CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En France, environ 2,7 millions de personnes bénéficiaient d’une reconnaissance administrative d’un handicap en 2015 (Barhoumi, 2017). Parmi eux, plus d’un million [1] bénéficient d’une « reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé » (RQTH), qui peut être attribuée à « toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques » [2]. Cette mesure permet de bénéficier de « l’obligation d’embauche de travailleurs handicapés », soit un quota d'embauche de 6 % de travailleurs handicapés, d'avoir accès à certains services spécialisés de recherche d'emploi ou de maintien dans l'emploi, et le cas échéant, à des « mesures appropriées » d'aménagement du poste de travail.

2Outre les décomptes administratifs, la situation des travailleurs handicapés suscite, depuis quelques années, l’intérêt des chercheurs, alors que rares étaient les publications sur la question au début des années 2010. On peut citer des recherches sur les salariés sourds (Dalle-Nazébi et Kerbourc’h, 2013), sur l’insertion des travailleurs handicapés dans le secteur public (Flamant, 2016 ; Jaffrès et Guével, 2017), sur les stratégies des salariés s’estimant discriminés (Lejeune, 2019), sur les reconversions professionnelles après un problème de santé (Roupnel-Fuentes, 2021) et récemment la parution d’un ouvrage de synthèse (Revillard, 2019).

3Pour autant, pour le grand public, cette population reste souvent méconnue. Les travailleurs handicapés vont être identifiés à des travailleurs en secteur protégé, porteurs d’une déficience intellectuelle (ils ne représentent que 15 à 20 % des travailleurs handicapés : Amrous, Barhoumi et Biausque, op. cit. ; Barhoumi et Chabanon, 2015), ou aux porteurs de déficiences plus visibles (fauteuil roulant, canne blanche). Mais la plupart des travailleurs handicapés ont d’abord un handicap au travail, et sont autonomes pour les actes de la vie quotidienne.

4Selon nos observations, la figure type serait celle d’un salarié d’une quarantaine ou d'une cinquantaine d’années [3], ouvrier ou employé, usé par un travail pénible ou victime d’un accident du travail. Ces figures, finalement beaucoup plus quotidiennes, moins spectaculaires, peuvent voir leurs problèmes déniés tout en éprouvant parfois de grandes difficultés pour (re)trouver un emploi ou conserver leur poste.

5Dans cet article, nous présentons des portraits de travailleurs handicapés (première partie). Ces portraits permettront de mieux comprendre certains enjeux de l’insertion des travailleurs handicapés, détaillés en deuxième partie de l’article. Les trois principales mesures concernant le milieu ordinaire de travail, l’obligation d’embauche de travailleurs handicapés, les mesures anti-discriminations et les mesures de protection sociale, seront ainsi confrontées aux vécus de personnes reconnues travailleurs handicapés.

6Ces portraits sont issus d’une recherche menée de 2010 à 2012, dans deux départements français. Nous avons rencontré, avec Jean-Sébastien Eideliman et Vincent Caradec, 37 demandeurs de la RQTH dans le cadre d’une recherche plus large portant également sur le fonctionnement des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) et financée par la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) et la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA). Notre enquête portait principalement sur les orientations en milieu ordinaire, les orientations en milieu protégé relevant d’autres logiques et du secteur médico-social (Velche, 2009). Notre grille d’entretien, peu directive, amenait à s’intéresser à ce qui a précédé la demande de reconnaissance, à l’élaboration du dossier de demande et à ce qui s’est passé pour la personne après la réception d'une réponse. Ces rencontres remontent à 2011, mais rien ne permet de croire que la situation ait beaucoup évolué depuis sur les points que nous souhaitons évoquer. Les dispositions évoquées restent d’actualité et les articles récents ne sont pas en contradiction avec ces analyses.

7Nous avons choisi de présenter quatre personnes parmi les 37 interrogées (dont on trouve la liste en annexe de la version électronique de l’article), en sélectionnant des personnes plus proches de l’emploi, non titulaires de l’allocation adulte handicapée, et que nous avions personnellement rencontrées (plutôt que l’un des autres enquêteurs). Pourquoi procéder par portraits ? Il est fréquent d’exposer des extraits d’entretien, au service de l’analyse de l’auteur. La citation permet d’exhiber des éléments du matériau sur lequel repose l’analyse, d’illustrer un propos. Elle fait gagner en intelligibilité. Mais on a parfois l’impression de perdre en complexité ce que l’on gagne en efficacité du propos. Les personnes interrogées sont alors réduites à des silhouettes [4], ancillaires de la théorie. À l’extrême, elles disparaissent complètement derrière un traitement statistique des mots qu’elles ont prononcés.

8Un usage intermédiaire relève de ce qu’on pourrait appeler un portrait unidimensionnel. La situation de la personne enquêtée est exposée plus longuement, mais elle n’est mobilisée que pour expliciter une dimension de l’analyse. Dans cet article, nous souhaitons donner plus de corps aux personnes enquêtées, en mobilisant plusieurs axes d’analyse. Ainsi, en deuxième partie, nous rapporterons ces parcours à trois dimensions de la politique d’insertion des travailleurs handicapés : le quota d’embauche, les mesures anti-discriminations et les mesures de protection sociale.

9Cet exercice a toutefois au moins deux limites. Une limite de forme : s’agissant d’un article, le propos doit être concis. Une limite de fond : ces portraits ne sont pas désintéressés. Il s’agit de présenter une recherche avec ses questions propres, ici autour des parcours de demandeurs de la RQTH. Ils n’ont que la richesse d’un entretien unique présenté de manière synthétique. Ces portraits ne peuvent exprimer la totalité de la vie des enquêtées et passent probablement sous silence des dimensions importantes de la vie des personnes rencontrées.

10Dernières précisions avant d’ouvrir la première partie. Comme on le lira, ces portraits s’attachent plus à la relation d’un parcours qu’à la description d’un état. Nous avons donné des titres aux portraits : il ne s’agit pas de subsumer ces parcours sous une dimension unique, mais de faciliter la lecture. Ces titres ont donc surtout une valeur indicative.

1 Portraits de travailleurs handicapés

11Dans cette partie, nous présenterons les parcours de quatre personnes. Noëlle Deloo [5] (premier portrait) a pu utiliser sa RQTH pour se défendre contre le service public de l’emploi, mais beaucoup moins vis-à-vis de son employeur, tout comme Élisabeth Egelin (deuxième portrait). Quant à Mustapha Karder (troisième portrait), la RQTH l’a objectivement aidé à retrouver rapidement un travail adapté. Enfin, quant à Anne Banski (quatrième portrait), la RQTH lui a normalement permis d’avoir une meilleure rémunération pendant sa formation de reclassement et d’accéder à un service de recherche d’emploi spécialisé, mais pas de retrouver un emploi adapté.

1.1 Se battre ou prendre sur soi : le parcours de Noëlle Deloo

12Nous commencerons par le parcours de Noëlle Deloo, 48 ans quand je la rencontre en mars 2011, dans une petite ville ouvrière proche d’une grande ville de province. Elle me reçoit avec son mari, ancien ouvrier dans une entreprise sensible, où les risques sanitaires sont importants. Lui aussi a été reconnu travailleur handicapé avant d’être licencié pour inaptitude et de percevoir une pension d’invalidité.

13Noëlle est auxiliaire de vie depuis 2005, employée par une association prestataire, à temps partiel (90 h par mois). Avant cela, après un travail dans un « hospice », elle faisait la plonge et le ménage dans un restaurant, de 1998 à 2003. En 2003, alors qu’elle était en arrêt maladie, elle est licenciée « par téléphone ». Elle a pu faire condamner son employeur aux prud’hommes, mais se retrouve au chômage.

14Licenciée en août 2003, elle fait une première demande de RQTH en novembre 2003 pour des maux de dos, du cou et des bras. Ces problèmes sont suffisamment importants pour qu’elle soit reconnue travailleuse handicapée en mars 2004. À l’époque, elle utilise la RQTH surtout pour se défendre face à l’ANPE [6] et la Sécurité sociale : elle espère être mieux traitée et ne pas être obligée d’accepter n’importe quelle offre d’emploi. Elle a accès à quelques offres d’emploi réservées, mais sans succès. Elle « tape du poing sur la table » et obtient une formation [7]. Mais quand elle est finalement embauchée comme auxiliaire de vie, elle ne mentionne pas sa RQTH à son nouvel employeur. Elle parvient à travailler sans trop de gène et ne renouvelle pas sa demande à l’expiration de son statut (mars 2009). Mais un jour, fin 2009, elle « porte trop » et reste bloquée deux mois.

15Au bout de trois mois d’arrêt-maladie, elle a une visite de contrôle et la médecin-conseil de la Sécurité sociale veut lui faire reprendre le travail. Noëlle résiste : elle a rendez-vous peu après avec un spécialiste qui rédige un courrier justifiant son arrêt. Munie de ce courrier, l’assistante sociale de la Caisse primaire d’asurance maladie (CPAM) fait revenir la médecin-conseil sur sa décision. Cet événement, et les conseils de l’assistante sociale, encouragent Noëlle à refaire une demande de RQTH, déposée en mars 2010. Elle est à nouveau reconnue travailleuse handicapée de mai 2010 à mai 2015. Elle reprend le travail en septembre 2010, après dix mois d’arrêt.

16Cette fois-ci, elle informe son employeur de sa RQTH, et demande au médecin du travail d’indiquer ses limitations. Mais la RQTH ne donnera lieu à aucun aménagement de poste. Noëlle réduit à ses frais son temps de travail mensuel de 100 à 90 heures, sans bénéficier de temps partiel thérapeutique. Noëlle est amère : elle trouve qu’elle a été aidée avant sa reprise du travail, notamment par l’assistante sociale et le service d’aide au maintien dans l’emploi, mais qu’elle n’a pas été soutenue après.

17Elle n’a pas pu négocier d’aménagements d’horaires alors qu’une plus grande régularité dans les journées de travail avait été évoquée, ce qui aurait été moins fatigant. Le travail en lui-même peut difficilement être aménagé : elle doit travailler avec le matériel des personnes qu’elle assiste. Elle a eu peur d’être licenciée et a eu l’impression que personne ne l’a aidée à ce moment-là.

18Elle ne se voit pas se reconvertir à nouveau dans un bassin d’emploi sinistré : pour travailler à l’hôpital, il faut un diplôme d’aide-soignante ; dans la petite enfance (pour laquelle elle est diplômée), il n’y a pas de travail en crèche, etc.

19Le parcours de Noëlle Deloo est ainsi fait de moments où elle résiste avec succès à son ancien employeur, à l’ANPE ou au médecin-conseil, et de moments où elle prend sur elle, physiquement et financièrement, de peur de perdre son emploi.

1.2 Élisabeth Egelin ou le handicap dénié

20Deuxième situation, celle d’Élisabeth Egelin. Elle a 55 ans quand je la rencontre en juin 2011, dans un petit ensemble HLM (habitation à loyer modéré) d’une ville aisée de l’Ouest parisien. Elle souffre d’une pathologie viscérale mal identifiée qui atteint l’estomac et les intestins et occasionne douleurs et diarrhées (qui entraînent des carences). De plus, elle est porteuse d’une discopathie lombaire et d’un problème d’orteil et d’appui sur le pied droit. Elle marche avec une canne et ne conduit pas.

21Élisabeth travaille depuis l’âge de 16 ans et demi. D’abord « dans le privé », vraisemblablement de 1972 à 1987. Parallèlement, elle suit des cours du soir, jusqu’au niveau Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS, master 2). Elle s’arrête trois ans à la naissance de son deuxième enfant. Elle divorce en 1989 et travaille un an « dans le privé » en 1990. Mais c’est loin de chez elle et difficile à conjuguer avec la garde de ses deux fils. Elle prend « le premier remplacement qui s’est présenté, le premier concours également » et se retrouve en 1991 employée à la mairie d’une ville de taille moyenne, puis à l’office HLM municipal, passant neuf ans au service du personnel.

22En 2000, sa maladie se déclare, elle est longtemps en arrêt-maladie. Elle reprend à temps partiel thérapeutique, de juin 2002 à septembre 2003. Mais à l’issue du temps partiel thérapeutique, elle reste à 80 %, ce qui occasionne une baisse de revenus. Elle dit avoir alors passé 18 mois seule au fond d’un couloir sans avoir grand-chose à faire. Elle a changé de service pour un service de comptabilité, mais elle est rétrogradée comme aide-comptable. Elle gagne un peu moins de 1200 €.

23Élisabeth décrit une ambiance de travail exécrable. Sans employer le terme, elle évoque des comportements de brimade et de harcèlement moral. Les collègues ne comprennent pas toujours son handicap, la voient marcher avec sa canne, mais n’ont pas forcément conscience du problème viscéral. Une collègue lui dit que c’est psychosomatique, puis, un jour où elle a une crise, lui demande si elle ne peut pas être opérée, alors qu’elle sait qu’Élisabeth l’ait régulièrement.

24La demande de RQTH intervient après un long cheminement. Le médecin du travail lui en avait parlé lors de sa visite annuelle en 2008, lui en reparle fin novembre 2009. Elle se décide à faire la demande en janvier 2010. Elle pense que la RQTH va la protéger, du licenciement en particulier, et peut-être aussi des remarques de ses collègues. Elle en parle au responsable du personnel, qui promet d’être discret… avant de rendre publique sa démarche. Après l’obtention de la RQTH, on lui octroie un siège ergonomique. Mais à son retour de vacances, elle découvre que le siège a été échangé contre un fauteuil cassé.

25Élisabeth est logée dans le parc de logements de son employeur, l’office HLM. Elle espère obtenir un logement plus accessible, mais elle a peu d’espoir en raison de son surendettement.

26Élisabeth est malgré tout souriante et assez gaie. Elle a une intense vie sociale autour de la paroisse catholique de son quartier. Son accueil enjoué est peut-être lié au fait que je la vois alors qu’elle est en vacances, à un moment où apparemment sa maladie ne la perturbe pas, et qu’elle se réjouit à l’idée du concert du soir avec sa chorale, pour la fête de la musique.

1.3 Mustapha Karder, la reconversion réussie d’un technicien qualifié

27Troisième parcours, celui de Mustapha Karder, la cinquantaine, rencontré dans une ville moyenne de la grande banlieue parisienne, en novembre 2011. D’origine marocaine, il est marié, avec trois enfants nés en France : une fille de 20 ans, puis deux fils de 18 et 16 ans. Sa fille aînée a une déficience intellectuelle congénitale et travaille actuellement en ESAT [8] après un parcours en IMPro [9]. Le cadet vient d’avoir le bac et s'est inscrit en médecine, le benjamin est en seconde. L’épouse de Mustapha a été « modéliste » dans la confection, puis s’est arrêtée une quinzaine d’années pour s’occuper de sa fille. Elle a ouvert un restaurant depuis deux ans. La famille est propriétaire d’un pavillon dans une petite commune rurale. Mustapha y jouit d’une certaine notabilité locale : il a des responsabilités dans le club de football du village, organise matchs et entraînements. Deux fois par an, au sein de son club, il organise des « journées handicap-sport » : les élèves de l’IMPro viennent à l’union sportive pratiquer différents sports. Il a organisé un match caritatif avec des anciens internationaux de France pour collecter des fonds pour l’IMPro.

28Mustapha est arrivé en France pour y faire ses études. « Quand on est tombé avec ce problème-là [le handicap de sa fille], je ne pouvais pas retourner, parce qu’au Maroc il n’y a rien ». Il a peur qu’elle reste « un légume à la maison » s’il retourne au pays. Il travaillait alors depuis un an comme technicien de laboratoire dans une entreprise de produits céramiques.

29Il y reste 20 ans. En 2007, soit quatre ans avant l’entretien, un contrôle médical relève une anomalie sur une radio pulmonaire. Il s’agit d’un début de silicose. Les poumons lui faisaient mal, douleurs qu’il ressent encore parfois. Il est licencié pour inaptitude, après un arrêt de quatre mois, dont un mois d’hospitalisation. Mustapha avait demandé à être promu chef de laboratoire depuis longtemps. À la découverte de sa silicose, on lui propose de devenir directeur technique, alors qu’il ne maîtrise pas certaines techniques dont il aurait eu la responsabilité. Il pense que c’est pour le pousser à la faute et refuse, en accord avec son avocat. Il est licencié légalement, mais l’employeur refuse la qualification de maladie professionnelle, qui majorerait la prime de licenciement. Il aurait peur que quatre anciens salariés fassent la même démarche. Le contentieux dure depuis quatre ans. Il perçoit cependant une rente de maladie professionnelle de 600 € par trimestre [10].

30Alors qu’il s’est inscrit au chômage, il apprend par Pôle emploi que l’Éducation nationale chercherait des enseignants avec RQTH. Il obtient la RQTH rapidement et est recruté. Il enseigne les mathématiques au collège depuis quatre ans, à temps complet, apparemment sur un collège différent chaque année, dans un département limitrophe. Ses collègues sont au fait de sa situation, mais il est tombé « à chaque fois » sur une « bonne équipe pédagogique ». Au départ, il trouve cela difficile de se retrouver devant 30 élèves, sans formation pédagogique.

31Il reproche à la MDPH de ne pas suivre ses bénéficiaires, de ne pas s’informer de leur situation, ni de s’enquérir de leur situation professionnelle : « C’est à nous d’aller courir derrière l’information, d’aller chercher l’information ». Il appréhende le renouvellement de sa RQTH, nécessaire pour être titularisé sur son poste. En effet, il a appris qu’on peut demander la titularisation au bout de quatre ans comme travailleur handicapé, sans passer le Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré (CAPES), avec une inspection.

32Il estime qu’il a eu de la chance de tomber sur la coordinatrice de l’antenne locale de la MDPH qu’il connaissait déjà par sa fille et qui a dû avancer son dossier pour qu’il ne rate pas sa prise de poste il y a quelques années. Il l’a croisée récemment dans la rue en allant chercher sa fille ; elle lui a parlé de notre recherche, et lui a dit de renouveler sa demande de RQTH. Mais elle ne savait rien de sa situation actuelle.

1.4 Anne Banski, de l’accident à l’amertume

33Dernière situation, celle d’Anne Banski, 49 ans. Je la rencontre en juin 2011, dans un pavillon en lointaine banlieue parisienne [11]. Elle est divorcée depuis environ cinq ans, avec deux enfants d’une vingtaine d’années. Anne travaille depuis l’âge de 15 ans. Son dernier emploi était aide-soignante à domicile. Elle a un accident du travail en juillet 2005, en portant quelqu’un. Elle pense d’abord à un lumbago, mais le problème est plus grave et elle doit être opérée. L’opération ne réussit pas entièrement, une hernie subsiste et comprime fortement le nerf sciatique. À terme, le nerf risque d’être sectionné, entraînant une paralysie de la jambe droite. Elle ne peut rester longtemps ni debout, ni assise.

34Elle se retrouve en arrêt maladie et est licenciée pour inaptitude en août 2006. Pendant deux mois et demi, elle n'a aucun revenu suite à ce licenciement. On lui aurait dit qu’une indemnité était incompatible avec le fait d’entrer en formation AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes) en octobre 2006. Un travailleur social de la CPAM finit par débloquer 500 € en secours, et elle bénéficie de bons alimentaires.

35À la fin de son arrêt maladie, elle voulait absolument retravailler et dit avoir refusé une inaptitude à tout poste et une pension. Choix qu’elle pensait irréversible, alors qu’elle reviendrait sur cette décision actuellement. Elle a demandé la RQTH en 2006, sur les conseils de la médecine du travail, puis demandé le renouvellement en 2011. Elle suit une formation, un BEP d’agent administratif, d’octobre 2006 à juillet 2007. Elle fait ensuite deux stages dans des hôpitaux de la région, mais n’est pas embauchée, une amie du « grand grand directeur » étant selon elle embauchée à sa place. Elle pense à un reclassement comme secrétaire médicale, mais la formation demanderait deux heures et demi de trajet, inimaginable dans son état.

36Elle dit avoir probablement un « taux de 25 ou 30 % » : il s’agit sans doute d’un taux d’incapacité permanente partielle, c’est-à-dire relatif à la pension versée par la Sécurité sociale. Elle a reçu 1 500 € suite à son licenciement, puis une rente trimestrielle d’environ 560 €. Actuellement, elle perçoit l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) versée aux chômeurs en fin de droit, d’un montant de 461 €. Il est possible qu’elle perçoive également une pension alimentaire. Anne est suivie depuis un an par Cap emploi, service spécialisé en recherche d’emploi pour les personnes ayant une RQTH. Elle a des offres d’emploi par sa conseillère, a eu des entretiens, mais rien n’a abouti. Elle a songé à garder des jeunes enfants, mais ne pourrait pas les porter. Pourquoi pas des enfants plus âgés, qu’elle pourrait aller chercher à l’école ? Mais il faudrait alors faire des travaux chez elle. Elle n’en a pas les moyens et n’a pas bénéficié d’aides pour cela. Elle ne peut emprunter en raison d’un « long » divorce et surtout d’un dossier de surendettement. En effet, son licenciement pour inaptitude a été concomitant à son divorce, à la mise en place de ce dossier de surendettement, à des déménagements et réemménagements.

37Tout au long de l’entretien, Anne dénonce les injustices dont elle s’estime victime : elle a eu peu d’aides alors qu’elle a travaillé et cotisé des années, on a abandonné une mère de famille seule avec deux enfants dans la misère, notamment en la laissant sans revenus pendant deux mois et demi. Elle avait des assurances chômage sur ses « trois crédits », mais qui ne fonctionnaient pas pour un accident du travail. En fin d’entretien, son amertume prend des accents xénophobes. Elle pense que des non-Français, à peine arrivés et qui n’ont jamais cotisé, sont mieux traités, en bénéficiant d’interventions médicales coûteuses, d’aides, etc.

38Elle a fait tous ces dossiers seule, en s’aidant d’internet, mais elle considère qu’« on n’est pas aidé ». Anne estime que personne ne lui a donné d’informations sur les droits qu’on peut solliciter, qu’il y a peu de protection s’il arrive un problème. Elle a pu bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU), mais ne savait pas qu’elle pouvait en bénéficier avant qu’une amie ne lui en parle.

39Anne est allée trois fois à la mer depuis six ans... Sa voiture a 23 ans : « Je ne bouge pas, parce que quand vous n’avez pas de sous… vous ne bougez pas ». Elle a quand même demandé la carte de réduction « solidarité transport » « au cas où, si je n’ai pas de sous pour mettre de l’essence dans ma voiture. ».

2 Un filet de protection aux mailles bien larges

40À l'aune des quatre situations présentées en première partie, nous voudrions, dans cette seconde partie, revenir sur trois composantes principales de la politique française d'insertion des travailleurs handicapés : le quota d'embauche, les mesures anti-discriminations et les mécanismes de protection sociale. Nous exposerons les grandes lignes de ces différentes mesures avant de préciser comment concrètement elles ont opéré dans les parcours des personnes présentées en première partie.

2.1 Le quota d’embauche et ses limites

41Comme beaucoup d’autres pays européens, la France a mis en place des quotas d’embauche pour les mutilés de guerre après la Première Guerre mondiale (Romien, 2005). Le quota a ensuite été élargi aux « travailleurs handicapés » en 1957, incluant les « mutilés du travail » et les infirmes civils. À l’époque, la non-satisfaction du quota d’embauche n’est pas assortie de contrainte financière. En 1987, la loi abaisse le quota de 10 à 6 %, mais le rend plus contraignant. « L’obligation d’embauche de travailleurs handicapés » ou OETH concerne les entreprises ou établissements du secteur public de plus de 20 salariés. Contrairement à ce que son nom suggère, cette obligation peut être remplie de différentes manières  :

  • l’embauche directe d’un salarié bénéficiaire de l’obligation d’embauche [12] ;
  • l’admission d’un stagiaire bénéficiaire de l’obligation d’embauche ;
  • la sous-traitance à une entreprise du travail protégé [13] ;
  • le versement d’une contribution financière à un Fonds pour l’insertion des personnes handicapés ;
  • le passage d’une convention avec le ministère du Travail, engageant sur un certain nombre d’actions, avec un budget dédié géré en interne.

43Dans la loi de 1987, seules les entreprises du secteur privé sont soumises à la contribution financière, versée à l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées). Le secteur public est formellement concerné par le quota, mais sans cette contrainte financière.

44La loi de 2005 réforme certains points de l’OETH. Un Fonds d’insertion professionnelle est créé pour la fonction publique, désormais également soumise à la contribution financière en cas de non-respect du quota. Le mode de calcul est modifié : la loi supprime la distinction antérieure entre RQTH A, B ou C selon le degré de déficience. Avant 2005, recruter une personne porteuse de déficiences importantes pesait plus dans le décompte du quota que recruter une personne dont les incapacités étaient jugées moins sévères. D’autres « unités » supplémentaires étaient attribuées pour le recrutement de sortants de centre de reclassement ou d’autres dispositifs. Il y avait donc une discrimination positive interne au sein du quota. En outre, la loi de 2005 alourdit la contribution demandée en cas de non-respect de l’OETH, et en cas d’inaction pendant trois ans.

45Ces modifications ont été souvent vues ou présentées comme un alourdissement de l’obligation. C’est évidemment le cas pour le secteur public ou pour l’augmentation de la contribution par unité manquante. Le sens de la disparition des niveaux de RQTH et des unités supplémentaires est moins univoque. Par ce nouveau décompte, les entreprises qui avaient déjà des salariés bénéficiaires de l’OETH ont pu voir leur taux fondre d’un coup, quand par exemple un salarié qui comptait jusqu’à présent pour deux unités ne comptait plus que pour une. Mais un travailleur qui comptait pour une demi-unité comptait à présent pour une unité entière. Par la suite, cette non-discrimination entre titulaires de la RQTH fait craindre des effets de sélection où on n’embauche que les plus performants ou les moins dérangeants.

46La forte sanction pour inaction pendant trois ans (1 500 fois le Smic horaire), votée en 2005, est trompeuse. Dans les faits, il a suffi d’augmenter très légèrement ses unités d’embauche pour y échapper, par exemple en passant des commandes d’un montant dérisoire à un ESAT – d’autant plus que la loi a revalorisé le recours au travail protégé. Enfin, il paraît difficile de considérer le décompte de stagiaires (depuis 2002) comme un alourdissement du quota.

47L’OETH est l’une des rares mesures de discrimination positive de la France « républicaine », plus ancienne que la politique de la Ville (années 1980) ou les lois sur la parité en matière d’élection (2000). Les quotas ont pu être critiqués comme une mesure ségrégative. Un quota met à part une partie de la population, qu’il discrimine donc, au nom de la compensation d’une discrimination subie. C’est là une aporie classique : par construction, la discrimination « positive » distingue la même population que celle qui subit une discrimination « négative ». Elle en fait même une catégorie légale, là où la discrimination « sociale » peut être diffuse, déniée, latente – quoique toujours prête à s’actualiser sur des individus concrets. En ce sens, comme toute mesure de discrimination positive, le quota « crée », au moins légalement, la ségrégation qu’il est censé combattre.

48Cependant, contrairement à la délimitation d’un quartier prioritaire ou l’assignation d’un genre à l’état civil, la RQTH doit formellement être demandée par le travailleur lui-même [14]. Théoriquement, l’employeur ne peut imposer la demande d'une RQTH, et le salarié titulaire de la RQTH n’est pas obligé de la mentionner à son employeur. C’était par exemple le choix de Noëlle Deloo avant son accident. De plus, le quota vise l’embauche en milieu ordinaire, pour des personnes insérées dans les mêmes collectifs de travail que les salariés non titulaires de la RQTH [15].

49Par ailleurs, les défauts de l’OETH sont aussi ceux d’un « gouvernement par les indicateurs » (Bezes et al., 2016). Pour dire les choses simplement, il s’agit de faire du chiffre, d’une manière ou d’une autre, sans toujours s’interroger sur la qualité du travail et de l’emploi proposé ; et comme nous le verrons au chapitre suivant, sans beaucoup contraindre l’employeur en matière d’aménagement des postes. Outre le recours à l’emploi précaire, par le biais de stages, ou à la sous-traitance avec le secteur protégé, certains employeurs, publics ou privés, ont cherché à augmenter leur taux « d’embauche » en poussant certains de leurs salariés ou agents déjà en poste à demander une RQTH.

50Si l’on revient sur nos portraits, l’employeur de Noëlle Deloo a pu baisser sa contribution financière sans apparemment faire le moindre effort, de même pour Élisabeth Egelin dont le siège ergonomique a disparu. Pour Mustapha Karder, la RQTH a certainement joué en sa faveur. Enfin, pour Anne Banski, la RQTH lui a permis d’avoir une meilleure rémunération pendant sa formation de reclassement et l’accès à un service de recherche d’emploi spécialisé – financé par les fonds d’insertion professionnelle. Mais elle n’a pas retrouvé un emploi adapté.

51Une mesure de quota seule est probablement insuffisante pour assurer une adaptation du poste de travail parfois nécessaire à un bon environnement de travail pour les travailleurs handicapés. Ces « mesures appropriées » sont notre deuxième axe d’analyse.

2.2 L’insuffisance des politiques anti-discrimination

52Les mesures anti-discrimination sont un deuxième outil des politiques d’insertion des travailleurs handicapés, inspiré d’exemples nord-américains (Baudot, Borelle et Revillard, 2013 ; Heyer et al., 2013 ; Verge et Roux, 2010). L’interdiction de la discrimination au motif de l’état de santé ou du handicap existe depuis 1990 (article L. 122-45 du Code du travail à l’époque), mais son principe s’est enrichi lors de rédactions successives.

53La directive européenne du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail » a eu une influence décisive sur la rédaction actuelle. Elle a été transposée en plusieurs fois, de 2001 à 2008, notamment dans les lois n° 2001-1066 et 2002-2. La loi de 2005, en son article 24, modifie à la marge l’article L. 122-45 après ces deux premières transpositions, mais surtout transpose la notion « d’aménagements raisonnables ». Ces dispositions sont censées favoriser l’adaptation des postes de travail.

54Le dispositif juridique est complexe et nécessite de se confronter à l’aridité des articles du Code du travail. Voici la rédaction actuelle des articles concernés. L’article L. 122-45 définissant la discrimination a été déplacé en L. 1132-1, nous le citons en nous centrant sur le handicap :

55Article L. 1132-1 : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de [liste de critères prohibés], ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap [...]. »

56L’article concernant les aménagements raisonnables, transposés par l’expression « mesures appropriées » est le L. 5213-6 du Code du travail, [§1] : « Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L. 5212-13 [soit les bénéficiaires de l’obligation d’embauche] d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. »

57[§2] […]. [§3] : « Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 [du fonds d’insertion professionnelle] qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur. »

58[§4] : « Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3 ».

59Ce dernier alinéa est extrêmement curieux. Plutôt que de viser l’article L. 1132-1 (supra) qui définit la discrimination, il vise l’article L. 1133-3 : « Les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées. »

60Si l’on comprend bien, ne pas prendre des mesures pourtant appropriées « peut » être discriminatoire au sens où des différences de traitement ne seraient pas discriminatoires [16].

61La formulation concernant la discrimination en raison de l’état de santé, de la perte d’autonomie ou du handicap (L. 1132-1) a une portée générale. Mais contrairement à cet article, ou à la loi américaine, les aménagements raisonnables ne bénéficient qu’aux bénéficiaires de l’obligation d’embauche. C’est-à-dire qu’il faut avoir l’une des reconnaissances administratives du handicap pour prétendre aux « mesures appropriées ». L’article L. 1133-3 ouvre cependant un peu plus le champ des bénéficiaires potentiels, au-delà des seuls bénéficiaires de l’obligation d’emploi, mais il implique que le médecin du travail prononce des inaptitudes.

62En entretien, ces préconisations du médecin du travail et les « inaptitudes » qu’il peut prononcer étaient craintes par de nombreux enquêtés, qui dissimulaient certaines difficultés de peur de perdre leur emploi. Autrement dit, la peur de perdre son emploi à court terme est parfois plus importante que celle de perdre sa santé à un terme incertain.

63En dehors des ces préconisations, perçues comme à double tranchant, les travailleurs handicapés rencontrés, comme les services d’aide au maintien dans l’emploi considéraient que les aménagements de poste se faisaient selon le bon vouloir de l’employeur.

64Dans les portraits cités, Noëlle Deloo, très soucieuse de ne pas perdre son emploi, n’a pas pu bénéficier d’horaires plus réguliers, comme elle l’espérait, alors même que ces aménagements sont de droit [17], et ne peut pas bénéficier d’aménagements lorsqu’elle assiste des personnes âgées. Élisabeth Egelin, titulaire d’un master et d’une expérience de plusieurs décennies gagne 1200 € par mois [18]. Mustapha Karder estime qu’il a eu de la chance avec des collègues compréhensifs, sans qu’on sache si cela relève effectivement de la chance ou si cela est dû à des mesures appropriées prises par l’employeur (notamment sur les horaires de travail). Quant à Anne Banski, qui attribue ses déboires au favoritisme, il est probable qu’elle ait subi des discriminations à l’embauche au profit de valides.

65Certes, les faits décrits par Noëlle Deloo et Élisabeth Égelin tombent probablement sous le coup de la loi. Comme dans d’autres situations de travail, nombre de salariés préfèrent subir des conditions irrégulières que perdre leur emploi. Mais il reste que la notion d’aménagement raisonnable est bien moins contraignante que des préconisations de la médecine du travail. Comme l’analyse la juriste Josépha Dirringer (2017), « l’article L. 5213-6 du Code du travail n’est assorti d’aucune sanction systématique qui soit à la hauteur d’une mesure antidiscriminatoire. » Elle ne relève que deux contentieux ayant été examinés par la Cour de cassation, de faible portée.

66Deux études ont concerné l’intégration de travailleurs handicapés dans les trois fonctions publiques (Jaffrès et Guével, 2017) et dans la fonction publique territoriale (Flamant, 2016). Les deux rapportent, avec des nuances, la difficulté d’appliquer une politique de non-discrimination. Les éventuels aménagements sont vus par les autres agents comme une entorse à l’égalité de traitement, plutôt qu’une compensation, surtout quand les troubles sont peu visibles ou que le travail est pénible.

2.3 Protection sociale : compensations en demi-teinte et reclassements incertains

67Troisième élément de protection, le plus important financièrement : les mécanismes de protection sociale qui peuvent s’appliquer aux travailleurs (devenus) handicapés, en dehors des congés maladie.

68Pour Noëlle Deloo, Elisabeth Egelin ou Anne Banski, le handicap acquis a occasionné de fortes pertes de revenus. Les mécanismes de protection sociale prévoient bien certains revenus de remplacement, notamment avec les pensions d’invalidité dont ont pu bénéficier le mari de Noëlle Deloo, Mustapha Karder ou Anne Banski [19]. Mais elles paraissent difficiles à mettre en place et leur fonctionnement semble bien opaque aux personnes concernées. De plus, pour les personnes rencontrées, à l’exception probable du mari de Noëlle Deloo, elles étaient d’un niveau peu élevé [20].

69Le « tiers-temps thérapeutique » est un autre dispositif intéressant : il permet une reprise du travail à temps partiel avec une compensation de la perte de revenus. Mais il a deux limitations importantes : il ne peut être octroyé qu'à des personnes qui travaillaient à temps plein, et sa durée est limitée. Élisabeth Egelin a pu en bénéficier 15 mois, mais n’a pu reprendre à temps plein ensuite. Il ne semble pas qu’elle ait eu une pension d’invalidité par la suite. Noëlle Deloo n’a pas pu en bénéficier et a réduit à ses frais son temps de travail de 10 %.

70Un dernier mécanisme lié à la protection sociale est le reclassement professionnel. Un travailleur devenu inapte à son poste a droit à un reclassement. Ce peut être un reclassement chez le même employeur, quoique la recherche d’un reclassement « en interne » ait été allégée en 2018. Mais ce « droit au reclassement » inspire d’autres dispositifs. S’il est licencié pour inaptitude, le travailleur handicapé peut parfois bénéficier d’une formation en « centre de reclassement professionnel » avec des revenus proches des revenus antérieurs, ou avoir une majoration sur les indemnités de stage en suivant d’autres formations de droit commun – c’était normalement le cas de Noëlle Deloo et d’Anne Banski. Le problème est ici celui des compétences acquises, parfois en décalage avec les compétences attendues sur le marché du travail ou finalement inadaptées à l’état de santé ou aux aspirations des personnes. Les professionnels déplorent le caractère obsolète de certaines formations proposées, et la difficulté de reclassement de quadragénaires ou quinquagénaires peu qualifiés.

71Parmi les personnes présentées, pour Anne Banski, la formation était probablement inadaptée. Noëlle Deloo a retrouvé du travail, mais dans un autre domaine que la formation qu’elle a obtenue. Élisabeth Egelin a été reclassée, ou plus exactement déclassée sur un emploi moins bien rémunéré. Pour Mustapha Karder, le reclassement a été plus heureux, même s’il déplore le fait de ne pas avoir eu de formation à son nouveau poste.

Conclusion : l’enjeu de l’accessibilité du travail

72« C’est un peu court, jeune homme » défie Cyrano avant sa fameuse tirade du nez, dévoilant bien des choses que son rival aurait pu dire encore [21]. Du cadet de Gascogne aux Exercices de style de Raymond Queneau (1982), la littérature nous met en garde : tout récit est d’abord mise en récit, tout narrateur peut être non fiable. Pour les sociologues de tout âge et de tout genre, l’avertissement de Cyrano doit rappeler que l’expérience déborde toujours les descriptions que l’on peut en faire. Le sujet, pris dans des rapports de domination extrêmement forts ou au sommet de son autonomie, est plus que ce qu’on peut dire de lui. Notre démarche vise à prendre en compte ces limites, en tâchant de les exhiber.

73Ainsi dans cet article, nous avons tenté de lier des portraits de personnes en travailleurs handicapés et la description de différents aspects des politiques d’insertion professionnelle. Les récits donnent à voir les récipiendaires des politiques d’insertion professionnelle comme des sujets, évoluant dans un cadre législatif et social les « reconnaissant » comme travailleurs handicapés et liant cette « qualité » à certains dispositifs.

74Ces portraits montrent aussi les limites de ces dispositifs : difficultés financières persistantes, difficultés du maintien dans l’emploi ou de la reconversion, mais aussi perturbations du cadre familial, dimension que nous avons peu explorée ici, ou recomposition du mode de vie.

75Comme nous l’avons analysé ailleurs (Bertrand et al., 2014), mais comme cela est également visible ici, les démarches autour de la RQTH sont souvent liées à des rapports de force, avec l’employeur, avec les collègues, avec le service public de l’emploi, et parfois avec ses proches.

76Ces portraits donnent aussi à voir que les trois grands domaines évoqués, politique de quota, mesures anti-discriminations et protection sociale, sont assez dissociés dans l’expérience des travailleurs handicapés. Des liens existent pourtant : par exemple, les fonds récoltés au titre du quota peuvent servir à financer des aménagements de poste, des dispositifs d’orientation professionnelle ou d’accès aux droits. Par conséquent, plus l’obligation d’emploi est remplie, moins la collecte est importante, et moins le quota et les aides sont incitatifs (Jaffrès et Guével, op. cit.). Cela pourrait ne pas être un problème : si le quota est mieux rempli, l’insertion professionnelle est meilleure. Mais l’image est plus complexe, d’une part parce qu’on peut interroger la manière de remplir le quota « en faisant du chiffre » ; d’autre part, parce que la question de la qualité du travail a peut-être été escamotée.

77Comme nous l’avons noté d’une manière qui se voulait plus heuristique que provocatrice, si politique de quota, mesures anti-discriminations et protection sociale tissent bien un filet de protection autour de certains travailleurs reconnus handicapés, ses mailles restent bien larges. De nombreuses difficultés subsistent.

78Pour ouvrir la discussion sur ces points, nous voudrions évoquer quelques propositions relatives à l’accessibilité au travail. Les problèmes d’insertion professionnelle des travailleurs handicapés peuvent venir des employeurs ou de l’organisation du travail (discriminations à l’embauche, réticences à procéder à des aménagements). Mais un point d’achoppement semble aussi être les relations « horizontales » entre collègues qui peuvent mal vivre les aménagements octroyés aux personnes reconnues travailleurs handicapés, en particulier quand les conditions de travail sont difficiles.

79Josepha Dirringer (op. cit.), envisage de socialiser les coûts de l’aménagement de poste par la cotisation sociale, pour en faire un élément de la protection sociale. En en faisant un droit plus clairement affirmé et plus large, cela permettrait peut-être de désarmer certaines critiques internes au collectif de travail. Mais cette proposition pourrait revenir à dédouaner les employeurs de leurs obligations en termes de conditions de travail, dont ils reporteraient les coûts sur la protection sociale.

80Une autre voie, peu coûteuse, serait de rendre la RQTH effectivement plus protectrice et prescriptive, avec une meilleure articulation à la médecine du travail, l’intervention d’ergonomes... La législation anti-discriminations pourrait probablement être plus contraignante, paraissant assez ineffective en l’état pour des raisons sociales (rapport de force entre employeurs et salariés, influence des collectifs de travail), mais aussi juridiques (dispositions perfectibles). La discrimination à l’embauche semble encore très forte, malgré la mesure de discrimination positive qu’est « l’obligation d’embauche de travailleurs handicapés ».

81Une démarche plus ambitieuse viserait une accessibilité « universelle » des lieux de travail, qui serait moins centrée sur des caractéristiques individuelles (Revillard, 2019). Cette démarche, dont la viabilité économique est à explorer, serait probablement mieux acceptée par les collectifs de travail. Elle nécessiterait d’exercer une pression collective sur les employeurs, au sein d’une réflexion plus large sur les conditions, le sens et l’avenir du travail. Rendre visible ce million de travailleurs méconnus pourrait être un premier pas.

Annexe 1 : Entretiens avec des demandeurs de la RQTH

Sous-population : RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), pas d'AAH (Allocation aux adultes handicapés) (8 personnes)

N° PseudonymeSexeAgeSituation professionnelleProblème de santé appuyant la demandeEffet de la RQTH, réaction, action de formation
A 1Jean-Pierre CarmetM55Rippeur, en contrat à durée indéterminée (CDI)Lombalgie, problèmes articulairesA obtenu quelques aménagements de poste
A 2Noëlle DelooF48Femme de ménage, en CDICervicalgieA dû réduire son temps de travail à ses frais, pas d'aménagement
A 3Ali Klamer M39Intérimaire dans le bâtimentAsthme, allergie, souffrance psychiqueObtient des missions par une agence d'intérim spécialisée pour travailleurs handicapés
A 4Giacomo MardoM18Demandeur d'emploi, n'ayant jamais travailléDéficience intellectuelleEn formation adaptée
A 5Marlène PottetF56Ouvrière en CDI, licenciement économique dans 6 moisProblèmes vasculairesDemande peu investie, pas de réaction particulière
A 6Serge TajetM56Ouvrier, en CDILombalgieA obtenu quelques aménagements de poste
A 7Suzanne VanheckF54Agent d'entretien, demandeur d'emploiTroubles du métabolismeEntre en stage de pré-orientation
A 8Patrick VermauldM23Saisonnier dans les espaces vertsDéficience intellectuelle légèreAdmis en formation, cherche du travail par lui-même

Sous-population : RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), pas d'AAH (Allocation aux adultes handicapés) (8 personnes)

Sous-population : RQTH, allocataire de l'AAH (6 personnes)

N° PseudonymeSexeAgeSituation professionnelleProblème de santé appuyant la demandeEffet de la RQTH, réaction, action de formation
A 9Luc BothelotM37Musicien, demandeur d'emploiTroubles psychiquesEn formation
A 10Bernard CigaM50InactifSéquelles d'accident vasculaire cérébralDemande de RQTH peu investie
A11Saïd KenoussiM28Demandeur d'emploi, ancien gardien de nuitTroubles psychiquesEntre en stage de pré-orientation
A 12Richard OdzinskiM56Employé à temps partiel, contractuel de la fonction publiqueSéquelles d'accident vasculaire cérébralReconversion suite à un concours réservé
A 13Charles ReboerM34Travailleur en établissement et service d'aide par le travail (ESAT, travail protégé)Troubles psychiquesVient d'obtenir son admission en ESAT
A 14Marie-Lou VanbingenF44InactiveTroubles du métabolismeDemande de RQTH peu investie

Sous-population : RQTH, allocataire de l'AAH (6 personnes)

Sous-population : Refus de RQTH, pas d'AAH (7 personnes)

N° PseudonymeSexeAgeSituation professionnelleProblème de santé appuyant la demandeEffet de la RQTH, réaction, action de formation
A 15Madeleine Caillaud F49InactiveLombalgieDemande peu investie, pas de réaction particulière
A 16Virginie DurandF36InactiveTroubles psychiquesDemande peu investie, pas de réaction particulière
A 17Anya GouravianF37Demandeur d'emploi, ancienne serveuseProblèmes vasculairesA déposé des recours
A 18Karine HeermerschF52Demandeur d'emploi, ancienne ouvrièreÉvoque des douleurs articulaires, moral fluctuantA déposé des recours, espère un reclassement
A 19Chafik LahrouiM40Ouvrier, en CDIProblème temporaire à l'épaule après un accident du travailDemande peu investie, pas de réaction particulière
A 20Christian VanheckM40Employé, en CDIProblème au genou après un accident du travailReconversion puis refus du renouvellement de RQTH, a déposé un recours
A 21Noémie WilbrowF45Demandeur d'emploi, travail à temps très partiel (entretien)Migraines sévères et incapacitantesPense déposer une nouvelle demande

Sous-population : Refus de RQTH, pas d'AAH (7 personnes)

Sous-population : RQTH, pas d'AAH (9 personnes)

N° PseudonymeSexeAgeSituation professionnelleProblème de santé appuyant la demandeEffet de la RQTH, réaction, action de formation
B 1Anne BanskiF49Demandeur d'emploi, ancienne aide-soignanteErnie discaleA suivi une formation, en recherche d'emploi
B 2Michel DaguetM55Demandeur d'emploi, ancien ouvrier agricoleProblèmes vasculairesPas d'accompagnement spécifique
B 3Elisabeth EgelinF55Employée, fonctionnaireTroubles du métabolismePeu d'aménagements de son poste
B 4Gérard GalreyM43Cheminot, salarié en CDIAccident médical, perte de l'usage d'un piedAttend un reclassement interne
B 5Patricia GirardF18Actuellement en certificat d'aptitude professionnelle (CAP), interrogation sur l'orientationTroubles des apprentissagesAttente d'une éventuelle orientation en milieu protégé
B 6Antoine GiraudM23Demandeur d'emploi, ancien ouvrierSéquelles d'accident à l'épauleSuivi par Cap emploi
B 7Mustapha KarderMCinquantenaireEnseignant, contractuel de la fonction publiqueProblème pulmonaireReclassement suite à un concours réservé
B 8Julien LeroyM52Cadre, Salarié en CDIDéficience auditiveDemande de RQTH peu investie
B 9Ana Ruaro dos SantosF25Demandeur d'emploi, ancienne coiffeuseAllergieEntrée en formation de reclassement

Sous-population : RQTH, pas d'AAH (9 personnes)

Sous-population : RQTH, allocataire de l'AAH ( 8 personnes)

N° PseudonymeSexeAgeSituation professionnelleProblème de santé appuyant la demandeEffet de la RQTH, réaction, action de formation
B 10Fama CarretF26Travailleur en ESATDéficience intellectuelleRenouvellement de l'orientation en Esat
B 11Eveline DenguiFQuadragénaireDemandeur d'emploi, a peu travaillé (garde d'enfants)Troubles psychiques, marche difficileSuivie par Cap emploi
B 12Fanny FertousFQuadragénaireInactiveDéficience visuelle, problèmes vasculaires, troubles psychiquesDemande de RQTH peu investie, projet artistique
B 13Matthieu MéraudM20ÉtudiantPathologie osseuseLa RQTH a été attribuée d'office et n'a pas d'effet spécifique dans cette situation
B 14Yannick PertetMQuadragénaireInactifTroubles psychiquesDemande de RQTH peu investie
B 15Catherine SuguetF21ÉtudianteDéficience visuelle, troubles psychiquesLa RQTH pourrait ouvrir un financement pour une formation
B 16Baptiste VerdierM21Demandeur d'emploi, n'ayant jamais travailléTroubles de l'apprentissage, Troubles psychiquesSuivi difficile par Cap emploi, interrogation sur le travail protégé
B 17Leïla ZazouerF37Demandeur d'emploi, a été employéeTroubles du métabolismeLongues complications de sa maladie après une première formation adaptée, demande une deuxième formation alors que sa santé s'améliore un peu

Sous-population : RQTH, allocataire de l'AAH ( 8 personnes)

Notes

  • [1]
    Chiffres de 2011 (Amrous, Barhoumi et Biausque, 2013), a priori en hausse depuis.
  • [2]
    Article L5213-1 du Code du travail.
  • [3]
    Nous avons eu accès, dans un département, à une base de données concernant les demandes de RQTH ayant fait l’objet d’une décision entre le 01 janvier 2010 et le 09 décembre 2011, soit 13 228 demandes. 63 % des demandes étaient faites entre 40 et 59 ans. La médiane des demandes était à 44 ans. Il y a une augmentation tendancielle des demandes avec l’âge, avec un pic autour de 50 ans et une nette diminution après 55 ans.
  • [4]
    Selon le terme de cinéma qui désigne des acteurs plus identifiables que les figurants et dont la « silhouette parlante » prononce entre un et cinq mots.
  • [5]
    Les noms attribués ici sont fictifs.
  • [6]
    Agence nationale pour l’emploi, prédécesseur de Pôle emploi, service public de l’emploi avant fin 2008.
  • [7]
    Elle évoque une double formation, BEP sanitaire et social et CAP petite enfance (respectivement, brevet d’études professionnelles et certificat d’aptitude professionnelle), en neuf mois.
  • [8]
    Les « Établissements et services d’aide par le travail » ou ESAT, ont remplacé les anciens « Centres d’aide par le travail » (CAT) après 2005. Leur public est principalement composé de personnes porteuses de déficiences intellectuelles ou plus récemment de troubles psychiques.
  • [9]
    Institut Médico-Profesionnel : établissement d'enseignement spécialisé pour adolescents et jeunes majeurs, de 14 à 20 ans.
  • [10]
    Cette rente liée à un pourcentage d’incapacité permanente est versée par la Sécurité sociale et ne dépend pas du contentieux avec l’employeur.
  • [11]
    Le parcours d’Anne Banski a été évoqué très brièvement dans Bertrand (2017, p. 40).
  • [12]
    Plusieurs catégories sont distinguées, dont la plus fréquente est la « Reconnaissance de la Qualité de Travailleur handicapé ».
  • [13]
    Cette modalité disparaît formellement au 1er janvier 2020, en application de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018. Elle est remplacée par un nouveau mode de calcul qui amène à une réduction de la contribution financière due.
  • [14]
    Même si la demande revêt des sens différents selon les personnes et n’est pas toujours si personnelle… (Bertrand et al., 2014).
  • [15]
    S’il peut y avoir des concours réservés, notamment dans la fonction publique, les grandes entreprises n’ont pas, à notre connaissance, créé de filiales séparées destinées aux travailleurs handicapés, comme cela existerait au Japon (Heyer et al., 2013, p. 136). Mustapha Karder a pu bénéficier d'un concours réservé, mais exerce comme un professeur de mathématiques parmi d'autres.
  • [16]
    L’article L. 1133-4 suivant, citant l’article L. 5213-6 sur les mesures appropriées, reste dans la même veine : « Les mesures prises en faveur des personnes handicapées et visant à favoriser l'égalité de traitement, prévues à l'article L. 5213-6, ne constituent pas une discrimination. » Prendre des mesures anti-discriminatoires n’est pas une discrimination prohibée, mais ne pas en prendre peut ne pas être discriminatoire… Il est très curieux que l’article L. 5213-6, sur les mesures appropriées pour les bénéficiaires de l’obligation d’embauche, renvoie vers l’article L. 1133-3 qui fait intervenir le médecin du travail et pas vers cet article L. 1134-4 à destination des « personnes handicapées ».
  • [17]
    Article L. 3121-49 du Code du travail : « Les salariés reconnus travailleurs handicapés bénéficient, à leur demande, au titre des mesures appropriées prévues à l'article L. 5213-6, d'un aménagement d'horaires individualisés propre à faciliter leur accès à l'emploi, leur exercice professionnel ou le maintien dans leur emploi. » C'est, selon nous, un des rares articles définissant positivement des « mesures appropriées ».
  • [18]
    À titre d’expérience mentale, on peut se demander si un homme, valide, ayant toujours été libéré de toute obligation familiale, serait payé au même niveau à qualification et quotité de travail identiques.
  • [19]
    Un autre mécanisme, qui ne concerne pas les personnes interrogées ici, est l’allocation adulte handicapée (Bertrand, 2013). C’est un minimum social, d’un montant de 903,60 € au 1er avril 2021, versé aux personnes pour lesquelles la MDPH a évalué un taux d’incapacité de plus de 80 %, ou un taux d’incapacité compris entre 50 et 80 % et une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi. Son montant est modulé en fonction des éventuels autres revenus du bénéficiaire et de son éventuel conjoint.
  • [20]
    Il y aurait une grande violence à dire de ces personnes que les mécanismes de protection sociale et les quotas leur donnent des vies « confortables, mais séparées » (Heyer et al., 2013), article dont la lecture est indissociable des commentaires plus nuancés de ses traducteurs (Baudot, Borelle et Revillard, 2013).
  • [21]
    Dans la pièce Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand (2000), Cyrano est un poète irascible dotée d’un nez repoussant. Dans l’acte I, scène IV, un vicomte sans esprit lui glisse « Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand. » Cyrano réplique « Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme… » et se lance dans une longue tirade, variant les descriptions possibles de son nez.
Français

Cet article présente quatre portraits de personnes ayant obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé : une auxiliaire de vie, contrainte de réduire son temps de travail ; une comptable dont le handicap est méconnu ; un technicien de laboratoire reconverti en professeur de mathématiques ; une aide-soignante à domicile qui peine à retrouver un emploi. Ces parcours détaillés permettent d’analyser les trois axes des politiques d’insertion des travailleurs handicapés que sont les mesures de quotas d’embauche, les dispositions anti-discriminations et les mesures de protection sociale. Ils permettent d’en esquisser les limites à partir de situations concrètes, notamment en termes d’adaptation des postes de travail ou de difficultés financières persistantes.

  • insertion professionnelle
  • reclassement professionnel
  • accompagnement professionnel
  • travailleur handicapé
  • politique sociale
  • mesure pour l'emploi
Deutsch

Erfolge und Niederlagen von behinderten Erwerbstätigen. Herausforderungen an die Strategie für die berufliche Integration von behinderten Menschen

Dieser Artikel stellt vier Porträts von Menschen vor, die als behinderte Erwerbstätige anerkannt wurden : eine Pflegerin, die ihre Arbeitszeit reduzieren musste ; eine Buchhalterin, deren Behinderung wenig bekannt ist ; ein Labortechniker, der zum Mathematiklehrer umschulte und eine Pflegehelferin, die Schwierigkeiten hat, wieder eine Anstellung zu finden. Anhand dieser detaillierten Entwicklungspfade werden die drei wesentlichen Strategien zur Integration von behinderten Erwerbstätigen analysiert : Einstellungsquoten, Gleichbehandlungsgrundsätze und Maßnahmen der sozialen Sicherheit. Gleichzeitig werden die Grenzen dieser Maßnahmen anhand konkreter Beispiele vor dem Hintergrund der Anpassung des Arbeitsplatzes oder anhaltender finanzieller Schwierigkeiten gezeigt.

  • Berufliche Integration
  • Coaching
  • Arbeitsmarktpolitische Massnahmen
  • Behinderter Arbeitnehmer
  • Sozialpolitik
  • Berufliche Umschulung
    • Amrous N., Barhoumi M. et Biausque V. (2013), « L’accès à l’emploi des personnes handicapées en 2011 », Dares Analyse, vol. 66.
    • Barhoumi M. (2017), « Travailleurs handicapés : quel accès à l’emploi en 2015  ? », Dares Analyse, n° 32.
    • Barhoumi M. et Chabanon L. (2015), « Emploi et chômage des personnes handicapées », Synthèse. Stat’, vol. 17.
    • En ligneBaudot P.-Y., Borelle C. et Revillard A. (2013), « Le voyage des droits : Introduction à la traduction de Rights or quotas  ? », Terrains & travaux, vol. 23, n° 2, pp. 113-125.
    • En ligneBertrand L. (2013), « Politiques sociales du handicap et politiques d’insertion  : continuités, innovations, convergences. », Politiques sociales et familiales, vol. 111, n° 1, pp. 43-53.
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Louis Bertrand
Sociologue, chercheur, contractuel. Programme Handicaps & Société – École des Hautes Études en Sciences Sociales et Centre d’Anthropologie, Sociologie, Psychologie – Études et Recherches – Université Saint-Louis- Bruxelles. Ses travaux portent sur l’individualisation des politiques sociales, le handicap et les politiques d’insertion
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Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2021
https://doi.org/10.4000/formationemploi.9229
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