CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Que Choisir est un magazine mensuel centré sur la consommation, édité par l’UFC-Que Choisir, la plus grosse association de consommateurs française (120000 adhérents).
Le mensuel est diffusé en moyenne à plus de 500000 exemplaires payés par mois pour 450000 abonnés et de 50000 à 100000 exemplaires vendus en kiosques. Le magazine s’inscrit dans une gamme: Que Choisir Argent (quatre numéros par an, 320000 exemplaires) ; Que Choisir Santé (onze numéros par an, 48000 exemplaires, uniquement sur abonnement); Que Choisir Spécial, en fait, des guides pratiques essentiellement juridiques (quatre numéros par an, 100000 exemplaires par numéro). Enfin, le site Internet – dont une partie est en accès gratuit – compte déjà 58000 abonnés payants : www.quechoisir.org
Les lecteurs – fonctionnaires, hauts fonctionnaires, professions libérales, retraités – ont pour l’essentiel entre 45 et 65 ans (l’âge moyen de l’abonné au mensuel est de 54 ans). Parmi ce lectorat, les professeurs, autrefois très nombreux, le sont moins aujourd’hui. Le magazine compte par ailleurs environ 10000 abonnements d’entreprises.
La partie publication de l’UFC-Que Choisir représente 95% du chiffre d’affaires de la maison, approchant les 30 millions d’euros annuel. Ce chiffre d’affaires permet de faire vivre les autres composantes de l’organisme.
Le service juridique engage des actions en justice, au nom de l’UFC-Que Choisir, motivées par la défense de l’intérêt collectif des consommateurs et relit le magazine pour éviter toutes les questions de diffamation, etc. Le service technique est en charge des tests comparatifs. Une équipe gère les enquêtes de satisfaction (élaborer les questionnaires, les faire dépouiller, organiser des relevés de prix). En étroite liaison avec le conseil d’administration de l’UFC-Que Choisir, le service Développement et Communication est en fait un service de lobbyistes et le service Relations institutionnelles s’occupe des relations avec les députés, les membres du gouvernement, pour faire avancer des amendements à des textes de lois, des réglementations, etc. Au total, avec les services administratifs, l’UFCQue Choisir compte 120 personnes.

1Flux: Quels sont les liens entre le mensuel Que choisir et l’association UFC-Que Choisir?

2Arnaud De Blauwe: Ce journal a la particularité d’être édité par une association loi de 1901 de consommateurs, l’UFC-Que Choisir, avec un conseil d’administration et un bureau composés de bénévoles. On travaille avec le réseau des associations locales UFC-Que Choisir, essentiellement animées par des bénévoles. Par exemple, quand on fait une enquête sur les prix dans la grande distribution, on les mobilise pour effectuer des relevés de prix; cela nous permet de relever les prix de 1500 supermarchés ou hypermarchés, à la différence de certains journaux qui ne vont que dans l’hyper ou le supermarché du coin. Les associations locales nous donnent parfois des idées de thèmes. Ces informations ne sont pas toujours les mêmes que celles qui remontent par le courrier des lecteurs. Cela s’explique tout simplement parce que Que Choisir est lu par des CSP+, voire ++, et que le public qui s’adresse aux associations locales est complètement différent. Il est issu des classes plus populaires. Il s’agit le plus souvent de personnes en difficulté qui veulent trouver une solution. Cela peut servir pour le journal mais peut aussi être repris par le service juridique ou le service lobby. Il y a cependant quelques nuances entre les positions de l’UFC-Que choisir et le contenu de la revue. Tout simplement parce que l’approche est différente. En outre, à partir des études menées, l’UFC-Que Choisir demande et revendique. Nous, on présente ces éléments un peu différemment, on apaise un peu le côté militant et revendicatif. On donne leur position, mais souvent par le biais d’un encadré; et le papier est souvent complété par le journaliste, qui peut apporter aussi quelques nuances ou bémols. Il y a quand même la volonté d’être le plus objectif possible.

3Flux: Que choisir a mené des enquêtes sur le service public. Quelle est la méthode utilisée ?

4Arnaud De Blauwe: On publie dans certains numéros de Que Choisir des questionnaires de satisfaction concernant un secteur. On l’a fait par exemple sur la SNCF, la Poste, la police et la gendarmerie, les préfectures et les mairies pour les délais de délivrance des papiers d’identité. Ce sont des questionnaires qui rentrent bien ; on doit avoir entre 6000 et 12000 réponses, ce qui est plutôt plus que pour certaines enquêtes sur des services privés. Malgré la taille de l’échantillon, on dit bien que cela correspond aux lecteurs de Que Choisir, qui ne sont pas représentatifs de toute la population française. Cependant, les résultats sont assez proches d’enquêtes menées sur toute la population. Par exemple, les points faibles qui sont mis en avant par nos lecteurs sont souvent les points faibles des enquêtes de qualité interne des services étudiés. Et c’est la même chose pour les points forts et les points médians. Pour éviter de faire du commentaire de sondage sur plusieurs pages, le journaliste qui récupère toutes ces données mène une enquête en parallèle, va interroger les gens. Il y a aussi le courrier que l’on reçoit en grande quantité; on le garde pendant six mois et cela permet d’alimenter nos dossiers. On peut aussi donner des informations pratiques ou juridiques. On récupère toutes ces données, on les intègre ; cela vient appuyer ou au contraire tempérer, nuancer les résultats de l’enquête. Et puis, surtout, cela rend vivants les articles, parce que, notamment sur les histoires de service public, cela peut très vite devenir assez théorique, assez impersonnel.

5Flux: Quelle est la tonalité des résultats ? Arnaud De Blauwe: Tout d’abord les réactions sont très vives. On a, par exemple, énormément de courrier sur la SNCF, la Poste, les mairies. On le voit, il y a un très, très fort attachement et une très forte exigence aussi. C’est un peu « je t’aime, moi non plus ». La tentation de dire: « c’est plein de fonctionnaires qui ne foutent rien » est présente, mais l’attachement aussi. Les réponses sont paradoxales. Sur les critères particuliers – l’accueil au guichet, la rapidité de réponse, les délais d’attentes –, les résultats sont plutôt moyens. Mais quand, après, on leur demande: « Est-ce que vous êtes contents de ce service globalement? », ils répondent oui.

6Flux: Dans ces enquêtes, avez-vous des retours sur l’ouverture à la concurrence?

7Arnaud De Blauwe: C’est quelque chose que les gens, à mon avis, ne perçoivent pas encore véritablement pour eux, dans la vie quotidienne. Des services comme la Poste sont essentiellement ouverts à la concurrence pour la clientèle entreprise, la clientèle professionnelle. Et puis, l’administration, la Sécurité sociale ne sont pas ouvertes à la concurrence, même si, de plus en plus, les assurances privées ont leur rôle à jouer et qu’il y a cette complémentarité, sans jeu de mot, entre Sécu et complémentaire santé. Finalement, c’est quelque chose que les usagers ne voient pas, parce qu’ils envoient leur feuille de maladie à la Sécu et avec le système de télétransmission, c’est … la mutuelle qui vous rembourse, sans que vous n’ayez rien à faire. Donc vous voyez, pour eux, c’est encore un pôle Sécurité sociale, même s’il mixte le privé et le public.

8Flux: Mais en deçà de la concurrence, il y a des logiques marketing …

9Arnaud De Blauwe: Bien sûr! Il y a eu des drôles d’interrogations : « C’est bien d’aller nous vendre au guichet des petites voitures de la Poste pour les enfants, des cartes de téléphone et tout, mais moi ce que j’aimerais, c’est qu’on me rende le service de base ». Mais le problème, c’est que le service de base, les entreprises le font évoluer. Par exemple, la Poste remet en cause le délai de J+1. Mais dans la tête des gens, avoir le courrier tous les jours, et pratiquement du jour au lendemain, c’est un service de base. Les consommateurs subissent un peu cette évolution, mais plus rien ne les étonne. Aujourd’hui, c’est presque rentré dans les m œurs. La Poste, un jour, se mettrait à vendre des surgelés, ça les étonnerait à peine. C’est la même chose pour la SNCF. Il y a encore des gens qui nous disent: « Ah la la, c’était bien le tarif au kilomètre! »; ou qui nous disent qu’ils ne comprennent rien dans les tarifs. Mais l’adaptation du public est très forte. Ce n’est pas le concept en lui-même qu’ils remettent en cause, c’est le fait qu’ils ne comprennent souvent plus rien et qu’ils ont quelquefois le sentiment que le service de base s’éloigne. Mais cette évolution, elle a commencé maintenant depuis tellement d’années et elle se fait par si petites touches qu’ils finissent par oublier ce qu’était la Poste ou la SNCF il y a vingt ans. Ces entreprises publiques étaient figées dans des monopoles purs et durs qui sentiraient aujourd’hui un peu la poussière.

10Flux: Et en même temps, vous dites que sur cette question des tarifs, il y a un problème de compréhension.

11Arnaud De Blauwe: On est même, au-delà de la compréhension … Tout se complexifie. Les services publics, dans leurs prestations, dans leurs tarifs, dans les prestations qu’ils assurent. Prenez par exemple EDF; vous avez de plus en plus de services annexes qui sont proposés, quelquefois au forceps, c’est-à-dire selon le principe de « qui ne dit mot consent ». Sur les tarifs du gaz et de l’électricité, les consommateurs ne comprennent rien, parce qu’il y est question de consommation estimée. Ça, ça nous vaut un courrier incroyable. On leur a demandé comment ils font, ils nous ont donné l’équation. Mais nos services ici ont encore du mal à y voir clair. En revanche, pour les tarifs de la SNCF, même si c’est compliqué, les consommateurs ne veulent pas revenir au tarif unique, parce que les gens sont très demandeurs de tarifs à la carte. Une des grandes difficultés vient du fait que le tarif est complété par des options quasi obligatoires. Alors on se demande pourquoi on ne les intègre pas dans le tarif. Il y a quelque temps, on a eu le problème avec la surcharge carburant d’Air France. Entre 2004 et 2008, ça a été le pic : Air France l’a revalorisée vingt fois. Depuis, le cours a baissé. Or, on a vu la surcharge peut-être rebaisser une fois. Et là, il y a un très, très fort sentiment d’arnaque. Les compagnies low cost n’ont pas appliqué de surtaxe carburant, mais le lendemain de grosses augmentations pétrolières, elles augmentent le prix du bagage en soute, elles créent des frais supplémentaires, obligatoires ou quasi obligatoires. Donc ça revient au même. Le problème central, alors, c’est qu’il n’y a plus de juste prix. Je crois que les consommateurs sont très attachés à un prix de référence sur les grands services rendus par ces entreprises publiques. Il y a de tels écarts et de telles manipulations autour des prix, que finalement les gens ont complètement perdu la notion du juste prix. Et ça, c’est vrai que pour un service public, ils y sont quand même très attachés, parce que, justement, c’est un service public.

12Flux: Quels sont les retours dans le domaine des télécommunications où la concurrence est plus clairement établie?

13Arnaud De Blauwe: L’opérateur historique part avec un véritable avantage car il inspire confiance. À tort ou à raison, parce que les pratiques commerciales de France Télécom (Orange, désormais) ne valent quelquefois pas mieux que celles des nouveaux entrants. France Télécom adopte aussi les mêmes méthodes. Cet attachement à l’opérateur historique est en train de diminuer, mais il peut rester encore très fort, notamment auprès des populations les plus âgées. Les gens observent aussi les recompositions de l’offre. Ils se rendent compte qu’après le monopole, le secteur s’est souvent ouvert un moment puis, progressivement, on va à nouveau se retrouver avec des situations de quasi-monopole. C’est-à-dire que là où il y en avait un, il y en aura peut-être deux ou trois. Vous avez par exemple SFR qui a repris un nombre important d’opérateurs Internet et téléphoniques (Neuf Télécom, Télé2). On l’a vu aussi avec la télévision: c’était un service public qui s’est ouvert, vous aviez grosso modo TPS et Canalsat pour les offres satellite et, aujourd’hui, vous n’avez plus que Canalsat pratiquement. Les services publics n’échappent pas à la règle. Ce qui s’est ouvert a tendance à se regrouper et on évolue vers des duopoles ou des tripoles. Cette tendance est générale : pour les cosmétiques, derrière une floraison de marques, ce sont les mêmes. Et cette situation n’est pas vraiment bonne pour la concurrence: l’entente est plus facile quand il y a un duopole. Commercialement, les entreprises se marquent à la culotte. Par conséquent, la concurrence n’est pas aussi dynamique et vive que quand vous avez un grand nombre d’opérateurs effectivement sur le marché. La maison UFC-Que Choisir est très sensible à ça. Elle est pour la concurrence, mais pour une vraie concurrence saine et loyale, qui bénéficie vraiment au consommateur.

14Flux: Et l’UFC-Que choisir est intervenue sur ces ententes?

15Arnaud De Blauwe: L’UFC-Que Choisir est à l’origine d’une condamnation record des trois opérateurs de téléphonie mobile, dont un ancien service public, puisqu’il y avait France Télécom (Itineris, à l’époque). Je crois qu’ils ont eu pratiquement 600 millions d’euros d’amende pour entente. On a transmis des dossiers au Conseil de la concurrence (devenu depuis Autorité de la concurrence), qui a effectivement déclenché l’action. En plus, la DGCCRF menait l’enquête en parallèle. On avait des suspicions et on a fait des études, des comparaisons de tarifs, etc. Quand l’un bougeait, les autres suivaient. Il suffisait de reprendre un calendrier. En plus, les opérateurs se sont échangés des mails, mais ce point a pu être prouvé par la DGCCRF après avoir perquisitionné les locaux des opérateurs. Le consommateur, n’a de son côté rien touché. Et d’ailleurs, par la suite, on a essayé de mener une vraie action de groupe avant l’heure, en demandant aux lecteurs de nous envoyer leur facture. On a eu 6000 réponses. Mais c’est extrêmement compliqué d’aboutir juridiquement. En tant qu’association de consommateurs, l’UFC-Que Choisir peut se constituer partie civile dans divers dossiers. Si un consommateur fait une action civile, on peut se greffer et demander des dommages et intérêts pour l’ensemble de la collectivité des consommateurs. Mais c’est très compliqué à mettre en place. La solution la plus simple, ce serait une vraie action de groupe, mais ça, on n’est pas près de la voir en France.

Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2011
https://doi.org/10.3917/flux.084.0069
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Métropolis © Métropolis. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...