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Impact de la définition élargie de l’autisme

1Les représentations de l’autisme, comme celles de toutes les maladies, ne sont pas le reflet évident de faits biologiques et épidémiologiques mais sont construites à partir de l’interaction d’un certain nombre de facteurs et d’acteurs. Analyser les enjeux sous-jacents à la mise en place des représentations qui s’élaborent, se modifient, se confrontent, constitue une étape essentielle pour comprendre comment les déterminants sociaux et culturels interviennent dans la construction d’une maladie.

2Quel rapport entre ce petit garçon au regard fuyant qui ne parle pas, qui agite ces doigts devant les yeux, qui marche sur la pointe des pieds, et cet adolescent étrange, expert en informatique, qui s’exprime très bien mais n’a pas d’ami ? Aujourd’hui, ils sont tous deux considérés comme présentant un « trouble envahissant du développement » (ted), catégorie qui inclut aussi bien des enfants autistes très handicapés sans langage que des personnes avec des capacités langagières, des difficultés d’interactions sociales et des intérêts restreints. Cette définition élargie de l’autisme, toute récente puisqu’elle date des années 1990, ne s’est pas diffusée de la même manière dans tous les pays et notamment, en France, où les psychiatres jugeaient, en général, que ce changement était source de confusion.

3L’émergence de l’autisme comme une catégorie diagnostique apparaît dans les années 1940, avec les descriptions de Léo Kanner, mais l’élargissement des critères diagnostiques des classifications des maladies des années 1990 a profondément transformé cette catégorie. Le philosophe Ian Hacking (2001) a bien montré comment un système classificatoire reflète l’attitude médicale et sociale d’une époque. Il engendre des pratiques et des institutions qui ont pour effet de produire ce qu’il classe, d’où l’importance d’analyser les conditions socio-historiques et les pratiques associées à ces nouvelles définitions.

4Les transformations des représentations de l’autisme font intervenir différents vecteurs (Hacking, 2005). Le vecteur médical et scientifique a modifié les critères diagnostiques, engendrant une augmentation de la prévalence, et a proposé de nouvelles étiologies, redéfinissant l’autisme comme une maladie neurobiologique, en partie d’origine génétique.

5Le vecteur associatif joue un rôle important dans ces transformations en adoptant rapidement les nouvelles représentations de l’autisme, qui ne font plus appel aux problèmes relationnels entre la mère et l’enfant et proposent des méthodes éducatives et comportementales considérées comme étant à même de faire progresser leur enfant. Les associations de parents ont augmenté la visibilité publique des problèmes liés à l’autisme et ont mené des actions en vue de mobiliser les pouvoirs publics et les médias. Le vecteur politique a participé à ces changements en promulguant des circulaires et des lois. Le vecteur économique crée et exploite les marchés liés à l’autisme : médicaments, formations diverses, ouvrages en tous genres, régimes alimentaires spéciaux, tests génétiques, dosages biologiques, promotions de méthodes éducatives et comportementales et de multiples thérapies orthodoxes ou non. Les associations de personnes autistes, beaucoup plus récentes que les associations de parents, commencent également à jouer un rôle politique en remettant en question l’idée même de maladie. Des adultes qui se sentaient différents mais ne savaient pas en quoi consistait leur différence se sont reconnus dans la description du fonctionnement autistique. Ils ont d’abord témoigné de leur expérience en écrivant leur biographie (Grandin, 1994 ; Williams, 1992). Ils ont ensuite tenté de changer l’image négative de l’autisme en montrant en quoi l’originalité et la créativité des personnes présentant des caractéristiques autistiques enrichissent une société. Ce message a été largement diffusé via internet. Ainsi a émergé un nouveau mouvement social, articulé autour d’affiliations identitaires et culturelles, redéfinissant l’autisme comme une différence, et non comme une maladie (Chamak, 2008a). Certains ont repris le discours des scientifiques sur le fonctionnement atypique du système nerveux pour définir la neurodiversité et réclamer que cette diversité soit reconnue et acceptée (Chamak, 2009). Toutes ces représentations coexistent, se complètent ou se confrontent.

6Afin de mieux comprendre ce que recouvre, aujourd’hui, le terme d’autisme, il paraît important d’analyser les différentes représentations et les controverses qui portent sur les définitions, les étiologies et les modes d’interventions. Nous analyserons l’impact des enjeux de société dans les différents épisodes de la construction de la catégorie « autisme » et nous verrons comment les définitions et les modes d’intervention sont liés aux intérêts des professionnels impliqués, mais aussi comment la société civile et les pouvoirs publics interviennent dans les transformations en cours.

Représentations médicales et scientifiques

Nosographie et prévalence

7Au début des années 1940, Léo Kanner (1943) a défini l’autisme infantile précoce comme une maladie rare affectant des enfants présentant une inaptitude à établir des relations normales avec les personnes, un évitement du regard, des troubles du langage, des stéréotypies, un besoin de maintenir stable et inchangé son environnement. Les nosographies des années 1950-1970 ont classé l’autisme dans la catégorie « psychose ou schizophrénie ».

8C’est en 1980 que l’expression « trouble du développement » a été introduite pour la première fois dans le dsm-iii et, à partir des années 1990, l’élargissement des critères diagnostiques de l’autisme a favorisé le développement des recherches (génétique, imagerie, sciences cognitives, neurosciences…) et d’un vaste marché de l’autisme (médicaments, méthodes comportementales, régimes, tests génétiques…). Concernant davantage d’individus, le problème pouvait être érigé en question de santé publique et mobiliser l’attention des médias. Les intérêts des entreprises pharmaceutiques et des promoteurs des méthodes comportementales intensives (réclamant un thérapeute par enfant et/ou la formation des parents à cette approche) pouvaient se satisfaire de changements qui leur ouvraient un marché en expansion.

9La classification internationale de l’oms (cim-10) et la classification américaine (dsm-iv) définissent aujourd’hui l’autisme comme un trouble envahissant du développement (ted) [1] apparaissant avant l’âge de 3 ans avec des perturbations des interactions sociales, des problèmes dans la communication verbale et non verbale, des stéréotypies et une restriction des intérêts. Apparue depuis 1993 dans la cim-10, la catégorie ted n’est introduite dans la classification française qu’en 2000. Ces différences révèlent l’importance des déterminants sociaux et culturels dans la construction des classifications et des catégories comme l’autisme, qui se modifient en fonction des époques, des pays et de la formation des professionnels. Les controverses sont d’autant plus vives que les protagonistes ne définissent pas de la même façon leur objet d’étude. Dans les années 1990, le contexte français était bien différent de celui de l’Amérique du nord : les méthodes comportementales intensives ne s’y étaient pas encore bien implantées, la plupart des thérapeutes s’intéressant à l’autisme étant d’orientation psychanalytique. Par ailleurs, les prescriptions de médicaments aux enfants étant beaucoup plus limitées qu’en Amérique du nord, les entreprises pharmaceutiques n’avaient pas investi ce domaine, ce qui peut expliquer les pressions moins fortes pour modifier les critères diagnostiques, pressions qui allaient être exercées par les associations de parents.

10La fréquence de l’autisme, évaluée entre 2 et 5 cas pour 10 000 jusqu’à la fin des années 1990 a atteint 1/150 pour l’ensemble des ted en 2008. Des articles de presse ont relayé l’idée qu’il y aurait une « épidémie » d’autisme alors même que les chiffres cités ne correspondent pas aux mêmes entités. Des associations de parents se sont mobilisées pour incriminer les vaccins ou des facteurs de l’environnement. La question de l’implication du vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ror) avait été soulevée en 1998 (Wakefield et coll., 1998). Depuis, plusieurs études épidémiologiques ont infirmé toute relation entre l’autisme et ce vaccin sans que, pour autant, les débats s’apaisent. Aux Etats-Unis, près de 5 000 familles ont porté plainte en 2007, considérant que les vaccinations sont à l’origine de l’apparition de l’autisme chez leur enfant. La décision de justice prise en 2008 pour le cas d’Hannah Poling indique que, dans quelques cas rares, quand les enfants présentent certains troubles métaboliques comme un déficit en enzyme mitochondriale, le vaccin pourrait déclencher une encéphalopathie et l’apparition de symptômes autistiques.

11Quoi qu’il en soit, la pathologie rare et sévère, souvent associée à un retard mental, décrite par Kanner, est devenue un syndrome aux contours flous, beaucoup plus fréquent puisqu’il désigne un phénotype [2] élargi. Alors que pour certains psychiatres, l’autisme est encore considéré comme la forme la plus sévère de la psychose et que le terme d’autisme n’est utilisé que pour les cas les plus graves, dans d’autres pays, et notamment en Amérique du Nord et en Grande Bretagne, la notion de « spectre » ou de « continuum autistique » s’est répandue (Chamak et Cohen, 2007). Davantage de cas sont pris en compte pour se retrouver sous la même étiquette « ted ».

Étiologie

12Malgré les discours optimistes des généticiens et des chercheurs en sciences cognitives, on ne sait pas grand-chose des causes et des traitements de l’autisme. Pendant quarante ans Les théories psychanalytiques étaient dominantes et orientées vers les relations mère/enfant, les parents ; et plus particulièrement les mères, ont souvent été considérés comme étant à l’origine des troubles autistiques de leur(s) enfant(s) mais, à partir des années 1990, ces conceptions ont été largement battues en brèche. Ce sont aujourd’hui les hypothèses biologiques qui ont gagné la faveur de nombreux professionnels : origines génétiques et/ou métaboliques avec impact sur le développement du système nerveux central. Des recherches en génétique tentent d’identifier de nouveaux gènes impliqués dans l’autisme (Jamain et coll., 2003) mais lorsque des mutations géniques sont découvertes, elles ne concernent que quelques cas d’autisme et les gènes identifiés sont également impliqués dans le retard mental. Alors même que la diversité des causes possibles d’autisme est soulignée par plusieurs auteurs (Cohen et coll., 2005), il n’est pas rare de lire dans la presse que le gène de l’autisme a été identifié, induisant en erreur les parents, proies faciles pour les entreprises peu scrupuleuses commercialisant des tests génétiques.

13La diversité des cas ne permet aucune généralisation. L’autisme étant défini à partir de comportements, les étiologies peuvent être multiples. Accidents pendant ou après la grossesse, à la naissance, susceptibilité génétique, problèmes métaboliques sont autant de facteurs susceptibles de déclencher l’apparition de symptômes autistiques. Si moins d’un quart des cas d’autisme est aujourd’hui associé à des pathologies identifiées, les trois quarts restants demeurent idiopathiques (Jamain et coll., 2003). Environ 15 % des cas d’autisme sont associés à une maladie génétique connue comme le syndrome de l’X fragile, la sclérose de Bourneville, le syndrome de Rett ou le syndrome d’Angelman. Malgré cette diversité, les controverses ne cessent de fleurir parmi les partisans de telle ou telle origine présumée de l’autisme (génétique, intoxication, pollution environnementale, vaccins…). En ce qui concerne les mécanismes conduisant aux symptômes autistiques, des chercheurs en neurobiologie et en sciences cognitives proposent l’hypothèse d’anomalies au cours du développement du système nerveux, qui seraient à l’origine de la constitution de réseaux neuronaux atypiques et de modes de perception différents.

Thérapies

14Les thérapies sont l’objet de très vives controverses. La prise en charge d’inspiration psychanalytique qui a longtemps prévalu a suscité un conflit entre certaines associations de parents et des professionnels. Le courant psychodynamique, entendu comme la recherche de la signification des symptômes, est perçu par de nombreux psychiatres comme une contribution à une meilleure compréhension de la vie mentale des personnes autistes et, par là même, à une meilleure adéquation des attitudes thérapeutiques. Cette approche, fondée sur la psychanalyse et la psychologie de groupe, implique différents professionnels qui ont pour objectif de stimuler les échanges à travers diverses interventions (thérapeutique, éducative, sportive, interactions sociales, activités culturelles). Cependant, de plus en plus de parents dénoncent l’approche psychodynamique, au même titre que les thérapies psychanalytiques, considérant qu’elles cultivent leur sentiment de culpabilité et qu’elles n’assurent pas à leur enfant une formation et une éducation adéquates. Les méthodes éducatives et comportementales qui se sont développées en Amérique du Nord leur paraissent mieux adaptées aux difficultés de leur(s) enfant (s).

15Ces approches sont essentiellement représentées par le programme Teacch (Treatment and Education of Autistic and Related Communication Handicapped Children) et la méthode aba (Applied Behavioral Analysis). En France, elles se retrouvent sous le même intitulé : thérapies cognitivo-comportementales (tcc), mais si la méthode aba correspond à une approche comportementale intensive (quarante heures par semaine), le programme Teacch désigne, initialement, un dispositif d’État pour une prise en charge tout au long de la vie. Conçu par Eric Schopler en Caroline du Nord en 1966, ce projet d’éducation spéciale vise l’acquisition d’un maximum d’autonomie. L’accent est mis sur les capacités émergentes des enfants et sur la collaboration entre parents et professionnels, avec une formation pour les parents afin qu’ils puissent appliquer chez eux ce qui se pratique dans le centre. L’expérience en Caroline du Nord a favorisé une bonne intégration des personnes autistes dans cet État où la mobilisation des parents a permis d’obtenir la gratuité des interventions Teacch pour les enfants autistes.

16Dans le rapport d’expertise collective de l’inserm sur les thérapies, publié en 2004, les programmes aba et Teacch ont été recommandés. Tous deux intègrent la participation active des parents qui sont considérés comme des cothérapeutes (entraînement parental). Pour la méthode aba, les thérapeutes sont souvent des étudiants qui interviennent à domicile ou à l’école. Les récits de progrès sont fréquents, mais les cas décrits étant moins sévères, il est difficile d’en tirer des conclusions. Le rapport de l’inserm insiste pourtant sur la supériorité des approches éducatives et comportementales. Il relaie le point de vue d’associations de parents qui critiquent les hôpitaux de jour, réclament des places à l’école et des programmes d’entraînement intensifs.

Représentations des associations de parents

17Dans le contexte de la généralisation des valeurs de l’autonomie à l’ensemble de la vie sociale, le mouvement des associations de parents a pris de l’ampleur. Ce contexte se caractérise par l’ancrage dans la vie quotidienne d’un double idéal de réalisation de soi et d’initiative individuelle, c’est-à-dire la capacité à décider et à agir par soi-même (Ehrenberg, 1991, 1995, 1998). Des parents qui, autrefois, subissaient les décisions et les contraintes imposées par les psychiatres se refusent aujourd’hui à être tenus à l’écart et réclament le choix des thérapies pour leur enfant.

18Le contexte de la désinstitutionalisation et de la montée de l’objectivisme, illustrée par les nouvelles classifications des maladies fondées sur la description des comportements, ainsi que la promotion des méthodes comportementales, constitue un terreau favorable pour accélérer les transformations de la catégorie « autisme » et donner, aux parents, l’espoir de modifier le destin de leur enfant. Ce double contexte favorise la généralisation des méthodes éducatives et comportementales, et souvent, l’augmentation de la prescription de psychotropes aux enfants. En France, ces transformations ont été freinées par l’hostilité de certains psychiatres qui y voient une remise en cause de leurs conceptions, de leurs pratiques et, plus largement, de l’idée qu’ils se font de leur métier.

19L’analyse de la dynamique historique des associations de parents en France permet de mieux comprendre les stratégies mises en œuvre pour modifier les pratiques des professionnels. Afin de lutter contre le manque de structures, la première association, l’asitp (Association au service des personnes inadaptées ayant des troubles de la personnalité), devenue par la suite « Sésame Autisme », créa en 1963 le premier hôpital de jour pour enfants, permettant ainsi à ces derniers de ne pas être séparés de leurs parents (Chamak, 2008a, 2008b).

20Au milieu des années 1980, une deuxième génération d’associations, issue de l’asitp, a vu le jour : d’une part, l’arapi, Association pour la recherche sur l’autisme et les psychoses infantiles [3], réunissant parents et professionnels pour favoriser la recherche sur l’autisme) ; d’autre part, des associations (Pro Aid Autisme, aidera) qui ont créé des structures spécialisées utilisant le programme Teacch.

21La troisième génération d’associations apparaît en 1989 avec la création d’Autisme France suite à la scission qui s’est opérée au sein de l’asitp entre ceux qui continuaient à vouloir travailler en collaboration avec les psychiatres et ceux qui voulaient rompre avec les approches psychanalytiques de l’autisme. Cette dernière génération d’associations, est résolument orientée vers les méthodes éducatives et comportementales ainsi que l’intégration scolaire et, plus globalement, vers le modèle nord-américain, considéré comme un exemple de modernité et d’innovation. La toute dernière association, Léa pour Samy, créée en 2001, se positionne contre la psychanalyse et les hospitalisations en psychiatrie. Elle fait la promotion de l’approche aba et est à l’initiative d’une campagne contre le packing, cette technique d’enveloppement humide pratiquée chez certains enfants présentant des symptômes graves, tels que l’automutilation.

22L’influence des associations s’est concrétisée en novembre 2003 lorsque le Comité européen des droits sociaux a conforté leurs positions en condamnant la France au motif qu’elle ne respectait pas ses devoirs d’éducation à l’égard des enfants autistes et qu’elle violait trois articles de la charte sociale européenne puisqu’elle utilisait une définition restreinte de l’autisme comparée à la classification internationale, et qu’elle n’assurait ni la scolarisation des enfants autistes ni la prise en charge des adultes.

23Dénonçant l’inertie des pouvoirs publics et le manque de connaissances réactualisées des psychiatres, ces associations ont gagné quelques politiciens à leur cause et, en particulier, un député, Jean-François Chossy, dont le nom est associé à la loi de 1996 reconnaissant l’autisme comme un handicap. Cette reconnaissance, réclamée par les associations de parents, permet tout à la fois de s’éloigner de la psychiatrie (et de la stigmatisation de la maladie psychiatrique) et de bénéficier d’aides financières au titre de la loi sur le handicap.

Le vecteur politique

24La pression des associations, au début des années 1990, a suscité une mobilisation des pouvoirs publics. Commandités par Simone Veil, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, trois rapports ont été publiés en 1994 et 1995 par L’igas, l’andem et la das[4]. Ils ont donné lieu à la Circulaire Veil du 27 avril 1995 qui proposait un plan d’action pour cinq ans afin d’améliorer la prise en charge des personnes autistes. Les auteurs des rapports proposaient de développer le dépistage précoce, d’adapter aux besoins les établissements et les services, de mieux prendre en compte les situations des familles, de former des personnels qualifiés, d’évaluer de façon plus rigoureuse les traitements, de travailler en partenariat avec les parents, et de modifier les pratiques de prise en charge pour une approche plus éducative et comportementale. Allant dans le sens des associations, ils orientaient les décisions politiques vers un désinvestissement pour les prises en charge à long terme en hôpital de jour au profit d’évaluation à court terme et d’interventions en ambulatoire avec orientation vers des établissements médico-sociaux ou médico-pédagogiques, des structures associatives, des soins à domicile avec prise en charge à temps partiel, ou vers l’école (Chamak, 2008b).

25De la confrontation entre trois protagonistes : les associations, les pouvoirs publics et les professionnels de santé, a émergé une alliance entre associations de parents et pouvoirs publics pour transformer les pratiques de prise en charge. Cette transformation impliquant davantage les associations privées, elle permet à l’État de se désinvestir tout en donnant un minimum de satisfaction aux associations en leur accordant quelques financements, jugés toujours insuffisants et difficiles à obtenir.

26Les associations de parents ont contribué à modifier les représentations de l’autisme. Si dans les années 1960-1980, elles dénonçaient le manque de moyens et de places, aujourd’hui, leurs revendications sont orientées vers le changement des modes d’interventions et l’intégration scolaire. La loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », qui pose le principe de l’inscription de tout enfant handicapé dans l’établissement scolaire le plus proche du domicile, incite certains parents à passer par la voie judiciaire pour obtenir la scolarisation de leur enfant. Cette focalisation sur la scolarisation et la remise en cause des professionnels est utilisée par les pouvoirs publics pour accélérer le processus de désinstitutionalisation et réduire le nombre d’hospitalisations.

Représentations des personnes autistes

27De nouveaux acteurs sont récemment entrés en jeu. Depuis le début des années 1990, au niveau international, se constituent des associations de personnes autistes qui veulent faire entendre leurs revendications [5]. Pour elles, il ne s’agit pas seulement de défendre des intérêts mais d’en appeler à de nouvelles formes d’organisation de la société dans laquelle les différences ne seraient plus considérées comme des écarts à la norme, mais comme des formes d’identité à part entière (Chamak, 2008a, 2009).

28Les membres de l’association Autism Network International (ani), créée en 1991 aux États-Unis, remettent en cause l’idée que l’autisme serait une tragédie. Ils nous invitent à concevoir les personnes autistes comme des étrangers qui ne comprennent pas nos us et coutumes (Hacking, 2009). Ils veulent que leur expérience de l’autisme soit considérée comme des connaissances à part entière, et cherchent à être reconnus comme de véritables partenaires.

29Michelle Dawson, autiste canadienne conseillère scientifique dans le service du docteur Mottron à Montréal, considère que les associations de parents leur ont confisqué la parole. Elle refuse le statut de patient et se révolte contre la généralisation des méthodes comportementales (sur son site, elle décrit les « mauvais comportements des comportementalistes »). Pour elle, l’autisme n’est pas plus une maladie que ne l’est l’homosexualité. Elle situe son action dans la mouvance de celles des minorités (féministes, gays, noirs…) et considère l’autisme comme une différence, un autre mode de fonctionnement cognitif. Elle rejoint en cela certains chercheurs en sciences cognitives qui parlent de neurodiversité (Baron-Cohen, 2000 ; Happé, 1999 ; Mottron, 2000). Ces chercheurs travaillent essentiellement avec des personnes présentant un autisme sans déficience intellectuelle, ce qui donne une vision partielle de l’autisme, les cas les plus sévères n’étant pas pris en compte. La généralisation de leurs résultats à l’ensemble des ted est souvent source de malentendus.

Changements mais pas nécessairement améliorations

30À l’heure où la classification américaine des maladies est en cours de révision pour préparer le dsm-v, il paraît judicieux d’analyser ce que les changements de classifications - et au-delà les transformations de nos sociétés qui s’y reflètent - impliquent. Le classement dans une même catégorie d’enfants sans langage et de personnes présentant des capacités langagières et des difficultés d’interactions sociales a accru la prévalence de l’autisme et sa visibilité. De nouvelles associations se sont créées, leurs revendications ont pris davantage de poids et le problème de l’autisme a été érigé en question de santé publique. Interpellés, les pouvoirs publics se sont mobilisés. Les marchés de l’autisme se sont développés, les financements pour la recherche également, de nouveaux professionnels et chercheurs se sont spécialisés dans l’autisme. L’élargissement des critères diagnostiques et le développement des méthodes éducatives et comportementales ont permis aux parents d’enfants autistes de trouver une alternative à l’ancien modèle, jugé stigmatisant pour les parents.

31Une convergence est constatée entre les demandes des nouvelles associations et les politiques gouvernementales visant à réduire le nombre de lits d’hospitalisation. Les orientations proposées par les associations vont en effet dans le sens de celles prises par les pouvoirs publics, à savoir un désinvestissement à l’égard des établissements publics au profit de l’aide aux initiatives privées, le contrôle de ces nouvelles structures étant assuré par un soutien financier conditionné par une accréditation. Ainsi l’État peut continuer à contrôler le système tout en se reposant sur des actions privées et le tissu scolaire existant qui souffre du manque de moyens et de personnels formés pour accueillir les enfants autistes et, plus largement, les enfants présentant un handicap. Au final, le manque d’établissements accueillant les enfants, les adolescents et les adultes autistes se fait toujours cruellement sentir et même davantage encore pour les cas les plus sévères.

Notes

  • [1]
    Les ted sont subdivisés en cinq sous-groupes : l’autisme ; le trouble désintégratif de l’enfance ; le syndrome de Rett ; les ted non spécifiés ; le syndrome d’Asperger.
  • [2]
    Le phénotype désigne l’ensemble des caractères observables d’un individu. Le phénotype correspond à la réalisation du génotype (expression des gènes) mais aussi des effets du milieu, de l’environnement, etc.
  • [3]
    L’arapi a changé d’intitulé en 1995 pour devenir Association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations. Le terme de psychose infantile n’était plus accepté par les familles.
  • [4]
    Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, La prise en charge des enfants et adolescents autistes, octobre 1994 ; Rapport de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale, L’autisme, novembre 1995 ; Rapport de la Direction de l’action sociale, Propositions sur l’accueil des adultes autistes, janvier 1995.
  • [5]
    Notamment les associations internationales ani (Autism Network International), wwa (the Worldwide Autism Association), asan (the Autistic Self-Advocacy Network), Aspies for Freedom ; l’association francophone Satedi, et les différentes associations de personnes Asperger (aane, asaaa…).

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Brigitte Chamak
Brigitte Chamak est docteur en neurosciences, docteur en histoire et sociologie des sciences, chercheur à l’inserm.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/10/2010
https://doi.org/10.3917/ep.047.0150
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