CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’Afrique australe suscite l’intérêt des spécialistes de la géopolitique en raison de la pléthore de ses richesses minières à caractère stratégique et des longs conflits internes qui ont ravagé une grande partie des infrastructures dans les pays lusophones [1] (Angola, Mozambique). Les projecteurs de l’actualité portent un éclairage vigilant sur l’évolution de l’Afrique du Sud qui a réussi à gérer un processus délicat de démocratisation à l’occasion du transfert du pouvoir à la majorité noire au milieu des années 1990. Mais le pays de Mandela est actuellement secoué par des convulsions qui font peser sur la région des incertitudes préoccupantes. Cette phase d’interrogations caractérise également le Zimbabwe dont la descente aux enfers a provoqué la condamnation internationale de son président despotique, au pouvoir depuis 28 ans. Les commentateurs observent enfin avec une acuité particulière la période de transition des anciennes colonies portugaises enfin pacifiées, et donc ouvertes aux investisseurs étrangers pour leur reconstruction nationale. La zone méridionale de l’Afrique sub-saharienne est ainsi entrée dans une période cruciale de mutations majeures dans laquelle les acteurs, non seulement politiques et économiques, mais aussi religieux, sont appelés à jouer un rôle substantiel à la mesure des enjeux de cet eldorado africain.

Révolution de palais en Afrique du Sud

2La chute brutale de Thabo Mbeki a mis en lumière la gravité de la crise profonde qui déchire l’ANC (African National Congress), de loin la plus importante secousse depuis l’accession au pouvoir du mythique mouvement de libération noir en avril 1994. Les affrontements au sein du parti majoritaire ont culminé au congrès houleux tenu en décembre 2007 : pour la première fois, le successeur de Mandela à la tête de la République sud-africaine (RSA) a été désavoué par ses compagnons politiques et écarté de la présidence du parti majoritaire en Afrique du Sud au profit de Jacob Zuma. Le processus de règlements de compte au sein de l’ANC a abouti ensuite à l’éviction de Thabo Mbeki et son remplacement provisoire à la tête de l’Etat par un modéré, Kgalema Mothlante, le 25 septembre 2008, en attendant les élections présidentielles prévues en avril 2009.

3Cette révolution de palais a une double origine. Elle tient d’abord à un problème de personnes entre Thabo Mbeki, de l’ethnie xhosa (celle de Mandela), et Jacob Zuma, de l’ethnie zoulou (groupe majoritaire chez les Noirs, mais dont les membres sont exclus des postes de direction du pays). La deuxième raison a trait au bilan mitigé de Thabo Mbeki. Si les résultats économiques sont jugés satisfaisants par les experts internationaux, il n’en va pas de même dans le domaine social. Pendant l’apartheid, la fracture sociale se traduisait par un fossé entre la communauté noire et la communauté blanche. Quinze ans après le démantèlement de la ségrégation raciale, la fissure a changé de nature : elle existe au sein même de la société noire. D’un côté, il y a les nouveaux riches de la bourgeoisie noire qui gèrent des affaires prospères et une classe moyenne noire en pleine expansion qui consomme ; de l’autre côté subsiste toujours la masse des démunis des bidonvilles qui estiment, à juste titre, que leur situation n’a pas changé. Pour une forte majorité de Noirs, les conditions de vie ne se sont pas améliorées. Par ailleurs, une frange importante de ces miséreux est touchée par le Sida. La suppression de l’apartheid n’a profité qu’à une minorité.

4Pour le reste qui forme la foule protestataire des laissés-pour-compte, la redistribution des richesses, pourtant promise par les nouveaux dirigeants, est restée un rêve pieux constamment renvoyé aux calendes grecques. On aborde ici la question explosive de la répartition des terres dont plus de 80 % demeurent toujours la propriété de la minorité blanche (10 % de la population totale en RSA). A son arrivée à la tête de l’Etat, Mandela s’était pourtant engagé à en restituer 30 % à des familles noires. Or en 2007, seulement 3 % ont été transférées à des demandeurs impatients. Devant la montée des récriminations, l’objectif de 30 % a été maintenu, mais repoussé à 2014. Cette épée de Damoclès qui reste suspendue au-dessus des têtes des propriétaires blancs entretient une atmosphère d’inquiétude pernicieuse au sein d’une communauté, certes minoritaire, mais qui détient encore la majorité des leviers économiques du pays.

5A ces angoisses s’ajoute le fléau de la violence, qui s’exprime par un taux élevé de criminalité et un climat d’insécurité dans une bonne partie du territoire. Ce phénomène contraint les plus fortunés à organiser des systèmes de protection autour de leur demeure. A proximité des grandes propriétés agricoles, ainsi que dans les cités les plus importantes, notamment à Johannesburg, de véritables zones retranchées entourées de barbelés et surveillées par des compagnies de sécurité privées ont été érigées. Ce malaise est amplifié par les scènes affligeantes de xénophobie à l’encontre des travailleurs immigrés (le plus souvent illégaux) en provenance des Etats voisins (essentiellement du Zimbabwe) qui sont régulièrement agressés par des chômeurs inquiets de voir déferler tous ces étrangers, qu’ils accusent de prendre leur emploi.

6D’autres facteurs de déséquilibre s’ajoutent à cette violence : les échecs diplomatiques de Thabo Mbeki dans ses tentatives de médiation en Côte-d’Ivoire et au Zimbabwe. Sa destitution laisse ainsi apparaître de nombreux dossiers brûlants auxquels la nouvelle administration de l’ANC devra s’attaquer. Mais l’implosion du mouvement risque d’entraver le chantier de rénovation sociale dont le pays a absolument besoin. Or, toute onde de choc en RSA entraîne des répercussions dommageables dans le sous-continent austral, car la santé économique des pays avoisinants dépend de l’Afrique du Sud qui s’affirme comme l’incontestable puissance régionale de la zone et même bien au-delà : à elle seule, la RSA représente le tiers du PIB de l’Afrique sub-saharienne et assure 40 % de la production industrielle du continent africain. Par ailleurs, le pays des grandes contradictions a pu bénéficier dans les dernières années du xxe siècle du magnétisme extraordinaire de Nelson Mandela qui s’est imposé comme le grand fédérateur des différentes factions politiques de la nation arc-en-ciel. Mais aujourd’hui le vieux sage de l’Afrique, qui vient de célébrer son 90ème anniversaire en juillet 2008, n’est plus aux affaires.

Les chantiers des pays lusophones

7Ebranlé par quatre décennies de guerres (une lutte contre le colonisateur portugais, puis une guerre civile), l’Angola a enfin trouvé le chemin de la paix en 2002. Redevenu un pays « fréquentable », l’Etat lusophone s’est ouvert aux appétits financiers des investisseurs, en particulier chinois, russes et sud-africains, pour lancer les grands chantiers de reconstruction nationale et exploiter les forages pétroliers. Cette dynamique de remise sur pied d’un territoire dévasté concerne la restauration des principaux axes routiers et voies ferrées – dont l’artère stratégique du chemin de fer de Benguela reliant la côte atlantique aux sites miniers du Katanga et réalisée par une entreprise chinoise –, la création d’infrastructures administratives et de logements, ainsi que la fourniture de machines agricoles et d’équipements industriels. Le soutien du vaste programme de rénovation est facilité par les immenses richesses en hydrocarbures qui font dorénavant de l’Angola le premier producteur de pétrole de l’Afrique sub-saharienne et lui ont ouvert les portes de la prestigieuse OPEP en 2007. Ce formidable pactole économique est complété par la manne fournie par les gisements de minerais, en particulier de diamants, et par l’immensité des terres arables en attente d’être cultivées, mais dont l’exploitation est retardée par la présence de mines datant du dernier conflit. Les vastes opérations de déminage entreprises dans tout le territoire sont d’ailleurs menées avec des moyens conséquents (notamment par des équipes françaises). Profitant de l’envolée du prix du baril et surtout de l’augmentation considérable de ses capacités de production, l’ancienne colonie portugaise a connu une croissance vertigineuse approchant les 20 % en 2006 et 2007, de loin la plus forte du continent. Ce sursaut a permis à ce « Koweit africain » d’effacer sa dette externe et d’assainir les comptes de l’Etat.

8Mais dans ce pays en réhabilitation où tout devient possible, le décollage ne profite qu’à une minorité de nantis, en particulier aux dignitaires du régime, donc du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) qui possède le monopole des décisions et des affaires, et dont la position s’est considérablement renforcée après sa victoire militaire en 2002 sur son adversaire, l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola). C’est bien là que réside la puissance du parti au pouvoir à Luanda, car la fin de la guerre civile entre les deux mouvements ennemis n’est pas la résultante d’une négociation, mais le fait d’un succès obtenu par les armes et amplifié par la mort au combat de Jonas Savimbi, l’ancien leader de l’UNITA. La croissance spectaculaire a laissé de côté une masse de nécessiteux et n’a pas empêché la persistance de la misère pour une forte majorité de la population. La dégradation du tissu social est telle qu’au regard de l’indice de développement humain de l’ONU, l’Angola occupe la 160e place sur 177 pays ! Cet indice prend en compte l’éducation, la santé et l’espérance de vie (inférieure à 40 ans en raison des ravages de la tuberculose et du paludisme). Par ailleurs, la ruée vers l’or noir et les contrats juteux ont alimenté une mécanique de corruption massive. Cette atmosphère sidérante de dépravation a atteint son paroxysme avec le développement des trafics en tous genres et d’une diplomatie parallèle dont les ingrédients apparaissent dans le procès nébuleux de l’Angolagate sur fond de ventes d’armes. Ce scandale politico-financier hors norme implique des hautes personnalités et de nombreux pays (Angola, France, Russie, Slovaquie, Bosnie, etc.).

9L’Angola se trouve ainsi à un carrefour de paradoxes : ce pays est l’un des plus riches d’Afrique et donc l’un des plus prometteurs, mais c’est aussi l’un des plus indigents du continent, en proie à une véritable explosion sociale. C’est à la fois une puissance financière émergente (trois banques angolaises figurent parmi les dix premières banques en Afrique australe), un espace industriel en voie d’obtenir une stature régionale et une des nations du tiers-monde où les conditions de vie sont les plus délabrées. Cette contradiction est particulièrement criante à Luanda où de multiples grues témoignent de l’immense chantier de la capitale, les hôtels de luxe côtoyant les cloaques sordides dans lesquels s’entassent les oubliés de la croissance.

10Le Mozambique est également dans une phase de rebond après avoir connu les affres d’une guerre civile particulièrement meurtrière (1978-1992) qui a ruiné son économie et bouleversé la société. Mais la signature d’une paix durable par la négociation a permis le décollage du pays. Ce sursaut a été facilité par l’importance de l’assistance internationale au développement (50 % des recettes de l’Etat) et l’arrivée massive de capitaux étrangers en provenance du Brésil, de l’Inde, de l’Afrique du Sud et surtout de la Chine qui a remporté le tiers des contrats BTP et de réhabilitation des axes routiers. Entre 2000 et 2007, le PIB a progressé au rythme soutenu de 8 % par an, et l’inflation, autrefois galopante, est retombée à moins de 10 %. Ce succès incontestable et le retour à la stabilité politique font du Mozambique l’un des modèles de transition d’après-conflit les plus réussis, et un espace où tout est redevenu possible.

11Malgré cette nouvelle dynamique, le Mozambique reste une nation où une majorité de la population vit toujours dans la pauvreté, car la reprise n’a pas touché de nombreuses zones rurales. Les inégalités sociales persistent entre une élite favorisée par les caciques du pouvoir à Maputo et la majorité qui peuple les villes et surtout les campagnes. Ce constat est aggravé par le délabrement du tissu sanitaire : l’espérance de vie tourne autour de 40 ans en raison notamment des dégâts infligés par le paludisme et le sida. En outre, l’abondance des catastrophes naturelles a provoqué des milliers de victimes et des centaines de milliers de sinistrés (cyclone en février 2000, pluies torrentielles dans la vallée du Zambèze en 2007 et 2008).

12Ces calamités ont développé un grand élan de solidarité dans le pays et dans toute la zone. Cette chaîne de fraternité dans des épisodes de détresse a été dynamisée, non seulement par les organisations humanitaires, mais aussi par les Eglises, mettant ainsi en relief la force du socle spirituel qui caractérise la région.

Le poids du facteur religieux

13Dans les pays occidentaux, la religion se distingue de la philosophie qui se propose d’étudier les fondements des valeurs morales et de la pensée humaine. En Afrique, et notamment dans le sous-continent austral, cette nuance est moins nette : certains courants spirituels sont à la fois des philosophies et des religions qui se réfèrent à des vertus cardinales comme la sagesse. C’est en particulier le cas de ce que les Occidentaux appellent « animisme », mais que les spécialistes africains préfèrent qualifier de religion traditionnelle. Cette forme de spiritualisme dont les contours sont difficiles à cerner pour un esprit occidental est pratiquée d’une façon intense par les sociétés rurales qui attribuent une âme à tous les phénomènes naturels et qui cherchent à les rendre favorables par des agissements « magiques », et un culte des ancêtres très présent. Ces comportements s’expriment par des « cérémonies » où la musique coutumière, la danse et les transes transportent les individus dans une intimité avec les dieux ou les génies. Cette communication collective constitue chez les populations concernées un ciment fédérateur qui renforce la cohésion du groupe dans les moments critiques. En Afrique australe, cette pratique touche environ la moitié de la population du Mozambique, du Zimbabwe et du Botswana, ainsi que le tiers des Zoulous d’Afrique du Sud.

14Le christianisme constitue l’autre courant majeur dans la sphère religieuse. Après avoir été longtemps étouffé par les régimes marxistes en Angola et au Mozambique, ce grand mouvement confessionnel est entré dans une phase de renaissance après l’abandon des références au marxisme-léninisme par les gouvernements de Luanda et Maputo. L’implantation des religions chrétiennes s’est surtout effectuée pendant les périodes des colonisations portugaise et britannique. La propagation de cette impulsion religieuse a été facilitée par son adaptation aux environnements culturels les plus diversifiés. Les catholiques sont majoritaires en Angola (ils représentent les deux tiers de la population). Leur présence est aussi significative, mais en quantité moindre, au Mozambique, au Zimbabwe, en Tanzanie, en Zambie et au Malawi. Le message des catholiques dépasse parfois les frontières du confessionnel. Ainsi au Zimbabwe, Mgr Pius Ncube, l’archevêque de Bulawayo, la deuxième ville du pays, s’est-il fait l’apôtre non violent d’un mouvement de protestation pour lancer une « rébellion pacifiste » contre le régime de Mugabe. Avec quelques collègues sud-africains, le dignitaire catholique a fondé Solidarity Peace Trust, une organisation regroupant les religieux d’Afrique australe en lutte pour les droits de l’homme. Cependant, le grand succès des catholiques réside dans l’accord de paix signé le 4 octobre 1992 à Rome entre le FRELIMO (Front de libération du Mozambique) au pouvoir à Maputo depuis l’indépendance en 1975 et la guérilla de la RENAMO (Résistance nationale mozambicaine), mettant ainsi fin à la guerre civile qui déchirait le pays depuis 14 ans. Ce traité a pu être obtenu et appliqué durablement grâce à la médiation officielle de la communauté catholique de Sant’Egidio, proche du Vatican, et qui dispose d’antennes dans le monde entier, dont vingt au Mozambique. Cette organisation chrétienne, fondée en 1968 dans la foulée du concile Vatican II, a réussi là où les institutions internationales avaient échoué : concilier les facteurs religieux et politiques pour aboutir à une prise en considération réaliste des intérêts du pays. Ce qui semblait impossible est devenu possible par ces références spirituelles.

15Les protestants, relativement peu nombreux dans les pays lusophones (20 % en Angola), sont représentés par l’Eglise anglicane qui rassemble environ la moitié de la population en Zambie et au Zimbabwe, et une frange significative mais minoritaire au Malawi, au Botswana et en Tanzanie. En Namibie subsiste une Eglise luthérienne, l’une des réminiscences de la colonisation allemande. Dans ce chapitre des religions monothéistes, il faut aussi prendre en compte l’existence de foyers musulmans au Mozambique (environ 15 %, principalement installés sur le littoral), en Tanzanie (dans l’île de Zanzibar où la quasi totalité de la population est islamisée), et au sein de la société métisse en RSA (Malais du Cap). Le particularisme sud-africain s’enrichit également d’une communauté juive en Afrique du Sud (120 000 personnes), qui possède une réelle influence dans l’économie nationale et dans la diaspora juive internationale. Le soutien financier de la colonie juive à la cause d’Israël occupe le deuxième rang dans le monde derrière les Etats-Unis.

16Le souffle religieux le plus significatif concerne la République sud-africaine. Son étude est intéressante en raison de son extraordinaire diversité et de son influence sociale et politique. La RSA se caractérise en effet par la présence de tous les grands courants confessionnels au sein de la population [2]. Le catholicisme et les différentes composantes du protestantisme sont répandus dans les communautés noire et blanche. Le christianisme constitue ainsi un vecteur extraordinaire de communication entre les deux groupes ethniques. Cette passerelle d’échanges a joué un rôle clé dans la dynamique d’éradication de l’apartheid, grâce aux messages d’apaisement et d’amour diffusés dans les lieux de culte par les prédicateurs. Ces discours conciliants ont eu un impact très fort en raison de l’intensité du sentiment religieux qui anime la nation arc-en-ciel.

17La mosaïque religieuse est complétée par d’autres confessions qui restent limitées à des tranches de populations particulières. C’est le cas des Eglises indépendantes noires qui mélangent traditions africaines et valeurs du christianisme, et qui regroupent environ 5 millions de fidèles. La plus importante de ces congrégations reste l’Eglise chrétienne de Sion, issue du courant éthiopien qui vit le jour au xixe siècle et prêcha une idéologie basée sur une unité chrétienne panafricaine. Plus d’un siècle après son avènement, ce grand courant spirituel maintient cette ligne en entretenant un dialogue avec d’autres forces religieuses du continent qui alimentent la réflexion d’une majorité silencieuse noire. A l’intérieur même de la société blanche, la moitié de la communauté afrikaner est membre de l’Eglise réformée hollandaise (NGK), une congrégation d’obédience calviniste qui demeure la matrice des repères spirituels des Blancs non anglophones. Jusqu’à la fin des années 1980, la NGK, persuadée d’agir selon des préceptes de la volonté divine, donc sûre de son droit, avait enseigné une éthique basée sur le développement séparé des races. L’apartheid avait alors pu se développer car il reposait sur des fondements religieux. Or, à la suite d’un symposium en mars 1989, l’Eglise afrikaner a opéré un changement radical d’orientation en condamnant explicitement la ségrégation raciale et en convainquant non seulement les dirigeants blancs de l’époque de se lancer dans une politique de partage du pouvoir, mais aussi une majorité de ses adeptes d’accepter un changement de comportement à l’égard de la société noire. Après avoir été l’un des bâtisseurs de l’apartheid, la NGK en a été ainsi le fossoyeur. Là aussi, le poids de l’élément religieux a débloqué une situation qui avait mis au ban des nations le pays de la division raciale.

Le sous-continent de l’espoir

18Le bouillon de culture religieux représente un terreau d’énergie qui nourrit le dynamisme de l’Afrique australe. Cette dynamique repose sur un patrimoine minier exceptionnel qualifié de « scandale géologique ». Mais les fondements de cette réussite ont aussi trait à la créativité des citoyens. La RSA est pionnière en l’Afrique dans certains champs de la recherche : technique de transformation du charbon en carburant au complexe Sasol (exportée au Qatar, au Nigeria et en Chine), secteur nucléaire [3], domaine agricole, recherche médicale… En octobre 2008, la volonté de favoriser ce pouvoir d’inventer s’est traduite par la mise en place à Johannesburg d’une école secondaire ouverte à tous les Africains, l’ALA (African Leadership Academy), pour « former un réseau d’excellents élèves, leur offrir un enseignement de haut niveau avant de les orienter vers les meilleures universités de la planète, en tablant sur le fait que, marqués par l’ALA, ils seront les cadres de la reconstruction de l’Afrique. »

19Pour renforcer cette logique d’innovation, le pays de l’Afrique extrême met en valeur son potentiel féminin. Ce constat est confirmé par le nombre croissant de femmes chefs d’entreprises. Dans la longue liste des PDG au féminin, le nom de Wendy Luhabe incarne un bel exemple de volontarisme. Désignée comme l’une des grands leaders dans le monde de demain par le Forum économique mondial en 1997, la fondatrice de Wiphold, le premier fond d’investissements possédé par des femmes en Afrique, a aussi créé une firme de conseil en ressources humaines aux dimensions régionales, Bridging the gap (« Combler le fossé »).

20Dans le domaine de la promotion féminine, l’Afrique australe est à l’avant-garde du continent. Le rapport sur les disparités hommes/femmes publié par le Forum économique mondial en novembre 2008 place le Mozambique au premier rang sur 130 pays étudiés dans leur classement. Le Mozam-bique est le pays où l’écart entre les hommes et les femmes est le plus faible dans le domaine économique. Dans cette même étude, l’Afrique du Sud se trouve au 9e rang dans le classement politique.

21Au plan industriel, les grands groupes sud-africains irriguent les activités commerciales de tout le continent et même au-delà : De Beers (marché du diamant), Sun (hôtellerie), Naspers (communication, presse), Eskom (électricité), MTN et Vodacom (téléphonie mobile), Murray&Roberts (BTP), le tissu bancaire (les six premières banques du continent africain sont sud-africaines), etc. A cela s’ajoute le développement du pôle touristique sud-africain, où la richesse extraordinaire de la faune et de la flore des parcs nationaux attire de plus en plus de visiteurs fortunés du monde entier.

22La situation de la RSA est cependant polluée par les conséquences de la détérioration catastrophique de la conjoncture au Zimbabwe. Le président dictateur Mugabe a complètement ruiné son pays, autrefois l’un des plus prospères de l’Afrique australe. Devenue exsangue, l’ancienne Rhodésie du sud présente aujourd’hui un taux d’inflation à cinq chiffres ! De surcroît, la terreur policière contre les opposants et les actions récurrentes de pillages accomplies par des soudards à la solde d’un régime tyrannique ont alimenté les flots de réfugiés vers les Etats voisins. A la crise politique, sociale et économique s’est greffée une effroyable tragédie sanitaire, avec l’extension d’une épidémie de choléra au-delà des frontières de l’ancienne colonie britannique, dont les capacités de nuisance dans la région ont ainsi été amplifiées.

23Le désastre local provoqué par la mégalomanie de l’irascible autocrate du Zimbabwe n’a pas entamé le rayonnement de l’Afrique du Sud au sein de la SADC [4]. La Communauté de développement de l’Afrique australe constitue le grand ensemble de coopération qui dépasse le cadre régional, puisqu’elle inclut des pays de l’océan Indien et la République démocratique du Congo. La suprématie de la RSA lui confère un poids politique substantiel qui s’est concrétisé par son appartenance au G 20. L’Afrique du Sud est d’ailleurs le seul pays africain à appartenir à cette organisation internationale de règlement des crises. Avec les attentes nées des conjonctures de reprises en Angola et au Mozambique, le sous-continent du cap de Bonne-Espérance est bien celui de l’espoir, malgré la pression des incertitudes sociales et les interrogations de la crise financière mondiale qui font planer des nuages d’anxiété.

Notes

  • [1]
    Pays parlant la langue de l’ancienne colonie, le Portugal.
  • [2]
    La population de l’Afrique du Sud (47 millions d’habitants) comporte quatre groupes de population : les communautés noire (80 %), blanche (10 % répartie en Afrikaners et Anglophones), métisse (7 %) et indienne (3 %).
  • [3]
    La RSA a fait exploser sa première bombe le 22 septembre 1979 à proximité de l’île sud-africaine du Prince Edouard. Toutes les armes nucléaires ont ensuite été démantelées par le gouvernement de Klerk au moment de l’abolition de l’apartheid.
  • [4]
    La SADC (Southern Africa Development Community) rassemble 14 pays : RSA, Angola, Mozambique, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Maurice, Namibie et RDC.
Français

Résumé

Avec les attentes nées de conjonctures favorables en Angola et au Mozambique, le sous-continent du cap de Bonne-Espérance est bien celui de l’espoir. Mais les convulsions qui secouent l’Afrique du Sud et également le Zimbabwe font peser sur la région des incertitudes préoccupantes.

Michel Klen
Ancien officier, docteur en lettres et sciences humaines, auteur de l’ouvrage Le Défi sud-africain (France Europe Editions, 2005).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2009
https://doi.org/10.3917/etu.102.0164
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