CAIRN.INFO : Matières à réflexion
linkThis article is available in English on Cairn International

1En suivant les traces de Colette Pétonnet [2002], qui considérait les bidonvilles comme d’authentiques formes d’habitat, je voudrais saisir l’espace haussmannien dans sa dimension d’établissement humain ordinaire, comparable à d’autres catégories d’habitat, historiques ou contemporaines. L’immeuble haussmannien présente les quelques traits idéal-typiques suivants : il s’agit d’un habitat collectif urbain de dimension relativement modeste, répandu à Paris et dans de nombreuses villes françaises et étrangères, au cours de la seconde moitié du xixe siècle. Il fut conçu à l’origine comme maison de rapport, destinée principalement aux locataires des couches moyennes ou supérieures. Enfin, il renvoie aux impératifs matériels et techniques, aux normes de confort et aux structures sociales d’une époque déjà lointaine. Un siècle et demi plus tard, il est toujours présent dans nos villes. Seulement ses propriétaires, ses occupants et la société à laquelle ils appartiennent ont changé...

2Que devient l’espace haussmannien dans le Paris contemporain ? Telle est la question simple que pose cet article, qui pourrait aussi se formuler de manière plus générale : que devient l’habitat humain dans le temps long ? Je m’appuierai, pour suggérer quelques pistes de réponses, sur une ethnographie et une histoire sociale de l’immeuble dans lequel je réside depuis vingt-cinq ans [Lepoutre, 2010]. Il s’agit d’une copropriété, située dans le 9e arrondissement parisien, à proximité de quartiers populaires, et comportant une quinzaine de logements, distribués sur six étages, dont dix appartements de 95 ou 115 m2.

3En privilégiant un mode d’exposition spatial, j’orienterai mon propos selon trois axes qui rendent compte en partie du devenir spécifique de l’habitat haussmannien. D’abord, un établissement humain est toujours un bien à durée de vie limitée. Maintenir un immeuble sur plus d’un siècle suppose à la fois un contexte global propice, un niveau socio-économique élevé des habitants et un agencement des relations favorables. Ensuite, l’immeuble haussmannien contemporain juxtapose de manière modale des ménages de catégorie, de structure et de position différentes, qui n’ont ni le même rapport à l’habitat ni les mêmes possibilités pour entretenir et aménager leur logement. Enfin, l’appartement haussmannien présente des structures spatiales anciennes, qui imposent des contraintes sur les pratiques et les relations au sein de l’habitation. Or ces contraintes forment un élément parmi d’autres du tri social des populations susceptibles d’accéder à ce genre d’habitat ou de s’y maintenir.

Toiture, façade, porte cochère et autres parties communes

4Du toit de l’immeuble, c’est-à-dire à un niveau équivalent au septième étage, la vue est imprenable, typiquement parisienne : dégagement à 360 degrés ; océan gris pâle des couvertures en zinc ; aperçu lointain sur les grands monuments de la capitale ; vision en première loge sur la basilique de Montmartre. À la fin des années 1980, les colocataires du petit appartement situé au sixième étage séjournaient souvent sur cette toiture, le soir, à la belle saison, en y accédant directement par une échelle et un puits de lumière. Le propriétaire-occupant actuel rêve de s’y faire construire une terrasse.

5La couverture des terrassons et toute la zinguerie (chéneaux, abergements) ont été rénovées en deux tranches, en 1982 et 1986, pour un coût total de 100 000 équivalents-euros. Je n’ai pas trouvé trace, dans les archives dont je dispose, de la réfection du brisis en ardoise (partie inférieure de la toiture en comble, voir document 1), mais il est probable que celui-ci ait été rénové une fois, depuis la construction de l’immeuble, car la durée de vie des ardoises dépasse rarement un siècle et celles en place sont en très bon état. L’immeuble a conservé sa couverture originelle, contrairement à l’immeuble jumeau lui faisant face, à l’entrée de l’impasse, dont la toiture a été refaite au rabais dans les années 1960, c’est-à-dire en supprimant l’œil-de-bœuf et les chiens-assis au profit de simples châssis en fonte, et en remplaçant les ardoises du brisis par du zinc.

6Le toit comporte une seule et unique antenne parabolique, permettant au gardien de capter les chaînes portugaises. L’autorisation de pose lui en a été donnée lors de l’assemblée générale des copropriétaires de 1998, à la suite d’une longue discussion, au cours de laquelle une partie des présents ont exprimé leurs craintes que le toit et peut-être ultérieurement les rambardes de balcons ne soient bientôt occupés par d’autres paraboles.

7À cette époque, la façade venait d’être intégralement ravalée, suite à une injonction de la mairie. Proposée dès le début des années 1990, cette opération avait fait l’objet de maintes réunions du conseil syndical et de trois assemblées successives, aboutissant au vote, sous l’influence discrète du syndic, d’un des quatre devis proposés, le total du ravalement s’élevant à 210 000 équivalents-euros. Le chantier commença au printemps suivant, mais les travaux entamés ne semblant pas conformes au devis, le président du conseil syndical réussit à obtenir du chef d’équipe la communication du descriptif des travaux et il put ainsi vérifier qu’il ne correspondait pas à celui voté quelques mois auparavant. Un rapport de force s’engagea alors entre la copropriété, mobilisée pour la cause, et l’entreprise de ravalement, trop visiblement alliée aux architectes et même au syndic. Les parties s’accordèrent néanmoins pour négocier à l’amiable, en présence d’un expert indépendant. Les travaux (votés) purent finalement être menés à bien, au prix d’une surveillance vigilante et incessante (le président du conseil syndical passait une partie de ses soirées sur l’échafaudage) et d’âpres discussions lors des réunions de chantier hebdomadaires.

8Entrons dans l’immeuble par la porte faussement cochère en vrai chêne massif recouvert de sa traditionnelle peinture « faux bois ». Nous accédons au vestibule qui ouvre, par une double porte vitrée, sur le hall d’entrée. L’escalier principal en chêne forme une hélice autour d’un pylône d’ascenseur vitré, flambant neuf. Sur la droite, une porte donne accès à l’escalier des caves, à l’escalier de service et à la courette. Toutes les parties communes internes ont été repeintes dans les années 2000, en deux tranches successives. Le vestibule est équipé d’un interphone depuis 1986. Le digicode de la porte cochère n’a été posé, lui, qu’en 2002, à la suite de la demande expresse d’un copropriétaire, dont la mère avait été agressée par deux jeunes lui ayant arraché son sac à main dans le vestibule. Il est vrai que l’immeuble était l’un des derniers du quartier sans dispositif de contrôle extérieur et que le gardien s’était déjà plaint du séjour ponctuel de sans-abris pendant les nuits d’hiver. L’ascenseur actuel a été installé en 1999, en remplacement de l’ancien, tombé en panne quarante ans plus tôt et jamais remis en service, car il ne répondait plus aux normes de sécurité. Cette réfection, qui a coûté un peu plus de 100 000 équivalents-euros, était à l’ordre du jour et discutée depuis une vingtaine d’années dans les assemblées successives. La transformation de la composition sociale de l’immeuble a favorisé le basculement progressif des voix exprimées, jusqu’à l’obtention de la double majorité favorable (deux tiers des personnes présentes).

figure im1
Document 1. Deux immeubles jumeaux, deux décisions de travaux différentes : sur le premier immeuble, réfection de la toiture à l’identique avec conservation du brisis en ardoise, de l’œil-de-bœuf et des chiens-assis ; sur le deuxième, réfection au rabais, avec remplacement de l’ardoise par du zinc et suppression de l’œil-de-bœuf et des chiens-assis, remplacés par des lucarnes (photos de l’auteur)

9Poursuivons notre visite en passant par le sous-sol du bâtiment. Un jour de juillet 2009, le gardien, sortant de sa cave, remarqua une fissure d’un centimètre entre un mur porteur, qui s’inclinait légèrement, et le plafond. Par acquit de conscience, il plaça un étai de fortune entre les deux murs du couloir, puis attendit le retour de vacances du président du conseil syndical pour lui montrer la fissure. Ce dernier laissa lui-même passer quelque temps, puis profita de la préparation de l’assemblée annuelle pour en avertir le syndic, qui dépêcha un architecte. Celui-ci diagnostiqua immédiatement la présence probable d’un « fontis » sous le mur en question, et préconisa un étayage d’urgence, puis un sondage du terrain sous-jacent, en attendant d’effectuer les travaux de réfection nécessaires. Un fontis est une cavité souterraine invisible, se formant progressivement du fait d’une infiltration d’eau prolongée, et pouvant provoquer, à terme, un effondrement brutal du terrain. Dans le cas qui nous occupe, il y avait une fuite d’un collecteur d’eaux usées conduisant à l’égout urbain. Ce type de canalisation étant enterré, les fuites ne se voient pas et peuvent durer des années. Elles sont fréquentes dans les immeubles centenaires. Dès la semaine suivante, le plafond de la cave était étayé par une entreprise. Quelques mois plus tard, un sondage permit de découvrir une cavité de plusieurs mètres cubes en formation, qui fut affouillée et comblée avec du béton. Puis, à la suite d’un vote en assemblée, toutes les canalisations souterraines furent changées. Le coût total du chantier s’éleva à 60 000 euros.

10Cette description de l’immeuble à travers les travaux d’entretien et d’équipement met en lumière les contraintes matérielles auxquelles les propriétaires d’un immeuble ancien ont à faire face. Toutes les décisions ne s’imposent pas avec le même degré d’urgence et de nécessité. La réfection de la toiture ou celle des canalisations usagées sont impératives, car elles mettent en péril la conservation du bâtiment ; l’installation de l’ascenseur, le ravalement ou la pose d’un interphone relèvent de l’amélioration du confort et de la sécurité, ou de considérations esthétiques et symboliques, offrant des options et des choix qui mettent en œuvre des logiques combinées, comme en témoigne par exemple cette affirmation d’une copropriétaire, lors d’une assemblée annuelle : « Nous n’avons toujours pas d’ascenseur, nous sommes l’immeuble le plus ringard du quartier ! ».

11Cette histoire des travaux et des aménagements montre également que la maintenance de l’immeuble haussmannien est le fruit d’une interaction complexe, mettant en présence au moins trois catégories d’acteurs : des propriétaires, associés en syndicat, dont les revenus, les moyens, les conceptions et les attitudes diffèrent sensiblement ; des professionnels de différents métiers (syndic, entreprises, architectes, experts, etc.) dont les intérêts peuvent éventuellement s’allier, pour tirer du marché florissant des copropriétés un maximum de bénéfices, y compris par des moyens illégaux ; des pouvoirs publics, locaux ou centraux, qui édictent et font appliquer des politiques, des lois et des réglementations.

12Depuis les années 1980, cette interaction s’est développée en France, dans des conditions et un contexte propices à la conservation des immeubles de ce type. D’une part, les politiques urbaines sont devenues plus favorables à la préservation de la ville ancienne, avec notamment toutes les opérations de réhabilitation, contrairement à celles des années 1970, qui privilégiaient les opérations de rénovation « table rase ». D’autre part, les loyers ont été libérés et les propriétaires bailleurs ont bénéficié de revenus décuplés, qu’ils ont pu réinvestir dans l’entretien et l’équipement des immeubles, ce qui s’est exactement produit dans celui que j’étudie. À partir des années 1990, à la faveur des ventes successives d’appartements, de nouveaux propriétaires-résidents, plus argentés, sont arrivés dans la copropriété. Ils ont progressivement supplanté la catégorie des anciens locataires devenus propriétaires, dont les moyens financiers étaient beaucoup plus limités.

13Ce maintien avait été nettement plus problématique dans la période antérieure, quand l’immeuble était principalement occupé par des locataires, qui acquittaient des loyers très bas, dans le cadre des lois sociales héritées de l’après-guerre. À cette époque, les propriétaires-bailleurs se contentaient d’encaisser la rente et n’assuraient qu’à peine les réparations d’urgence. De fait, l’état de l’immeuble s’est fortement dégradé entre 1945 et le début des années 1980.

14On peut ici comparer l’immeuble haussmannien avec d’autres formes d’habitat ancien, dans toutes sortes de contextes géographiques ou historiques. Dans le Shanghai d’aujourd’hui, les bulldozers travaillent à grande échelle et font disparaître des pans entiers de la ville populaire ancienne, au profit de constructions neuves, qui alimentent le boom immobilier et font tourner à plein régime la « machine de croissance » capitaliste [Hayden, 2004]. Dans les villes européennes, les grandes rénovations urbaines ont marqué le pas, après les années 1970, du moins dans les centres-villes, où les vieux immeubles ont été investis et restaurés par des ménages de classe moyenne [Chalvon-Demersay, 1998]. Cette réhabilitation non planifiée est également présente dans les villes états-uniennes de la côte est [Anderson, 1990]. De manière moins courante, les centres anciens peuvent aussi être réhabilités dans le cadre de politiques sociales originales, comme ce fut le cas, en France, pour le quartier Sain-Leu d’Amiens [Althabe, Légé et Sélim, 1984].

15Les immeubles haussmanniens en pierre de taille étaient construits pour durer. Mais la pérennité des immeubles varie aussi en fonction du contexte. En France, les grands ensembles hlm édifiés dans les années 1960 font actuellement l’objet d’un vaste programme de démolition, car la réhabilitation coûte cher et les élus, les médias et une partie de l’opinion en ont fait une plaie urbaine à éliminer du paysage. Même la durée de vie de l’habitat dit précaire peut varier. À Rio de Janeiro, certaines favelas proches du centre de la ville ont été progressivement transformées en constructions pérennes [Brochier, 2009]. Dans la banlieue parisienne, les anciens bidonvilles portugais étudiés par Colette Pétonnet ont pu se maintenir une ou deux décennies, avant que ne soit mise en œuvre la politique d’éradication des années 1970. Il n’en va pas de même aujourd’hui pour les baraquements en planches des migrants roumains, en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, qui sont vidés de leurs habitants et rasés quelques mois seulement après leur construction.

16Ces quelques exemples, à travers leur variété, nous montrent que le destin matériel des immeubles dépend en grande partie des contextes politiques. La visite des parties communes de l’immeuble a ici permis de saisir le devenir spécifique de l’habitat haussmannien dans sa dimension collective et institutionnelle, autrement dit comme espace de voisinage et comme association de copropriétaires, dans le contexte français des trois dernières décennies. Changeons maintenant d’échelle et examinons la diversité sociale et résidentielle à travers l’éventail des ménages qui occupent ces lieux.

De la cave aux chambres de bonne

17Au printemps 2010, quand les canalisations souterraines de l’immeuble ont été rénovées, l’entreprise assurant les travaux a demandé à tous les résidents de libérer les parties de caves situées en bordure des murs extérieurs du bâtiment, afin de pouvoir installer le nouveau circuit de collection des eaux usées. Au cours des semaines précédant les travaux, les habitants (ou leurs proches pour ceux qui ne pouvaient le faire) se sont donc activés dans leur cave et en ont profité pour ranger, trier, jeter. Durant cette brève période, la sociabilité de voisinage s’est ainsi déplacée de l’escalier principal… vers le sous-sol. Les caves, leur contenu et le mouvement qui les anime, comme les appartements sus-jacents, sont en partie représentatifs des habitants et de leurs modalités d’investissement de leur logement. Qui sont les résidents de cet immeuble ? Quelle importance et quels moyens accordent-ils à l’aménagement et à l’entretien de leur appartement ?

Caves nos 1-10-13

18La première cave contenait une quinzaine de cartons empilés sur le sol et un lot d’objets remisés, le tout recouvert d’une épaisse couche de poussière charbonneuse. Le propriétaire, ancien locataire installé en 1967, ancien universitaire aujourd’hui âgé de 88 ans, a perdu son épouse (ancienne documentaliste) en 2004. Il ne sort jamais de son appartement et reçoit toujours les mêmes visites : personnel de la mairie pour les repas, aide-ménagère, infirmière ; son fils passe chaque samedi. Ce dernier s’est chargé du rangement de la cave, dont il est ressorti suant et noirci, après quelques heures de corvée. La situation n’est pas très différente dans les caves 10 et 13, où les déplacements de poussière sont également très rares ! La cave 10 appartient à un célibataire de 55 ans, cadre dans un ministère, vivant avec sa mère de 84 ans, installée en 1965 comme locataire, et qui fut employée puis cadre dans un ministère. La cave 13 appartient à un célibataire de 70 ans (invalide, ancien clerc de notaire), vivant avec sa mère, installée comme propriétaire en 1963. Celle-ci, veuve d’un pharmacien à 40 ans, fut employée de bureau. Elle est décédée en 2009, à l’âge de 90 ans. Dans ces trois ménages, les ascendances sociales, les conditions sociales et les âges sont peu différents, et les capacités financières et les manières d’habiter sont assez proches, c’est-à-dire modestement bourgeoises et renvoyant au niveau de confort et d’investissement domestique d’une époque antérieure : peu de travaux d’aménagement ou d’embellissement, entretien à l’ancienne (dans un appartement, le parquet est régulièrement passé à la cireuse), faible équipement électroménager (aucun chauffage intégré, aucun lave-vaisselle, absence de lave-linge dans un cas), grande pérennité du mobilier et du décor, resté presque inchangé depuis plusieurs décennies. Dans un des appartements, un fauteuil de style Louis xiii est affublé du même petit écriteau depuis quinze ans : « Ne vous asseyez pas sur celui-là, il est cassé. »

Cave no 2

19Les travaux ont été l’occasion, dans cette cave, très remplie, d’un rangement de fond (probablement le dernier) effectué par le couple de retraités récents, propriétaires de l’appartement (lui, ancien universitaire, elle, ancienne vendeuse dans une enseigne de luxe pour enfants). Ils ont conservé une partie des objets remisés, notamment la malle, fièrement exhibée, ayant servi à transporter leurs bagages sur le paquebot France, quand ils sont partis aux États-Unis, il y a près de cinquante ans, pour le post-doctorat de l’époux. Un mur de la cave est occupé par un grand casier en fer où vieillissent des bouteilles de vin. À l’issue du rangement, ils ont abandonné, sur le trottoir, une grande quantité de vieilleries, rapidement repérées par une équipe de Roumains, qui a fait son marché en éparpillant les vêtements, la vaisselle, les bibelots, les revues, les vieux documents… Toute une vie étalée sur la chaussée ! Quand le ménage s’était installé avec ses deux enfants, en 1990, il avait fait refaire l’appartement (peinture, électricité), mais sans transformations notables. Les enfants sont partis. Le logement vieillit maintenant avec ses occupants.

Caves nos 3-4-7-8-9-11

20Toutes ces caves sont de véritables annexes des appartements, c’est-à-dire des espaces de rangement secondaires. Elles sont régulièrement visitées. Leur contenu (meubles, jouets, vélos, paires de ski, coffres de toit, cartons de vêtements, de documents, de livres, matériels divers, caisses de vin, etc.) se renouvelle rapidement, en fonction des évolutions familiales. Les appartements sont occupés par des ménages d’actifs aisés : deux avocats, un juriste et une avocate, un décorateur et une gérante de magasin de vêtements pour enfants, un universitaire et une cadre, deux cadres, un intermittent du spectacle et une cadre. Presque tous élèvent des enfants. Ils partent en vacances ou en week-end – notamment dans leur résidence secondaire, pour deux d’entre eux. Quatre ménages sont propriétaires et ont conduit d’importants travaux avec modifications du plan et réfection complète. Tous ces ménages sont nettement plus argentés, et beaucoup plus matérialistes et consuméristes que les précédents ; ils dépensent plus de temps, d’énergie et d’argent dans l’aménagement, l’amélioration et l’entretien de leur univers domestique, aussi bien pour les travaux que pour les équipements sans cesse renouvelés et améliorés. Pour ceux qui possèdent une résidence secondaire, cet investissement est double.

Cave no 14

21C’est la cave du gardien de l’immeuble, aménagée en atelier, avec établi, panneau à outils, matériaux entreposés. Le logement de fonction est fractionné : une loge de 15 m2, jouxtant le vestibule ; un appentis de 10 m2 dans la courette, avec remise, cabine de douche et wc à la turque ; deux chambres minuscules au 6e étage. La gardienne précédente était mariée à un plâtrier, atteint d’une sciatique déclarée en maladie professionnelle. Dans une cave adjacente désaffectée, ce dernier avait installé un vélo d’appartement, récupéré dans la rue, pour y faire sa demi-heure de sport quotidienne, préconisée par le rhumatologue. Les deux époux ont passé trente ans dans l’immeuble, où ils ont élevé leur fille unique, qui occupa, adolescente, une des deux chambres du 6e. Après le mariage de cette dernière, en 2007, ils sont repartis au Portugal, dans la maison qu’ils avaient achetée vingt ans auparavant. Le gardien actuel, ancien menuisier cap-verdien, a résidé dix ans dans une chambre du 6e, avant de les remplacer au rez-de-chaussée. Tous les travaux récents de rénovation de la loge et de ses annexes (hormis la réfection électrique) ont été effectués par le mari de l’ex-gardienne et le gardien actuel, la copropriété ne finançant que les fournitures. Ce genre d’arrangement est courant dans les immeubles haussmanniens gardés.

Sixième étage

22L’occupation de l’étage sous comble, prévu dans l’immeuble haussmannien d’origine pour loger les domestiques, a beaucoup évolué dans les dernières décennies. Des années 1970 aux années 1990, une partie des chambres étaient louées à bas prix, parfois sous-louées, ou même squattées, par des travailleurs pauvres immigrés, ouvriers ou employés précaires, parfois illégaux, ou marginaux. Ces habitations exiguës ne disposaient que d’équipements sommaires : mobilier de première nécessité, chauffages d’appoint, réchauds à gaz, wc et point d’eau sur le palier. Depuis une quinzaine d’années, un double mouvement s’est opéré : d’une part le rachat de chambres par des marchands de sommeil, qui les ont aménagées en studettes meublées, louées à prix d’or à des étudiants ou à des travailleurs étrangers temporaires ; d’autre part, des rachats de surfaces par deux propriétaires d’appartements contigus de l’immeuble, qui les ont intégrées à leur propre logement.

23Quels sont les éléments qui entrent ici en jeu dans le niveau d’investissement des ménages dans leur logement ? Les moyens financiers jouent un rôle premier, ainsi que le statut d’occupation. L’âge, la génération et la position dans le cycle de vie font varier les capacités, les attitudes et les besoins. Les caractéristiques biographiques et professionnelles définissent des orientations personnelles et peuvent offrir des possibilités spécifiques. Par exemple, les architectes, décorateurs et autres maîtres d’œuvre sont prédisposés par leur activité à engager des travaux importants, d’autant qu’ils ont souvent l’opportunité de faire travailler à prix réduit des entreprises qui dépendent d’eux pour l’attribution de marchés.

24Les facteurs se combinent et il ne faut oublier ni les relations ni les processus, comme le montre le cas d’un copropriétaire, intermittent du spectacle, installé comme simple concubin d’une propriétaire résidente. Bricoleur, il a commencé par « acquitter » sa participation aux frais de logement du couple en effectuant lui-même des travaux d’embellissement et d’entretien. Plus tard, il a racheté à son nom des surfaces adjacentes et a fait effectuer des transformations importantes. En parallèle, il a conduit le chantier de réfection d’un autre appartement et celui d’une résidence secondaire en province, achetée par le couple. Depuis quinze ans, voilà donc une personne qui consacre une grande partie de son temps et des fonds de son ménage à d’importants travaux d’habitation et à des opérations immobilières. Ce type d’investissement en achat et en travaux est fréquent, parmi les membres de professions offrant des revenus garantis et du temps disponible.

De la chambre sur cour au salon d’angle

25L’habitat haussmannien se caractérise aussi par la standardisation des logements et par la différenciation et la spécialisation des espaces domestiques. Il est issu du premier mouvement d’industrialisation de la construction (taille des pierres de façade, moulage des rambardes en fonte, fabrication des parquets, huisseries, etc.) qui a permis de construire en masse des immeubles empilant des appartements identiques. Il a été conçu, en son temps, pour les couches moyennes montantes, à la fois en s’inspirant du modèle des espaces hiérarchisés et spécialisés de l’habitat aristocratique antérieur et en apportant des solutions nouvelles, notamment pour la circulation et la distribution des pièces.

26Entrons dans un appartement type de l’immeuble étudié. Nous voici dans un couloir-antichambre, donnant accès à huit pièces différentes : une cuisine, un wc, un cabinet de toilette, trois chambres, une salle à manger et un salon, pièces auxquelles s’ajoutent un dressing et un autre cabinet de toilette, seulement accessibles par les chambres. Ce principe de distribution est celui qui prévaut dans la plupart des logements contemporains, depuis le xixe siècle. Or il s’agit d’une nouveauté historique. Dans les immeubles collectifs des temps antérieurs, les paliers ouvraient le plus souvent sur des pièces en enfilade, peu ou pas spécialisées, communiquant entre elles par des portes. La structure des appartements était facilement modulable, en fonction des besoins des ménages occupants. Il suffisait d’ouvrir ou de condamner les portes pour pouvoir ajuster le nombre de pièces disponibles [Zeller, 2005].

figure im2
Document 2. Spécialisation des pièces : salle à manger avec cheminée prussienne (chauffe-plat) et motifs en grappes de raisin sur la corniche de plafond. Hiérarchisation des pièces : parquets en point hongrois et en lames droites ; poignées en laiton orné et en porcelaine simple (photos de l’auteur)

27Les enfilades de pièces sont également caractéristiques des logements aristocratiques de l’Ancien Régime, à la différence près, que ceux-ci disposaient en plus d’espaces parallèles de circulation et de portes d’accès pour le personnel. Or cette structure du passé est également présente dans l’appartement haussmannien, puisque, en plus de la distribution par le couloir, les pièces communiquent entre elles par une série de portes en bordure de façade (voir document 3). Quant à la circulation des domestiques, elle était assurée par l’escalier de service de l’immeuble, qui donne accès aux chambres du 6e et aux cuisines.

28La spécialisation et la hiérarchie des pièces sont marquées symboliquement : pièces fonctionnelles sur cour, pièces de réception sur rue ; salle à manger avec cheminée prussienne et corniches de plafond à motifs en grappes de raisin ; variation de la taille des pièces, des portes, des qualités de parquet, des éléments de décor (lambris), des poignées de porte, etc., en fonction de l’importance sociale des pièces. Le vestibule d’entrée (antichambre), le salon, la salle à manger et la « chambre des maîtres » sont traités avec plus d’ostentation que les pièces du fond de l’appartement (document 3).

29Cette architecture intérieure s’impose aux habitants, à leurs pratiques et à leurs relations dans l’espace domestique. Les concepteurs d’habitations le savent bien, comme le montre l’exemple des logements sociaux des grands ensembles des années 1950, conçus avec des cuisines minuscules qui rendaient obligatoire la prise des repas dans la salle à manger, dans le but de « civiliser » les familles populaires issues des campagnes et du monde paysan. Pour autant, les habitants ne se coulent pas toujours dans le moule imposé, surtout quand plus d’un siècle s’est écoulé entre l’époque de la construction et celle de l’occupation. Deux orientations sont possibles : l’adaptation aux lieux ou la transformation des lieux.

30Dans l’immeuble étudié, j’ai observé une grande variété de l’occupation des pièces, liée à des facteurs variés : structure et taille du ménage, relations domestiques, âge, histoire de l’occupation, goûts et représentations, etc. Selon les cas, toutes les pièces spécialisées peuvent échanger leur fonction. Une salle à manger peut devenir salon, ou chambre, etc. Dans une colocation des années 1980, chacune des pièces principales était occupée par un locataire ; la cuisine (10 m2) servait donc de salle commune. Les ex-cabinets de toilette sur rue (avec fenêtre) font parfois office de chambre à coucher pour les enfants petits. Un des habitants l’occupa de cette manière, il y a cinquante ans, quand ses parents s’installèrent dans l’immeuble, comme locataires. Aujourd’hui, propriétaire et célibataire, résidant avec sa mère octogénaire, il occupe toujours cette même chambrette de 3,9 m2, qu’il n’a jamais quittée ! Son logement, situé sur la deuxième aile de l’immeuble, ne comporte que quatre pièces principales : salon, salle à manger, une chambre occupée par la mère et l’ancienne chambre de la grand-mère, restée en l’état depuis son décès, il y a une dizaine d’années.

31D’autres appartements subissent évidemment des mouvements plus fréquents. Dans un appartement voisin, un couple en est à sa troisième tentative de déménagement intérieur en trois ans, toujours à la recherche de la répartition idéale des chambres entre les parents et les deux enfants. Quant aux chambres de l’étage de service, leur usage est par définition non conventionnel et indéterminé, puisqu’elles ne remplissent plus aujourd’hui leur fonction initiale. Les ménages, selon leur taille, occupent une seule pièce servant à tout, ou plusieurs, pas nécessairement adjacentes. Les usages varient selon les besoins du moment. Certaines pièces sont sous-louées. Un placard peut servir de cuisine. Le couloir est souvent utilisé comme espace de rangement, ou de rebut. Une résidente marocaine, issue du monde rural, provoqua un soir un dégât des eaux très étendu chez un voisin du 5e étage, parce que, ne supportant plus la saleté, elle décida de laver toutes les parties communes et de rincer à seau, comme à la ferme !

32L’entretien et l’adaptation des appartements haussmanniens aux besoins des ménages d’aujourd’hui, renvoyant aux conventions sociales et culturelles de l’époque, ainsi qu’aux normes contemporaines de sécurité ou d’économie d’énergie, supposent des travaux de rénovation et de transformation considérables. La vétusté atteint progressivement l’ensemble des éléments plus que centenaires : sols (parquets et carrelages), huisseries, plomberie, chauffage, électricité, etc. Dans la conception haussmannienne, tous les espaces étaient cloisonnés : la cuisine (donnant sur l’escalier de service) était exiguë et éloignée de la salle à manger ; les chambres étaient spacieuses, mais cela réduisait potentiellement leur nombre. Dans le logement contemporain, la tendance est à l’ouverture, aux doubles livings, aux cuisines intégrées, aux chambres individuelles pour les enfants, aux doubles ou même aux triples salles de bains, sans compter les nouvelles exigences de l’isolation, de la protection contre le vol, etc.

33Au cours de la dernière décennie, cinq appartements de l’immeuble ont fait l’objet de rénovations plus ou moins complètes, avec suppression de cloisons, agrandissement ou déplacement de la cuisine, etc. Le prix des travaux peut atteindre, voire dépasser le prix au m2 des constructions neuves équivalentes. Cela élève d’autant le niveau de revenu ou de capital nécessaire pour accéder à ce type de logement. Différents moyens peuvent être mis en œuvre pour minimiser les coûts : un propriétaire décorateur faisant travailler ses entreprises affiliées ; un autre faisant, comme on l’a vu, une partie des travaux lui-même ; un autre les faisant faire par son père, entrepreneur de bâtiment à la retraite ; un autre finançant les travaux par des locations ponctuelles pour des tournages de films. Dans la période récente, néanmoins, le renouvellement des habitants témoigne d’un net embourgeoisement. Plus précisément, la composition sociale tend à se polariser, avec d’un côté des ménages aisés qui rénovent et transforment, et de l’autre des ménages « de passage » (colocataires, travailleurs étrangers, étudiants) ou de catégorie modeste (gardiens, sous-prolétaires du 6e étage).

figure im3
Document 3. Immeuble d’angle à deux ailes. Appartement de 115 m(2) avec pièces spécialisées, hiérarchisées, doublement distribuées par le couloir-vestibule et par une série de portes en bordure de façade. L’escalier de service, qui conduit au 6(e) étage, donne accès aux cuisines (plan de l’auteur).

34De cette étude d’un immeuble haussmannien parisien et de son devenir contemporain, il ressort deux constats principaux. D’une part, elle montre la complexité des configurations et des changements dans l’espace résidentiel : complexité de l’interaction permettant à l’immeuble ancien de se maintenir dans le temps, qui met en présence un collectif instable d’habitants ou de propriétaires, un ensemble de professionnels intéressés et des instances publiques définissant le cadre juridique ; complexité de l’occupation et de la composition sociale de l’immeuble, dont les habitants investissent leur logement de manière variée, en fonction de leur position et de leur carrière, de leurs aspirations et de leurs moyens ; complexité des formes d’adaptation possibles aux contraintes spatiales des logements anciens, avec les arrangements populaires (dans la loge et au 6e), les usages plus ou moins conformes, ou les travaux importants de modernisation et de transformation. D’autre part, elle montre, de manière concrète, et à travers un aspect souvent négligé, comment s’opère, à l’échelle d’une unité d’habitation, le processus d’embourgeoisement de la ville ancienne. L’augmentation des prix à la vente ou à la location, exacerbée dans le contexte de Paris, n’est pas le seul facteur du tri social des habitants. Il y a aussi le coût élevé de l’entretien de l’immeuble, et celui, encore plus onéreux, des opérations de rénovation et de transformation des appartements. Ainsi, les politiques urbaines, notamment parisiennes, qui vont dans le sens de la conservation de l’habitat dans la longue durée, politiques rencontrant l’adhésion des catégories de populations les plus attachées à la ville ancienne, contribuent-elles au renforcement de ce phénomène que les géographes, puis les sociologues ont appelé la « gentrification » [Bidou-Zachariansen, 2003].

linkThis article is available in English on Cairn International
Français

Résumé

Les établissements humains durent plus longtemps que les gens qui les occupent. Que deviennent les immeubles anciens dans le temps long ? Telle est la question à laquelle cet article tente de répondre, à travers l’étude ethnographique et historique d’un immeuble haussmannien parisien. Le traitement de cette question conduit à examiner à la fois les aspects matériels et financiers du maintien et de la transformation de l’immeuble, la variété sociale et démographique des ménages qui l’occupent, le rôle des professionnels intéressés par la gestion immobilière et l’entretien des bâtiments, et enfin le cadre juridique et politique.

Mots-clés

  • habitat
  • bourgeoisie
  • immeuble
  • logement
  • Paris
Deutsch

Wohngebäude und ihre Nutzung : Gebäude aus der Haussmann-Zeit

Zusammenfassung

Häuser sind beständiger als die Menschen die in ihnen wohnen. Was wird also aus den alten Gebäuden im Laufe der Zeit ? Auf diese Frage möchte der vorliegende Beitrag eine Antwort geben und zwar mit Hilfe einer ethnographischen und historischen Studie eines Pariser Gebäudes aus der Haussmann-Zeit. Dabei beschäftigt sich der Artikel mit unterschiedlichen Aspekten : Mit der materiellen und finanziellen Erhaltung und Veränderung des Gebäudes ; mit der sozialen und demographischen Vielfalt der unterschiedlichen Haushalte, die in ihm wohnten ; mit der Rolle geschäftlich an der Erhaltung des Gebäudes interessierter Personen sowie mit den rechtlichen und politischen Rahmenbedingungen.

Schlagwörter

  • Wohngebäude
  • Bourgeoisie
  • Gebäude
  • Gehäuse
  • Paris

Références bibliographiques

  • Althabe Gérard, Bernard Légé et Monique Sélim, 1984, Urbanisme et réhabilitation symbolique. Ivry, Boulogne, Amiens, Paris, L’Harmattan.
  • En ligneAnderson Elijah, 1990, Street Wise. Race, Class and Change in an Urban Community, Chicago, The University of Chicago Press.
  • Bidou-Zachariansen Catherine (dir.), 2003, Retours en ville, des processus de « gentrification » urbaine aux politiques de « revitalisation » des centres, Paris, Descartes et Cie.
  • En ligneBrochier Christophe, 2009, Les collégiens des favelas. Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro, Paris, Institut des Hautes Études de l’Amérique latine.
  • Chalvon-Demersay Sabine, 1998, Le triangle du xive. Des nouveaux habitants dans un vieux quartier de Paris, Paris, Éditions de la msh.
  • Hayden Dolores, 2004, A Field Guide to Sprawl, New York, Norton.
  • En ligneLepoutre David, 2010, « Histoire d’un immeuble haussmannien. Catégories d’habitants et rapports d’habitation en milieu bourgeois », Revue française de sociologie, 51, 2 : 321-358.
  • Pétonnet Colette, 2002, On est tous dans le brouillard, Paris, Éditions du cths.
  • En ligneZeller Olivier, 2005, « Espace privé, espace public et cohabitation. Lyon à l’époque moderne », in Bernard Haumont et Alain Morel (dir.), La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris, Éditions de la msh : 187-207.
David Lepoutre
Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie
idhe, umr 8533-cnrs
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
200, avenue de la République
92000 Nanterre
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/07/2012
https://doi.org/10.3917/ethn.123.0419
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...