CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« L’être humain est un être vivant. Donc, la santé humaine, la santé animale, la santé végétale et le fonctionnement des écosystèmes sont uns et (re)liés » [1].

1 L’ensemble des êtres vivants et les interactions qui les lient, entre eux et avec le milieu où ils vivent, sont en constante évolution, sous l’effet de processus de sélection naturels et anthropiques. L’Homme fait partie de la biodiversité et, à ce titre, interagit avec les autres êtres vivants et ne pourrait vivre sans eux. Sa santé est donc intimement liée à celle des animaux, des plantes et, plus largement, celle des écosystèmes au sein desquels la vie évolue. Le concept d’« Une seule santé » découle de cette évidence et nécessite de mieux comprendre les interrelations entre santé humaine, santé animale, santé végétale et fonctionnement des écosystèmes.

2 La crise de la Covid-19 vient nous rappeler la complexité et toute l’incertitude des interactions entre la santé des humains et celle des animaux et des environnements globaux dans lesquels elle s’inscrit. Car ces êtres vivants que nous exploitons, sélectionnons ou protégeons semblent avoir échappé à notre contrôle, générant une pandémie mondiale et, avec elle, font peser une culpabilité dans la population qui devient responsable, par ses impacts sur la nature, de l’émergence du virus et de sa diffusion rapide dans la majorité des pays du globe.

3 Cette crise a surtout engendré dans la population une angoisse, incarnée par l’expression « on ne va jamais en sortir ». En parallèle, a été observé un foisonnement de fake news qui atteste d’un échec partiel de la communication de santé publique, alors même que l’urgence et la gravité de la menace auraient pu justifier toute mesure, même drastique. À partir de cet exemple de la Covid-19, qui a montré à la fois le pouvoir de la santé publique et sa faillibilité, le moment est venu de réfléchir notre modèle de gestion de la santé et de penser les contours d’une nouvelle gouvernance de la santé.

4 Les maladies transmises aux hommes par les animaux et la qualité de l’alimentation préoccupent de très longue date les professionnels de la santé, comme les populations. Plus récemment, la pollution de l’air et de l’eau, les produits nocifs pour la santé, la résistance aux antibiotiques et les ondes inquiètent les citoyens qui interpellent les pouvoirs publics à toutes les échelles. Les méthodes de gestion de la santé, hier éprouvées, sont aujourd’hui questionnées ; s’agissant des risques émergents, elles sont peut-être à inventer.

5 Sans doute faut-il remonter en amont, comprendre les interrelations, et se placer en prévention. Le « Programme de développement durable à l’horizon 2030 », porté par l’Organisation des Nations unies (ONU), se traduisant par des objectifs du développement durable (ODD), affirme dans son préambule : « Nous sommes résolus à libérer l’humanité de la tyrannie de la pauvreté et du besoin, à prendre soin de la planète et à la préserver » [1]. Prendre soin de la planète en commençant par prendre soin du vivant ! Mais entre les régimes de gestion des risques développés dans différentes zones géopolitiques et leurs imaginaires particuliers, comment l’Europe peut-elle proposer un régime de préparation qui lui sera propre ?

6 Cinq associations [2] et VetAgro Sup ont donc proposé, en organisant une conférence « Une seule santé : en pratique ? », de contribuer à la réflexion sur les transitions vers un modèle plus préventif et durable, en mobilisant l’ensemble des parties prenantes pour continuer à co-construire des solutions et des recommandations d’action publique.

7 La conférence s’est nourrie à la fois de réflexions sur l’existant et de regards des praticiens en exercice et en formation, préparant la conférence plénière, par des ateliers visant à identifier des propositions pour la gouvernance en santé de demain. Par la réunion d’acteurs de divers horizons, la conférence a mis en discussion notre modèle de gestion des crises sanitaires et a tenté de penser les contours d’une nouvelle gouvernance de la santé.

8 Cette journée a proposé en particulier quatre niveaux de questionnement.

  • Quelles sont les connaissances scientifiques en médecine humaine et vétérinaire, en écologie ou en sciences sociales qui fondent le débat ?
  • Comment gérer les risques entre connaissances scientifiques et savoirs profanes et ainsi voir se multiplier les points de rencontre entre la société civile et les cercles d’experts ?
  • Comment penser les relations entre initiatives locales, pilotage national et normes européennes et internationales ?
  • Quelle formation pour les praticiens du vivant ?

10 Nous souhaitions donc passer d’un état de la science et des politiques publiques à des propositions, recommandations pour l’action, depuis la recherche jusqu’aux politiques locales, dans nos territoires, nos socio-écosystèmes.

11 Cette conférence s’est adressée à toutes les parties prenantes de la santé humaine, animale, végétale ou de l’écologie : élus, professionnels de santé, habitants, scientifiques, associations, industries, gestionnaires agissant à toutes les échelles territoriales et décideurs publics (dont administrations et établissements publics).

12 Grâce à l’appui et à la mobilisation d’un comité scientifique pluridisciplinaire, qui s’est réuni trois fois de janvier à mars 2021, nous avons pu repérer des sujets majeurs à débattre et les approfondir en ateliers, tant sur des enjeux techniques que sur des problématiques de gouvernance :

  • les microbiotes au cœur de la santé du vivant ;
  • agriculture et alimentation : causes et solutions aux émergences infectieuses ;
  • quels processus pour la prise en compte plus intégrée de la faune sauvage et de la biodiversité ? ;
  • biocides : impacts sur l’environnement, quelles alternatives ? ;
  • territoires, quelles actions publiques ? ;
  • quel modèle international / européen de gestions des risques sanitaires ? ;
  • former les décideurs et les professionnels de santé.

14 Le 17 mars 2021, jour anniversaire du premier confinement décidé par le Gouvernement français dans le cadre de la pandémie liée à la Covid-19, nos cinq organisations [3] ont organisé avec VetAgro Sup la conférence nationale « Une seule santé : en pratique ? » avec, après accueil par les directrices de VetAgro Sup et de l’École nationale des services vétérinaires (ENSV), et un discours du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, une matinée et un début d’après-midi d’échanges de regards, soit par des conférenciers, soit au cours de tables rondes.

15 Puis, après les rendus des ateliers, sont intervenus :

  • les grands témoins : les directeurs d’administrations centrales, Bruno Ferreira (directeur général de l’alimentation), Cédric Bourillet (directeur général de la prévention des risques), Stéphanie Dupuy-Lyon (directrice générale de l’aménagement, du logement et de la nature) et Thierry Courtine (chef du service de la recherche et de l’innovation, Commissariat général du développement durable [CGDD]) ;
  • la députée, présidente du Groupe santé environnement (GSE), Elisabeth Toutut-Picard, pour envisager les prospectives ;
  • les directrice et présidents des cinq associations co-organisatrices, pour présenter la déclaration finale : Jean-Yves Gauchot (Fédération des syndicats vétérinaires de France [FSVF]), Pierre Souvet (Association santé environnement France [ASEF]), Bernard Chevassus-au-Louis (Humanité et biodiversité [H&B]), Arnaud Schwartz (France nature environnement [FNE]) et Hélène Soubelet (Fondation pour la recherche sur la biodiversité [FRB]).

17 Compte tenu des circonstances sanitaires, la conférence s’est en grande partie tenue en virtuel, avec plus de 2 700 inscrits.

18 À l’issue de cette conférence, nous avons tenu à reprendre l’ensemble des recommandations au sein d’un cahier de propositions, transmis aux ministres et parlementaires concernés.

19 Nous, organisateurs de la conférence « Une seule santé : en pratique ? », en remerciant tous les contributeurs, nous avons regroupé les demandes et recommandations d’évolutions législatives, réglementaires, de pratiques, que l’on pourrait désigner comme « changements transformateurs [4] » de politiques publiques en matière de :

  • état des lieux / constats ;
  • gouvernance / transversalité ;
  • renforcement financier, matériel et humain (dont coût de la non-action) ;
  • changements transformateurs ;
  • recherche et connaissance ;
  • formation et éducation ;
  • communication / mise en réseau.

21 Nous appelons donc à une stratégie nationale, mais aussi européenne et internationale, « Une seule santé », se traduisant par des politiques publiques ambitieuses, avec des effets dès que possible dans nos territoires, pour la population et les écosystèmes.

22 Nous demandons également que soient mis en place rapidement des lieux de gouvernance interministérielle et de réflexion / concertation interdisciplinaire, afin de poursuivre l’avancée des connaissances sur le lien entre la santé et la biodiversité, qui est notre assurance vie, ainsi que l’enrichissement des propositions d’actions et leur mise en œuvre concrète, dans une démarche de cohérence des politiques publiques.

23 Le quatrième Plan national santé environnement (PNSE 4), adopté mi-2021, placé sous le signe « Un environnement, une santé », a en partie repris nos propositions, et un groupe de suivi « Une seule santé » a été mis en place en septembre 2021, au sein du GSE (enceinte de concertation des PNSE).

24 Nous travaillons, en liaison avec la société française de droit de l’environnement, à un projet de loi « Une seule santé », en vue d’introduire ce concept et ses déclinaisons dans nos codes juridiques (santé publique, urbanisme, environnement, général des collectivités territoriales, etc.).

25 Compte-tenu de l’importance du sujet, nous envisageons d’organiser ce type de rencontres régulièrement, a priori tous les deux ans, afin de faire le point sur les évolutions, tant de la science que des politiques publiques, et de se projeter à nouveau dans un processus d’amélioration continue d’« Une seule santé ». Ainsi, à bientôt !

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun ; liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.
L’éditorial n’engage que son auteur.

Notes

  • [1]
  • [2]
    Association santé environnement France (ASEF), Fédération France nature environnement (FNE), Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) et l’association Humanité et biodiversité (H&B).
  • [3]
    Ces cinq organisations regroupent les médecins de l’ASEF, FNE et FRB, les vétérinaires de la FSVF et l’association H&B ; elles ont bénéficié de l’appui et de l’expertise de VetAgro Sup et, en particulier, de son école interne (École nationale des services vétérinaires/France vétérinaire international [ENSV-FVI]).
  • [4]
    Terme international utilisé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) : https://ipbes.net/

Référence

Gilles Pipien
Retraité
Ingénieur général des ponts, des eaux et forêts au sein du ministère en charge de l’Environnement
Ancien directeur de cabinet de la ministre de l’Écologie
Ancien directeur DIREN/PACA
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2022
https://doi.org/10.1684/ers.2022.1638
Pour citer cet article
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