CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans cet article il s’agira de réfléchir sur des processus socio-spatiaux qui sont en train de bouleverser le statut et les usages des espaces publics dans la métropole de Mexico. Notre position consiste à soutenir que l’ensemble de ces processus a donné lieu à ce que nous proposons d’appeler la ville insulaire dont la caractérisation sera faite dans la section suivante.

2Il convient de commencer par une définition préalable du concept d’espace public. À ce sujet la question du statut juridique de l’espace public mérite d’être soulignée. Il s’agit du domaine du public urbain en tant qu’ensemble d’espaces juridiquement publics, c’est-à-dire, à accès libre, qui se trouvent sous la juridiction du pouvoir public et qui sont consacrés à l’usage de tous (Sabatier, 2002). Il s’agit d’un domaine dont l’existence et le fonctionnement reposent sur la force d’un ordre réglementaire urbain (Duhau et Giglia, 2004), c’est-à-dire un ensemble de règlements formels qui suppose la codification et la réglementation des usages légitimes des espaces publics, et qui a impliqué le besoin de fixer des horaires, de séparer des fonctions et, souvent, d’interdire certains usages ou activités dans des lieux ou des horaires déterminés, soit en les confinant dans d’autres espaces ou horaires ou, tout simplement, en les éliminant. S’il existe à ce jour un nombre encore réduit d’études ayant examiné le processus de production de cet ordre réglementaire urbain, certaines d’entre elles fournissent déjà maintes évidences relatives au processus de sa construction progressive pendant la deuxième moitié du xixe et le début du xxe siècles dans les villes européennes, aux États-Unis et dans plusieurs villes latino-américains qui on suivit le même modèle (Lofland, 1973 ; Gorelik, 1998 ; Baldwin, 1999) [1].

3Ainsi, il est important de signaler qu’aux origines de l’espace public urbain tel qu’il s’est constitué depuis le xixe siècle, se trouve une question qui est restée centrale pendant longtemps mais qui doit être repensée aujourd’hui : il s’agit de la question de l’ordre, c’est-à-dire, des formes de réglementation des usages des espaces de la ville dans sa totalité. Autant dire que l’ouverture et la liberté habituellement attribuées aux espaces publics sont marquées en essence non seulement par le vivre ensemble de citoyens hétérogènes (Borja, 2004 ; Signorelli, 2004 ; Salcedo Hansen, 2002 ; Caldeira, 2000 ; Sennett, 1976) mais aussi par la question des normes communes et de l’acceptation commune des normes de la part de personnes qui peuvent n’avoir en commun que l’usage partagé des espaces urbains. La dimension normative de l’ordre urbain est constituée par l’ensemble de normes, règles et significations qui rendent possible un type de vivre ensemble orienté par des attentes relativement partagées en ce qui concerne les usages et comportements perçus comme légitimes de et dans l’espace urbain. Dans la perspective que nous adoptons ici, les éléments constitutifs d’un ordre urbain sont les suivants : la morphologie et la structure socio-spatiale de la ville ; la morphologie, le statut juridique et les modalités de gestion des espaces à usage commun, qu’il s’agisse d’espaces qui appartiennent strictement parlant au domaine public et destinés à l’usage de tous, ou tout simplement d’espaces à usage collectif ; l’ensemble de normes formelles et conventionnelles, de significations, de signaux et de dispositifs qui régulent les usages et le partage de ces espaces ; l’ensemble de savoirs tacites et de dispositions incorporées relatifs à l’espace urbain et à ses usages, qui rend concrètement possible la relation avec la ville et la relation avec autrui (des inconnus) dans la ville.

4Or, l’ordre réglementaire de la ville moderne a pris son sens dans le cadre d’un type d’organisation spatiale où la distinction entre espaces publics et espaces privés était ancrée dans le rôle accordé aux espaces et aux biens appartenant au domaine public urbain. À cet égard nous considérons que des processus de changement sont en cours, qui sont en train de bouleverser l’ensemble des éléments constitutifs de l’ordre urbain.

5En particulier, deux grandes lignes d’évolution des villes contemporaines ont fait entrer en crise, à des degrés divers, l’ordre urbain de la ville moderne. La première concerne la prolifération d’usages et de comportements qui, justement, ne répondent pas à des attentes partagées et qui suscitent donc des conflits et de l’incertitude ; comme nous le verrons plus loin, ce cas de figure est parfaitement illustré par la ville de Mexico. La seconde, dont nous nous occuperons dans la section suivante, renvoie aux formes de production et d’organisation de l’espace urbanisé qui deviennent actuellement dominantes et qui ne correspondent plus à un ordre urbain fondé sur la stabilité d’un domaine public urbain. Elles ont tendance à impliquer la prolifération d’une multiplicité d’ordres sui generis, qui se constituent en de véritables micro-ordres.

Les changements dans l’ordre urbain : l’urbanisme insulaire

6À Mexico comme dans d’autres grandes villes et jusqu’au milieu du xxe siècle, l’espace juridiquement public, tel qu’il a été défini plus haut, occupe pratiquement tout l’espace urbain, à l’exception de l’habitat et d’autres locaux à usage privé. L’usage des différents types d’espaces publics (rues, places, parcs, stations de transport collectif, etc.) et les interactions sociales qui s’y jouent ont toujours été organisés en fonction d’un ensemble basique de pratiques (achat de biens et de services, loisirs, travail, éducation) et par les modalités correspondantes de mobilité quotidienne. Comme l’a montré il y a plus d’un demi-siècle Jane Jacobs (1992), l’usage des espaces publics dépend en grande mesure de la présence et du mélange de bâtiments environnants (bureaux, magasins, ateliers, restaurants, bars, cafés, bureaux publics, services, marchés) et des activités afférentes (dont le logement). Ainsi, les formes adoptées par les liaisons existant entre des espaces privés et des espaces publics ou à usage collectif constituent un élément clef pour comprendre la nature de ces derniers et ses transformations. L’analyse des transformations de ces formes tout comme celui de la prolifération de micro-ordres permet, comme nous le verrons, de rendre largement compte de la problématique actuelle de l’espace public à Mexico.

7À ce sujet, sans doute, on peut constater une évolution des formes d’organisation des espaces urbains associée à la prédominance croissante de l’urbanisme insulaire. Cet urbanisme se présente comme une rupture par rapport aux formes précédentes de production de l’espace urbanisé. La diffusion de l’urbanisme insulaire ne se réduit pas au phénomène des quartiers résidentiels fermés. Il correspond plutôt à une tendance généralisée qui s’exprime de plusieurs manières selon l’histoire, l’évolution et la culture urbaine de chaque ville. Ainsi, l’urbanisme insulaire se manifeste aussi bien dans certains processus de rénovation urbaine, que dans la production de pôles du tertiaire de gestion et de consommation et en général dans les nouvelles formes de production de l’espace urbanisé, issues souvent de « projets urbains », qui engagent de manière plus ou moins importante le rôle du public en tant que « facilitateur » des initiatives privées, comme dans le cas de la « participation public-privé » en France.

8Dans la ville de Mexico, ces modalités ont conduit à la diffusion de types d’habitat et des formes d’implantation et de distribution spatiale des fonctions urbaines, déjà présentes depuis les années 1960, mais qui se sont érigées en modèle dominant avec l’abandon du modèle de développement industrialiste et la transition de Mexico depuis les années quatre-vingt, de métropole de l’industrialisation fordiste à métropole globalisée du tertiaire. Au Mexique, les manifestations de la ville insulaire ne se limitent pas aux nouvelles formes d’habitat adoptées par les couches aisées, mais se concrétisent de plusieurs manières, dans la capitale comme dans d’autres villes du pays. Cette ubiquité a à voir, comme c’était le cas pour le paradigme de la ville moderne, avec le fait qu’il s’agit d’un principe général d’organisation de l’urbain. Dans le modèle de l’urbanisme insulaire, la ville est conçue comme un ensemble de produits et projets qui différencient et séparent des groupes sociaux et des fonctions urbaines. On peut, dans un certain sens, considérer ce principe comme l’apogée du fonctionnalisme, mais à la différence que celui-ci concevait la séparation de chaque fonction au sein d’un plan général, comme le montre l’exemple paradigmatique de Brasilia (Holston, 1989). Par contre, l’urbanisme actuel renonce, ou plutôt ne semble pas s’intéresser à une vision d’ensemble de la ville et de son organisation spatiale.

9Dans l’urbanisme insulaire la distinction entre espaces publics et espaces privés va s’estomper tandis que vont proliférer des espaces hybrides, c’est-à-dire, des espaces privés destinés à un usage public spécialisé. La sphère publique urbaine, propre à la ville moderne, celle où s’inscrivent les espaces privés (habitation, bureaux, locaux commerciaux, etc.), laisse la place à des micro-ordres, c’est-à-dire, des espaces où les règles générales sont remplacées par des règles spécifiques. Cette évolution inclut également un ensemble de processus clairement observables dans beaucoup de villes latino-américaines – et, comme nous le verrons plus loin, particulièrement visibles dans la ville de Mexico –, caractérisés par le fait que des espaces et des biens appartenant au domaine public urbain sont soumis le plus souvent de facto et bien plus rarement de jure, à des règles obéissant aux demandes et aux intérêts de groupes spécifiques – par exemple, des voisins, des commerçants sur la voie publique, et des prestataires de différents services, dont le transport.

Les changements dans l’ordre urbain : les micro-ordres et la privatisation des espaces publics

10Le processus de spécialisation des espaces à usage public implique la substitution de l’ordre propre au domaine public par une multiplicité de micro-ordres. De façon générale, pour évoquer la constitution de ces micro-ordres, observateurs et spécialistes parlent de privatisation de l’espace public. Cependant, le terme « privatisation » englobe des phénomènes de nature variée et des significations également variables, en fonction des institutions et des biens en jeu (Starr, 1993). Dans le cas qui nous occupe ici, nous avons identifié dans la littérature spécialisée et au cours de nos propres recherches sur ce sujet, quatre acceptions ou significations générales, que nous pensons toujours associées à la conformation de micro-ordres.

11Une première acception du processus de privatisation des espaces publics renvoie à la prolifération d’espaces et d’équipements destinés à l’usage public mais ayant un statut de propriété privée, et qui sont donc soumis à des fins, des usages, et des règles de comportement définis par leurs propriétaires. Les exemples les plus emblématiques de ce type d’équipements sont les centres commerciaux et les « parcs de loisirs » ou « à thème ». L’idée de privatisation, dans ce cas, renvoie au fait qu’il s’agit d’équipements qui concentrent dans une aire, placée sous contrôle privé, des activités – faire des achats, se promener, prendre un café, assister à un spectacle, aller au cinéma, manger au restaurant – traditionnellement liées à l’usage d’espaces juridiquement publics. Bien sûr, dans cette acception il n’y a rien qui ait été « privatisé » après avoir été public. Il s’agit plutôt du fait que certains équipements privés à usage public se substituent, pour certaines pratiques, à des espaces juridiquement publics.

12Une deuxième acception de la notion de privatisation d’espaces publics concerne la fermeture, la clôture, la surveillance et le contrôle privés d’espaces juridiquement publics. Dans de nombreuses villes latino-américaines, y compris à Mexico, il est devenu assez courant de voir des organisations de voisinage fermer l’accès des rues et en contrôler l’accès, dans des aires où prévaut l’usage résidentiel. La circulation des véhicules est alors réorientée. Dans ces cas, l’argument le plus souvent invoqué est celui de la « sécurité ». On peut inclure dans cette même acception la diffusion dans les villes des États-Unis d’une multiplicité de pratiques et de dispositifs qui restreignent par exemple l’usage public des plages, étangs et lacs à l’initiative des résidents aisés dans différentes villes – Los Angeles et Long Island, par exemple (Low, 2006 : 82) – ou la fermeture et la surveillance des places et parcs publics par des entités privées (Turner, 2002 ; Low, 2006 ; Mitchell et Staeheli, 2006).

13Une troisième acception fait référence à l’appropriation ou au contrôle exercé par des groupes spécifiques sur des lieux qui, tout en restant physiquement ouverts et tout en gardant formellement leur statut public, sont soumis à des limitations dans ses usages par le public (Da Costa Gomes, 2001). Ce phénomène s’exprime selon deux modalités principales. L’une consiste à s’approprier des espaces publics pour y développer des activités économiques informelles : vendeurs ambulants, gardiens de voitures, prestataires de menus services sur la voie publique. L’autre se manifeste par l’affirmation d’identités ou tout simplement d’exclusions territoriales souvent basées sur un discours de la différence et qui se traduisent par le contrôle d’un territoire défini comme quelque chose qui est propre à quelqu’un de particulier et qui exclut autrui. Tel est le cas, entre autres, des bandes de jeunes rivalisant pour le contrôle de certains territoires ; des trafiquants qui imposent leur domination et leur loi sur les favelas de villes comme Rio de Janeiro ; des groupes religieux qui s’approprient certaines places publiques (ibid.).

14La quatrième acception correspond à la production et l’organisation, à différentes échelles, de l’espace de proximité comme espace privé, dont l’usage est restreint et réservé aux seuls résidents. Les classes moyennes et aisées se placent elles-mêmes de plus en plus à l’écart en choisissant d’habiter des enclaves fermées et en y intégrant des équipements de consommation et de loisirs à usage exclusif des résidents [2]. Le premier effet de l’habitat fermé – et aussi le plus évident – consiste à éliminer le caractère public de l’espace de proximité et de l’ensemble des biens à usage collectif. Ce fait primordial entraîne un ensemble d’effets en cascade. Tout d’abord, l’habitat fermé tend à s’isoler du milieu environnant, et cela de façon proportionnelle à sa taille. Ensuite, cette fermeture entraîne des questions d’accessibilité, déplaçant l’intérêt porté au milieu environnant ; dans la mesure où les copropriétés, les ensembles ou les quartiers résidentiels fermés créent un environnement autonome, ils peuvent se passer de l’extérieur immédiat. En troisième lieu, la gestion de d’espace de proximité devient indépendante de la gestion locale et urbaine, sauf en ce qui a trait à la liaison avec l’infrastructure générale. Enfin, l’habitat fermé brise par définition la continuité du tissu urbain et donc, des voies de circulation et cet effet s’accroît avec la taille du quartier.

La prolifération exacerbée de micro-ordres dans la ville de Mexico [3]

15La condition actuelle des espaces publics à Mexico illustre bien les sujets traités jusqu’ici et, en même temps, prouve que les débats relatifs à l’espace public moderne et à son évolution contemporaine ne devraient pas ignorer les caractéristiques propres aux différentes évolutions urbaines ni les relations historiquement établies avec l’espace public. C’est pourquoi, bien que les traits généraux du modèle que nous venons d’exposer, soient particulièrement présents à Mexico, il s’y décline aussi selon des modalités spécifiques. À ce propos, il nous semble important de souligner un ensemble de phénomènes associés aux conditions actuelles et aux processus de spécialisation et de privatisation des espaces publics dans la ville de Mexico.

16Le premier de ces phénomènes est lié à la production informelle de l’habitat qui, dans cette ville, concerne plus de la moitié de l’espace habité à l’échelle métropolitaine (Duhau et Giglia, 2008 : chap. 6). Par « production informelle de l’espace habité » nous entendons ici l’édification de maisons individuelles sur des terrains non préalablement urbanisés et où le processus de production de l’habitat se trouve de facto entre les mains de ses habitants. Pour faire aboutir ce processus, les habitants font appel non seulement à l’effort personnel et familial, mais aussi à diverses formes de mobilisation collective. Cette ville auto-construite – issue des vertigineux processus d’urbanisation non régulés [4], propres aux années d’industrialisation et d’urbanisation accélérées (années 1940 à 1980) [5] – est constituée à ce jour majoritairement par un ensemble d’espaces urbains consolidés dont personne ne conteste plus l’existence, mais qui n’ont pas été conçus à partir d’une dimension publique [6]. Cette absence de régulation a eu des répercussions sur les manières d’utiliser l’espace public et sur les interprétations relatives aux droits et prérogatives dont les particuliers jouissent ; elle permet aussi, dans une large mesure, d’expliquer pourquoi les espaces publics ne sont pas perçus comme des espaces qui appartiennent à tout le monde, dont le soin concerne tout le monde (qu’il s’agisse d’entretenir les façades des maisons ou de ne pas jeter de déchets dans la rue) et vis-à-vis desquels les autorités ont la responsabilité de prendre en charge certaines actions routinières et réglementées (élagage des arbres, entretien du câblage et de l’éclairage public, ramassage des ordures, etc.).

17Ce dernier point est directement lié à un autre phénomène qui caractérise les espaces publics de la ville de Mexico, à savoir, les conditions ostensibles de détérioration, négligence et usage abusif, non seulement des espaces publics emblématiques, ce qui est également vrai, mais d’une grande partie des espaces publics ordinaires ou banals, tels les trottoirs, les passerelles piétonnes, les espaces verts de moyenne et petite taille, dont dépendent les conditions pratiques dans lesquelles la ville est utilisée et parcourue quotidiennement. C’est que à Mexico, la gestion, le contrôle et les usages auxquels sont consacrés de nombreux espaces publics dépendent des initiatives prises par différents groupes d’habitants et des besoins issus de différentes activités, plutôt que d’une application effective et efficace de l’ordre réglementaire urbain. Autrement dit, en ce qui concerne les espaces publics, les abus des particuliers renvoient aussi à une gestion des pouvoirs publics caractérisée par une application déficiente, incertaine et contradictoire de la réglementation, ainsi que par un exercice faible ou sporadique du contrôle et de l’entretien de la part des administrations locales.

18Dans ce contexte, le troisième phénomène concerne la diffusion croissante d’espaces résidentiels clos qui sont devenus à Mexico, pour ceux qui en peuvent payer les coûts, l’une des options les plus recherchées. Caractérisés par la privatisation des espaces qui environnent le logement, leur popularité est étroitement associée aux conditions dans lesquelles les modalités traditionnelles de respect de l’ordre et du contrôle social (et plus particulièrement l’ordre et le contrôle urbains) sont perçues comme insuffisantes ou inefficaces (Low, op. cit. : 86 ; Janoschka et Glasze, op. cit.). À ceci s’ajoute le fait que la prolifération d’espaces résidentiels clos s’accompagne à Mexico de la diffusion d’une série de dispositifs et de services en vue d’épargner, à la population « automobilisée », l’usage piéton des espaces publics ouverts [7].

19Quelle importance cela peut-il avoir dans le cadre de notre discussion ? Elle tient fondamentalement au fait qu’à Mexico les formes de gestion des espaces juridiquement publics ainsi que la gestion des lieux à usage public de propriété privée, comme les différentes modalités d’habitat fermé, tendent à s’implanter au détriment de la qualité et la fonctionnalité des espaces juridiquement publics et à apparaître comme des alternatives concurrentes. Dans l’ensemble, d’une part, les usages des espaces juridiquement publics sont soumis en grande partie à une diversité d’arrangements spécifiques où prédominent l’intérêt et les règles imposées par des particuliers, suite à la négociation avec les autorités publiques ou suite à l’omission de celles-ci ; d’autre part, les espaces destinés au public ou de propriété collective tendent de plus en plus à s’organiser selon des règles propres et à s’instituer par conséquent comme des ordres séparés et sui generis.

20Ainsi, à Mexico, à la prolifération d’arrangements et de pratiques supposant peu ou prou une prise de distance par rapport à l’ordre réglementaire urbain, s’ajoute l’acceptation généralisée et la popularité accrue dont jouissent les micro-ordres privés. Comme dans beaucoup d’autres métropoles du monde, les développeurs immobiliers font la promotion de l’habitat fermé, des centres commerciaux et d’autres grands équipements et projets urbains, qui apparaissent dès lors comme des alternatives privées aux quartiers ou aux lotissements traditionnels ainsi qu’aux aires publiques où se concentrent le commerce, les activités et les entreprises. Mais à Mexico on assiste plutôt à l’imposition et la diffusion généralisées de ces formes de production et d’organisation de l’espace urbanisé, sans que soit constatée une capacité effective d’intervention des pouvoirs publics pour promouvoir des équilibres ou prévoir les impacts d’ensemble. Bien que, évidement, pour la mise en place de ces projets urbains il faille l’autorisation des autorités publiques concernées, donnée en suivant formellement les procédures et les normes applicables dans chaque cas.

21Pour comprendre les raisons de l’incontestable réussite des micro-ordres privés, il suffit d’observer le micro-ordre à l’œuvre dans les centres commerciaux. Pourquoi ces espaces de consommation sont-ils devenus à Mexico, au cours de ces dernières années, les lieux de loisir préférés par une grande partie de la population ? Il est clair que les centres commerciaux offrent un choix varié quant à l’acquisition de biens de consommation et quant aux loisirs. Mais, au-delà de cette constatation aujourd’hui banale, qu’est-ce que les usagers de ces espaces y trouvent et que ne trouvent-ils pas dans les espaces publics de la ville ?

22Le micro-ordre des centres commerciaux est caractérisé par le fait que leurs règles sont respectées de manière généralisée, sans qu’il faille même les expliciter (Capron et Sabatier, 2007 ; Cornejo Portugal, 2007 ; Sabatier, 2006). Le bon fonctionnement du micro-ordre réglementaire des centres commerciaux est davantage dû à la prédisposition favorable du public, prêt à suivre ces règles, qu’aux mécanismes existants pour éviter les infractions. À quoi tient une telle prédisposition ? Probablement au fait qu’il s’agit d’un contexte au sein duquel ceux qui s’y rendent assument implicitement la légitimité des normes d’usage et de comportement. Dans les centres commerciaux, on voit prédominer une urbanité qui est déterminante pour le respect du micro-ordre qui y règne. En contrepartie de cette urbanité, on assume que les responsables de la gestion d’un centre commercial fournissent un ensemble de conditions : propreté, ordre, libre circulation, bon accueil. C’est précisément cela qui légitime les normes qui régissent les comportements attendus dans ce type d’endroits.

23En somme, dans un contexte comme celui de la ville de Mexico, au-delà de la variété des offres de consommation ou de sécurité, ce que le public trouve dans les centres commerciaux est un haut niveau de certitude quant à la validité d’un ensemble de normes d’usages, de comportements et de gestion. Autrement dit, les centres commerciaux se caractérisent par une relative absence d’ambivalence et d’incertitude quant au respect des normes – ambivalence et incertitude qui, par contre, prévalent dans les rues de la métropole.

24C’est exactement l’inverse des attentes de ce même public, à quelques exceptions près, face aux espaces juridiquement publics officiellement sous la charge des gouvernements locaux mais gérés dans les faits en grande partie par différents groupes de particuliers, qui finissent par y imposer leurs propres normes. Ce fait peut être observé, pour ne citer que quelques exemples, dans les zones de concentration du commerce sur la voie publique, dans les points d’arrêt des microbus gérés par des concessionnaires et dans les zones où la fermeture des rues et l’accès contrôlé à celles-ci ont été imposés par des groupes de voisins ; mais cela concerne également les usages, l’état d’entretien et les caractéristiques des trottoirs, ou encore l’usage exclusif et auto-attribué que font les résidents ou les commerçants du tronçon de rue situé devant leur logis ou leur local, soit pour s’y garer, soit pour empêcher les autres de s’y garer. Dans tous ces cas, les règles imposées par les particuliers priment sur celles dictées par l’ordre urbain formel.

La logique des micro-ordres et la faiblesse de l’ordre urbain

25Ainsi, à Mexico, la production croissante d’espaces résidentiels clos, tout comme leur pouvoir d’attraction également croissant ; la généralisation du penchant pour l’usage d’espaces de consommation et de loisirs fermés et placés sous contrôle privé ; le rejet croissant des espaces ouverts et accessibles pour tous ; la multiplication des attitudes de déprédation ; et l’augmentation des usages abusifs des espaces publics constituent autant de phénomènes qui se renforcent mutuellement [8]. S’agit-il d’une évolution liée à une tendance générale à la privatisation, ou s’agit-il plutôt d’une exacerbation de cette tendance à Mexico du fait d’une constitution du domaine public urbain qui peut-être n’a pas eu la même vigueur que dans les villes européennes ?

26À ce sujet, nous pensons que la faiblesse du domaine public urbain peut être considérée comme la contrepartie (ou le corrélat) de la facilité avec laquelle les micro-ordres prolifèrent dans la ville, aussi bien en ce qui concerne les usages et l’exploitation des espaces publics au profit de groupes spécifiques, qu’en ce qui concerne la production généralisée de micro-ordres fondés sur la propriété privée. Nous croyons que la remarquable prolifération de ces micro-ordres est liée à une configuration spécifique du domaine public. Dans le cas de Mexico (tout comme dans celui d’autres villes du pays), cela se traduit par un ordre urbain qui, au lieu de répondre à un ensemble plus ou moins articulé de normes applicables de manière générale, résulte plutôt de l’agrégation de logiques juxtaposées, d’omissions réglementaires et de domaines où l’autorité publique agit de manière plutôt arbitraire. Dans son ensemble, la logique de production et d’application de l’ordre réglementaire urbain est fondée sur de larges marges laissées au pouvoir discrétionnaire en matière de prises de décisions de la part des autorités et lors de l’exercice de l’administration publique. Comment expliquer autrement le fait qu’un phénomène aussi massif et omniprésent que le commerce sur la voie publique ne soit pas soumis à Mexico à un ensemble cohérent de normes à validité générale ? Il s’agit là d’une omission remarquable, parmi tant d’autres, dans l’ordre réglementaire urbain [9]. Bien sûr, on n’ignore pas le fait qu’à côté des normes qui régulent officiellement les usages des espaces urbains et les comportements dans ces espaces, il y a toujours eu et partout des arrangements pratiques faute desquels aucune norme réglementaire ne suffirait pour faire fonctionner n’importe quel ordre urbain. Par ailleurs, de nombreux secteurs de la gestion urbaine, qu’ils soient ou non réglementés (et, très souvent, ils ne le sont pas), sont soumis à des arrangements verbaux ou écrits, mais conçus ad hoc, entre les autorités et des groupes d’intérêt organisés. Tel est le cas justement du commerce sur la voie publique et des modalités du service de transport en commun gérés par des concessionnaires [10]. En ce qui concerne ces sujets, les actions de l’autorité publique semblent être davantage orientées par le souci de mettre en place des « programmes de régularisation » – qui apparaissent presque toujours comme des solutions face à l’urgence opérant comme autant de mécanismes qui indéfectiblement finissent par stimuler la reproduction de pratiques irrégulières ou illégales –, plutôt que par celui de produire des règlements à caractère général pour la gestion ordinaire et quotidienne de ces secteurs essentiels de la vie urbaine. Lorsqu’il existe une réglementation de base, constitutive de l’ordre urbain, tels le code métropolitain de la route ou la loi de culture civique du District fédéral – cette dernière définissant, entre autres, les comportements à sanctionner quant aux usages des espaces publics –, ces règlements généraux sont appliqués de manière sporadique ou sélective ou, après avoir fait l’objet de vifs débats et d’une application spectaculaire pendant une courte période, ils restent tout simplement lettre morte.

27Ces quelques exemples permettent de souligner une idée fondamentale : ce qui manque à Mexico, c’est un ordre urbain d’application et d’acceptation générale qui soit véritablement en vigueur ; par conséquent, la ville est régie par un ensemble de micro-ordres ou, à défaut, par la négociation ou l’application discrétionnaire des normes formellement en vigueur. De sorte que la gestion des espaces juridiquement publics n’est pas fondée sur des règles clairement définies – relatives aux formes de partage des espaces et des biens appartenant au domaine public –, mais plutôt sur une multitude d’arrangements spécifiques qui sont toujours précaires et restent négociables en permanence. Cette situation tend à faire de l’incertitude un trait omniprésent de l’expérience urbaine. Cela explique la fonctionnalité des micro-ordres, en tant que domaines où prévaut une relative certitude, dont la vigueur dépend à son tour soit d’arrangements ou de pactes avec les représentants de l’ordre formel, soit de droits dérivés de la propriété privée.

En guise de conclusion : insularité, (dés)ordre et incertitude dans les métropoles contemporaines

28Dans des métropoles comme Mexico, la prolifération de micro-ordres informels vient s’ajouter aux micro-ordres issus de la convergence de l’automobilisation et de l’urbanisme insulaire. Une telle prolifération rend manifeste que l’efficience de la gestion du domaine public urbain selon les présupposés propres à l’espace public moderne ne peut pas aujourd’hui être tenue pour acquise. Certes, à Mexico, la prolifération de micro-ordres présente des caractéristiques exacerbées ; mais, presque partout ailleurs, la gestion du domaine public urbain est également devenue problématique. Cela est dû, d’une part, comme nous l’avons montré, au fait qu’une partie croissante des espaces à usage public ne font plus partie, à des degrés divers, du domaine public urbain caractéristique de la ville moderne. D’autre part, la gestion de ce domaine doit faire face à des conditions et des problèmes différents de ceux qui ont caractérisé cette ville-là. Ces nouvelles conditions peuvent être résumées comme suit.

29À partir des années 1970, on assiste au déclin de l’ordre social caractéristique de la métropolisation fordiste, laquelle avait par ailleurs commencé à transformer l’organisation spatiale de la ville moderne depuis les années 1930-1940. Ce déclin a impliqué une transformation des structures sociales propres aux sociétés industrielles ou en cours d’industrialisation, bouleversant ainsi en profondeur le rôle de l’incorporation au monde du travail dans l’intégration sociale. D’une part, cela a recréé la problématique de la désaffiliation sociale (Castel, 1995) dans les sociétés développées ; de l’autre, dans les pays en voie de développement, cela a inversé le processus d’affiliation croissante par le biais de la salarisation formelle de la population active. Dans ces derniers, la contrepartie de ce processus d’inversion est l’explosion des activités économiques informelles, dans le meilleur des cas ; ou leur articulation et leur soumission à la délinquance organisée, dans le pire des cas (Portes et Roberts, 2005). Si l’on y ajoute le fait que les villes et en particulier les grandes villes du monde développé sont devenues durant les dernières décennies des réalités multiculturelles, le scénario urbain contemporain apparaît aujourd’hui marqué par un malaise ou à tout le moins par une inquiétude généralisée face aux « menaces » potentielles que représente justement la rencontre dans les espaces publics avec d’autres inconnus et différents, et leur présence dans ces lieux. Peu importe qu’il s’agisse de menaces ou d’inconvénients réels ou imaginaires, car leurs effets tendent à être les mêmes ou en tout cas semblables. Citons, entre autres, à des degrés bien entendu divers : diffusion de l’imaginaire de l’insécurité ; demande auprès des pouvoirs publics pour renforcer les dispositifs de surveillance et de répression ; mise en place par les pouvoirs publics et par les administrateurs privés de bâtiments et de lieux à usage public de dispositifs de surveillance et filtrage sophistiqués ; prolifération de dispositifs de sécurité dans les zones d’habitat, depuis les codes d’accès aux domiciles jusqu’aux urbanisations entourées de murailles et dotées de surveillance privée, en passant par les grilles et les blindages ; évitement des espaces et des transports publics.

30Durant les dernières décennies, la prédominance de l’urbanisme insulaire a donné lieu à une configuration physique et spatiale des espaces urbains métropolitains dont la lisibilité devient problématique, car les pratiques urbaines ne s’articulent plus ou s’articulent de moins en moins en fonction d’un centre ou d’une centralité métropolitaine, ou d’une hiérarchie de centralités organisées à partir de ce centre, qui auraient pu opérer comme des référents urbains communs. Parallèlement, les dispositifs et les artefacts urbains destinés à organiser la circulation et l’usage partagé des espaces appartenant au domaine public urbain ont été adaptés de plus en plus à l’automobilisation, généralement au détriment de l’usage piéton de la ville et de la continuité du tissu urbain. Cela a transformé de manière radicale les pratiques généralement associées à la consommation, qui étaient un élément indissociable de l’ordre urbain de la ville moderne. À l’instar des modalités et des dispositifs de consommation formels et informels, les pratiques urbaines se sont diversifiées à toute vitesse.

31La convergence des processus que nous venons d’énumérer tend à faire de l’incertitude et de la perception du désordre dans l’espace public, deux conditions généralisées de la vie urbaine métropolitaine. Les changements intervenus dans l’ordre urbain dont nous venons de rendre compte, ont abouti à ce que l’on peut considérer comme une dissociation croissante entre espaces publics et pratiques quotidiennes. Par cette affirmation, nous souhaitons souligner le fait que, dans l’expérience urbaine actuelle, et surtout dans celle des habitants des grandes métropoles, les pratiques associant selon diverses modalités la dimension privée et la dimension publique par des va-et-vient, effectués en grande partie à pied, entre locaux privés et espaces publics, et qui caractérisaient le mode d’usage de la ville moderne, sont de nos jours de moins en moins présentes, tout du moins en ce qui concerne l’expérience des secteurs moyens et aisés d’une métropole comme Mexico. Ainsi, pour de nombreux habitants des énormes agglomérations métropolitaines, telle la ville de Mexico, ces pratiques constituent une expérience étrangère à leur réalité quotidienne, voire délibérément évitée, dans la mesure où l’espace public est perçu comme un lieu de désordre, d’incertitude et d’abandon. Face à une telle perception, rien de mieux que le refuge dans la certitude bornée des micro-ordres. Dans d’autres mots, la ville insulaire semble avoir la potentialité de faire disparaître la flânerie ou de la réduire à un statut marginal.

Notes

  • [*]
    Emilio Duhau, professeur titulaire, Département de Sociologie, Universidad Autónoma Metropolitana, Azcapotzalco, Mexico
    erduhau@yahoo.com.mx
  • [**]
    Angela Giglia, professeur titulaire, Département d’Anthropologie, Universidad Autónoma Metropolitana, Iztapalapa, Mexico
    ag@xanum.uam.mx
  • [1]
    Nous le considérons ici en tant que type idéal au sens wébérien, tout en sachant que la question de la validité et de l’application de l’ordre réglementaire dans les métropoles européennes implique aussi des arrangements et des adéquations locales. Par contre, dans les cas des métropoles latino-américaines comme Mexico, bien que le type idéal soit considéré comme un modèle, la spécificité du contexte urbain local devrait faire penser à un changement de paradigme qui suggère la formulation de nouvelles définitions, mieux adaptées à la lecture des situations spécifiques. C’est ce que nous proposons ici pour la ville de Mexico.
  • [2]
    La diffusion de l’habitat fermé n’est pas un phénomène présent dans toutes les métropoles ni même dans toutes les métropoles dites globales. Important et croissant dans des métropoles latino-américaines telles Mexico, Sao Paulo et Buenos Aires – qui, selon divers classements, se situent au deuxième ou troisième rang des villes « globales » –, il est pourtant pratiquement inexistant dans des métropoles comme Tokyo ou Paris, qui occupent invariablement les premières places de ces mêmes classements (Janoschka et Glasze, 2003). Pour avoir un panorama relatif aux enclaves fermées en Amérique latine, on peut consulter les volumes coordonnés par Giglia (2001), Cabrales Barajas (2002), Capron et Staszak (2006). Pour ce qui concerne les États-Unis, voir McKenzie (1994).
  • [3]
    Ces réflexions sur Mexico s’appuient sur un travail de recherche réalisé entre 2002 et 2008 (Duhau et Giglia, 2008), dans lequel nous avons sélectionné un certain nombre d’aires-témoins, dont la population correspond à différents niveaux de revenus socioéconomiques. L’ensemble des aires-témoins représente aussi la diversité des types d’espace (ou habitats urbains) qui caractérise la métropole et la – relative – correspondance entre type d’habitat et couche sociale. Dans ces aires nous avons réalisé une enquête de terrain quantitative et qualitative, et des ethnographies systématiques des pratiques urbaines des habitants.
  • [4]
    L’absence de planification renvoie ici avant tout à l’absence de régulation d’ensemble de l’expansion de la ville, de la part des institutions publiques. Les processus d’urbanisation informelle ont souvent répondu à de véritables plans (en tant que projets et en tant qu’agencements) définis par des acteurs particuliers en dehors des cadres normatifs formellement en vigueur. Voir parmi d’autres : Connolly, 2005 ; Duhau, 1998 ; Schteingart, 1989.
  • [5]
    Immortalisée par certaines œuvres d’art cinématographiques relatant l’épopée de la migration de la campagne vers la capitale Par exemple, le film Los olvidados (Pitié pour eux) ; littéralement, « les oubliés ») de Luis Buñuel (1950).
  • [6]
    Il n’est pas inutile de rappeler que ce type d’habitat est très largement répandu dans les métropoles latino-américaines et dans d’autres villes asiatiques et africaines.
  • [7]
    À ce sujet, il est problématique de se fonder sur des données « dures », c’est-à-dire, sur des statistiques reflétant cette tendance. Cependant, un dénombrement minimal de certaines pratiques et des dispositifs développés pour l’accès et l’utilisation des équipements de la part de cette population dissipe facilement le doute. Actuellement, à Mexico, tous les équipements – dont le public prédominant utilise l’automobile comme moyen de transport habituel – ont incorporé des dispositifs et des services visant à éviter aux usagers d’avoir à marcher pour y accéder. C’est ainsi que les magasins situés sur certaines artères (par exemple, l’avenue « Insurgentes », traversant la ville de part en part sur un axe Nord-Sud), ont fait reculer progressivement leurs façades, afin de créer une aire de stationnement destinée aux véhicules des clients. Lorsque cela devient insuffisant, en raison de l’importante affluence du public aux heures de pointe (c’est le cas des restaurants) ils ont choisi, dans le meilleur de cas, d’acheter et d’adapter un terrain pour en faire un parking, afin que les automobiles puissent être accueillies et garées par les voituriers. Lorsque cela n’est pas possible, et qu’il n’y a pas à proximité un terrain disponible, les voituriers prennent quand même en charge les automobiles devant l’établissement, pour ensuite les garer dans les rues environnantes.
  • [8]
    Ces phénomènes ont lieu au sein d’une société fortement polarisée, où les activités économiques informelles et les modalités informelles de production de l’espace habité occupent une place notoire ; les usages des espaces juridiquement publics étant fortement marqués par des attitudes ambivalentes et par une capacité limitée du pouvoir public pour rendre effectif le domaine public. ?La prolifération d’espaces à usage public sous contrôle privé et la privatisation de l’espace de proximité (prolifération d’espaces résidentiels clos) apparaîssent comme contrepartie d’un rejet croissant, du moins de la part de la population automobilisée, des espaces publics ouverts.
  • [9]
    Par exemple, les obligations liées à l’entretien des trottoirs, ainsi que les caractéristiques de ceux-ci, ne sont pas réglementées. C’est également le cas des obligations liées à l’entretien des façades et à la finition des murs externes. À Mexico, il n’est pas obligatoire pour les particuliers d’assurer leur véhicule pas plus qu’il n’est nécessaire de réussir une épreuve pour obtenir son permis de conduire. Les dispositifs destinés à la protection des tiers dans les bâtiments en construction ne sont pas non plus appliqués de manière consistante.
  • [10]
    Cela s’exprime aussi par une série d’effets en cascade : saturation extrême, détérioration et dysfonctionnement d’une grande partie des zones urbaines à grande affluence ; obstruction des trottoirs et de la circulation automobile ; pratiques qui constituent de véritables atteintes à la sécurité des passagers, des passants et des autres véhicules de la part des chauffeurs du service de transport cédé à des concessionnaires ; obstruction des bouches de métro par les commerçants installés sur la voie publique.
Français

Résumé

Cet article examine l’évolution des espaces publics en s’intéressant aux changements ayant bouleversé l’ordre urbain de la ville moderne, qui supposait un ensemble de règles applicables à l’espace urbain tout court, ainsi qu’une distinction assez précise entre espaces privés et espaces publics. Or, l’urbanisme insulaire actuel se caractérise par la prolifération de ce que nous proposons d’appeler des micro-ordres, terme par lequel il faut entendre des espaces soumis à des règles sui generis ayant à voir avec la spécialisation des usages et avec les droits de propriété. À partir d’une réflexion essentiellement axée sur la métropole de Mexico, cet article cherche à offrir une synthèse des transformations ayant marqué le passage de l’ordre urbain de la ville moderne aux micro-ordres de la ville insulaire.

Mots-clés

  • espaces publics
  • ordre urbain
  • ségrégation socio-spatiale
  • globalisation
  • quartier fermés
  • ville de Mexico
Español

De la ciudad moderna a los micro-órdenes de la ciudad insular

Los espacios públicos contemporáneos en México

Resumen

Este artículo examina la evolución de los espacios públicos interesándose por los cambios que han trastocado el orden urbano de la ciudad moderna, que supone un conjunto de reglas aplicable al espacio urbano, así como una distinción bastante precisa entre espacios privados y públicos. Por el contrario, el urbanismo insular se caracteriza por la proliferación de lo que nosotros proponemos llamar “micro-órdenes”, termino que designa espacios regidos por reglas sui generis que tienen que ver con la especialización de los usos y con los derechos de propiedad. A partir de una reflexión esencialmente basada en la metrópoli de México, este artículo ofrece una síntesis de las transformaciones que han marcado el paso del orden urbano de la ciudad moderna a los micro-órdenes de la ciudad insular.

Palabras claves

  • espacios públicos
  • orden urbano
  • segregación socio-espacial
  • mundialización
  • barrios cerrados
  • ciudad de México

Références bibliographiques

  • Baldwin, P. C. 1999. Domesticating the Street. The Reform of Public Space in Hartford, 1850-1930, Ohio State University Press, Columbus, 360 p.
  • Borja, J. 2004. Espacio público y ciudadanía, dans Néstor García Canclini (sous la dir. de), Reabrir espacios públicos, uam-Plaza y Valdes, México, p. 127-156.
  • Cabrales Barajas, L. F. (sous la dir. de). 2002. Latinoamérica: países abiertos, ciudades cerradas, Universidad de Guadalajara/Unesco, Guadalajara, 621 p.
  • Caldeira, T. 2000. City of Walls. Crime, Segregation and Citizenship in Sao Paulo, University of California Press, Berkeley, Los Angeles, Londres, 487 p.
  • Capron, G. ; Sabatier, B. 2007, « Identidades urbanas y culturas publicas en la globalización. Centros comerciales paisajísticos en Río de Janeiro y México », Alteridades n° 17 (33), p. 87-97.
  • Capron, G. ; Staszak, J-F. (sous la dir. de). 2006. Quand la ville se ferme. Quartiers résidentiels sécurisés, Paris, Éditions Bréal, coll. « D’autre part ».
  • Castel, R. 1995. Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard.
  • Connolly, P. 2005. « El mercado habitacional », dans R. Coulomb (sous la dir. de), La vivienda en el Distrito Federal. Retos actuales y nuevos desafíos, México, uam-Azcapozalco/Conafi/Instituto de Vivienda del Distrito Federal.
  • Cornejo Portugal, I. 2007. « En centro santa Fe: vitrinear, olisquear, toquetear, fisgonear … », Alteridades n° 17 (33), p. 77-85.
  • Da Costa Gomes, P. C. 2001. « L’espace public métropolitain et le recul de la culture civique : l’exemple du Brésil », dans C. Ghorra-Gobin (sous la dir. de), Réinventer le sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale, Paris, L’Harmattan, p. 233-244.
  • Donzelot, J. 2004. « La ville à trois vitesses : relégation, périurbanisation, gentrification », Esprit, n° 303, mars-avril, p. 14-39.
  • Duhau, E. 1998. Habitat popular y política urbana, Siglo xxi/uam-a, Mexico.
  • Duhau, E. ; Giglia, A. 2004. « Conflictos por el espacio y orden urbano », Estudios demográficos y urbanos, vol. 19, n° 2 (56), p. 257-288.
  • Duhau, E. ; Giglia, A. 2008. Las reglas del desorden: habitar la metrópoli, Siglo xxi/uam-a, Mexico.
  • Ghorra-Gobin, C. 2001. « Réinvestir la dimension symbolique des espaces publics », dans C. Ghorra-Gobin (sous la dir. de), Réinventer le sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale, Paris, L’Harmattan, p. 5-15.
  • Giglia, A. (sous la dir. de). 2001. Perfiles latinoamericanos. La nueva segregación urbana, 10e année, n° 19.
  • Giglia, A. 2001. « Los espacios residenciales cerrados. El caso de Villa Olímpica », dans M. A. Portal (sous la dir. de), Vivir la diversidad. Identidades y cultura en dos contextos urbanos de México, conacyt, Mexico, p. 35-48.
  • Gorelik, A. 1998. La grilla y el parque: Espacio público y cultura urbana en Buenos Aires, 1887-1936, Université de Quilmes.
  • Hayden, D. 2006. « Building the American Way: Public Subsidy, Private Space », dans S. Low et N. Smith (sous la dir. de), The Politics of Public Space, New York et Londres, Routledge, p. 35-47.
  • Holston, J. 1989. The modernist city. An anthropological critique of Brasilia, Chicago, The University of Chicago Press.
  • Jacobs, J. 1992 [1961]. The Death and Life of Great American Cities, New York, Vintage Books, 458 p.
  • Janoschka, M. ; Glasze, G. 2003. « Urbanizaciones cerradas: un modelo analítico », Ciudades, 15e année, n° 59, p. 9-20.
  • Lofland, L. 1973. A World of Strangers. Order an action in urban public space, Waveland Press, Prospect Heights, Illinois.
  • Low, S. 2006. « How Private Interests Take Over Public Space: Zoning, Taxes, and Incorporation of gated Communities », dans S. Low et N. Smith (sous la dir. de), The Politics of Public Space, New York et Londres, Routledge, p. 81-103.
  • Mangin, D. 2004. La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Paris, Éditions de la Villette.
  • Mc Kenzie, E. 1994. Privatopia: Home Owner Associations and the Rise of Residential Private Government, New Haven, Yale University Press, 231 p.
  • Mitchell, D. ; Staeheli, L. 2006. « Clean and Safe? Property Redevelopment, Public Space, and Homelessness in Downtown San Diego », dans S. Low et N. Smith (sous la dir. de), The Politics of Public Space, New York et Londres, Routledge, p. 143-175.
  • Portes, A. ; Roberts, B. 2005. « La ciudad bajo el libre mercado. La urbanización en América Latina durante los años del experimento neoliberal », dans A. Portes, B. Roberts et A. Grimson (sous la dir. de), Ciudades latinoamericanas. Un análisis comparativo en el umbral del nuevo siglo, Buenos Aires, Prometeo, p. 19-74.
  • Sabatier, B. 2002. « Aportaciones del derecho al análisis geográfico de las sucesivas realidades del espacio público », Trace, n° 42, décembre, p. 79-88.
  • Sabatier, B. 2006. La publicisation des espaces de consommation privés. Les complexes commerciaux récréatifs en France et au Mexique, thèse de doctorat, université de Toulouse Le Mirail-Toulouse II, 476 p.
  • Salcedo Hansen, R. 2002. « El espacio público en el debate actual: Una reflexión crítica sobre el urbanismo post-moderno », eure (Santiago), vol. 28, n° 84, p. 5-19.
  • Schteingart, M. 1989. Los productores del espacio habitable. Estado, empresa y sociedad en la ciudad de México, El Colegio de México.
  • Sennett, R. 1976 [1974]. The Fall of Public Man, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 373 p.
  • Signorelli, A. 2004. Reconstruir lo público desde la ciudad, dans N. García Canclini (sous la dir. de), Reabrir espacios públicos, uam-Plaza y Valdes, México, p. 105-126.
  • Starr, P. 1993. « El significado de privatización », dans S. B. Kamerman et J. A. Kahn (sous la dir. de), La privatización y el Estado benefactor, fce, Mexico, p. 27-64.
  • En ligneTurner, R. S. 2002. « The Politics of Design and Development in the Postmodern Downtown », Journal of Urban Affairs, vol. 24, n° 5, p. 533-548.
Emilio Duhau [*]
  • [*]
    Emilio Duhau, professeur titulaire, Département de Sociologie, Universidad Autónoma Metropolitana, Azcapotzalco, Mexico
    erduhau@yahoo.com.mx
Angela Giglia [**]
  • [**]
    Angela Giglia, professeur titulaire, Département d’Anthropologie, Universidad Autónoma Metropolitana, Iztapalapa, Mexico
    ag@xanum.uam.mx
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 05/09/2012
https://doi.org/10.3917/esp.150.0015
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Érès © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...