CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Esprit – Partons de la distinction que vous reprenez de Platon entre deux types de mémoires : la mémoire comme ressouvenir qui donne accès à la connaissance (anamnèse) et la mémoire comme technique pour soutenir l’art rhétorique des sophistes (hypomnèse). Aujourd’hui, la technologie vous apparaît comme toujours plus puissante dans sa capacité à seconder la mémoire, elle étend notre mémoire à travers des objets technologiques, elle est une « mnémotechnologie ». En quoi est-ce un problème ? Le fait de se reposer sur des techniques qui viennent soutenir notre mémoire ne libère-t-il pas nos facultés mentales pour être plus créatifs, plus imaginatifs ?Bernard Stiegler – Si les technologies numériques peuvent libérer un potentiel inexploré de la mémoire par le fait de son extériorisation, elles peuvent également provoquer le contraire, c’est-à-dire bloquer les possibilités celées dans la mémoire – ce qui est plutôt le cas actuellement. La mémoire humaine est constituée par son extériorisation : c’est sa caractéristique même, et ce qu’a montré André Leroi-Gourhan, décrivant l’hominisation par ce qu’il a appelé le processus d’extériorisation. Georges Canguilhem conçoit également ainsi la vie humaine. Cependant, contrairement à ce qu’affirme Michel Serres, cette extériorisation n’est pas intrinsèquement positive – et Platon, tout aussi bien que Leroi-Gourhan et Canguilhem, présente cette extériorisation comme un problème.
L’écriture est pour Socrate une drogue, un pharmakon qu’il est de notre responsabilité de transformer en remède pour ne pas le laisser nous empoisonner, ce qui requiert une thérapeutique mnémotechnique qui ne va pas de soi…

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Quel est l’impact des nouvelles technologies sur la mémoire et sur l’attention ? Plutôt que de déplorer la « perte » de la mémoire et le risque de dispersion de la pensée induits par le numérique, mieux vaut s’attacher à reconstruire une philosophie et une politique de l’attention fondées sur ces nouveaux outils, qui prennent en compte leur dimension potentiellement toxique mais construisent également une thérapeutique de ces techniques.

Entretien avec 
Bernard Stiegler [*]
  • [*]
    Philosophe, il vient de publier Digital Studies, humanités numériques et technologies de la connaissance, Limoges, Fyp Éditions, 2014.
Propos recueillis par 
Alice Béja
Propos recueillis par 
Marc-Olivier Padis
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/01/2014
https://doi.org/10.3917/espri.1401.0066
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