CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1S’atteler à l’éditorial d’un numéro Varia de Flux est toujours un plaisir, car il est le résultat de plusieurs mois de suivis des articles, d’échanges avec les auteur.e.s et les évaluateurs.ices, mais aussi de collation de sujets divers. S’ils partagent en commun les thématiques de la revue et vous invitent à explorer réseaux, infrastructures, territoires, mobilités, ils n’en demeurent pas moins un instantané de la diversité de la recherche en ce domaine. En témoignent les articles de ce numéro pour lequel il serait vain de chercher une unité thématique plus précise ou méthodologique, mais c’est aussi ce qui fait le dynamisme et l’intérêt de ces recherches qui explorent de nouveaux chantiers, creusent des sillons, parfois refermés ou labourés auparavant par d’autres, mais avec un nouvel outil, renouvellent l’historiographie ou s’attellent à des cas d’étude inédits. Les approches de ce numéro, tantôt plus historiques, juridiques, géographiques, voire presque ethnographiques pour certaines, invitent à se réjouir de la diversité, de la créativité, de l’originalité des lieux, espaces, temporalités, échelles, infrastructures, acteurs, flux étudiés, et ce numéro nous réjouit d’autant plus qu’il permet aussi de publier parmi eux de jeunes chercheur.e.s. Elles et ils abordent ainsi des questions vives de recherche, telles que la territorialisation des infrastructures énergétiques et leurs implications cachées (Clarence Hatton-Proulx, Nina Montes de Oca), les pratiques et trajectoires de mobilités intra et interurbaines (Laurent Cailly, Marie Huyghe et Nicolas Oppenchaim, puis Matthieu Schorung), jusqu’aux vulnérabilités des réseaux (Rhéa Eddé). Alors que le dernier numéro de 2019 s’ouvrait sur l’appel des revues en lutte, les échanges au sein du comité de rédaction sur la volonté renouvelée d’offrir aux jeunes chercheur.e.s un espace de publication accueillant est ici pleinement réalisé. Ce numéro est aussi le premier et le dernier que nous coordonnerons en duo, Jean-Baptiste Bahers étant appelé à de nouvelles fonctions éditoriales au sein de Flux. Si un nouveau binôme féminin sera formé par Carine Henriot et Valérie Schafer pour le suivi des Varia, cette source d’articles spontanés reste faite de surprises, de découvertes, d’approfondissements théorique et méthodologique, d’ouverture à des recherches inédites dont sans plus attendre il est temps de présenter celles qui composent ce numéro.

2Clarence Hatton-Proulx nous emmène au Québec, avec son article intitulé « Loin des yeux, loin du générateur : la transformation du paysage énergétique urbain de Montréal, 1890-1950 ». Attirant ainsi notre attention sur les paysages énergétiques, leurs transitions et la problématique de l’invisibilité, c’est en une approche historique, appuyée notamment utilement sur les plans d’assurance qu’il analyse comment le paysage urbain évolue. Il s’agit de documenter l’évolution de l’emprise spatiale de l’énergie en contexte résidentiel et industriel, d’interroger à la fois les « matérialités de l’énergie » et la « transition énergétique », tout en s’appuyant sur l’historiographie tant européenne qu’anglo-saxonne. C’est ainsi « à rebours des études qui considèrent l’invisibilité comme une composante invariable de l’infrastructure » qu’il analyse la présence physique de l’énergie à Montréal. Du bois et du charbon aux panneaux photovoltaïques en passant par les controverses liées aux fils et poteaux, il réussit le pari de complexifier le concept d’invisibilité tel qu’il est appliqué à l’infrastructure afin de démontrer pleinement en quoi celui-ci est « historiquement, géographiquement et socialement situé ».

3Il est également question d’infrastructure énergétique dans l’article de Nina Montes de Oca, qui interroge les « Incitations et freins au déploiement du réseau gazier résidentiel à Arequipa : une impossible massification du gaz naturel ? ». Elle étudie notamment les pratiques sociales des habitants et les stratégies locales et nationales de territorialisation des politiques énergétiques pour identifier les obstacles et les facteurs stimulant l’expansion du réseau gazier dans le sud du Pérou. C’est ainsi une géographie sociale de l’énergie qui est développée par l’auteure. Il est saillant de constater que les habitants n’ont pas vraiment bien accueilli cette nouvelle infrastructure, malgré l’arrivée du gaz à bas prix dans leurs logements, mais bien au contraire ont montré des résistances accrues, ce que vous découvrirez en lisant cet article.

4Laurent Cailly, Marie Huyghe et Nicolas Oppenchaim nous entraînent quant à eux vers « Les trajectoires mobilitaires : une notion clef pour penser et accompagner les changements de modes de déplacements ? » et si l’on retrouve la thématique de la transition énergétique, elle est de l’ordre cette fois de la transition vers des mobilités plus durables. S’inspirant de la notion de trajectoire résidentielle, les auteurs introduisent et défendent la notion de trajectoire mobilitaire, dont ils explorent les potentialités, avec à l’appui un travail de représentation graphique « schématisant l’évolution des stratégies de mobilité des individus tout au long de leur vie et les différents facteurs à l’origine de leurs changements de pratiques ». La notion se veut à la fois une invitation théorique à appréhender de manière plus complexe les pratiques de mobilité des individus « comme une succession ou une hybridation de pratiques modales, ce qui permet par exemple d’échapper à la présentation habituelle et stéréotypée de ménages ruraux et périurbains attachés frénétiquement à la voiture », mais les auteurs envisagent aussi une perspective opérationnelle, en cherchant à élaborer un outil d’aide à la réflexion pour l’élaboration des politiques de mobilité.

5En écho au précédent article, Matthieu Schorung s’intéresse aux mobilités, mais dans son cas par l’intermédiaire du train dans « Le corridor des Cascades (nord-ouest des États-Unis) : un ancrage métropolitain limité pour un service ferroviaire interurbain dynamique ». Ce corridor partagé entre transport de fret et de passagers, qui s’étend de Portland à Vancouver en passant par Seattle, est considéré comme un « modèle du genre » par les acteurs publics et privés, ce qui pousse l’auteur à en chercher les raisons. Ce qui intéressera particulièrement le lectorat de Flux, c’est la territorialisation de cette grande infrastructure et sa dimension aménagiste inaboutie au regard des gares des aires métropolitaines de Seattle et Portland.

6Dans le prolongement d’un numéro précédent de Flux (2019/4, N° 118) dédié à la thématique « Les réseaux en péril : destructions, subversions et sabotages (XIXe-XXIe siècles) », Rhéa Eddé propose quant à elle d’intéressants prolongements en s’intéressant aux vulnérabilités des réseaux, et ce, en considérant « Les entreprises à l’épreuve des cyberattaques ». Dans un entretien du numéro 118, Stéphane Bortzmeyer et Mohsen Souissi [1] avaient envisagé la question sous l’angle des noms de domaine, dans le cadre de leurs activités à l’Afnic (Association française pour le nommage internet en coopération) et livré un aperçu pédagogique et riche des vulnérabilités et risques des réseaux numériques, une typologie des cyberattaques et les réponses possibles au sein de l’Afnic et de ses partenaires. Rhéa Eddé par son approche à la croisée des sciences de la communication et du droit envisage, elle, la question en convoquant un large corpus juridique et en la mettant en relation avec les tentatives du législateur pour responsabiliser les entreprises et les règlements récents comme le RGPD. Son analyse permet d’insister sur des aspects juridiques essentiels à la compréhension des enjeux actuels, mais aussi plus largement sur les enjeux de gouvernance, de régulation et les multiples parties prenantes qui participent à l’écosystème des flux et des réseaux.

Note

  • [1]
    Bortzmeyer S., Souissi M., 2019, Cybermenaces, enjeux et sécurité, Flux, 2019/4 (N° 118), p. 59-68. DOI : 10.3917/flux1.118.0059

Articles du numéro

  • En ligneCailly L., Huyghe M., Oppenchaim N., 2020, Les trajectoires mobilitaires : une notion clef pour penser et accompagner les changements de modes de déplacements ?, Flux, 2020/3 (N° 121), p. 52-66.
  • En ligneEddé R., 2020, Les entreprises à l’épreuve des cyberattaques, Flux, 2020/3 (N° 121), p. 90-101.
  • En ligneHatton-Proulx C., 2020, Loin des yeux, loin du générateur : la transformation du paysage énergétique urbain de Montréal, 1890-1950, Flux, 2020/3 (N° 121), p. 4-28.
  • En ligneMontes de Oca N., 2020, Incitations et freins au déploiement du réseau gazier résidentiel à Arequipa : une impossible massification du gaz naturel ?, Flux, 2020/3 (N° 121), p. 29-51.
  • En ligneSchorung M., 2020, Le corridor des Cascades (nord-ouest des États-Unis) : un ancrage métropolitain limité pour un service ferroviaire interurbain dynamique, Flux, 2020/3 (N° 121), p. 67-89.
Jean-Baptiste Bahers
Valérie Schafer
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/10/2020
https://doi.org/10.3917/flux1.121.0001
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