CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Voici ce que vit l’équipe des formateurs amp dans les rencontres avec les stagiaires. Bien sûr, il y aura un peu d’exaltation dans ce texte, bien sûr chaque élève emprunte un chemin qui lui appartient et l’alchimie de l’alternance n’agit pas moins que nous pouvons témoigner du courage et de la profondeur de la démarche de professionnalisation qu’ils entreprennent… Parfois à marche forcée (mise en place de la formation en voie directe sur 12 mois).

2J’ai accompagné ces derniers mois deux promotions d’amp. Inscrits dans des cursus différents, je garde pour eux le même sentiment, celui de rencontres vraies, stimulantes. Diplôme obtenu, ils remercient souvent pour la façon dont nous avons accompagné leur travail, alors que c’est eux qu’il faut remercier pour la richesse de leurs témoignages et la façon de nous entériner, nous impliquer dans leur « passage », car c’est bien d’un ou de passages dont il s’agit au cours de cette formation.

3Cherchant un titre à ces lignes, ce mot s’est imposé comme une évidence, les définitions du dictionnaire ont confirmé mon choix.

4« Passage : action, fait de passer »… et c’est en effet de l’action, un travail animé qui est attendu des amp afin de soutenir tous les passages du quotidien.

5« Passage : somme payée pour emprunter une voie, un moyen de transport »… la somme payée, ils nous en font les témoins : petites douleurs de l’écriture, rencontres complexes, remises en questions pour emprunter une voie qui est pavée de moments où le primaire, l’archaïque, le cru deviennent questions ou médiations. Quant aux transports, ce sont pour eux les transports de l’affect avec lesquels il faut apprendre à composer : construire, mettre à distance parfois, reconnaître toujours.

6« Rite de passage : rites, cérémonies qui sanctionnent l’accession d’un individu, d’un groupe à un autre »… Des rites, de petites ou grandes cérémonies toute formation en recelle : examen, stages et visites de stages, travaux écrits, rencontres de publics redoutés… et celui, important du groupe d’analyse des pratiques, ce creuset à dimension humaine où chacun, invité à la parole, au récit, se défend ou s’épanche jusqu’à trouver, par la mesure du groupe, la nécessité de l’élaboration collective mais aussi le plaisir de l’émotion professionnelle partagée par des oreilles ici attentives.

7« Passage enfin de témoin », d’expérience dans cette construction en va-et-vient où les formateurs ont le souci de lier le conceptuel et les pratiques et où l’apprentissage du métier repose en grande partie sur l’apport des rencontres du terrain. Rencontres guidées, mauvaises rencontres, passage partage, passage à la majorité professionnelle, apprentissage d’une désillusion nécessaire, belles rencontres qui modèlent le geste juste, accompagnent dans la complexité ou la limpidité de la pensée, de la parole à dire, du ton à employer, de la communication à inventer… passage dans le territoire de l’autre, territoire étrange, territoire à comprendre ou au moins à respecter.

8Pour filer mon idée, ce sont d’autres passages dont je vais nourrir ces lignes, des extraits de texte, issus de figures imposées par la formation. Ce passage par l’écriture qui va permettre une première réflexion, « moins chaude », qui pousse au choix des mots les mieux à même de dire les émotions qui vont raconter l’autre, mais aussi l’auteur.

Extraits

9La maison d’accueil spécialisée déménage : nouveaux locaux, groupe recomposé, deux semaines de cette nouvelle existence.

10Pierre débarque en stage. Il se « forme » en un an et c’est son premier contact avec le terrain après quelques expériences de remplaçant et un détour par l’université. Après trois mois de stage, il « rentre » à Saint Simon avec ce texte, carnet de notes d’observations.

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… « et elle sourit aux anges, elle qui peut être si caractérielle quand elle réclame son bout de vie ou le morceau d’un autre, l’alter qu’elle ne pourra laisser que dans un coup d’éclat en se prostrant à terre pour montrer son mécontentement. L’équipe a trouvé comme solution de lui donner un carton au lever, un à midi, un au coucher car sinon, il y aura trop ou pas assez de cartons. Du respect souple, bienveillant mais très cadré et parfois très affirmé de cette règle dépend la qualité de la journée de G. L’ambiance, c’est aussi A. qui vient dire un bonjour et vous fait oublier le moindre de vos soucis ! C’est aussi le sourire d’extase de R. devant son assiette. Au moment du repas, l’ambiance, c’est aussi les cris et la colère de M. qui casse les assiettes quand elle n’aime pas, qui ne peut supporter d’attendre pour le repas. Alors parfois, il faut lui apporter tous les plats sur la table pour qu’elle choisisse et accepte de s’alimenter. Elle a aussi une tendance caractérielle, mais quel sourire…, rire parfois comme si toutes les émotions étaient exacerbées et pourtant parfois si adaptées, si fines dans la relation, comme l’enfant qui sait, qui sent comment toucher l’autre. J’ai vraiment ressenti avec ces personnes une grande, une immense humanité, avec tout ce que cela comporte de joie, de peine, d’incompréhension… certes elles ont besoin d’accompagnement, de sollicitation, de cadre, de projet, mais elles sont réellement dans un désir d’échange, de communication, d’être même si ce désir prend des formes inattendues, étranges, autres, même s’il ne s’exprime et ne se réalise que cinq minutes dans la journée, ce désir vibre tellement qu’il semble être une question de vie ou de mort et c’est là que l’on réalise qu’il faut essayer de ne pas passer à côté de tant de petits détails quotidiens qui ont une importance cruciale pour elles, qu’il faut sortir de la fausse urgence, du faire vite… non ! Il faut faire juste, il faut juste être juste !
S’il a cherché à comprendre les personnes, les projets, il se soucie déjà des dérives qu’entraîne la lassitude, la difficulté, la réactivité.
Il faut être juste et vigilant car comme dans toute institution, on peut laisser de côté certains usagers, ceux dont le projet n’avance pas, est oublié. Je les appelle les “résidents fantômes”. Ils ont comme caractéristique d’être discrets, ils ne font pas de bruit, n’appellent pas, n’interpellent pas, même s’ils ont la parole, même s’ils jouissent d’une certaine autonomie… »
Pierre Carrie

12Des textes, il y en a d’autres. J’ai fait le choix de faire partager ceux qui concernent un groupe obligé, périlleux, un moment qu’il convient de penser… et plus on introduit cette réflexion sur soi, sur l’autre, sur ses mains, sur ces corps et plus on en saisit la difficulté. Ce moment indispensable est celui de la toilette.

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« La dimension culturelle prend une place capitale dans le quotidien de ces personnes âgées vivant au sein d’une maison de retraite. Ils avaient leurs habitudes : les toilettes au gant et la “grande” toilette qui se faisait le samedi et qui marquait le week-end, c’était le repère de la semaine. Dans mon entourage, les personnes en parlent, racontent le changement, cette évolution qu’il y a eu jusqu’à ce jour. Aujourd’hui pour lui, la douche n’est pas indispensable et une petite toilette par jour lui suffit. »
Leslie Avilleau

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« L. est toujours heureuse d’aller sous la douche ou dans le bain. Non seulement elle adore l’eau, mais elle est satisfaite de la relation duelle avec l’adulte qu’elle sollicite beaucoup de façon très exclusive.
Nous allons dans sa chambre et “ensemble” nous choisissons les vêtements. Elle semble indifférente à ce qu’elle va porter, mais je verbalise quand même le choix que je lui propose : la couleur, le confort, un pull épais parce qu’il fait froid etc.
Elle se montre surtout impatiente d’aller dans la salle de bains et sitôt la porte ouverte, essaye d’arracher son pyjama, je l’aide à se déshabiller et règle l’eau à la bonne température. Je lui tends alors la pomme de douche qu’elle porte systématiquement à sa bouche. Elle est souriante et donne l’impression de pouvoir rester dans cette position un long moment. Je lui propose alors de la savonner et elle accepte que je coupe l’eau. Je cite alors les parties de son corps que je suis en train de laver. Elle se laisse faire, mais je la sens impatiente de rouvrir le jet d’eau.
Je lui tends à nouveau la pomme de douche, qu’elle dirige à sa bouche.
Je lui propose de se rincer, mais ne pouvant le faire seule, elle accompagne mon geste volontiers. Je la laisse ensuite jouer encore un peu avec l’eau ; elle s’assoie souvent, pousse des vocalises et sourit, le jet d’eau toujours sur son visage. »
Cécile Mauric

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« Malgré mes dires, je restais consciente que le moment de la toilette au lit, puisque c’est une toilette au lit, était vraiment très pénible pour celle-ci. Elle criait, elle insultait, elle essayait de mordre ou de griffer les soignantes dès que celles-ci s’approchaient d’elle. Les mêmes paroles revenaient tous les matins ; “laissez-moi tranquille, je préfère crever” et toute la toilette se passait dans cette ambiance de colère, de rage, de peur, émanant de Mme B.
Dès que la toilette était finie, elle était dans un état d’épuisement total, on la voyait s’abandonner au désespoir et à son impuissance. Elle était là, assise sur son fauteuil roulant, penchée sur le côté, son visage dans les mains et elle bougonnait des phrases que l’on ne comprenait pas mais ses expressions étaient très explicites. »
Nathalie Diaz

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« Cependant, tout personnel soignant se doit de respecter les habitudes personnelles de propreté du corps et des vêtements de chaque personne dont il s’occupe. La signification de la propreté diffère d’un individu à l’autre tout comme l’importance accordée à l’apparence physique. Aussi, être propre, soigné et protéger ses téguments signifie pour moi de prendre une douche tous les jours alors que pour Mme C cela correspond à une douche par semaine.
Mme C a grandi en Algérie dans un village où “il n’y avait pas tout ce fatras” ; comme elle aimait à me le rappeler lorsque je lui proposais de se doucher. J’ai donc pris en compte cet aspect de ses habitudes de vie et nous avons décidé ensemble qu’elle ne prendrait que deux douches par semaine et que le reste du temps nous ferions sa toilette au lavabo.
On retrouve également ces différences culturelles entre les individus en ce qui concerne la pudeur face à la nudité. Il est normal qu’une personne âgée puisse éprouver de la gêne lorsqu’un soignant la lave : non seulement il est difficile de se confronter à sa dépendance mais il doit être encore plus difficile de se montrer dans son intimité à une personne inconnue. Ce sentiment de gêne était facilement identifiable chez Mme C car lors de nos premières toilettes ensemble, elle était anxieuse et pouvait se mettre en colère sans vouloir me dire quelle en était la cause. Elle voulait “expédier ça” ou alors mettait du temps à accepter de se déshabiller. J’ai compris cette gêne car si j’étais à sa place, accepterais-je que des mains inconnues, étrangères aient le droit, sans mon accord, de toucher mon corps, le centre de mon intimité ? Je lui ai donc demandé systématiquement sa permission et ce n’est qu’après avoir eu son autorisation que je me suis autorisée à la toucher, en douceur et en lui expliquant les gestes que j’allais effectuer. J’ai veillé à ne pas faire de gestes offensants, à ne découvrir que partiellement son corps et essayé, dans la mesure du possible, d’acquiescer à toutes ses demandes. Ainsi, le moment de notre première rencontre autour de la toilette s’est bien déroulé. C’est à travers cette capacité d’être à l’écoute de ses désirs et par le fait que j’ai respecté sa pudeur que s’est établie progressivement une relation de confiance entre nous qui lui a permis d’évoquer ses difficultés à se retrouver nue devant quelqu’un alors qu’elle ne s’était jamais déshabillée devant son conjoint.
“Mme C demandait une aide pour sa toilette alors que physiquement, elle était en mesure de l’effectuer seule. Au début, j’ai accepté de remplir ce rôle à sa place car j’ai compris qu’elle avait besoin d’une présence pour la rassurer, d’une seconde béquille.” De plus, ma présence relevait de l’ordre de l’affectif, Mme C demandait de l’affection, de l’écoute liée à la situation d’abandon dans laquelle elle se trouvait. Au fur et à mesure de notre relation, j’ai pu l’amener à se débrouiller seule et réapprendre les gestes nécessaires de la toilette. Petit à petit, je lui ai proposé de se laver seule le visage, puis quand j’ai remarqué qu’elle se sentait à l’aise dans ses mouvements, je lui ai demandé de se laver le torse, les cuisses, les pieds et de faire sa toilette intime. En ce qui concerne les gestes techniques, à la fin de son séjour, ma présence à ses côtés se résumait à lui laver le milieu du dos et à lui prodiguer des soins de confort. Pour la douche. Mme C restait assise et je m’occupais de la mouiller, puis de laver et rincer ; elle restait très passive ; passivité liée à la fois à sa gêne et à son sentiment d’incapacité. Petit à petit, j’ai prié Madame C de tenir la pomme de douche, puis de se mouiller et se laver seule. Sa pudeur atténuée et une confiance en elle retrouvée lui ont permis de se tenir debout dans sa douche et de se laver plus ou moins seule. »
Virginie Sardant-Laflaquière

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« La relation avec J. s’est établie et enrichie au fil des jours. Tout d’abord, il y a eu une phase d’approche commune pendant laquelle nous nous sommes observées. Cette étape d’observation, de mise en confiance est la base essentielle de tout travail. Il faut que la personne dont on s’occupe sente que c’est elle qui est actrice de sa vie, capable de décider de savoir ce qui est bon pour elle.
“… je retourne dans la chambre et j’aide Julie à marcher jusqu’à la salle de bain. Lorsqu’elle est trop fatiguée, ce déplacement se fait en fauteuil roulant.
Julie s’assoit sur la chaise proche du lavabo et très souvent nous prenons quelques minutes pour discuter sur ce qu’elle a fait la veille ou le week-end. Julie s’intéresse aussi à moi car régulièrement elle me questionne sur ce que je fais en dehors du stage.
Je lui prépare la brosse à dents et le dentifrice puis je la sollicite pour qu’elle se brosse les dents seules. Certain jour, je l’aide en lui soutenant le bras car sinon elle n’y arrive pas. Je lui remplis un gobelet d’eau que je lui amène jusqu’à la bouche pour qu’elle puisse se rincer. Julie est incapable de porter un verre d’eau jusqu’à sa bouche.”
Après le brossage des dents, j’aide Julie à se rendre sur la chaise dans la douche. Pour cela, je me mets face à elle, je lui tiens les bras et je lui demande un effort pour se lever. Je ne tire pas sur les bras, c’est elle qui force sur les jambes, moi je la soutiens.
“… Se mettre à nu devant quelqu’un ne doit pas être évident. Mais au fil des semaines, J. et moi-même avons fait de ce moment un instant de partage. En effet, j’adore la musique alors en même temps que je l’aide à se déshabiller nous chantons à tour de rôle et parfois ensemble. C’est un instant très agréable où l’on rit beaucoup car a priori je ne dois pas bien chanter.
… Durant ce moment, dans la douche Julie ne parle pas et très souvent elle ferme ses yeux. Je respecte donc son silence qui est compréhensible. En effet, à 20 ans comme à tout âge d’ailleurs il n’est pas évident qu’une personne pose les mains sur notre corps pour nous laver.” »
Élodie Fernandez

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… « Dans mon accompagnement de G. à la toilette, je travaille sur la sécurisation de ce moment.
C’est une sécurisation psychique et physique de sa personne. Je fais en sorte que la situation soit rassurante et non anxiogène afin d’éviter toute crise d’angoisse qui l’amènerait à s’arracher les cheveux.
C. se retrouve nu devant moi. Il doit être mal à l’aise et peut se sentir vulnérable. Comme la plupart des résidents, ce dernier a un schéma corporel troublé. Il perçoit son corps tel un puzzle où les différentes pièces ne sont pas forcément bien liées, où les limites sont floues. C. a toujours la crainte que les parties de son corps se disloquent. Les vêtements sont une seconde peau pour lui qui enveloppe son corps.
Lorsqu’il se retrouve nu, il devient fragile et angoissé. C’est à moi alors de rendre la situation contenante et sécurisante.
Plusieurs fois, je me suis aperçue que G. se regarde avec insistance dans la glace. En échangeant avec la psychologue qui le suit, j’ai appris que son reflet est un repère rassurant qui lui renvoie une image corporelle entière. Pendant la toilette, j’évite de me placer entre lui et le miroir. Je reste à ses côtés. S’il oublie de laver une partie de son corps, je l’interpelle et je me mets devant lui. Je lui signale qu’il a oublié un endroit sur son corps et désigne lequel en y faisant référence sur mon corps. À ce moment-là, je deviens, à mon tour, un miroir. En aucun cas, je me permets de le toucher dans cette circonstance car il peut le vivre comme une agression.
Le face-à-face est bref. Je ne reste pas pendant toute la toilette devant lui pour éviter de le rendre anxieux. Certes, je surveille mais cela reste un contrôle humain et bienveillant. Lors de cet acte de la vie quotidienne, je fais très attention à cette proximité dans la relation duelle. Je reste à ses côtés mais pas trop près non plus. Je respecte son espace.
De façon générale, je crée toujours un espace confiné ni trop ouvert, ni trop fermé pour apaiser les craintes de C. Les portes de la chambre et de la salle de bain sont entrouvertes. D’abord, cela fait partie du règlement institutionnel. Les portes doivent être ouvertes pour que mes collègues puissent intervenir si j’ai besoin d’aide pour calmer le résident. C’est donc une protection pour C. et moi. De plus, garder les portes mi ouvertes permet de garder la chaleur dans la pièce et d’éviter la buée sur le miroir. Dans un respect de sa dignité, le rideau de douche reste tiré.
Je m’appuie toujours sur les transmissions des veilleurs de nuit pour savoir si C. a bien dormi ou s’il a été malade. Cela va nuancer mes attitudes. Elles sont enveloppantes et apaisantes : je souris, et m’adresse à lui avec une voix posée, basse, toujours mon regard en quête du sien. Je pars du principe que même si le résident est sourd, il ressent et reçoit mon intention.
Je lui laisse également un espace et un temps de plaisir où il savoure le contact de l’eau chaude sur sa peau. Cela semble avoir des vertus apaisantes car le résident sourit. Ce même contact remplace la fonction enveloppante de ses vêtements ôtés.
Enfin, il n’oublie pas son besoin de maîtriser son environnement et j’y réponds en le laissant vérifier que tous ses produits de toilette sont fermés et rangés. Cela le sécurise. »
Virginie Alquier

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« La plupart du temps nous étions deux pour préparer S. à la douche. Nous nous munissions de gants et d’un tablier jetable en raison de la présence d’une bactérie multirésistante (bmr) au niveau de la sonde gastrique de S.
Avant de commencer la toilette il faut l’anticiper, savoir comment s’est passée la nuit en lien avec l’équipe de nuit, il faut éviter de morceler la prise en charge de la personne mais l’inclure dans un tout. Il est donc nécessaire de bien préparer tout le matériel avant pour que la toilette ne soit pas parasitée par un oubli.
II faut bien chauffer la salle de bain. S. étant très frileuse, préparer le lit douche et le lève personne, ne pas oublier les freins, bien préparer le nombre de gants et serviettes suffisants (pour le haut et le bas du corps…).
… II fait très chaud mais cela est nécessaire pour le confort de S., j’ai vite appris à mettre une tenue légère pour la toilette car il est important de se sentir à l’aise, toujours dans l’objectif d’être le plus disponible possible. Lorsque je la savonne avec le gant je fais des mouvements arrondis, amples et réguliers à la manière d’un massage, je module le ton de la voix, l’ambiance est douce, ouverte à la réception des sensations et au respect mutuel. L’espace d’expérimentation de S. étant très limité, la toilette est l’occasion de stimuler ses enveloppes psychiques avec douceur, respect, les gestes et la voix sont enveloppants, maternants, unifiants. La psychologie du développement a très bien décrit l’importance de la continuité de la relation de sécurité et la qualité du lien, cette attitude soutient la pulsion de vie.
Je laisse couler un filet d’eau le long de son dos car on m’a appris qu’elle appréciait cela. Bien sûr je vérifie l’état de la peau et des téguments, la présence de marques sera notée et transmise, traitée par crème et/ou massage. Je la masse délicatement en lui lavant la tête, lui parle, chantonne.
Le séchage du corps de S. et notamment des plis est très important pour éviter toutes macérations, c’est entre autre pour cette raison que j’utilise plusieurs serviettes.
… II m’a été difficile de pouvoir lui parler naturellement au départ car en plus de ne pouvoir répondre S. n’a plus le regard. Au départ je ne savais pas à quel repère me raccrocher pour entrer en relation. La rencontre avec S. m’a renvoyé la sensation négative de m’occuper “d’un gros bébé” qui n’a pu se développer ; sans doute la culture, l’inconscient collectif ne nous préparent pas à la différence, à la nudité, à la difformité qui pourtant n’enlèvent en rien l’humanité, au contraire chez les résidents de la mas, j’ai rencontré des personnes très sensibles et très fines dans la relation. Cette image m’a heurté un instant puis assez rapidement j’ai appris à apprivoiser cet échange impalpable, à dépasser la crainte, le malaise face au manque de repère relationnel. Au début, j’ai trouvé cette toilette techniquement difficile par le nombre de manipulations délicates. De plus la corpulence de S. nécessite quasiment un lien de corps-à-corps.
Avec l’expérience et la transmission du savoir-faire et du savoir-être de l’équipe, mes gestes sont devenus plus assurés et j’ai pu de plus en plus personnaliser ce moment.
La relation créée aidant, j’ai été plus dans le ressenti et dans l’écoute de ses besoins. »
Pierre Carrie

20Il y a beaucoup d’autres textes, des « textes de formation ». Comment se fait-il que l’on ne retrouve pas forcément trace de ces talents dans les écrits institutionnels ?

21Un certain formatage, un désir de lecture plus organisée vogue-t-il à ce point les ailes des amp ? Être « obligé de rendre compte » a souvent du bon dans nos métiers, à condition de suffisamment lâcher la bride pour que le témoignage retrouve la créativité qui conduit ces moments.

22Il y a tant de choses dans ces extraits : une vraie compétence technique, une belle capacité à redonner du sens aux actes, un partage/passage d’informations, une observation indispensable, une connaissance de l’humain, de ses tourments et des attitudes qui vont permettre de vivre aux mieux ces instants partagés, quotidiens, essentiels.

23Merci au premier groupe de formation de l’Institut Saint-Simon de Toulouse pour la justesse de leurs textes.

Français

Résumé

Le passage pour la formation, le compte-rendu par l’écriture : réflexion, témoignage, positionnement, et prise de position. Rencontre de personnes, rencontres formatrices, rencontres humaines autour d’un « moment clef du quotidien ».

Mots-clés

  • passage
  • amp
  • écriture
  • témoignage
  • toilette
  • culture professionnelle
  • rencontres
  1. Extraits
Michel Baquedano
Formateur amp, Institution Saint-Simon arseaa, avenue du général De Croutte, 31100 Toulouse,
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/08/2008
https://doi.org/10.3917/empa.070.0079
Pour citer cet article
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