CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La fin de la politique d’apartheid et le transfert du pouvoir à la majorité noire, en avril 1994, ont fait de l’Afrique du Sud un Etat de droit multiracial. Plus d’une décennie après ce virage historique qui a été négocié sans provoquer de convulsions internes, force est de constater que la cohabitation entre les communautés noire et blanche s’est plutôt bien établie. Les travaux menés par la Commission « Vérité et Réconciliation », présidée par le prix Nobel de la Paix, Mgr Desmond Tutu, ont permis d’apporter de grands éclairages sur la parenthèse controversée de la discrimination raciale. Ces avancées ont créé les conditions d’une dynamique d’accommodement et de compromis entre les différents groupes de population [1]. A ce titre, la République Sud-Africaine (RSA) s’est imposée comme un laboratoire social qui suscite l’intérêt des commentateurs.

2Mais cette contrée en mouvement, qui affiche de très bons résultats économiques, se présente également comme un pays à deux vitesses. D’une part, une nation riche possède, à bien des titres, les caractéristiques d’un Etat moderne et industrialisé ; d’autre part, un pays du tiers-monde recèle toujours de nombreuses poches de pauvreté, des disparités criantes et des fléaux préoccupants (criminalité, sida).

La nouvelle segmentation de la société : l’adret et l’ubac

3Au temps de l’apartheid, la fracture qui divisait le pays était liée à la couleur de la peau : une vaste population noire, privée de droits politiques à l’échelon national et généralement démunie, côtoyait une communauté blanche, minoritaire et privilégiée. Aujourd’hui, le phénomène de ségrégation raciale qui sévissait auparavant a certes disparu, mais il a été remplacé par un clivage de nature sociale. Un nouveau fossé existe maintenant au sein même de la communauté noire. Les deux versants de ce fossé reflètent les inégalités qui rongent le nouveau paysage humain : l’un est situé au soleil de l’espoir, l’autre est enserré dans l’ombre tenace des inquiétudes.

4Côté adret (celui exposé au soleil), on trouve d’abord une riche bourgeoisie noire, qui fait fructifier de grandes fortunes et gère des affaires juteuses. Près de dix mille nouveaux « millionnaires » (en dollars US) ont ainsi été recensés en Afrique du Sud au cours des trois dernières années, ce qui porte leur nombre à trente-sept mille depuis la fin de l’apartheid. Seules l’Australie et Singapour ont connu une envolée aussi spectaculaire dans ce domaine de l’opulence. Dans cette dynamique prometteuse, il faut aussi inclure le développement d’une classe moyenne noire qui consomme, s’endette et prend une place de plus en plus importante sur la scène économique. Cette frange diligente et résolue comprend les artisans et les petits patrons des entreprises dans les secteurs les plus variés : commerces, banques, sociétés immobilières, compagnies de transports, de taxis et de déménagements, sociétés d’assurances, hôtellerie, etc. La forte progression du pouvoir d’achat de ces nouveaux Buppies (contraction de Black Yuppies) se traduit notamment par l’essor significatif du marché de l’immobilier et des biens d’équipement (téléviseurs, chaînes hi-fi, ordinateurs et surtout habillement).

5Côté ubac (le versant de l’ombre), il reste toujours une masse de miséreux qui s’entassent dans les bidonvilles et estiment, à juste titre, que leur situation sociale ne s’est pas améliorée. Certes, ces « laissés-pour-compte » ont retrouvé leur dignité en obtenant le droit de vote, mais la persistance de leurs conditions de vie déplorables alimente les braises d’une contestation grandissante. Près de la moitié de la population noire vit encore sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec l’équivalent de moins de un dollar par jour. Ces indigents viennent grossir les bataillons de chômeurs et de délinquants qui perturbent le climat social de ce pays pétri de contradictions.

6Dans la communauté blanche, on observe également une fissure. D’un côté, il y a toujours une catégorie de gens aisés qui possèdent un pouvoir d’achat élevé ; de l’autre, on trouve de nouveaux pauvres qui ont versé dans une situation d’impécuniosité. Cette conjoncture est la résultante de la perte significative des privilèges qui a frappé l’ensemble de la population blanche après la suppression de la ségrégation raciale. Mais, à l’inverse de la communauté noire, qui compte nettement plus de pauvres et de traîne-misère que de fortunés et de citoyens au bon niveau de vie, les nantis sont encore beaucoup plus nombreux que les démunis au sein de la population blanche. Ces nouveaux Blancs nécessiteux forment dorénavant une frange de précarité spécifique à leur communauté, qui était quasiment inconnue au moment du transfert du pouvoir à la majorité noire.

7La nouvelle Afrique du Sud en marche repose ainsi sur le socle d’un paradoxe majeur : la disparition de l’apartheid a éradiqué la discrimination raciale et donné des droits égaux à tous les citoyens. Toutefois, sur le plan socio-économique, cette rupture nécessaire n’a profité qu’à la bourgeoisie et à la classe moyenne noires, dont l’importante progression de leur pouvoir d’achat les a fait rejoindre la classe des possédants, autrefois réservée aux Blancs. Le tissu social de la nation arc-en-ciel est toujours écartelé, mais d’une manière différente. A cette coupure qui déchire la société il faut ajouter les clivages ethniques qui divisent la communauté noire. Parmi ces antagonismes, il y a ceux qui opposent depuis des lustres les Xhosas (l’ethnie de Mandela, de son successeur Thabo Mbeki et des principaux dirigeants sud-africains) aux Zoulous. Ceux-ci, particulièrement fiers de leur riche passé historique et de leurs traditions guerrières, et bien que respectueux des règles démocratiques gérées par le gouvernement en place, ne reconnaissent dans leur for intérieur que leur roi Goodwill Zwelithini comme guide suprême, un souverain sans pouvoir politique mais qui possède une influence morale très forte sur le peuple zoulou. Cette aura indiscutable et son absence d’implication dans le champ politique lui confèrent un rôle discret de médiateur pour régler les conflits tribaux et ethniques. L’autorité spirituelle du monarque zoulou a finalement empêché une guerre civile ouverte avec les Xhosas après l’accession de Mandela aux responsabilités suprêmes.

La dynamique de refondation et ses paradoxes

8Tous les analystes s’accordent à reconnaître que si la majorité noire détient maintenant le pouvoir politique, notamment par le truchement du tout-puissant parti ANC (African National Congress), ce sont bien les Blancs qui maîtrisent toujours les leviers essentiels de l’économie. Au tournant de ce nouveau siècle, on peut dire que 80 % de l’économie nationale reste contrôlée par la minorité blanche. Sur ce chapitre, un constat révélateur confirme cette prédominance : moins de 5 % des capitaux enregistrés à la Bourse de Johannesburg sont détenus par des Noirs. Pour remédier à ce paradoxe, les gouvernements successifs de Nelson Mandela (1994-1999), puis de Thabo Mbeki (à partir de 1999) ont mis en place une série de mesures destinées à favoriser progressivement la promotion sociale de la communauté noire, en particulier en permettant à un nombre croissant de ses membres de parvenir aux plus hauts postes de responsabilité dans les secteurs de l’industrie et des services. La mise en application de la BEE (Black Economic Empowerment) impose ainsi une redistribution des richesses économiques et une répartition différente des ressources humaines, beaucoup plus favorable à la population noire. La firme De Beers, le géant mondial du diamant, a ouvert la voie à cette évolution en cédant le quart de ses activités au groupe Ponahalo dirigé par Mme Dipico, une figure emblématique du syndicat des mineurs NUM (National Union of Miners), et en nommant un autre Noir, David Noko, à la tête de la prestigieuse compagnie minière fondée par Oppenheimer (dans le cadre de l’Anglo American Corporation). L’initiative est historique car, jusqu’au lancement de cette refondation en faveur de la majorité ethnique, ce fleuron de l’industrie sud-africaine était demeuré un puissant bastion réservé aux seuls chefs d’entreprise et hommes d’affaires blancs.

9A L’instar de la De Beers, les sociétés étrangères établies en RSA se sont également largement ouvertes à des partenaires noirs. C’est le cas, notamment, des groupes français Total, Bouygues et surtout Lafarge. Le leader mondial des matériaux de construction a même été plus loin en octroyant non seulement 10 % de ses opérations industrielles, mais aussi 26 % de son capital sur ses activités d’extraction (soit un pourcentage total supérieur aux 15 % requis par le BEE).

10Les mentalités sont en train de changer dans le secteur économique, mais les esprits restent crispés dans d’autres domaines. Le processus de l’affirmative action semble piétiner (discrimination positive imposant le respect de quotas d’embauche en fonction des groupes ethniques sur le marché du travail). Les règles ont été bien suivies par l’administration publique, qui a recruté massivement des Noirs, mais elles restent encore largement contournées dans le secteur privé, toujours dominé par les Blancs, qui privilégient les critères de compétence technique aux paramètres à caractère social. Chez ces cadres, accrochés au marbre de leurs convictions, la méfiance persiste. Aux postes de direction on ne trouve que 10 % de Noirs.

11La métamorphose politique est pourtant bien en route. A la fin de l’année 2004, après avoir réussi une transition sans provoquer la « guerre civile » annoncée par de nombreux Cassandre, le pays s’est offert une alliance historique qui paraissait impensable quelques années auparavant : celle du parti national, le mouvement des Blancs afrikaners [2], au pouvoir sans interruption de 1948 à 1994, avec l’ANC, le parti de Mandela. Le parti afrikaner, qui a été le bâtisseur de l’apartheid en 1948, puis le fossoyeur de cette même politique de discrimination en 1994, a ainsi fait preuve de pragmatisme et d’un sens élevé de l’intérêt national, en acceptant de se fondre dans la grande formation qu’elle avait combattue hier. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition à l’ANC, est dirigée par une femme blanche, maire de la ville du Cap, Helen Zille, et compte en son sein de nombreux militants noirs. Lors de son élection à la tête de son mouvement, en mai 2007, cette ancienne journaliste a même été chaleureusement félicitée par le président de la RSA, Thabo Mbeki. Si des barrières raciales perdurent dans certains pans de la société sud-africaine, elles sont bel et bien tombées en politique. Le gouvernement noir compte d’ailleurs quelques blancs.

Le souffle confessionnel

12Cette mutation est la résultante d’un dialogue fructueux entre les différentes communautés mené par les forces de progrès. Parmi celles-ci, les énergies religieuses. La RSA possède la particularité de disposer d’un creuset humain très varié. Cette hétérogénéité se retrouve dans la mosaïque confessionnelle du pays, où pratiquement toutes les religions sont représentées. Les plus répandues sont, de loin, les mouvances protestantes avec toutes leurs composantes (anglicane, méthodiste, baptiste, calviniste…) et l’Eglise catholique. Ces deux grands courants irriguent toutes les communautés sud-africaines, où le sentiment religieux reste très fort. L’intensité de ce souffle confessionnel dans toutes les strates sociales et ethniques de la nation arc-en-ciel représente un lien précieux pour maintenir la communication entre les différents groupes de population.

13Sur ce terreau, il faut également ajouter l’Eglise chrétienne de Sion ou ZCC (Zion Christian Church), qui rassemble près de 5 millions de Noirs (et uniquement des Noirs). Malgré cette appellation, cette vaste entité spirituelle n’a rien à voir avec Israël. Elle est issue du courant éthiopien qui vit le jour au xixe siècle et affirma, en liaison avec les chrétiens coptes d’Egypte, une idéologie chrétienne dans un ensemble panafricain. Aujourd’hui encore, les fondements de cette Eglise s’appuient sur un mélange harmonieux de valeurs chrétiennes, de traditions animistes et de coutumes africaines. Cette authentique force religieuse sert de repère majeur à une couche significative de la population noire. La ZCC, qui s’est toujours opposée à la violence (sa devise permanente est : « L’humilité, jamais la guerre »), a forgé un véritable pont diplomatique et maintenu un débat constructif avec le pouvoir blanc afrikaner pendant l’apartheid, pour préparer le programme des réformes politiques. Les échanges ont notamment été menés avec l’Eglise réformée hollandaise, la NGK, l’une des composantes néo-calvinistes du protestantisme qui regroupe la moitié des Blancs afrikaners (et seulement les Afrikaners). A l’instar de la ZCC pour les Noirs, la NGK constitue la référence culturelle et spirituelle d’une masse d’Afrikaners éclairés.

14Enrichi par sa diversité, le terreau confessionnel de l’Afrique du Sud continue d’entretenir, par le biais de ses dignitaires religieux de toutes confessions et de toutes communautés, un dialogue qui passe plus facilement par ce canal informel de la spiritualité. Les messages de tolérance et d’ouverture sont notamment disséminés dans tous les groupes de population de bonne volonté, à l’occasion, d’une part des réunions menées par les grands prédicateurs de tous les courants, d’autre part des offices ouverts aux fidèles de toutes croyances. Le vivier religieux, très actif en RSA, sert de refuge, d’espace de réflexion et d’aire de contacts pour les différentes communautés. Il tente fréquemment de comprendre et de réparer un tissu social fragilisé par de nombreux dysfonctionnements.

Les grands fléaux de la société sud-africaine

15Des facteurs d’inquiétude minent en effet la société sud- africaine. Au chômage préoccupant, qui touche environ 30 % de la population et qui frappe essentiellement la communauté noire, les commentateurs retiennent deux autres fléaux perturbateurs dans la société sud-africaine. Le premier se rapporte au taux élevé de criminalité, qui entretient un climat d’insécurité dans certains quartiers des grandes villes et dans les campagnes : en 2006, plus de dix-huit mille meurtres ont été enregistrés dans le pays, soit une moyenne effarante de cinquante par jour ! Les cibles de ces forfaits sont généralement les propriétaires des riches exploitations agricoles et les habitants des demeures huppées dans les cités. Pour faire face à cette calamité, les citadins et les fermiers (Noirs comme Blancs) qui disposent de biens importants s’organisent à grands frais dans des systèmes de protection de leurs domiciles. Ces résidences sont devenues de véritables camps retranchés, entourés de clôtures infranchissables et contrôlés par des dispositifs de surveillance-vidéo de plus en plus sophistiqués. L’exemple le plus significatif est celui de la ville de Johannesburg, où des quartiers entiers sont devenus de facto interdits à la circulation en raison de l’implantation de murs de sécurité. Un nouveau phénomène de ségrégation urbaine est ainsi apparu. Ce climat de grande peur a provoqué une explosion du marché des compagnies privées de surveillance. Pour les observateurs, ce contexte anxiogène est la traduction de la révolte des déshérités contre les possédants et l’une des conséquences majeures de la fracture sociale.

16Le second fléau angoissant concerne l’expansion alarmante du sida. Le taux de contamination, qui tournait autour de 2 % en 1994, dépasse actuellement les 12 % ! Les ravages de cette terrible maladie, qui atteint surtout la population noire, ont été pris en compte tardivement par le gouvernement de Thabo Mbeki. Ce sont finalement les pressions internationales et la mort très médiatisée du fils aîné de Nelson Mandela, victime de cette affection, qui ont permis le lancement d’un programme de grande ampleur de distribution de médicaments antirétroviraux (ARV), grâce au soutien de la puissante firme sud-africaine Aspen, leader de l’industrie pharmaceutique sur le continent, et de la fondation Clinton. Il est vrai que, si le développement de l’épidémie n’est pas enrayé, l’espérance de vie de la communauté noire pourrait reculer de plusieurs années d’ici 2015. Cette tragédie sanitaire est d’abord le fait de la politique permissive de prostitution, tolérée sur les sites d’exploitation minière où s’entassent des groupes de population de diverses provenances géographiques. Cette tolérance vise à maintenir sur place des ouvriers qui ne rentrent généralement qu’une seule fois par an dans leur famille. La propagation du sida s’explique également par la persistance de comportements traditionnels se référant à des croyances solidement ancrées dans la conscience collective. Parmi celles-ci : le refus de tout objet de protection lors des rapports sexuels, et les pratiques rituelles basées sur les scarifications coutumières.

17A ces deux facteurs de déséquilibre il faut ajouter le problème épineux de la répartition des terres, qui constitue une véritable bombe à retardement pour le pays. Plus d’une décennie après l’accession de la majorité noire au pouvoir, 84 % des terres appartiennent toujours à la minorité blanche. En 1994, le président Mandela avait promis, dans un premier temps, d’en restituer 30 % à des familles noires. Or, en 2007, seulement 3 % des terres ont été transférées aux nouveaux demandeurs. Devant la montée de la contestation, le gouvernement de Thabo Mbeki a maintenu l’objectif de distribution à 30 %, mais en le repoussant à 2014.

18Il est vrai que la résolution de la question agraire demeure extrêmement compliquée et risquée, car les protagonistes restent figés sur deux logiques contradictoires. D’un côté, la majorité noire estime qu’elle subit encore les effets iniques du Native Land Act de 1913, qui ne lui avait attribué que 13 % des surfaces cultivables ; de l’autre, la tribu blanche afrikaner reste fermement convaincue d’être propriétaire de terres qu’elle a mises en valeur depuis l’arrivée de ses ancêtres au milieu du xviie siècle, les colons « Boers », qui ont forgé la puissance agricole de l’Afrique du Sud. Ce sont ces fondements historiques qui expliquent l’attachement très fort des Afrikaners à la notion de terre, un principe qu’ils jugent sacré et non négociable. Par ailleurs, cette frange conservatrice reste taraudée par l’exemple troublant du Zimbabwe voisin, qui, en violation flagrante des accords de Lancaster House (1980) signés au moment de l’indépendance de la Rhodésie, n’a pas hésité à expulser, à partir du début des années 2000, les quelques milliers de propriétaires blancs. Au vu de ces données, on voit bien que la paix sociale entre les deux principales communautés de la RSA dépend de la façon dont sera traitée cette controverse obsédante dont le feu couve dangereusement sous les cendres de l’inquiétude.

19L’autre problématique qui agite les esprits a trait au développement du mercenariat. Sur la plupart des théâtres de guerre, la présence de soldats de fortune, rémunérés par des compagnies privées, constitue un nouveau phénomène, qui a aussi ouvert un champ économique très large. Ces « salariés du baroud », véritables combattants privés à la solde de multinationales, sont actuellement en service sur les points chauds du globe les plus agités, en particulier en Iraq, en Afghanistan et en Afrique (Sierra-Leone, Côte-d’Ivoire, République démocratique du Congo). Or, une très forte proportion de ces mercenaires sont des Blancs de la RSA, des anciens militaires de l’armée sud-africaine qui ont quitté l’institution de défense au moment de l’arrivée au pouvoir de la majorité noire. Ainsi, sur les vingt mille mercenaires en Iraq, cinq mille seraient d’origine sud-africaine. Le gouvernement de Pretoria a bien promulgué, en 1998, une loi visant à interdire l’emploi des mercenaires, le Foreign Military Assistance Act, mais son application est restée lettre morte. La privatisation de la guerre soulève des problèmes d’éthique, car la motivation du soldat d’Etat n’a rien à voir avec celle du soldat de fortune : elle relève de valeurs inhérentes au patriotisme, au sens du devoir et au désintéressement ; en aucun cas elle n’est dictée par une mécanique de profit et d’intérêt. Ce phénomène inquiétant de sous-traitance des conflits armés, qui puise essentiellement ses ressources dans le terreau sud-africain, alimente le trouble dans une société qui s’interroge.

Quarantièmes rugissants, ou cap de Bonne-Espérance ?

20Le paysage social de l’Afrique du Sud comporte de nombreuses ombres, qui ternissent un tableau marqué par les inégalités, source de violences, et les grandes inquiétudes relatives à la nouvelle répartition des richesses. Si l’on s’appuie sur le symbole des quarantièmes rugissants (roaring forties), du nom de ces vents dévastateurs qui soufflent au quarantième degré de latitude-sud à quelques dizaines de milles nautiques de la RSA, la nation arc-en-ciel reste menacée par des turbulences.

21Mais l’Afrique du Sud demeure aussi le pays du cap de Bonne-Espérance. L’environnement de la société sud-africaine présente en effet des lueurs d’espoir, qui s’expriment dans une économie performante : la croissance tourne autour de 5 % depuis plusieurs années ; les investisseurs n’hésitent pas à se lancer dans des projets ambitieux (General Motors, Toyota, Nissan et Ford pour l’industrie automobile, le Britannique Barclays dans le secteur bancaire…) ; les grands groupes sud-africains rayonnent sur tout le continent, et même au delà (Sun pour l’hôtellerie, Murray & Roberts pour le BTP, MTN et Vodacom pour la téléphonie mobile, Eskom, le géant de l’électricité, De Beers, le leader mondial du marché du diamant, Naspers pour les médias, SAB Miller pour les brasseries, etc.) ; les compagnies minières gèrent un marché stratégique très lucratif (Anglo Gold, Harmony Gold…) et certains secteurs sont en pleine expansion, comme le vignoble et surtout le tourisme, qui repose, notamment, sur une étonnante richesse de parcs nationaux.

22Au total, l’Afrique du Sud est la grande puissance régionale du continent. A moyen terme, elle va être l’objet de tous les regards de la planète à l’occasion de l’organisation de la coupe du monde de football qui lui a été confiée pour 2010. Cet événement extraordinaire, le premier du genre en Afrique, a induit un programme gigantesque de construction d’infrastructures et de rénovation des équipements. Ce rendez-vous magistral doit donner une impulsion supplémentaire au bateau « Afrique du Sud » pour continuer sa route vers le Cap au nom prédestiné.

Notes

  • [1]
    Sur les 45 millions d’habitants, les géographes distinguent quatre groupes de population : les Noirs (80 %), les Blancs (10 %), les Métis (7 %) et les Indiens (3 %).
  • [2]
    La communauté blanche se compose, d’une part des Afrikaners (60 %) descendants des colons hollandais et des Huguenots protestants, d’autre part des Anglophones (40 %).
Français

Résumé

La République Sud-Africaine est un pays à deux vitesses : une nation riche, avec les caractéristiques d’un Etat moderne et industrialisé ; une contrée du tiers monde, qui recèle de nombreuses poches de pauvreté, des disparités criantes et des fléaux préoccupants (criminalité, sida).

Michel Klen
Ancien officier. Docteur en lettres et sciences humaines.
Auteur de l’ouvrage Le Défi sud-africain, France-Europe Editions
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/08/2007
https://doi.org/10.3917/etu.073.0167
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