CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) est agité depuis la rentrée 2019 par un mouvement de contestation d’une ampleur inédite depuis longtemps. En cause, la préparation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Si la crise sanitaire liée au Covid-19 a freiné la dynamique de la mobilisation, les raisons de la colère sont toujours là. Une analyse critique argumentée et documentée de la LPPR se heurte toutefois à une difficulté de taille. Il est compliqué en effet d’analyser une loi dont la méthode d’élaboration est pour le moins opaque. De l’avant-projet de la LPPR, nous ne disposions que du sommaire via différentes versions de travail qui ont fuité du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Frédérique Vidal, ministre en charge de l’ESR, a joué de cette opacité en affirmant que la mobilisation contre la LPPR ne s’appuyait que sur « des rumeurs extravagantes » et que « la LPPR, c’est ceux qui en savent le moins qui en parlent le plus » (Vidal, 2020b). Face aux protestations très vives suscitées par la lecture des rapports préparatoires, elle a affirmé par ailleurs que « certains tirent aujourd’hui parti des rapports des groupes de travail. Mais précisément, ce ne sont que des rapports et je l’ai toujours dit, à la fin, c’est le Gouvernement qui choisira de retenir ou non telle ou telle proposition » (Vidal, 2020c). Le meilleur moyen d’éviter ces critiques aurait peut-être été de rendre transparente la fabrique de la loi et plus encore d’y associer l’ensemble des personnels de l’ESR… À cela s’ajoutent la multiplicité et la dispersion des énoncés gouvernementaux (ou assimilés) s’y rapportant. Les rapports prenant parfois la forme de catalogues ou d’inventaires à la Prévert ont été accompagnés en effet de nombreux annonces et discours gouvernementaux. Plutôt qu’à un objet politique identifié, la critique s’est trouvée ainsi face à une multitude d’énoncés hétérogènes, souvent flous, parfois contradictoires, de reprises partielles et discrètes, contribuant par là à l’affaiblir faute d’une prise solide, d’un adversaire identifié. Et la publication du projet de loi n’a que partiellement permis de lever le voile sur le contenu de la LPPR, à la fois par le caractère essentiellement technique du langage choisi et par le renvoi à divers endroits à des décrets ultérieurs.

2C’est pourquoi plutôt que de se livrer à une critique de la LPPR, déjà largement faite par différents collègues et collectifs (Gossa, 2019 ; Groupe Jean-Pierre Vernant, 2020 ; RogueESR, 2020 ; Sauvons l’Université !, 2020 ; Wagener, 2020), cet article se propose de restituer une recherche menée pour parvenir à définir cet objet politique décidément flou qu’est la LPPR depuis la publication des rapports préparatoires en novembre 2019 jusqu’à celle du projet de loi le 7 juin 2020.

Méthodologie : présentation, constitution et analyse du corpus

Les documents collectés et analysés ici ne sont pas issus d’une enquête sur l’ESR mais d’une analyse critique, engagée dans la mobilisation contre la LPPR mais empruntant à la démarche scientifique bon nombre de ses traits : documenter l’analyse en faisant référence à des sources précises et vérifiables, étayer le propos sur des arguments portant sur le fond (plutôt que des arguments ad hominem), se donner les moyens d’avoir tort en recourant à une méthode permettant de valider ou d’invalider certaines hypothèses. Le corpus comprend 55 documents relevant de 4 types :
1) les trois rapports préparatoires à la LPPR (Petit, Retailleau & Villani, 2019 ; Berta, Mauguin & Tunon de Lara, 2019 ; Chouat, Marey-Semper & Vernay, 2019)a commandés par le MESRI ;
2) divers documents techniques émanant du MESRI, dont le sommaire du projet de LPPR dans différentes versions de travailb et une série de communiqués de presse ;
3) les discours publics afférents à la LPPR prononcés par la ministre, d’autres membres du gouvernement ou le chef de l’État ;
4) les trois documents officiels publiés par le MESRI le 7 juin 2020 : le projet de loi, le rapport annexe et l’exposé des motifs.
La constitution du corpus a été effectuée à partir d’une recherche par mots-clés se rapportant au référent (la LPPR) en utilisant les initiales (LPPR) et les termes qui le constituent, parfois lemmatisés (comme « cherche »). Cette recherche a d’abord été effectuée sur le web, puis sur le site de l’institution concernée (MESRI, ministère de l’Économie et des Finances, ministère de l’Action et des Comptes publics, Assemblée nationale, Sénat, CNRS, Présidence de la République). J’ai par ailleurs mis en place une veille sur Twitter à partir des comptes des responsables de l’Exécutif. Elle a en outre été complétée par des sources citées par différents collectifs militants et blogs de veille scientifique. N’ont pas été retenus tous les documents gouvernementaux faisant mention de la LPPR, seulement ceux qui allaient au-delà de la simple référence.
L’hétérogénéité du corpus (les textes relevant de registres et genres discursifs différents : rapports, communiqués de presse, déclarations publiques de responsables politiques, auditions et débats au Parlement, tweets) et sa taille restreinte m’ont amené à opter pour une analyse qualitative de contenu effectuée à l’aide d’un logiciel de type CAQDAS (Computer Assisted Qualitative Data Analysis Software)c.
a. Par la suite, les rapports préparatoires seront cités respectivement « R1 », « R2 » et « R3 ».
b. Une version en date du 9 janvier 2020 (Rabier, 2020), une autre du 22 janvier (Groupe Jean-Pierre Vernant, 2020) et la dernière, datée du 11 mars, publiées par l’agence News tank (Clavey, 2020). Par la suite, ces versions de travail seront citées respectivement « VT1 », « VT2 » et « VT3 ».
c. L’analyse a bénéficié des séances de lecture et discussion sur les rapports que nous avions organisées avec quelques collègues dans le cadre d’un groupe de travail LPPR au sein du laboratoire Triangle.

3Rendre compte de l’ensemble des mesures contenues dans les seuls rapports préparatoires impliquerait bien plus de place que celle dont je dispose ici. Face à cette multitude, le premier apport de cet article est de proposer une synthèse afin de dégager la logique générale à l’œuvre derrière le processus d’élaboration de la LPPR. L’analyse de contenu des rapports a permis de dégager 6 grands axes thématiques et 27 grandes recommandations [1]. Le second apport de cet article est d’établir une comparaison précise des recommandations issues des rapports avec les dispositions contenues dans les versions de travail du MESRI disponibles et dans le projet de loi et les prises de position publiques des membres du gouvernement sur le sujet. Il s’agissait dans un premier temps de restituer l’avant-projet de loi dans son co-texte afin de pouvoir définir plus précisément ce à quoi il faut s’attendre puis, une fois le projet de loi publié, de retracer l’évolution du contenu de la LPPR.

Accroître la politique de pilotage stratégique national

4Le premier axe dégagé concerne le « pilotage » de la recherche. « Si les moyens sont largement déconcentrés, octroyés par l’État directement aux chercheurs, en tenant compte des seules différences disciplinaires, alors ce sont ces chercheurs qui pilotent la recherche. Ce sont eux qui décident ce sur quoi ils vont chercher, et comment ils vont chercher. Si au contraire les moyens sont largement concentrés, octroyés par les agences ou les régions sur appels à projets, alors ce sont les financeurs qui pilotent la recherche » (Gossa, 2019). Les propositions de pilotage stratégique national, de financement régional, ou de constitution de multiples comités stratégiques s’inscrivent clairement dans la seconde option. Toutefois, aucune des principales recommandations des rapporteurs sur le pilotage de la recherche n’a été retenue dans la LPPR (voir tableau 1).

Tableau 1. Le « pilotage » de la recherche

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
1.1Aligner les appels à projets des agences de financement sur les priorités stratégiques déterminées par l’État (R1, p. 20-21)Pas de traduction de cette recommandation
1.2Créer un Conseil stratégique de la recherche et de l’innovation rattaché au Premier ministre, qui viendrait remplacer le Conseil supérieur de la Recherche, voire d’autres institutions ayant pour mission d’informer le pouvoir (R1, p. 19-20)Pas de traduction de cette recommandation
1.3Créer une cellule stratégique placée auprès du Premier ministre chargée d’élaborer la stratégie d’innovation de la France (R3, p. 18-19)Pas de traduction de cette recommandation
1.4Créer un secrétaire d’État pour chaque « défi sociétal » ou une Agence des grands défis sociétaux placée sous l’autorité du Premier ministre (R3, p. 19)Pas de traduction de cette recommandation

Tableau 1. Le « pilotage » de la recherche

5Cette absence de traduction des recommandations dans la LPPR s’explique par le fait qu’il n’y en avait tout simplement pas besoin. Les principaux outils de pilotage de la recherche existent en effet déjà, comme les Programmes d’investissements d’avenir (PIA), le Conseil de l’innovation et le Fonds pour l’industrie et l’innovation (FII). Or, ces outils connaissent de fait une réelle montée en puissance. Ainsi, les dépenses du PIA 3 – piloté par le Secrétariat général pour l’investissement, rattaché auprès du Premier ministre – sont intégrées au budget de l’État, mais dans une mission dédiée, qui bénéficie en 2019 de 2,1 milliards d’euros de crédits de paiement. La partie des financements de l’ESR dépendant du PIA est ainsi en augmentation constante ; les dépenses du PIA 3 représentaient 2,5 % de la part « recherche » de la Mires (Mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur) en 2017 contre 6,8 % en 2019 (Moga, 2019, p. 16). Au PIA, initié en 2010, le gouvernement Philippe a ajouté en 2018 deux nouveaux dispositifs de pilotage de la recherche tourné vers l’« innovation ». Co-présidé par le ministre de l’Économie et la ministre de l’ESR, composé de 6 ministres, des administrations concernées (SGPI, DGE, DGRI), de deux opérateurs (ANR et Bpifrance) ainsi que de 6 personnalités issues du secteur privé ou en charge des partenariats public-privé, le Conseil de l’innovation a ainsi la mission de définir les « grands défis sociétaux ». Le Fonds pour l’industrie et l’innovation (FII) permet de financer les projets censés répondre à ces défis, à hauteur de 250 millions d’euros annuels. Nul besoin donc d’inscrire dans la LPPR la création de nouvelles structures de pilotage qui risqueraient de susciter un peu plus l’ire de la communauté académique ; elles existent déjà. Notons au passage que l’on assiste de fait à un dessaisissement progressif du MESRI dont une partie des prérogatives et compétences sont transférées de fait à Bercy et Matignon. Bruno Le Maire ne s’y est d’ailleurs pas trompé ; dans un discours esquissant les contours du « Pacte productif », il relie ainsi explicitement l’idée que la LPPR doit être tournée vers la R&D à finalité industrielle (voir supra) et la proposition de fusionner PIA et FII [2].

Renforcer le financement par projet et élargir les sources de financement local et/ou privé

6Le second axe thématique concerne le renforcement du financement par projet et l’élargissement des sources de financement de la recherche par les collectivités locales et/ou les entreprises. Sur les 5 types de mesures préconisées dans les rapports, 3 sont traduits dans la LPPR sous forme d’articles dédiés, 1 l’est indirectement et 1 est exclu (voir tableau 2).

Tableau 2. Modes et sources de financement de la recherche

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
2.1Renforcer les pouvoirs de l’ANR en lui confiant la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux (R1, p. 33-34)Art. 1 approuvant le rapport annexe, art. 2, II (Financements ANR) et art. 11 (ANR)
2.2Poursuivre la concentration des moyens en augmentant la part des appels à projets internes aux établissements (« crédits compétitifs ») et externes, au niveau de l’ANR (R1, p. 28 et p. 38-39)Art. 2, I (Programmation budgétaire) et II (Financements ANR)
2.3Augmenter les bonus financiers pour les établissements dont les laboratoires obtiennent des financements par projet (R1, p. 29-30)Art. 11, III (Abondement financier ANR)
2.4Permettre aux régions (R1, p. 23) et aux établissements (R1, p. 30) de s’endetter pour financer la recherchePas de traduction de cette recommandation
2.5Renforcer le mécénat en faveur des fondations intervenant en recherche (R1, p. 30-31)Art. 17, X, XI et XII (Mesures de simplification du régime des dons et legs à l’Institut de France ou aux académies)

Tableau 2. Modes et sources de financement de la recherche

7Concernant le point 2.1, l’art. 11 n’instaure pas le principe de confier la gestion de tous les appels à projets à l’ANR. Toutefois, le fait d’augmenter conséquemment les moyens de celle-ci (au détriment des crédits pérennes) et d’inciter les établissements et unités à y répondre via le renforcement des abondements financiers revient de fait à lui octroyer l’essentiel de la gestion des appels à projets [3]. Mais surtout, il faut aller chercher dans le rapport annexe, approuvé par l’art. 1 du projet de loi, pour trouver mention d’une traduction partielle de la recommandation des rapporteurs : plutôt que de confier la gestion de tous les appels à projets à l’ANR, le MESRI a opté pour une stratégie proche mais distincte : le rapprochement des agences de financement et des procédures via un portail unique (MESRI, 2020b, p. 27).

Renforcer l’évaluation des personnels de l’ESR

8Le troisième axe thématique dégagé par l’analyse concerne le renforcement de l’évaluation des personnels de l’ESR et, plus précisément, le fait de conditionner l’allocation des crédits aux résultats de l’évaluation. Sur les 4 types de mesures préconisées par les rapports, 3 sont traduits dans la LPPR et 1 semble exclu (voir tableau 3).

Tableau 3. Le renforcement de l'évaluation

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
3.1Conditionner la répartition des crédits aux performances des laboratoires et établissements (R1, p. 27 et 29-30)Art. 9 (Évaluation et contractualisation)
3.2Renforcer l’évaluation périodique des chercheurs et enseignants-chercheurs pour les primes, la titularisation, l’accès aux chaires d’excellence, la promotion (R2, p. 33 et 48, p. 37, p. 39, p. 45)Art. 9 (Évaluation et contractualisation) mais aussi et surtout, de manière indirecte, les art. 2, II (Financements ANR), art. 3 (Chaires de professeur junior), art. 6 (CDI de mission scientifique) et art. 8 (Maintien en fonction des professeurs et directeurs de recherche lauréats de grands appels à projets au-delà de l’âge légal de la retraite pour une durée maximum de 5 ans)
3.3Conforter le rôle du HCERES dans les processus d’évaluation (R1, p. 27-28)Art. 9 (Évaluation et contractualisation) et art. 1 approuvant le rapport annexe
3.4Permettre des évaluations locales au niveau des établissements et des laboratoires (R1, p. 27-28)Pas de traduction de cette recommandation

Tableau 3. Le renforcement de l'évaluation

9Concernant le point 3.2, le renforcement de l’évaluation des chercheurs et enseignants-chercheurs est opéré via l’harmonisation des dispositifs d’évaluation sous l’égide du HCERES (voir supra) mais aussi et surtout à travers d’une part, l’augmentation de la part du financement par projet (qui implique une évaluation a priori des projets soumis) prévu par 1’art. 2, II (Financements ANR) et, d’autre part, la multiplication des contrats de type tenure track et CDI de mission scientifique ou des chaires d’excellence.

10Concernant le point 3.3, l’art. 9 prévoit le renforcement de l’évaluation des organismes publics de recherche et des EPSCP mais la mention à l’HCERES est supprimée du dernier alinéa de l’article L. 311-2. Toutefois, le rapport annexe du projet de loi (MESRI, 2020b, p. 43-44) ainsi que l’exposé des motifs (MESRI, 2020c, p. 5) confirment les déclarations de la ministre insistant sur le fait de simplifier, centraliser et harmoniser l’évaluation [4], en confiant cette mission… au HCERES.

Renforcer les inégalités de carrière pour les statutaires et déréguler le statut de fonctionnaire

11Le quatrième axe dégagé consiste en une dérégulation des statuts de fonctionnaires d’État et un contournement des procédures nationales de recrutement afin de permettre la différenciation entre personnels de l’ESR, à l’origine de fait d’un renforcement des inégalités entre eux en matière de recrutement, de promotion et de rémunérations. Sur les 5 types de recommandations issues des rapports, 2 sont traduits dans le projet de loi, 1 est repris indirectement via l’effet de certaines des autres dispositions prévues et 2 semblent exclus (voir tableau 4).

Tableau 4. Recrutement, statuts et rémunérations

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
4.1Contourner les procédures nationales de recrutement : augmenter les recrutements externes des DR et PU (R2, p. 39-40), étendre les dispenses de qualification pour le recrutement pour certains établissements (R2, p. 40)Traduction indirecte via l’art. 3 (Chaires de professeur junior) et l’art. 6 (CDI de mission scientifique)
4.2Modulation des services : obligatoire en fonction des besoins de chaque UFR (R2, p. 43), service d’enseignement calculé en ECTS et non en volume horaire (R2, p. 47), heures complémentaires remplacées par des indemnités forfaitisées (R2, p. 47)Pas de traduction de cette recommandation
4.3Fusionner les corps de MCF et PR (R2, p. 43)Pas de traduction de cette recommandation
4.4Créer des chaires d’excellence senior (R2, p. 39)Art. 8 (Maintien en fonction des professeurs et directeurs de recherche lauréats de grands appels à projets au-delà de l’âge légal de la retraite pour une durée maximum de 5 ans)
4.5Revaloriser les rémunérations par le seul régime indemnitaire (R2, p. 31)Art. 1 approuvant le rapport annexe, lequel affirme explicitement la revalorisation des rémunérations par les primes

Tableau 4. Recrutement, statuts et rémunérations

12Concernant le point 4.1, la ministre ne s’est pas prononcée sur les dispenses de qualification mais sur la suppression du CNU : « Non, il n’est pas question de supprimer le Conseil national des universités » (Vidal, 2020c). Toutefois, la création de nouveaux contrats du type chaires de professeur junior et les CDI de mission scientifique reviennent de fait à contourner les procédures nationales de recrutement (et donc les instances en charge de celles-ci), dans une proportion pouvant aller jusqu’à 25 % des recrutements autorisés dans le corps concerné pour les chaires junior.

13Concernant les points 4.2 et 4.3, les recommandations des rapporteurs ont été écartées par la ministre : « Non, il n’est pas question de supprimer les maîtres de conférences ni de mettre ce corps en extinction. Non, il n’est pas question de supprimer le Conseil national des universités ou de toucher aux obligations de service, aux 192 h équivalent TD ou de relancer l’épouvantail de la modulation de service. Ce n’est pas à l’ordre du jour » (Vidal, 2020c). Notons au passage que F. Vidal ne dit pas qu’elle est hostile à ces recommandations ni même qu’elle ne compte pas les instaurer à l’avenir mais que « ce n’est pas à l’ordre du jour »…

14Concernant le point 4.4, plutôt que la création de chaires d’excellence senior proprement dites, qui existent en réalité déjà dans certains établissements, le ministère a choisi une modalité quelque peu différente consistant à maintenir en fonction les professeurs et directeurs de recherche lauréats de « grands » appels à projets (les MCF et CR sont exclus de cette disposition).

15Concernant la revalorisation des rémunérations, les déclarations faites par F. Vidal indiquent que la recommandation 4.5 est bien la voie privilégiée. La ministre a certes fait part de sa volonté que « dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférences soit désormais recruté à hauteur d’au moins 2 SMIC » (Vidal, 2020a ; Vidal, 2020c), ce qui représente un budget de 26 millions d’euros. Toutefois, l’augmentation des rémunérations via la grille de salaires est une exception, réservée aux nouveaux recrutés, la voie indemnitaire étant privilégiée pour les personnels déjà en poste, comme le précise le rapport annexe (MESRI, 2020b, p. 17-18). Le projet de loi confirme donc les annonces de F. Vidal d’une enveloppe de 92 millions d’euros pour engager la revalorisation indemnitaire des enseignants-chercheurs et des chercheurs (Vidal, 2020a ; Vidal, 2020c).

Créer de nouveaux contrats et statuts précaires

16Le cinquième axe thématique dégagé par l’analyse du corpus porte sur la création de statuts temporaires pour... « relancer l’emploi scientifique permanent » et « contribuer à la déprécarisation » (?) des personnels scientifiques et administratifs (R2, p. 34-36). L’analyse a révélé que la LPPR reprend l’ensemble des recommandations des rapports, allant dans le sens d’un renforcement des statuts précaires (voir tableau 5).

Tableau 5. Créer de nouveaux contrats et statuts précaires

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
5.1Création d’un « CDI de mission scientifique » (R2, p. 35-36)Art. 5 (CDI de mission scientifique)
5.2Création d’un CDD jeune chercheur de six ans maximum (R2, p. 36)Art. 4, IV (Cadre juridique spécifique pour le contrat post-doctoral)
5.3Création de « chaires d’excellence junior » avec un dispositif de recrutement de type « tenure track » (R2, p. 38)Art. 3 (Chaires de professeur junior)a

Tableau 5. Créer de nouveaux contrats et statuts précaires

Note : a : la dénomination « Chaires de professeur junior » qui apparaissait jusque dans la VT3 disparaît du projet de loi mais subsiste dans le rapport annexe qui la reprend à de nombreuses reprises (MESRI, 2020b).

Inciter aux partenariats public-privé et favoriser l’« innovation »

17Le sixième et dernier axe thématique dégagé par l’analyse concerne l’orientation de la recherche vers les partenariats avec le privé et l’innovation. Plus encore que F. Vidal, c’est sans doute B. Le Maire qui a le plus nettement exprimé cette orientation [5]. Sur les 6 types de mesures préconisées dans les rapports, 5 sont traduits dans la LPPR et 1 l’est partiellement (voir tableau 6).

Tableau 6. Travailler avec/pour le secteur privé

Recommandations des rapports préparatoiresProjet de loi de la LPPR
6.1Étendre le principe de l’abondement des Instituts Carnot à l’ensemble des laboratoires (R1, p. 39-40 ; R3, p. 105-110)Traduction partielle : art. 1 approuvant le rapport annexe, lequel affirme explicitement le doublement du montant des crédits dédiés au financement incitatif qui leur est attribué (MESRI, 2020b, p. 36)
6.2Renforcer la « recherche partenariale » entre public et privé (R3, p. 28-29)Art. 12 (Élargissement des dispositions de la « loi Allègre »)a et articles mentionnés en 6.1 et 6.3 à 6.6
6.3Faciliter l’insertion professionnelle dans le privé des doctorants et docteurs (R1, p. 42 ; R3, p. 33 et 91-93)Art. 4 (Cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral et le contrat post-doctoral)
6.4Faciliter la mobilité public-privé (R3, p. 33-34 et p. 132-136)Art. 13 (Élargissement des mobilités public-privé par les dispositifs de cumul d’activités à temps partiel) et art. 14 (Intéressement des personnels)b
6.5Créer ou renforcer de nombreux financements spécifiques ciblés : pôles universitaires d’innovation, PIA, chaires industrielles, Labcom, programmes collaboratifs, etc. (R3, p. 35-41 et p. 90-110)Art. 2 (Programmation budgétaire et Financements ANR) et surtout art. 1 approuvant le rapport annexe, lequel prévoit le renforcement des PUI, chaires industrielles, Labcom, etc. (MESRI, 2020b, p. 35-36)
6.6Consacrer une partie des fonds ANR à la R&D appliquée (R3, p. 110-112)Art. 2, II (Financements ANR) et surtout art. 1 approuvant le rapport annexe, lequel prévoit qu’une part des nouveaux crédits soit dédiée à la R&D

Tableau 6. Travailler avec/pour le secteur privé

Notes : a : la loi no 99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche (dite « loi Allègre ») avait pour objectif de développer et soutenir l’effort d’innovation en multipliant la recherche partenariale à travers trois dispositions principales : la création de structures de valorisation et de transfert technologique, autoriser la création d’entreprises par les chercheurs et rendre plus avantageuse la fiscalité pour les entreprises « innovantes » ; b : l’intitulé de cet article dans la VT2 était plus explicite : « Élargissement des mobilités public-privé par les dispositifs d’intéressement des personnels ».

18Concernant le point 6.1, la traduction de la recommandation des rapporteurs est partielle puisque le principe de l’abondement des Instituts Carnot à l’ensemble des laboratoires n’est pas établi explicitement. En revanche, le doublement du montant des crédits dédiés au financement incitatif qui leur est attribué vise à faire en sorte que, dans les faits, davantage de laboratoires s’inscrivent dans ce dispositif tout en maintenant le caractère sélectif.

19Concernant le point 6.2, les dispositions prévues dans la loi Allègre ont déjà été étendues dans la Loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE). En vertu de cette dernière, un enseignant-chercheur peut désormais consacrer 50 % de son temps à ses travaux en entreprise au lieu des 20 % autorisés précédemment et détenir jusqu’à 32 % du capital de la société. L’art. 12 du projet de loi poursuit cette orientation en autorisant un fonctionnaire de l’ESR à participer à titre personnel, en qualité d’associé ou de dirigeant, à la création d’une entreprise dont l’objet est d’assurer la valorisation des travaux de recherche et d’enseignement qu’il les aient réalisés ou non dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.

20Concernant le point 6.3, le nouveau cadre juridique défini dans la LPPR pour les contrats doctoral et post-doctoral vise explicitement à faciliter l’insertion dans le privé des doctorants et docteurs. Un contrat doctoral de droit privé (art. 4, I) est créé, lequel rompt avec la logique tripartite de la convention CIFRE qui associe une entreprise, un doctorant et un laboratoire, au bénéfice d’une logique bilatérale dont le laboratoire est exclu. Des contrats post-doctoraux de droit privé sont également créés (art. 4, IV), sans aucun encadrement légal autre qu’un renvoi à un décret en Conseil d’État et l’exigence que « l’activité de recherche proposée doit fournir au salarié une expérience professionnelle complémentaire au doctorat » (MESRI, 2020a, p. 6). Pire encore, les quelques mesures d’encadrement des CDD prévus par le code du travail (les dispositions des articles L. 1243-13 et L. 1243-13-1) sont rendues inapplicables à ces post-doctorats.

21Concernant le point 6.5, le renforcement des financements spécifiques ciblés vers la R&D et l’innovation est explicitement mentionné dans le rapport annexe approuvé par l’art. 1 du projet de loi. Le périmètre de la programmation des autorisations d’engagement de l’ANR défini dans ce document inclut en effet les appels à projets mais également des programmes spécifiques comme les chaires industrielles, les Labcom ou encore des financements de recherches sur le cancer (MESRI, 2020b, p. 41).

22Concernant le point 6.6, enfin, le rapport annexe mentionne explicitement qu’une partie des nouveaux moyens attribués soit dédiée à la création de 500 start-up de haute technologie par an à partir de 2030 (MESRI, 2020b, p. 35).

Conclusion

23Pour conclure, la comparaison entre les recommandations des rapports et les dispositions contenues dans la LPPR ainsi que leur mise en contexte au regard des déclarations gouvernementales a abouti aux résultats présentés dans le tableau 7.

Tableau 7. Comparaison rapports/projet de loi

Types de (non-)traductions rapports-LPPRNombrePourcentage
Recommandations traduites dans la LPPR sous forme d’articles dédiés1451,85 %
Recommandations traduites de manière indirecte ou partielle (indiquées en souligné)518,52 %
Recommandations non traduites dans la LPPR (indiquées en italique)829,63 %
Total27100 %

Tableau 7. Comparaison rapports/projet de loi

24Ces résultats appellent plusieurs remarques. Tout d’abord, plus de la moitié des recommandations des rapporteurs sont effectivement traduites dans la LPPR sous forme d’articles dédiés. À cela s’ajoutent 5 mesures qui en sont des traductions indirectes ou partielles. Le MESRI a en effet parfois opté pour des moyens détournés pour arriver aux mêmes résultats que ce que préconisaient les rapporteurs. Les nouveaux statuts type tenure track et CDI de mission scientifique permettent ainsi de contourner les procédures nationales de recrutement sans officiellement remettre en cause les prérogatives du CNU ou du Comité national du CNRS. Tout comme le maintien en fonction des professeurs et directeurs de recherche lauréats de grands appels à projets au-delà de l’âge légal de la retraite pour une durée maximum de 5 ans constitue une autre manière que la création de chaires d’excellence senior pour attribuer plus de moyens à ceux qui ont déjà le plus. Au total, 70,3 % des recommandations issues des rapports se trouvent directement ou indirectement dans la LPPR, remettant ainsi en cause l’un des arguments de F. Vidal.

25À l’inverse, 29,6 % des recommandations issues des rapports préparatoires semblent ne pas être traduites dans le projet de loi. La principale explication est qu’une partie importante des recommandations des rapports existent déjà juridiquement. Il suffit donc au gouvernement de légiférer sur les points juridiquement non sécurisés – ceux touchant aux statuts précaires en particulier (Wagener, 2020) – et d’utiliser les dispositions existant dans d’autres lois en passant par ordonnances, cavaliers législatifs ou voie réglementaire pour le reste. De fait, sur les 8 mesures concernées, 5 d’entre elles existent déjà sous d’autres formes, qu’il s’agisse des outils de pilotage de la recherche ou des financements ciblés vers la R&D et l’innovation. Ce résultat accrédite de fait l’hypothèse selon laquelle la LPPR n’est en réalité qu’une partie d’une réforme plus large de la recherche menée par le gouvernement [6]. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que le gouvernement n’a pas été complètement insensible à l’ampleur de la mobilisation et a jugé opportun de ne pas intégrer certaines dispositions qui auraient pu mettre les titulaires les plus timorés dans la rue. Certaines déclarations de F. Vidal sur la fusion des corps PR et MCF et la modulation de services vont d’ailleurs en ce sens.

26Enfin, la version de travail du MESRI contient des dispositions qui ne sont pas issues des rapports. Il s’agit principalement des articles relevant du Titre IV qui contient pour l’essentiel des « mesures de simplification », mais aussi des mesures contribuant à la transformation néolibérale de l’ESR, comme l’article 20 « Ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux » [7].

27La comparaison des versions de travail et du projet de loi définitif a, elle aussi, livré des résultats intéressants. De manière générale, le contenu a assez peu changé. Les évolutions observées relèvent essentiellement de l’euphémisation de certaines formulations trop ouvertement polémiques ou clivantes. À titre d’exemple, l’intitulé du Titre III finalement retenu est : « Consolider les dispositifs de financement et d’organisation de la recherche ». Or, l’intitulé de cet article dans la VT3 était plus explicite : « Piloter la recherche et encourager la performance ». De même, l’intitulé de l’article sur la contractualisation et la rénovation dans la VT2 (« Lier évaluation et allocation des moyens par une rénovation de la contractualisation ») a disparu afin de gommer le lien trop explicite entre les « performances » des chercheurs et les crédits dont ils disposeraient. Enfin, l’intitulé du Titre II (« Attirer les meilleurs scientifiques ») de la VT3 a été modifié en « Améliorer l’attractivité des métiers scientifiques » afin de gommer la dimension trop ouvertement inégalitaire de la loi.

28La seule évolution de taille concerne l’art. 3 de la VT3 « Revalorisation liée à la réforme des retraites » qui liait explicitement LPPR et réforme des retraites. En effet, la stratégie du gouvernement semble avoir été à l’origine de financer l’effort budgétaire consenti pour l’ESR par la baisse du montant des pensions retraites des chercheurs et enseignants-chercheurs à l’occasion de l’instauration de la retraite à points. La LPPR prévoit d’augmenter les crédits du programme 172 par paliers de 400 millions € pendant la fin du quinquennat, puis plus vite pour atteindre 5 milliards € de plus par an en 2030 (MESRI, 2020a, p. 1). Au total, sur 10 ans, une fois l’inflation soustraite [8], l’effort consenti par Bercy est de 14,9 milliards €. À comparer aux 17,63  milliards € qui pourraient être prélevés sur les cotisations de retraite des personnels de l’ESR si la réforme était adoptée [9]. Toutefois, cette stratégie s’est heurtée à l’avis du Conseil d’État dans lequel il a explicitement écarté la possibilité que « la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables » puisse être fixée dans la LPPR au lieu du projet de loi sur la réforme des retraites (Conseil d’État, 2020, p. 16). Le Conseil d’État a ainsi obligé le gouvernement à désarticuler juridiquement LPPR et réforme des retraites, ce qui implique de sa part un changement conséquent de sa stratégie comme de l’agenda prévu (Mademoiselle de Scudéry, 2020). L’art. 2 de l’avant-projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage donc aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire puisque, dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel.

29Au terme de cette enquête, nulle découverte sensationnelle, nul résultat véritablement surprenant mais nous voilà au moins en terre ferme, disposant d’éléments factuels et d’interprétations étayées permettant désormais de saisir cet objet politique aux contours si flous. On voit là tout l’intérêt de prendre au mot le pouvoir pour pouvoir retourner contre lui ses propres énoncés et répondre à ce que l’on peut qualifier de gouvernementalité de l’insaisissable. Loin d’être là simplement un accident ou une maladresse, on peut en effet faire l’hypothèse que l’opacité, le flou et la variation des énoncés mis en avant par l’analyse constituent une stratégie adaptée pour faire passer une réforme dont l’immense majorité de la communauté académique ne veut pas. Depuis la publication de la LPPR, le caractère insaisissable a laissé place à une autre stratégie gouvernementale : celle du passage en force en convoquant dans la précipitation les différences instances consultatives de l’ESR sans laisser le temps à leurs membres de pouvoir analyser et discuter de nombreuses mesures contenues dans près de 82 pages de textes (projet de loi, rapport annexe et exposé des motifs compris). Un autre aspect de la présidence Macron qui autorise sur la base d’arguments solides à qualifier une telle pratique du pouvoir d’autoritaire.

Notes

  • [1]
    Certaines sont elles-mêmes la synthèse de plusieurs mesures allant dans le même sens, à l’instar de nombreuses recommandations sur les financements ciblés spécifiquement vers la R&D (Recherche et développement) et l’innovation (R3, p. 35-41 et p. 90-110). Des recommandations jugées plus périphériques par rapport à l’objet de la LPPR – comme celle sur le patrimoine immobiliser des établissements (R1, p. 26) – ou qui ne sont pas vraiment des propositions opérationnelles – comme celles sur le rôle des SHS (R1, p. 56-57) ou la participation de la société (R1, p. 58-60) – ont été exclues.
  • [2]
    « Le PIA III arrive à son terme, c’est l’occasion de lancer une nouvelle vague d’investissement d’avenir, une vague plus ambitieuse. [...] Pourquoi ne pas utiliser le fonds d’innovation de rupture ? La structure est en place. Elle garantit un financement sûr et régulier de l’innovation. Nous pourrions rassembler dans le même fonds un possible nouveau PIA et le fonds pour l’innovation de rupture, pour disposer d’un rendement sûr et plus élevé chaque année. » (Le Maire, 2019)
  • [3]
    L’intitulé de cet article dans la VT2 allait d’ailleurs en ce sens : « Orienter les thèmes de recherche par l’Agence nationale de la recherche ».
  • [4]
    « On entend parfois dire qu’il n’y a pas d’évaluation. Rien n’est plus faux, vous le savez, je le sais. Être dans la recherche, c’est être évalué tous les ans, soit individuellement, soit collectivement. C’est être évalué dans le cadre de ses projets, de son laboratoire, de ses multiples établissements de tutelle, dans le cadre de procédures qui évaluent toutes à peu près la même chose, mais un peu différemment et qui, à la fin, n’ont pas vraiment de conséquences. C’est trop et on doit pouvoir alléger tout cela. L’évaluation doit avoir un objectif : permettre de savoir où on en est et donner les moyens de s’améliorer. Être évalué en permanence sans que cela ait la moindre conséquence me semble totalement contre-productif. C’est cela qu’il faut changer » (Vidal, 2020c).
  • [5]
    « Nous avons une recherche publique d’excellence et une industrie de haute technologie. Mais recherche et industrie ne travaillent pas ensemble. Il existe encore un mur entre la recherche publique et son développement industriel. Nous devons casser ce mur. Nous avons commencé à le faire dans PACTE, nous devons aller plus loin. La loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis » (Le Maire, 2019).
  • [6]
    « La LPPR est le volet de la réforme de la recherche porté par la CURIF, organisant la dérégulation des statuts et le contournement du recrutement par les pairs, en renforçant le pouvoir démesuré de la technostructure managériale des établissements. Le “pacte productif” apparaît comme le volet de cette même réforme portée par Bercy, instaurant des outils de pilotage qui lui permettent de contrôler cette même technostructure » (Sauvons l’Université !, 2020).
  • [7]
    Les « établissements publics expérimentaux » prévus par l’ordonnance du 12 décembre 2018 représentent aujourd’hui le principal outil de « dérégulation » des universités françaises, du fait du nombre considérable des dérogations aux règles du livre VII du Code de l’éducation qu’il permet : possibilité de déroger aux règles concernant la règle de majorité statutaire, la limite d’âge du président, les dispositions électorales ou les catégories de personnalités extérieures ; possibilité d’exercer des prestations de service, prendre des participations, créer des services d’activités industrielles et commerciales, participer à des groupements et créer des filiales, etc. Plus généralement, sur l’adjectif « néolibéral » pour qualifier les transformations que connaît l’ESR depuis plus de vingt ans, voir la « Première partie. Le dispositif néo-libéral sous le sceau du capitalisme cognitif » de Boudet (2020).
  • [8]
    La seule compensation de l’inflation (évaluée sur les trois dernières années) correspondrait à -150 millions € par an (Groupe Jean-Pierre Vernant, 2020).
  • [9]
    « Le budget brut salarial pour l’Université et la recherche s’élève à 10,38 Mds € par an. La baisse de cotisation patronale de l’État de 74,3 % à 16,9 % sur 15 ans permettra à terme de redistribuer les 6 Mds € par an prélevés sur notre salaire socialisé. Pour la période 2021-2030 couverte par la LPPR, l’article 18 conduira en cumulé à 21,8 Mds € de prélèvement dans nos cotisations de retraite. Le calcul affiné, séparant primes et salaires, conduit à -4,98 Mds € au lieu de -6 Mds € et à -17,63 Mds € pour la période 2021-2030, et non -21,8 Mds €. Nous avons gardé le calcul approximatif pour permettre à chacun de vérifier le calcul » (Groupe Jean-Pierre Vernant, 2020).
Français

Des rapports préparatoires prenant parfois la forme d’inventaires à la Prévert, une multitude d’annonces et discours gouvernementaux, une procédure d’élaboration de l’avant-projet de loi pour le moins opaque : savoir ce que contient la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) a été pendant des mois en soi une gageure. Plutôt qu’à un objet politique identifié, la critique s’est trouvée ainsi face à une multitude d’énoncés hétérogènes, souvent flous, parfois contradictoires, de reprises partielles et discrètes, contribuant par là à l’affaiblir faute d’une prise solide, d’un adversaire identifié. Et la publication du projet de loi n’a que partiellement permis de lever le voile sur le contenu de la LPPR tant le diable est dans le détail. Sur la base d’une analyse qualitative de contenu appliquée à un corpus constitué des rapports, de divers documents techniques du ministère et de discours gouvernementaux, cet article se propose de restituer les principaux résultats d’une recherche menée pour parvenir à définir ce qu’est la LPPR.

  • enseignement supérieur
  • projet de réforme
  • discours
  • gouvernance
  • recherche
Thibaut Rioufreyt
Université Lyon 2, laboratoire Triangle
Camille Noûs
Laboratoire Cogitamus
Mis en ligne sur Cairn.info le 25/11/2020
https://doi.org/10.4000/rfp.9211
Pour citer cet article
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