CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les 34es journées de l’api (Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile) ont eu lieu les 20 et 21 juin 2019 à la Maison de l’Arbre à Montreuil. Leur intitulé « Un pédopsychiatre tout seul, ça n’existe pas ! », sonne comme un manifeste pour la pédopsychiatrie. En effet, les équipes de pédopsychiatrie sont aujourd’hui de plus en plus appelées à nouer des partenariats avec de nombreuses institutions et interlocuteurs : les familles, l’Éducation nationale, les services sociaux, les foyers et maisons de quartier, les milieux associatifs, les communes, la justice, les partenaires du sanitaire (y compris la psychiatrie générale) et du médico-social… Car ces liens interinstitutionnels sont le terreau des liens sociétaux, intersubjectifs et intrapsychiques que la pratique de la pédopsychiatrie vise à instaurer ou restaurer pour ses patients. Ils sont aussi propices à la créativité, comme en ont témoigné les différentes interventions tout au long de ces deux journées.

2La psychiatrie est une branche de la médecine qui ne peut pas se passer d’une analyse politique, ce que l’exercice de notre métier ne manque pas de nous rappeler. C’est sans doute aussi pourquoi ces journées avaient un parfum militant, renforcé par le lieu où elles se sont tenues, la Maison de l’Arbre. Armand Gatti, poète et dramaturge engagé, y a travaillé à la fin de sa vie et ses archives s’y trouvent encore. Si la pédopsychiatrie est une priorité affichée de la politique de santé, la traduction dans la réalité de cette politique reste encore en deçà des besoins.

3À l’interface de la politique et de la clinique, Bernard Stiegler, philosophe, propose une analyse très pertinente du monde d’aujourd’hui à partir de ses réflexions sur la communication et de son expérience de « clinique contributive [11] ». Dans une pmi de Seine-Saint-Denis avec des praticiens pédopsychiatres, il mobilise parents et professionnels autour de la question de la maîtrise des écrans par les enfants, dans une démarche qui se rapproche de « l’empowerment ». Cette modalité d’intervention permet des réflexions communes au sein desquelles chacun peut faire valoir son « expertise » sur la question posée. Modalité familière aux champs de la pédopsychiatrie dans la mesure où une de ses missions principales consiste à créer du lien.

4Liens, bébés, enfants et adolescents, très vite la protection de l’enfance s’offre à nous comme une institution fondamentale. Premier partenaire de la pédopsychiatrie, elle est aujourd’hui très en difficulté. Les juges des enfants et les travailleurs sociaux, tout comme la psychiatrie infanto-juvénile, compte tenu du nombre de demandes qui leur parviennent se voient confrontés à la gestion de « listes d’attente » et à des délais d’intervention qui s’allongent jusqu’à douze ou dix-huit mois.

5Cette question du lien est encore plus importante dans certaines situations cliniques. Dans le champ de l’autisme, la pluridisciplinarité est à l’honneur. Brigitte Chamak a pu montrer, dans sa recherche sur les enfants autistes en Seine-Saint-Denis et dans les quartiers nord de Marseille, loin des sunlights des émissions télévisées, combien l’autisme sur des territoires précarisés aboutit à un cumul de vulnérabilités, et nécessite une cohésion dans les interventions des différentes institutions. De telles problématiques en appellent aussi à l’audace et à l’innovation. Le documentaire On devrait en faire un film d’Olivier Nakache et Éric Toledano, centré sur les jeunes accueillis au sein d’un établissement de l’association Le silence des Justes basée à Saint-Denis, a servi de trame à leur dernier long-métrage Hors norme (2019). Ce film montre avec délicatesse et sensibilité combien les initiatives institutionnelles sont utiles lorsqu’elles sont articulées aux soins que les pédopsychiatres apportent au quotidien à de tels jeunes.

6Mais au-delà de cette clinique classique, la pédopsychiatrie est aujourd’hui convoquée hors de ses sentiers battus. Elle est appelée à s’investir dans de nouveaux domaines où partenariat et collaboration sont indispensables.

7La presse en a parlé, des enfants et des adolescents rentrent de Syrie. La prise en charge des « Mineurs de retour de zone d’opérations de groupements terroristes » soulève de nombreux enjeux éthiques et cliniques. Sitôt sur le sol français, ils sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance et leurs parents sont incarcérés. Les services de pédopsychiatrie sont amenés à intervenir pour évaluer leurs traumatismes psychiques et leur offrir des soins. Ils ont été stigmatisés par des propos qui les qualifiaient de « bombes à retardement ». Les interventions des pédopsychiatres doivent s’articuler avec des partenaires aux logiques opposées : protection de l’enfance, ministères de l’Intérieur et de la Justice, Éducation nationale. Si les liens sont importants entre institutions, la question du secret professionnel se pose pour que la parole des enfants puisse rester libre et aller dans le sens du soin.

8Autre question d’actualité qui justifie une collaboration immédiate entre la pédopsychiatrie et différentes institutions, une innovation a été menée dans le cadre de « Protocole partenarial et expérimental de prise en charge des enfants témoins de féminicide ». Alors que leur père est placé en garde à vue, immédiatement après les faits, les enfants sont hospitalisés en service de pédiatrie, suivis sur un mode intensif par une unité de pédopsychiatrie de liaison, puis par un service de pédopsychiatrie. Cette hospitalisation offre une protection, une évaluation et une prise en charge spécifique d’enfants traumatisés confrontés à des déliaisons. Très vite, des articulations doivent être mises en œuvre avec les services de police, la justice, l’Aide sociale à l’enfance.

9La migration aujourd’hui n’est plus celle d’hier. Il ne s’agit plus de regroupements familiaux mais de migrants qui fuient les guerres ou les persécutions. Les migrants d’aujourd’hui ont été traumatisés dans leur pays d’origine, au cours de leur parcours migratoire, et le sont encore souvent sur le sol français. Leur précarité s’apparente généralement au dénuement. Dans le cadre de l’accueil des nouvelles figures de la migration féminine, isolées, traumatisées (viols, excisions, violences conjugales ou familiales), persécutées et démunies, les dyades mère-enfants sont au carrefour de différentes institutions du territoire, ong, services de soins, services sociaux.

10D’autres nombreuses situations nécessitent une collaboration étroite entre plusieurs institutions. Les liens entre psychiatrie générale et pédopsychiatrie au moment de l’adolescence pour éviter les ruptures de parcours, le travail du pédopsychiatre auprès des mineurs incarcérés, l’inclusion scolaire des enfants autistes, et plus largement des enfants en situation de handicap. Dans le contexte difficile que traverse la psychiatrie aujourd’hui, la créativité semble devoir s’autoriser à décloisonner les institutions au service d’une santé mentale plus inclusive.

11De l’avis de tous les participants au congrès de l’api, aujourd’hui plus qu’hier, un pédopsychiatre tout seul, ça n’existe pas. Mais si ces liens sont importants et aujourd’hui plus qu’hier, comment parvenir à les maintenir alors que les pédopsychiatres sont de moins en moins nombreux ? Comment répondre à l’appel des partenaires tout en restant présent dans nos institutions, dans nos cmp et nos services d’hospitalisation ? Certains services ne parviennent plus à recruter, les postes vacants sont de plus en plus nombreux. Ce contexte démographique difficile pourrait paradoxalement être une raison supplémentaire de ne pas rester isolé, en espérant que les actions partenariales auxquelles nous sommes invités puissent avoir des effets de prévention.

Notes

  • [1]
    https://recherchecontributive.org/app/uploads/2018/11/projet-clinique-contributive-12-11-18-site.pdf
Roger Teboul
Pédopsychiatre, eps Ville-Évrard ; président de l’api (Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile.
r.teboul@epsve.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/10/2019
https://doi.org/10.3917/ep.083.0006
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