peut-être, en ne votant pas, réussir un candidat ennemi de la religion et de l’Église [50]. »

26 Si le vote est ainsi considéré comme un acte obligatoire, ce n’est pas tant parce qu’il permet au citoyen d’être digne de la parcelle de pouvoir que le suffrage universel lui octroie, mais parce que cet acte l’oblige envers Dieu. En faisant des électeurs des « apôtres de Jésus-Christ », le texte rédigé par l’évêque de Grenoble est tout aussi explicite et considère « les élections comme obligatoires devant Dieu » [51]. Se comporter de façon chrétienne lors des élections, c’est, pour ces « catéchismes augmentés », répondre à un ordre reçu de Dieu. La vérité religieuse dont ce dernier est porteur est première et comporte certaines conséquences sur le plan politique, que ces leçons enseignent aux enfants. En accordant une place privilégiée à la figure de Dieu, ces leçons confirment l’influence du théocentrisme dans le discours catholique de l’époque. Par voie de conséquence, elles reconnaissent au clergé une mission de contrôle sur le vote des fidèles. L’évêque de Grenoble motive ainsi cette intervention dans le domaine électoral :

27

« – Les évêques et les prêtres peuvent-ils se mêler d’élections ?
– Oui, puisque la loi les reconnaît électeurs et éligibles, et leur assure tous les droits de citoyens français, dont, par ailleurs, ils remplissent les obligations.
– Est-ce que le clergé, à l’étranger, s’occupe des élections ?
– Oui, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Amérique, partout, les évêques et les prêtres s’occupent des élections, étant, plus que les citoyens ordinaires, obligés d’être apôtres de Jésus-Christ, défenseurs des droits de l’Église, pères du peuple, gardiens des mœurs et amis de la gloire de la nation [52]. »

28 De fait, ces catéchismes pérennisent la dépossession de l’électeur au profit des « hommes sages et vraiment chrétiens » qui les entourent. Le pasteur catholique se trouve, en particulier, justifié dans sa mission d’encadrement des fidèles et étend son action pastorale au domaine politique [53]. La Semaine catholique du diocèse de Luçon établira ainsi de façon claire les critères qui permettent à l’électeur chrétien de bien voter :

29

« – Comment peut-on reconnaître qu’un candidat veut nuire à la Religion ?
– On peut reconnaître qu’un candidat veut nuire à la Religion, lorsqu’on sait qu’il votera une loi qui empêcherait les chrétiens de remplir tous leurs devoirs religieux.
– Quels exemples peut-on donner des lois qui empêcheraient les chrétiens de remplir leurs devoirs religieux ?
– On peut donner comme exemples de lois qui empêcheraient les chrétiens de remplir leurs devoirs religieux :
1/Une loi qui empêcherait les parents d’élever leurs enfants de manière à en faire de bons chrétiens ;
2/Une loi qui empêcherait les chrétiens de se donner des Prêtres ;
3/Une loi qui empêcherait les évêques et les prêtres d’annoncer toutes les vérités de la Religion comme Dieu leur a commandé de le faire [54]. »

30 À penser l’exercice du vote en référence à un ordre spirituel, ces leçons autorisent également l’extension du domaine de la confession auriculaire. Considéré comme un « péché » ou un « grand péché », le vote pour un candidat hostile à la religion est, selon l’évêque de Mende, susceptible d’être confessé. Le confessionnal devient alors une sorte de tribunal des votes où le citoyen fautif s’accuse « en confession d’avoir porté au pouvoir un persécuteur de l’Église » [55].

31 Cette extension de l’action pastorale au domaine politique permet de bien préciser l’acception qu’une grande partie de l’élite catholique donne au ralliement en cours à la République. Les citoyens, baptisés et membres de l’Église catholique, ne sauraient se réfugier dans l’abstention pour essayer de concilier des allégeances aux loyalismes divergents et doivent, sous le contrôle étroit du clergé, rejeter toute complaisance pour les doctrines politiques hostiles à l’Église et ne voter que pour des candidats dont la profession de foi s’engage à défendre les intérêts de l’Église. Le ralliement au pluralisme politique reste donc contraint par l’adhésion des candidats aux principaux dogmes de l’Église [56]. En ce qui concerne l’organisation interne de l’institution catholique, ces leçons attestent d’une société ecclésiale dans laquelle le mode de communication reste hiérarchique et unilatéral [57]. Dépositaire d’une vérité qui lui vient de Dieu, le clergé est seul habilité à transmettre des orientations politiques dont les fidèles doivent s’inspirer dans leur usage de la démocratie. Dans une telle perspective, la socialisation politique tant primaire que secondaire a surtout pour vocation de dessiner l’espace de l’interdit civique. Il s’agit pour elles de réguler l’action des catholiques en les encourageant à adopter certains comportements (le bon vote, la lecture de la « bonne presse », l’écoute des conseils politiques avisés, etc.), à éviter certaines pratiques (le vote pour un député de confession protestante ou juive ou pour un franc-maçon, l’indifférence par rapport au destin de la communauté catholique, etc.). Qu’il s’agisse du « juste » ou de « l’injuste », du « bien » ou du « mal » ou encore du « vrai » ou du « faux », la morale religieuse, ici concurrente de la morale laïque, fournit une série de « classifications » [58] qui permettent aux citoyens catholiques de penser leur pratique de la citoyenneté. La religion catholique ambitionne, de cette façon, de diffuser un ensemble d’injonctions à agir dans le sens d’une coopération, d’une unité qui assure l’intégrité et le développement de la communauté catholique et de son expression politique. C’est là la dimension sociale des normes religieuses : elles sont censées être partagées par l’ensemble des croyants et constituent un aspect désormais crucial de leur identité sociale. Il s’agit pour le groupe religieux considéré et pour chacun de ses membres de disposer d’une sorte de grille de discrimination qui permette d’aborder l’abondance des situations concrètes de la vie de citoyen avec des repères fiables : la grille ainsi cristallisée permet de distinguer les types de comportement prescrits et proscrits, ce qui doit et ce qui ne doit pas se faire. Comme nous l’avons établi ailleurs, la difficulté à identifier cet ensemble de normes provient du fait qu’il n’y a pas, la plupart du temps, accord sur les frontières et le contenu de cette sphère normative de la citoyenneté. D’un pays à l’autre, d’une époque à une autre, son contenu varie et dépend surtout de l’histoire de la culture politique nationale. On peut alors comprendre qu’un même comportement ne fasse pas l’objet d’un traitement normatif semblable. Au sein d’un même pays et à l’intérieur d’une même époque, il est courant de retrouver cette flexibilité des normes de la citoyenneté : de nombreux conflits et désaccords occupent ceux qui entendent fixer le contenu et la nature (notamment religieuse ou séculière) des normes civiques ; d’où fréquemment l’existence simultanée de plusieurs sphères normatives de la citoyenneté qui renvoient à autant de réseaux et de conflits de socialisation civique. Pour interpréter ces écarts et ces conflits, pour rendre compte de cette diversité, il faut restituer chaque système normatif dans une histoire longue : celle des mentalités et des sensibilités morales [59]. C’est, en effet, par rapport à des systèmes de croyances, de valeurs, d’émotions et de représentations – plus ou moins anciens – que la socialisation civique prend son sens, ou plus exactement ses sens. Ce que le politiste doit alors faire, c’est de tenter de démêler l’écheveau que constituent des mentalités morales d’âges différents, parfois simultanément à l’œuvre au sein d’une même société, voire chez le même individu.

32 Même en étant indifférente à la forme du gouvernement, l’Église ne renonce donc pas à voir dans chaque sujet social un sujet religieux, dans chaque citoyen un « apôtre de Jésus-Christ ». Cet intégrisme religieux [60], contraire à la citoyenneté républicaine qui procède, rappelons-le, d’une séparation stricte entre l’allégeance nationale et l’allégeance religieuse, débouche, dans ces « catéchismes électoraux » sur une conception instrumentale de l’acte de vote. Loin d’être ce moyen d’expression privilégié et exclusif de la souveraineté populaire dont les républicains proclament le principe, le vote devient un simple instrument de défense des intérêts particularistes du groupe [61]. L’intérêt pour les élections et le choix des candidats dépendent, dès lors, uniquement de ce que cette procédure et ces derniers peuvent apporter à la communauté catholique ou lui soustraire. Cette instrumentalisation du politique à des fins spirituelles explique que les évêques, ayant procédé à ces additions, estiment n’avoir fait qu’accomplir leur mission sacerdotale [62]. Réfutant la définition républicaine de la citoyenneté qui subordonne, en la refoulant dans la sphère privée, l’expression des particularismes sociaux et religieux, les évêques exigent d’étendre leur champ d’intervention à ce domaine de la vie sociale considéré comme subordonné à une vérité divine. À l’universalisme républicain fondé sur le respect de la liberté de conscience et sur un lien politique exclusif de toute autre allégeance, les évêques opposent un universalisme religieux qui prétend régir l’ensemble des domaines de la vie sociale et politique. De façon tout aussi fondamentale, cette opposition reflète la contradiction contemporaine entre deux définitions de la religion et de son statut dans la société. Si, pour les républicains, le catholicisme est l’affaire de la seule conscience individuelle à l’instar des autres confessions, il reste pour les élites catholiques une norme de vie sociale à vocation totalisante. Le contenu des deux autres leçons, ajoutées au catéchisme par certains évêques, confirme cette interprétation. Le premier type de leçons est consacré au devoir des parents chrétiens envers l’éducation de leurs enfants. Les évêques leur rappellent, à ce propos, que l’Église ne saurait se désintéresser de cette éducation et que sa doctrine contient un certain nombre d’orientations que les parents se doivent de suivre. Au-delà du vote, la rédaction de ces « catéchismes augmentés » permet finalement au clergé de rappeler que les fidèles doivent, selon l’expression de Léon XIII, « retourner aux principes chrétiens et y conformer en tout la vie, les mœurs et les institutions des peuples ». Le comportement et les attitudes politiques, le type d’éducation offerte aux enfants, mais aussi la nature des liens sacrés et intangibles qui existent entre les époux, tous ces éléments illustrent la subordination qu’établit la doctrine catholique entre la sphère religieuse et les sphères profanes. Quel que soit le type de leçon, l’Église entend ici rappeler l’enjeu proprement identitaire de toute entreprise de socialisation. Derrière leur apparente certitude, ces leçons de catéchisme expriment toutes une même crainte : celle de voir « la France que saint Remi baptisa » trahir sa vocation. Cette trahison est ressentie, par de nombreux catholiques, comme lourde de conséquences néfastes. Elle donne naissance à un discours de combat qui pose comme évident le principe selon lequel tout indépendance à l’égard de ce baptême originel ne peut que porter atteinte aux intérêts nationaux. Non seulement, la France trahirait ainsi son identité et ses origines, mais elle compromettrait ses chances de développement. Une telle perspective tragique nourrit en retour les ressentiments et les indignations des élites catholiques qui se donnent alors pour mission de révéler ce destin impossible. Souscrivant à une philosophie de l’histoire providentielle, l’Église catholique, inquiète des temps présents, entend ainsi rappeler que la France ne peut s’éloigner durablement de sa matrice religieuse et historique, que symbolise à lui seul le baptême de Clovis [63], sans risquer de sombrer dans le chaos [64]. Ce faisant, les élites catholiques usent d’une rhétorique réactionnaire classique dont Albert-O. Hirschman a proposé, on le sait, une analyse stimulante. Deux thèmes fréquents du discours réactionnaire sont ici mobilisés afin de marquer le profond ressentiment éprouvé : celui de l’inanité et celui de la mise en péril. La thèse de l’inanité énonce que toute tentative d’échapper à son baptême (l’apostasie) est mort-née, que les structures profondes de la société française résistent à toutes les entreprises de sécularisation. Ici est nié ou minimisé le changement. L’argument ne se contente pas de prédire l’échec ou le chaos : il prétend également en énoncer la nécessité. Il affirme que les tentatives de transformation de l’ordre établi par Dieu sont vouées à l’échec du fait qu’elles se heurtent à ce que Burke – souvent cité par les élites catholiques française – appelait « l’éternelle Constitution des choses ». Le développement de la société française obéit – selon elles – à des lois immanentes d’origines divines « que l’homme est à tel point impuissant à modifier qu’il est ridicule de s’y essayer [65] ». La deuxième thèse, celle de la mise en péril, tire sa force de persuasion de l’énoncé des conséquences nuisibles d’une volonté sécularisante, notamment dans l’enseignement. En s’éloignant de Dieu, la société française n’est pas raisonnable : elle menace les acquis de son développement antérieur. Acquis largement redevables à son élection divine. Plus gravement encore, la thèse de la mise en péril va plus loin en énonçant que ce que l’on perd a beaucoup plus de valeur que ce l’on peut gagner. Cette rhétorique du ressentiment identitaire qui accompagne l’entreprise de socialisation catholique mêle ainsi souvent la nostalgie d’un âge d’or (correspondant aux périodes de l’histoire d’une France fidèle aux promesses de son baptême et aux enseignements de l’Église) aux prédictions d’une vengeance de Dieu. Elle constitue une régression vers une mentalité superstitieuse, des sentiments primordiaux ancrés dans une sensibilité et une pastorale religieuses qui fait encore de la figure de Dieu en France celle d’un Dieu terrible et vengeur. Là se situe, selon nous, l’horizon culturel dans lequel s’inscrivent les efforts contemporains de l’Eglise en faveur d’une reconquête de la socialisation civique. Là se situe aussi « l’implicite [66] » du discours catholique sur la citoyenneté et sa nécessaire (re)fondation et socialisation catholique. Socialiser reste ici une affaire de conversion et de conviction religieuses.

33 Que devinrent les « catéchismes augmentés » ? La détermination de Léon Bourgeois, alors ministre de l’Instruction publique, entraîna rapidement le retrait officiel de ces leçons complémentaires [67]. La position du Vatican semble avoir joué ici un rôle déterminant. Engagé dans une politique de ralliement délicate, Léon XIII va demander aux prélats français de ne pas engager avec le gouvernement une épreuve de force qui risquerait de mettre en péril la paix religieuse et de radicaliser encore la position des autorités politiques françaises. Seuls Mgr Place, archevêque de Rennes et Mgr Catteau, évêque de Luçon résistèrent à cette pression et furent condamnés devant le Conseil d’État. À la suite de la condamnation par le Conseil supérieur de l’instruction publique, réuni le 4 janvier 1893, des deux catéchismes incriminés, les deux évêques acceptèrent finalement de retirer les passages condamnés afin d’éviter la fermeture des écoles libres usant de ces manuels prohibés [68]. Ce retrait provoqua quelques manifestations locales de résistance, parfois des polémiques internes au monde catholique [69]. Les leçons contestées resteront ainsi enseignées dans certaines écoles privées du diocèse de Mende dans les mois qui suivent la décision de retrait du titulaire de ce diocèse [70]. À Rennes, les leçons condamnées par le Conseil d’État seront encore lues en chaire dans trois églises de la ville en février 1893 [71].

34 L’« affaire des catéchismes augmentés » resurgira régulièrement, notamment à l’approche des élections législatives [72]. Après l’adoption de la loi de Séparation des églises et de l’État, c’est Mgr Delamaire, coadjuteur de Cambrai qui opéra, le premier, cette restauration des leçons prohibées. Quelques mois avant les élections législatives de 1910, ce prélat fit imprimer un nouveau catéchisme rendu nécessaire par « les nécessités de l’heure présente » [73]. De façon désormais classique, le nouveau catéchisme rappelle aux enfants et aux parents que le devoir électoral consiste « à élire pour représentants les hommes les plus proches, les plus chrétiens s’il se peut et les plus capables de procurer le bien général » [74]. Avec, là encore, la menace de devoir assumer le « mal que les élus pourront faire plus tard à la Religion et à son pays ». L’évêque de Rennes publia, également, une nouvelle édition de son catéchisme qui n’est, en fait, que la reprise du texte de celui que le Conseil d’État avait condamné quelques années plus tôt [75]. Ce geste s’intégrait à une campagne plus générale de « restauration chrétienne » sous l’influence de Pie X [76]. Mais il ne faut pas s’y tromper : une telle dramatisation du geste électoral recouvrait moins une marque d’autorité qu’un aveu d’impuissance. Elle manifestait le désarroi d’un clergé qui, face aux formalités nouvelles du vote et en l’absence de moyens de contrôle directs de la socialisation civique, se réfugiait dans l’exhortation pour espérer infléchir les comportements politiques [77].

35 Malgré ces limites, cette action de socialisation catholique contribua à l’apprentissage du vote en France. En prétendant imposer une vision légitime de l’acte électoral, ces leçons de catéchisme participèrent, d’une certaine façon, à la naturalisation de l’institution électorale. Grâce à elles, l’acte électoral allait progressivement – certes inégalement dans le temps et dans l’espace – devenir un comportement normal et allant de soi. En apprenant aux catholiques à « savoir voter », en proscrivant fortement l’abstention électorale, en intéressant les croyants à la « chose publique », elles renforcèrent les mécanismes de la mobilisation électorale et permirent l’invention d’un électeur catholique capable de donner certaines formes à ses revendications. « Soldat de Dieu », cet électeur est censé reproduire fidèlement dans ses choix électoraux ses croyances religieuses. Cette offre de socialisation confirme le rapport paradoxal et singulier que les catholiques français vont entretenir pendant longtemps avec le suffrage électoral. À l’inverse d’autres catholiques en Europe [78], ils vont très tôt s’engager dans la lutte électorale. De ce point de vue, le clergé jouera un rôle majeur dans la mobilisation politique d’une partie du corps électoral français aux 19e et 20e siècles. Toutefois, ce travail de mobilisation et de socialisation se fera au nom d’une conception non moderne du vote. Si le geste électoral est ici fortement sacralisé, il n’est toutefois pas considéré comme un acte de délégation d’une souveraineté qui, pour l’Église de cette époque, ne peut appartenir qu’à Dieu. Dans un tel cadre de socialisation, le vote devient avant tout un acte d’affirmation identitaire d’une collectivité humaine réunie par un même destin électoral : celui qui perpétue l’alliance de Dieu avec son peuple. Les résultats de la géographie électorale, ceux plus tard de la sociologie électorale, attesteront durablement de l’efficacité d’une telle socialisation indissociablement religieuse et politique, peu sensible aux césures liées à l’âge et n’hésitant pas à contester le contenu d’autres modèles éducatifs. Expression d’une réaction traditionnaliste, cette action de socialisation contredit durablement le souhait d’Emile Durkheim : voir la socialisation perpétuer et renforcer l’homogénéité tant culturelle que civique de la société française.

Notes

  • [1]
    Mohamed Cherkaoui, Sociologie de l’éducation, Paris, PUF, 1999 (1re éd. : 1986), p. 10.
  • [2]
    Au point, par exemple, que l’analyse des politiques publiques éducatives reste un terrain de recherches presque vierge. Signalons toutefois récemment la thèse d’Hélène Baeyens, « Les stratégies de socialisation scolaire à l’unification européenne : une dynamique saisie à partir des programmes et des manuels de géographie, d’histoire et d’éducation civique des années 1950 à 1998 », thèse de doctorat en science politique sous la direction de Jean-Luc Chabot et d’Olivier Ihl, Institut d’études politiques de Grenoble, 2000, ou encore celle de Stéphanie Morel, « L’école de la République et son rôle d’intégration sociale dans une France décentralisée et multiculturelle », thèse de doctorat en science politique, sous la direction de Pierre Birnbaum, université Paris I, 2000 (à paraître chez L’Harmattan en 2002).
  • [3]
    On se souvient des pages que consacre Max Weber aux liens entre les types idéaux de domination et les types idéaux éducatifs, notamment dans son étude de sociologie religieuse consacrée au confucianisme (M. Weber, Confucianisme et taoïsme, Paris, Gallimard, 2000 (1re éd. : 1915), p. 17 et suiv.). C’est toutefois avec Émile Durkheim que ces questions deviendront centrales dans l’analyse sociologique.
  • [4]
    Cf. récemment Philippe Steiner, La sociologie de Durkheim, Paris, La Découverte, 1994, p. 44 et suiv.
  • [5]
    Paris, PUF, 1995 (1re éd. : 1922).
  • [6]
    Cf. notamment Jean-Claude Filloux, Durkheim et l’éducation, Paris, PUF, 1994, p. 25 et suiv.
  • [7]
    Notamment en France avec les travaux d’Annick Percheron : « La socialisation politique : défense et illustration », dans Jean Leca, Madeleine Grawitz (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, tome 1, p. 165-235. Chapitre repris partiellement dans Annick Percheron, La socialisation politique, textes réunis par Nonna Mayer et Anne Muxel, Paris, Armand Colin, 1993, p. 21 et suiv.
  • [8]
    Émile Durkheim, L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF, 1990 (1re éd. : 1938).
  • [9]
    La notion de technologie de socialisation civique renvoie simplement aux supports (manuels, catéchismes, tracts, chansons, etc.) de l’activité pédagogique analysée. Une attention toute particulière sera ici accordée à la forme d’écriture et aux modalités pédagogiques empruntées. Pour une analyse plus complète de cette question méthodologique, cf. Yves Déloye, « Les origines intellectuelles de la socialisation civique en France. Sources et questions », Sociétés contemporaines, 20, décembre 1994, p. 111-128.
  • [10]
    Cf. Annick Percheron, « La socialisation politique : défense et illustration », art. cité, p. 178 et suiv.
  • [11]
    Cet article reprend une contribution au XVIIIe Congrès mondial de l’Association internationale de science politique qui s’est tenu à Québec du 1er au 5 août 2000. Il a fait l’objet d’une fructueuse discussion dans le cadre de la session spéciale n° 61 : « Socialisation civique et citoyenneté ». Cette contribution s’inscrit, par ailleurs, dans le cadre du programme de recherche ECOS-CONICYT « La socialisation politique : l’apprentissage de la citoyenneté en France et au Chili » (C97H01) dirigé par A. Joignant (Chili) et O. Ihl (France). L’auteur remercie Anne Muxel pour ces remarques stimulantes lors de la présentation orale de ce papier à Québec.
  • [12]
    Rappelons que si la loi Guizot de 1833 précisait dans son article 2 que l’enseignement religieux devait être donné « conformément au vœu des pères de famille », cette disposition respectant la liberté de conscience des parents ne sera pas reprise par la loi Falloux de 1850.
  • [13]
    Jules Ferry justifie ainsi cette exclusion : « La solution des locaux séparés a un autre avantage, c’est qu’elle est une solution claire, nette, franche, qu’elle est tout à fait conforme au but que la loi veut atteindre et que l’enseignement confessionnel, une fois distinct de l’enseignement de l’école publique, il est absolument certain que la séparation des enseignements et celle des maîtres conduisent, par une logique nécessaire et par une conséquence rigoureuse, à la séparation des locaux » (J. Ferry, « Discours sur la loi sur l’enseignement primaire, du 14 mars 1882 », reproduit dans Jules Ferry, Discours et opinions, publié avec commentaires et notes de R. Robiquet, Paris, A. Colin, tome IV, 1896, p. 220).
  • [14]
    La réponse du ministre, appuyée par le vote négatif de J. Ferry, sera claire : il refusera le partage des locaux scolaires envisagé (A.D. Vosges, 1 T 85, extrait des délibérations du conseil général en date du 23 août 1891).
  • [15]
    L’essentiel de la législation en la matière se trouve dans l’article 2 de la loi du 28 mars 1882.
  • [16]
    Lors du débat sur la loi du 28 mars 1882, J. Ferry décrit ainsi les risques que ne manquerait de provoquer le partage du local scolaire entre l’instituteur et le curé : « De là des conflits, infiniment petits, si vous voulez, mais ce sont justement ces sortes de conflits que le législateur doit éviter par-dessus tout, parce que l’infiniment petit, c’est la vie même de la société dans ses profondeurs, c’est la vie communale tout entière » (J. Ferry, Discours…, op. cit., p. 221).
  • [17]
    Cf. Barnett Singer, Village Notables in Nineteenth-Century France. Priests, Mayors, Schoolmasters, Albany, State University of New York Press, 1983, chap. VI.
  • [18]
    Le nombre très important de ces conflits et le caractère parfois dérisoire qui les affecte interdit d’en faire un inventaire complet. Les archives nationales et départementales conservent toutefois des traces de nombreux cas. Cf., en particulier, au CARAN les cartons BB 18 2304, F 17 11630 et F 19 5446. Dans les archives départementales, celles du département des Côtes-du-Nord (carton 1 T 50), du département de Loire-Atlantique (carton 73 T 1), du département du Morbihan (carton T 1701) et du département de la Vendée (carton 1 T 284) contiennent également de nombreuses sources sur ces conflits.
  • [19]
    Catholiques et républicains laïques partagent ici une même croyance : en tant qu’agent de socialisation politique, l’école primaire est capable, selon eux, d’inculquer aux individus des sentiments et des attitudes durables à l’égard du système politique. Son contrôle est donc un enjeu politique fondamental. Sur cette question, cf. Y. Déloye, École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de Sciences Po, 1994, et Alain Lanfrey, Les catholiques français et l’école (1902-1914), Paris, Le Cerf, 1990, 2 tomes.
  • [20]
    Cf. Mary Coke, Le mouvement catéchistique de Jules Ferry à Vatican II, Paris, Éditions du Centurion, 1988, p. 18 et suiv.
  • [21]
    Cité dans Anonyme, La piété dans l’école, par l’abbé X… prêtre, Paris, Imprimerie Salésienne, 1895, p. 232.
  • [22]
    Ibid., p. 233-234.
  • [23]
    Rappelons que la loi du 18 germinal an X (articles organiques) prévoyait qu’il n’y aurait en France qu’un seul catéchisme et qu’une seule liturgie (art. 39). Ce catéchisme promulgué par un décret du 4 avril 1806 comportait une apologie du régime impérial (cf. André Latreille, Le catéchisme Impérial de 1806. Études et documents pour servir à l’histoire des rapports de Napoléon et du clergé concordataire, Paris, Les Belles Lettres, 1935). Avec la chute du Premier Empire, la liberté de rédaction et la pluralité des catéchismes seront rétablies. C’est en usant de cette liberté que les évêques vont introduire les leçons complémentaires qui feront l’objet de la polémique.
  • [24]
    Certains organes de presse dénoncèrent toutefois, dès 1889, le contenu du catéchisme du diocèse de St-Dié dans lequel on pouvait lire, à la page 64, l’avertissement suivant : « Qu’on ne doit pas obéir aux lois civiles quand elles ne sont pas conformes aux lois de l’Église, c’est-à-dire à la volonté du pape et des évêques, qui font seuls la loi religieuse, l’un dans l’Église, les autres dans leurs diocèses ». Conforme à la doctrine traditionnelle de l’Église selon laquelle l’obéissance au pouvoir politique est subordonnée au respect par ce dernier de l’ordre voulu par Dieu et ses représentants sur terre, cette formulation se retrouve dans de nombreux catéchismes de l’époque et ne provoque pas de condamnation officielle de la part des autorités politiques. Sur l’affaire du catéchisme de St-Dié, cf. les quelques pièces conservées au CARAN sous la cote F 17 11674. La même année, La Semaine de Bayonne publiera également, dans son édition du 4 septembre (soit quelques semaines avant les élections législatives générales), un catéchisme électoral de 6 pages (BNF 8° Lb57 11401). Ce catéchisme considère que « les élections venant, les chrétiens ne doivent pas rester chez eux sans voter ; leur devoir est de voter, et de voter en faveur de l’Église » (Catéchisme électoral, Bayonne, Imprimerie Lasserre, 1889, p. 4). À notre connaissance, la première leçon de catéchisme sur les élections est l’œuvre de Mgr Guilbert, alors évêque libéral de Gap, qui la publia en annexe de sa Lettre pastorale au clergé de son diocèse. Des devoirs du prêtre touchant à la politique, Gap, Imprimerie Richard, s.d. (1876), 20 p. La lettre précise que ladite leçon doit « être lue dans toutes les églises et chapelles du diocèse où se célèbre l’office divin » et désormais intégrée à l’enseignement du catéchisme « à la suite du 4ème précepte du décalogue, dont elle est le complément » (ibid., p. 17).
  • [25]
    Le tableau suivant résume la situation des 17 évêchés ayant procédé à ce type d’additions.

    Contenu des additions aux catéchismes diocésains (1890-1892)

    tableau im1
    Évéché (1) (2) (3) Évéché (1) (2) (3) Aire X X Orléans X X X Aix X X X Périgueux X X X Annecy X Quimper X Châlons X X Rennes X X Coutances X St Brieuc X Grenoble X X St Jean de Maurienne X X X Luçon X X X Séez X X X Mende X Vannes X X Nevers X X X (1) Addition concernant les devoirs des parents en matière d’éducation religieuse. (2) Addition concernant le mariage civil et/ou le divorce. (3) Addition concernant les devoirs électoraux des chrétiens. [Sources : ANF 19 5442, F 19 5443 et F 19 5444].

    Contenu des additions aux catéchismes diocésains (1890-1892)

    Dans d’autres diocèses, les évêques ne publièrent pas ces leçons complémentaires mais engagèrent leur clergé à alerter leurs ouailles sur ces questions d’actualité. Ainsi, Mgr Freppel, évêque intransigeant d’Angers, diffusera dès février 1889 un long texte consacré aux « devoirs des chrétiens dans l’exercice du droit de suffrage » où il invite clairement le clergé à intervenir dans la campagne électorale de 1889. Ce qui permet de comprendre que les sous-préfets de ce département notent que « dans presque toutes les communes… [les prêtres] traitent des devoirs du chrétien au double point de vue électoral et scolaire » (A.D. Maine-et-Loire, 1 M 6/66, Rapport du sous-préfet de Cholet au préfet du Maine-et-Loire en date du 8 novembre 1891).
  • [26]
    ANF 19 5444, lettre circulaire de l’archevêque d’Aix en date du 29 juin 1890.
  • [27]
    Cette lettre encyclique sera reproduite sans autorisation par de nombreux évêques de France. L’évêque rallié d’Annecy publiera ainsi, en mars 1890, une Instruction sur les devoirs des électeurs catholiques souhaitant la mise en place de leçons de catéchisme adaptées à ce devoir. Cette instruction, ainsi que la leçon de catéchisme rédigée par Mgr Isoard, sera abondamment diffusée et même traduite en langue basque en février 1891 (la BNF en conserve un exemplaire sous la cote 8° Lb57 11125).
  • [28]
    Léon XIII, « Lettre encyclique Sapientae Christianae sur les principaux devoirs civiques des chrétiens », 10 janvier 1890, reproduite dans La doctrine sociale de l’Église à travers les siècles : documents pontificaux du 15e au 20e siècle, publiés et introduits par Arthur F. Utz, avec la collaboration de Médard Boeglin, Bâle-Rome/Paris, Herder/Beauchesne, 1979, p. 2147.
  • [29]
    Ibid., p. 2148-2149.
  • [30]
    Cf. William Ossipow, La transformation du discours politique dans l’Église, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, chap. V.
  • [31]
    Qu’on me permette de renvoyer ici à Y. Déloye, École et citoyenneté…, op. cit.
  • [32]
    Sur cette question, cf. l’étude ancienne de Jean-Paul Charnay, « L’Église catholique et les élections françaises », Revue internationale des doctrines et des institutions, 19-20, juillet-décembre 1962, p. 257-306.
  • [33]
    W. Ossipow, op. cit., p. 68.
  • [34]
    Léon XIII, « Lettre encyclique Sapientae Christianae… », cité, p. 2167.
  • [35]
    Ibid., p. 2179.
  • [36]
    ANF 19 5444, Rapport du préfet de Lozère au ministre de la Justice et des Cultes en date du 30 août 1892.
  • [37]
    ANF 19 5444, Lettre du ministre de l’Intérieur au garde des Sceaux en date du 21 avril 1892.
  • [38]
    ANF 19 5444, La Semaine religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, 45, 6 novembre 1891, p. 754. La leçon existe en version française et bretonne. Le Courrier de la Cornouaille, quotidien bilingue dont le programme se résume ainsi : « Catholique et Breton toujours », publiera également cette leçon dans sa version bretonne (édition du 14 novembre 1891). Une autre édition bretonne de la leçon concernant les élections sera tirée (en 5 000 exemplaires) en 1914 : Dever er Grechénion a-pe vé boéhereh, 1914 (BNF 8° Lb57 15414).
  • [39]
    Depuis le Catéchisme du diocèse de Meaux, rédigé en 1686 par Bossuet, il est traditionnel d’étendre la portée du 4e commandement (« Tes père et mère honoreras, afin de vivre longuement ») à « tous [les] supérieurs, pasteurs, rois, magistrats et autres ». De manière très singulière, le Catéchisme impérial de 1806 rattachera à ce commandement la leçon VII sur les devoirs des sujets envers Napoléon 1er. Sur ce bricolage théologico-politique, cf. l’étude classique d’André Latreille déjà citée, celle d’Élisabeth Germain (Langages de la foi à travers l’histoire. Mentalités et catéchèse. Approche d’une étude des mentalités, Paris, Fayard-Mame, 1972), ainsi que, plus récemment, l’analyse de Bernard Plongeron (« Le Catéchisme Impérial (1806) et l’irritante leçon VII sur le Quatrième commandement », dans Raymond Brodem, Brigitte Caulier (dir.), Enseigner le catéchisme. Autorités et institutions 16e-20e siècles, Laval/ Paris, Presses de l’Université de Laval/Le Cerf, 1997, p. 141-159). En 1890, Mgr Isoard rattachera la leçon de catéchisme qu’il vient de rédiger au 1er précepte du Décalogue (« Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement »). Ce qui l’autorise à considérer qu’il « est absurde de faire la supposition qu’un catholique, lorsqu’il agit comme citoyen, n’est pas tenu d’observer en tout, pour tout, et vis-à-vis de tous, la loi de Dieu et les commandements du Saint-Évangile » (Mgr Isoard, Instruction pastorale sur les devoirs des électeurs catholiques, Annecy, Imprimerie J. Niérat, 1890, p. 15).
  • [40]
    ANF 19 5443, Supplément au Catéchisme du diocèse de Rennes imprimé le 12 septembre 1891, p. 173-174. Cette formulation se retrouve presque à l’identique dans les catéchismes des diocèses d’Orléans, de Nevers, de Séez et de Vannes.
  • [41]
    Cf. Y. Déloye, École et citoyenneté…, op. cit., p. 130 et suiv.
  • [42]
    Ainsi, La Lettre pastorale de l’évêque d’Aix, d’Arles et d’Embrun au clergé et aux fidèles de son diocèse sur le devoir électoral du 20 avril 1892 commande aux fidèles de lire la leçon du catéchisme portant sur le devoir électoral. Il est toutefois demandé aux desservants de ne faire à ce propos aucun commentaire complémentaire. L’évêque justifie ainsi cette intervention : « En écrivant cette courte leçon, j’ai agi comme docteur et directeur des consciences, parce que mal voter est un péché : je suis donc absolument dans mon devoir qui est de vous conduire dans les voies du ciel… » (Aix-en-Provence, Imprimerie J. Nicot, 1892, p. 1).
  • [43]
    À titre d’exemple, citons le Guide des électeurs catholiques publié à Macon en 1891 (BNF 8° Lb57 10597) ou encore la courte brochure Aux urnes. Petit manuel de l’électeur qui veut voter selon sa conscience, Toulouse, Imprimerie A. Loubens, 1896, 4 p. (BNF 8° Lb57 11602). Dans certains cas, les auteurs (souvent anonymes) de ces manuels électoraux se contentent de citer des extraits des leçons rédigées par les évêques. Cf., par exemple, la brochure antisémite : Questions électorales par un sous-officier de l’armée catholique, Calais, Imprimerie des Orphelins, 1896, p. 18 et suiv. (BNF 8° Lb57 11749) ou abbé J. J. E. Duverger, Les tyrans démasqués ou lettres au peuple…, St-Nicolas, chez l’auteur, 1880, qui cite, p. 100-105, la leçon de l’évêque de Gap (Mgr Guilbert) évoquée plus haut (cf. note 2, p. 183).
  • [44]
    Tel ce « tract populaire » largement diffusé en France en 1905 et intitulé « Les élections » (BNF 8° Lb57 14290). Ce tract illustré appartient à une série comprenant une cinquantaine de tracts caractérisant la volonté de reconquête des esprits entreprise par l’Église au moment de la Séparation. Ces tracts sont signés J. Lehr, pseudonyme d’Étienne-Marie Boulé, en religion le P. Hilaire de Barenton. De manière presque contemporaine, à la veille des élections législatives de 1910, Octave Chambon, principal rédacteur du Petit patriote à Auxerre, publiciste antisémite dont l’activité est fortement encouragée par le clergé catholique, propose lui aussi un tract illustré sur « Le devoir électoral devant l’ennemi » (BNF 4° Lb57 14241). L’ennemi étant ici incarné de manière classique par « le juif » et le « franc-maçon ».
  • [45]
    Notamment La Croix et ses nombreuses éditions locales.
  • [46]
    Cette forme catéchitique est fréquemment utilisée par la propagande conservatrice et catholique de l’époque, notamment lorsqu’il s’agit d’informer les citoyens sur les méfaits de la politique révolutionnaire ou républicaine (Citons, à titre d’exemple, ce Catéchisme de la Révolution ou la révolution expliquée dans ses principes, son langage, ses œuvres et sa fin, Paris, Bloud & Barral, 1878. Ouvrage recommandé par Mgr Ségur, évêque de Saint-Denis, et publié dans la collection « Bibliothèque de la défense religieuse et sociale »). À l’inverse, cette forme pédagogique – pourtant prisée au moment des révolutions de 1789 et de 1848 – est désormais prohibée par la majorité des auteurs républicains qui critique ainsi la forme questions/réponses traditionnelle des catéchismes : « Vous allez faire apprendre et ânonner par l’enfant des réponses stéréotypées qu’il se gardera d’essayer de comprendre, puisque sa mémoire lui suffira ?… L’enseignement par voie de catéchisme est bon pour former des croyants à la mémoire desquels on impose, dans l’esprit desquels on inculque de force, comme un cachet de cire, un certain nombre de dogmes qu’ils devront apprendre et réciter sans souci de comprendre ; mais c’est là la plus mauvaise des préparations pour un citoyen intelligent et libre. C’est, au contraire, la curiosité de l’esprit qu’il faut éveiller, susciter. Il faut développer dans l’enfant la personnalité pensante » (Paul Bert, De l’éducation civique. Conférence faite au Palis du Trocadéro le 6 août 1882 au profit des bibliothèques populaires syndiquées du département de la Seine, Paris, Librairie Picard-Bernheim, sans date (1882), p. 16).
  • [47]
    Y. Déloye, École et citoyenneté…, op. cit., p. 41 et suiv.
  • [48]
    Comme le répète, quelques années plus tard, l’évêque d’Autun : « L’hypothèse d’un homme qui ne serait comptable qu’envers lui-même, et lui seul, de l’usage de sa liberté, est une chimère que la saine philosophie repousse au nom de l’expérience et du bon sens » (Mgr Perraud, Instruction pastorale sur les devoirs et les droits civiques, Autun, Dejussieu Père et Fils, 1902, p. 4).
  • [49]
    ANF 19 5444, Catéchisme du diocèse de Quimper et du Léon, Quimper, sans date, p. 36.
  • [50]
    ANF 19 5444, supplément au Catéchisme du diocèse de Périgueux et de Sarlat à ajouter aux pages 89 et 90. Ce supplément sera cité en exemple par l’abbé Garnier dans La Paroisse chrétienne, 16, 21 avril 1892, p. 548-549.
  • [51]
    Supplément à la leçon 4 du Catéchisme à l’usage du diocèse de Grenoble, p. 5.
  • [52]
    Ibid., p. 7.
  • [53]
    Question qui fait l’objet à l’époque d’une intense réflexion interne au monde catholique. Cf. dans une littérature abondante, Justin des Bruyères, Le clergé sur la brèche ou Des devoirs politiques du clergé dans la défense du christianisme contre la Révolution, Paris, Albert Savine, 1890, ou, plus explicite encore, l’abbé M. Guillibert, Le prêtre doit-il rester dans sa sacristie ? Discours prononcé au Congrès de La Croix à Draguignan, Aix, Imprimerie J. Nicot, 1894, 16 p.
  • [54]
    ANF 19 5444, La Semaine catholique du diocèse de Luçon, 45, 7 novembre 1891, p. 1094.
  • [55]
    ANF 19 5444, supplément au Catéchisme du diocèse de Mende, p. 42.
  • [56]
    Cf. Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Tournai, Casterman., 1977, chap. IV.
  • [57]
    Cf. W. Ossipow, op. cit., p. 32 et suiv.
  • [58]
    John H. Barnsley, The Social Reality of Ethics. The Comparative Analysis of Moral Codes, Londres, Routledge/Kegan Paul, 1972, p. 105.
  • [59]
    Cf. Y. Déloye, « Gouverner les citoyens. Normes civiques et mentalité en France », L’Année sociologique, 46 (1), 1996, p. 87-103.
  • [60]
    Dans l’acception qui sera ici donnée à ce terme, il consiste simplement à faire de la religion catholique une théodicée à vocation globalisante, refusant de connaître les cloisonnements existant dans la société moderne entre le chrétien vivant sa foi et l’homme engagé dans la vie sociale et politique.
  • [61]
    L’usage de l’adjectif particulariste doit être ici précisé. Pour éclairer notre démonstration, nous pouvons user, avec prudence, d’une opposition idéale entre un particularisme vertical qui traduit l’attachement d’un groupe restreint à son héritage culturel (langue, coutume, etc.) et à ses racines (les particularismes régionaux), et un particularisme horizontal, fruit d’une entreprise d’acculturation plus étendue et dont la position dominante à un moment donné du temps a favorisé l’épanouissement (les grandes religions universelles). Dans notre cas, le catholicisme, religion longtemps dominante et exclusive dans l’espace national français, a bénéficié d’un magistère totalisant que la Révolution de 1789 a renversé. Le pluralisme religieux désormais instauré transforme cet ancien universalisme incontesté en un particularisme rêvant de restaurer sa position exclusive et dénonçant l’universalisme républicain comme contraire à l’histoire de la nation française à laquelle il continue de s’identifier.
  • [62]
    Justifiant son action auprès du garde des Sceaux, Mgr Place, archevêque libéral de Rennes, écrit : « En le promulguant je me suis acquitté d’une obligation de ma charge, j’ai obéi à ma conscience qui m’avertissait d’instruire de leurs devoirs, en matière grave, intéressant au plus haut point la conscience, les âmes dont je réponds devant l’Église et devant Dieu. On ne parlait ni des écoles ni des devoirs des électeurs dans les catéchismes publiés au temps de Bossuet ; il n’est pas besoin d’être un profond juriste pour en comprendre le motif. Mais avec les temps nouveaux sont nés de nouveaux devoirs et, par conséquent, pour l’évêque l’obligation d’éclairer les fidèles, sans qu’on puisse l’accuser d’envahir le domaine de la puissance temporelle. J’ai fait œuvre d’évêque, pas autre chose ; je n’ai pas eu d’autre vue, ni d’autre pensée. Je défie qu’on y relève un mot visant la politique » (ANF 19 5444, Lettre de Mgr Place au garde des Sceaux en date du 30 mai 1892).
  • [63]
    Qu’on me permette de renvoyer à Y. Déloye, « Commémoration et imaginaire national (1896-1996). “France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?” », dans Pierre Birnbaum (dir.), Sociologie des nationalismes, Paris, PUF, 1997, p. 55-84.
  • [64]
    Quelques années plus tard, Maurice Barrès ressentira un effroi similaire. Pour lui, « la nationalité française est liée étroitement au catholicisme, [elle] s’est formée et développée dans une atmosphère catholique », et l’auteur des Déracinés de considérer avec inquiétude « qu’en essayant de détruire, d’arracher de la nation ce catholicisme, si étroitement lié avec toutes nos manières de sentir, vous ne pouvez pas prévoir tout ce que vous arrachez. » (Bulletin officiel de la Ligue de la patrie française, 23, 1er janvier 1907, p. 87).
  • [65]
    Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991, p. 123.
  • [66]
    A. Percheron, La socialisation politique, op. cit., p. 34.
  • [67]
    Cf. ici Paola Vismara-Chiappa, « Église et État en France au début du ralliement : l’affaire des catéchismes électoraux d’après les archives vaticanes (1891-1892) », Revue d’histoire de l’Église de France, 181, juillet-décembre 1982, p. 213-233 et Brigitte Basdevant-Gaudemet, Le jeu concordataire dans la France du 19e siècle. Le clergé devant le Conseil d’État, Paris, PUF, 1988, p. 90 et suiv.
  • [68]
    Le catéchisme du diocèse d’Aix avait connu le même sort le 18 juillet 1892.
  • [69]
    Dans une lettre ouverte à l’évêque de Grenoble, un avocat catholique stigmatise en ces termes l’attitude de retrait du prélat : « L’heure de la séparation de l’État et de l’Église approche, Monseigneur : elle va sonner au cadran des siècles ! Vous êtes l’un des ouvriers de ce grand œuvre, l’un de ceux qui, involontairement peut-être, y auront le plus aidé » (C.-J.-B. Lebrun, Lettre ouverte à Mgr Fava, évêque de Grenoble, sur le retrait de son catéchisme électoral, Lyon, Imprimerie de Mougin-Rusand, 1892, p. 18).
  • [70]
    ANF 19 5444, Rapports du préfet de Lozère au ministre de l’Instruction publique en date des 25 novembre et 23 décembre 1892.
  • [71]
    ANF 19 5444, Rapport de police en date du 14 février 1893. Le commissaire de police chargé de l’enquête décrit ainsi cette résistance : « Il (le desservant) a pris un livre en mains et en préambule, il y a lu huit questions et huit réponses qui sont celles figurant dans la 1re partie du catéchisme des enfants et interdit par l’autorité administrative. J’ai parfaitement entendu et retenu toutes ces questions et réponses que je connais absolument pour les avoir lues plusieurs fois. Après avoir fait cette lecture, le prêtre expliquait aux fidèles présents à l’église, environ 200 personnes, que Dieu en leur donnant un enfant leur demandait de l’élever pour lui et non pour les parents et de la manière la plus chrétienne. Il a repris ensuite sa messe qu’il a dite seul ».
  • [72]
    Au moment des élections de mai 1902, Mgr J.-B. Martin, pronotaire apostolique, publia Le catéchisme électoral en cinq leçons ou le Curé et son paroissien (Bagé-le-Châtel, Chez Mme Gibaud, 1902, 16 p.) Il y vante l’action tant de la Ligue des Femmes Française que celle, « virile », de l’Action Libérale de Jacques Piou.
  • [73]
    ANF 19 5656, expression empruntée à la Semaine catholique du diocèse de Luçon (38, 18 septembre 1909, p. 768) qui rend compte de ce nouveau catéchisme et en publie les additions les plus significatives. Dès 1904, Mgr Delamaire, alors évêque de Périgueux et de Sarlat, publie une brochure largement diffusée et commentée à l’époque, sur Les catholiques et les élections de 1906 (Périgueux, Imprimerie Cassard Jeune, 1904).
  • [74]
    ANF 17 9125 (6), Bulletin paroissial de Vieille-Église, 38, 1er février 1910, p. 1.
  • [75]
    ANF 195656, Semaine religieuse du diocèse de Rennes, 5, 23 octobre 1909, p. 82-85.
  • [76]
    Cf. Jean-Marie Mayeur, La séparation de l’Église et de l’État, Paris, Éditions Ouvrières, 1991 (1re éd. : 1966), p. 394 et suiv.
  • [77]
    Autre forme de propagande cléricale : les campagnes de prières (souvent des « neuvaines ») qui doivent inciter les chrétiens à bien voter, c’est-à-dire pour des candidats favorables « aux intérêts de la religion catholique ». Lors des élections législatives de 1898 et de 1902, de nombreuses « prières pour les élections » furent ainsi prescrites par les évêques et récitées dans les églises de France. En 1902, par exemple, l’Église lança une « croisade de prières et de pénitences pour les élections », une façon pour elle de continuer à sacraliser une opération électorale dont les fondements et la finalité lui échappaient de plus en plus. (cf., notamment, ANF 19 5620-5621). Ce type de campagne se prolongera bien après la loi de Séparation (cf. La Documentation Catholique, 217, 3 novembre 1923). Signalons encore l’initiative de Mgr Sevin qui publia, en 1914, un Catéchisme sur le devoir électoral (Paris, Maison de la Bonne Presse, 1914) que reproduira encore La Documentation Catholique en 1919, dans son numéro 39, et en 1931, dans son numéro 583.
  • [78]
    L’exemple le plus intéressant de cette relativité géographique est la spécificité de la situation italienne dans la deuxième partie du 19e siècle. On se souvient que, pour protester contre la prise de Rome, Pie IX, qui se considère « prisonnier en ses États », interdit aux catholiques de participer à la vie politique et publique du nouvel État italien. Alors qu’en France, la hiérarchie catholique encourage fortement la participation électorale, cette dernière est frappée en Italie par le Non Expedit. Il faudra attendre 1913 pour que ce veto soit partiellement levé. Sur cette politique religieuse d’abstention, cf. Jean-Dominique Durand, « L’Église à la recherche de l’Italie perdue », dans Jacques Gadille, Jean-Marie Mayeur (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, tome 10, Libéralisme, industrialisation, expansion européenne (1830-1914), Paris, Desclée, 1995, p. 611-636.
Français

Résumé

Les sources de cette enquête sont un ensemble de textes cléricaux (lettres pastorales, Semaines religieuses, catéchismes, prières, manuels de l’électeur catholique, presse, etc.) concourant à dessiner les frontières et le contenu de la citoyenneté telle que l’enseignent les catholiques français du 19e siècle à l’entre-deux-guerres. Il s’agit d’étudier les mécanismes sociaux de diffusion des normes civiques catholiques et d’apprécier les conditions culturelles et sociales de validité de celles-ci. Il s’agit aussi d’évaluer la contribution de l’Église catholique à la politisation de la société française, d’apprécier son concours à la définition d’un répertoire d’action politique en affinité avec l’éthique catholique, de retracer enfin l’évolution historique de ce travail de socialisation politique (tant primaire que secondaire). Ce travail d’inculcation d’une vision religieuse globale du monde social interdit pratiquement aux électeurs catholiques et à leur famille de percevoir l’espace politique comme un espace autonome. La religion est alors une affaire publique qui pénètre les différents domaines de la vie sociale. Ce faisant, l’Église cherche à invalider une vision du monde laïque et un mode de socialisation qui affirme la spécificité d’un espace politique désormais séparé de tout principe structurant de nature religieuse. Les tentatives pour imposer des catégories spécifiquement politiques sont stigmatisées comme réductrices, plus encore, destructrices de la “personne humaine” comme l’Église entend la gouverner dans sa totalité.

Yves Déloye
Yves Déloye est professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Strasbourg (Université Strasbourg III) et membre de l’Institut universitaire de France. Il collabore aux activités du GSPE (Groupe de Sociologie Politique Européenne) et du CRP-Sorbonne (URA C.N.R.S. 1472). Il a publié « Exploring the Concept of European Citizenship. A Socio-Historical Approach », dans M. Spiering, J. Leerssen (eds), Yearbook of European Studies-Annuaire d’études européennes, Amsterdam, Atlanta, Éditions Rodopi, 2000 ; « À la recherche de la temporalité perdue », Espaces Temps, numéro spécial « Repérages du politique. Regards disciplinaires et approches de terrain », 76-77, octobre 2001 ; et plus récemment (avec Bernard Voutat), Faire de la science politique. Pour une analyse socio-historique du politique, Paris, Belin, 2002 (« Socio-Histoires »). Ses recherches portent notamment sur l’épistémologie pratique de la sociologie historique du politique et sur l’histoire politique française. Elles abordent aussi les figures contemporaines de la citoyenneté, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Il achève actuellement une enquête socio-historique sur le cléricalisme électoral en France aux 19e et 20e siècles (Institut d’études politiques de Strasbourg, 47 avenue de la Forêt Noire, 67082 Strasbourg Cedex, <yvesdeloye@hotmail.com>).
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