CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’intervention de la Maison d’enfants à caractère social (mecs) est conditionnée par une décision de placement. Décision prise dans le cadre de la protection sociale, à la demande ou tout au moins avec l’accord des parents, titulaires de l’autorité parentale. Un écrit signé par les parents atteste formellement de cet accord, même s’il n’en garantit pas la qualité et la sincérité. Combien de parents se résignent à un placement administratif pour éviter une saisine de l’autorité judiciaire ? Décision de placement prise dans le cadre de la protection judiciaire, parfois en urgence et pour une courte durée, par le procureur de la République, sinon par le juge des enfants. Ce dernier peut confier l’enfant directement à une mecs ou à l’Aide sociale à l’enfance (ase) qui l’orientera dans telle ou telle structure.

2Alors que la mecs occupe une place centrale auprès de l’enfant et connaît une profonde mutation, avec notamment la multiplication de modalités de prise en charge éducatives innovantes, le développement des projets personnalisés et le rôle plus important redonné aux parents, la consultation des écrits sur ces questions et quelques années de pratique professionnelle nous laissent à penser que le juge des enfants n’est pas suffisamment acteur de cette évolution.

3Entre la décision judiciaire de placement et le lieu d’accueil collectif couramment nommé internat éducatif, en présence ou non de l’ase, l’enfant doit pouvoir tirer profit d’une meilleure articulation. N’est-il pas important que la mecs connaisse les éléments d’évaluation de la situation au moment de la décision, les causes du placement, le degré d’adhésion du mineur et de ses parents, les objectifs et les perspectives ? Que les conditions de mise à exécution du placement soient examinées au cas par cas, pour en tempérer la violence et pour favoriser la relation de confiance ? Que la mecs transmette les documents relatifs à la prise en charge individuelle, les contrats de séjour et d’accueil, le projet de scolarisation ? Qu’elle évalue régulièrement les besoins de l’enfant, la capacité des parents de répondre à ces besoins et qu’elle fasse connaître les effets du placement ? Qu’elle fasse retour, sans forcément attendre l’échéance de la mesure, des informations susceptibles de modifier l’exercice des droits parentaux ou de faire recourir à de nouvelles modalités de prise en charge ?

4N’est-il pas également important que le juge des enfants, au-delà de la recherche de l’adhésion au placement, prenne sa part dans la mobilisation des parents ? Que lui aussi, malgré la nécessité du placement, relève les compétences des parents et ne présente pas l’accueil en mecs comme une sanction des dysfonctionnements et un échec final ? Qu’il aménage l’autorité parentale, tout en rappelant que les parents ont des droits et des obligations ? Qu’il soit exigeant sur la prise en compte des besoins de l’enfant, notamment sur la notion de bien-traitance ? Qu’il entende la parole de l’enfant, participe à son projet et veille à la continuité éducative ? Qu’il soutienne, sans peur du risque, les formes nouvelles de prise en charge comme l’accueil séquentiel ?

5La décision judiciaire de placement est avant tout une mesure de protection, nécessaire à la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant. Dans un certain nombre de cas, la famille est un lieu de maltraitance physique ou psychologique, l’enfant est mal aimé et rejeté, les parents présentent des pathologies mentales mettant en péril la sécurité de l’enfant… Le rôle protecteur de la maison d’enfants est dès lors essentiel.

6Pour certains enfants, il est possible, car nécessaire, de faire sans les parents. Une attention particulière sera alors portée à la continuité éducative, au projet de l’enfant, à la bien-traitance, au soin et au soutien psychologique… Dans la grande majorité des cas, et même dans certaines situations de maltraitance, nous pouvons protéger l’enfant en associant les parents. Possible et nécessaire de faire avec les parents. Parce que ces derniers restent titulaires de l’autorité parentale, parce qu’ils ne sont pas responsables de tous les dysfonctionnements et qu’ils ont aussi des compétences, parce qu’il en va de l’intérêt de leur enfant.

7Le placement induit souvent un conflit de loyauté chez le mineur. Il peut bénéficier d’excellentes conditions de prise en charge et, malgré cela, grandir dans la culpabilité de trahir ses parents. Répondre aux besoins de l’enfant placé, c’est également lui permettre de ne pas se figer dans un tel conflit.

8Sur le papier, le placement judiciaire est une bonne décision. Le juge des enfants, dernier maillon d’une chaîne de professionnels de l’enfance compétents et responsables, prend et assume cette décision dans l’intérêt d’un mineur, pour prévenir ou faire cesser un danger. Dans la réalité, le placement est le plus souvent vécu comme une épreuve et génère un fort sentiment d’injustice. Source de souffrance et d’angoisse chez l’enfant et les parents, la séparation peut être très douloureuse. L’exécution du placement est alors un moment particulièrement difficile, voire un moment de violence. Violence de l’audience, où l’urgence et la crainte d’un drame commandent une séparation qui ne peut être mieux préparée. Violence du jugement, qui va pointer les graves défaillances parentales pour justifier la mesure. Violence du placement, qui ne peut, parfois, se réaliser sans l’intervention des forces de l’ordre.

9Pour préserver l’enfant, ne pas rompre le lien déjà abîmé, et se garder la possibilité de travailler, dans les meilleurs délais, en confiance avec les parents, il est indispensable que la mecs mette en place un dispositif d’accompagnement de tels placements. Les mecs savent déjà accueillir l’enfant avec beaucoup d’attention et favoriser son intégration, notamment en proposant une visite de l’établissement aux parents. Dans les situations les plus difficiles, où les parents ne viendront pas, il faudra aller à leur rencontre, les amener sur un espace particulier d’écoute, permettre l’expression de leur souffrance, prendre très rapidement connaissance des éléments du dossier d’assistance éducative et expliquer. Parallèlement à la prise en charge de l’enfant, une équipe mobile et réactive peut tempérer la violence du placement et poser la première pierre du travail avec la famille. Bien entendu et dans l’idéal, cette équipe pourrait également intervenir dans la phase de préparation du placement, en concertation avec l’ase et le magistrat.

10Le débat doctrinal nourri sur la place des parents, l’impact des lois des 6 juin 1984 et 2 janvier 2002 ayant fixé les droits des usagers et généralisé des outils tels que le livret d’accueil, le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge, ainsi que le développement de pratiques très diverses et innovantes participent à une profonde mutation de l’accueil en internat éducatif. Alliance, guidance, coéducation, soutien à la parentalité… ces notions sont importantes et se traduisent au sein des mecs par la prise en compte des compétences de la famille, et la volonté de s’appuyer sur celles-ci pour permettre aux parents de faire autrement et de reprendre une place davantage conforme aux besoins d’éducation de leur enfant. C’est sur toute la durée du placement qu’il faut associer le mineur et les parents au projet personnalisé, assurer un étayage des fonctions parentales et tendre à un processus de contractualisation.

11Même si d’autres professionnels sont déjà intervenus en amont sur l’évaluation des capacités parentales, il est nécessaire que cette évaluation se poursuive en maison d’enfants pour pouvoir apprécier l’évolution de la famille dans le temps et ne pas bloquer une dynamique positive. Le juge des enfants doit être mis en situation de consacrer cette place évolutive des parents par des décisions intermédiaires, notamment sur le rythme et les modalités des visites et des hébergements.

12Ces dernières années, de nombreuses mecs se sont ouvertes sur l’extérieur et se sont dotées d’équipements nouveaux : ici une « Maison de la rencontre », là un « Service famille »… Il ne s’agit plus de faire sans ou d’imposer un savoir, mais dans la mesure du possible de travailler avec les parents en s’en donnant les moyens : fêtes de fin d’année, journées portes ouvertes, espace d’accueil des parents, groupes de parole, sorties organisées avec enfants et parents, hébergements parents et enfants… Ces pratiques éducatives doivent être soutenues par les services départementaux de protection de l’enfance ainsi que par les magistrats, et prises en compte au moment de l’orientation du mineur.

13Cette évolution est d’autant plus nécessaire qu’elle conditionne la mise en place et la réussite des nouvelles modalités de prise en charge du mineur préconisées par l’Observatoire national de l’enfance en danger (oned) dans son rapport de 2005 et introduites dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Directement confrontés aux difficultés rencontrées par les services d’Action éducative en milieu ouvert (aemo) pour débloquer les situations familiales les plus compliquées et aux limites du placement en internat traditionnel, les juges des enfants fondent beaucoup d’espoir sur ces formes alternatives, qui vont de l’accueil séquentiel au retour accompagné dans le milieu d’origine.

14À titre d’exemple, le placement classique en internat d’une adolescente en grande souffrance, qui alterne sur un rythme déroutant provocations et mises en danger, devient très difficile, voire inefficient. Le travail éducatif est souvent réduit à la gestion des fugues, ce que nous ne savons d’ailleurs pas faire. Les mecs développent en réponse diverses formes alternatives pour raccourcir et moduler les temps de séjour, intensifier le travail avec les partenaires, notamment dans le domaine de la santé, assurer avec souplesse des transitions entre le lieu d’accueil et le domicile familial, développer des services à partir de ce domicile et favoriser la préparation d’un retour dans des conditions satisfaisantes.

15Il faut encourager les équipes qui mènent de telles expérimentations et donner aux mecs les moyens de continuer à s’adapter aux besoins des mineurs. Il est aujourd’hui acquis que l’intérêt supérieur de l’enfant doit tous nous guider. Humblement, commençons par considérer que la décision de placement n’est pas un aboutissement et que beaucoup reste à faire.

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Résumé

Acteur du placement, le juge des enfants ne méconnaît pas la souffrance et les enjeux de la séparation. Témoin de la profonde mutation des mecs, il doit vouloir, et pouvoir, soutenir la multiplication des prises en charge éducatives innovantes, le développement des projets personnalisés et le rôle plus important redonné aux parents.

Mots-clés

  • juge des enfants
  • placement
  • mecs
  • enfant et parents
  • pratiques innovantes
Éric Bocciarelli
Éric Bocciarelli, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de Nancy, Cité judiciaire, rue du Général Fabvier, 54000 Nancy.
Secrétaire national du Syndicat de la magistrature.
eric.bocciarelli@orange.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/03/2012
https://doi.org/10.3917/empa.085.0080
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