CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La politique de défense en France est à un tournant. En effet, elle fait face à une double contrainte allant dans des directions opposées : la stratégie du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale [2008], qui milite pour une augmentation du budget du ministère de la Défense et, à l’inverse, la crise économique récente qui réduit les possibilités de financement.

2D’une part, le Livre blanc développe un certain nombre de nouvelles menaces, en particulier le terrorisme et la guerre bactériologique. Pour faire face à ces nouvelles menaces et accroître la capacité d’anticipation, sont proposées des orientations pour la politique de défense. Ainsi, le budget du ministère devra être accru de 1 % par an en volume à partir de 2012. Cela a pour but d’augmenter en priorité l’équipement mais, à l’inverse, des réductions de personnel (54 000 en six ans, essentiellement du personnel civil) sont prévues. Ainsi, la capacité d’intervention en opérations extérieures, sur des périodes longues, est assurée.

3D’autre part, la crise financière récente a rebattu les cartes. La défense doit concourir à l’effort de désendettement public. La loi de finance initiale de 2010 fait apparaître un budget hors pensions de 32,2 milliards d’euros et le projet de loi de finance 2011, un budget en baisse à 31,2 milliards d’euros. L’effort de défense de l’année 2010 est déjà réduit par rapport à celui de 2009, puisque le budget s’élevait à 32,99 milliards d’euros.

4Pour le chef d’État-Major des armées, une telle baisse signifie une réduction des ambitions stratégiques de la France. Dans une telle perspective, la France devrait limiter ses interventions extérieures et revoir à la baisse ses engagements en termes d’investissement. En outre, l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, a souligné que « revenir sur les économies réalisées conduit à remettre en question les conclusions du Livre blanc » bien que, plus tard, il ait concédé le caractère nécessaire de la participation de la défense à l’assainissement des finances publiques. Aussi, n’est-il pas surprenant de noter le rapprochement avec le Royaume-Uni [1], à la fois en ce qui concerne la construction d’un second porte-avions et la mise en commun de moyens concernant le secteur nucléaire [2].

5Pourtant, le poids qu’exerce l’activité de défense sur l’économie est important. Quelques chiffres permettent de bien situer le poids économique des dépenses militaires en France. En moyenne, sur la période 1960-2008, le ratio dépenses militaires sur pib (également appelé effort de défense) est égal à 3,75 %, et le secteur militaire représente 21,5 % des dépenses publiques. Par ailleurs, presque 10 % des emplois industriels sont liés à l’industrie d’armements [3].

6Une autre caractéristique, et non des moindres, tient dans la composition du budget de la défense. En effet, le secteur de la défense constitue le premier « investisseur » public central. La mise en place de la lolf (loi organique relative aux lois de finances) permet de décomposer le budget en missions dont l’une d’elles est la mission « défense ». Pour chaque mission, le budget est lui-même séparé en différents titres (personne, fonctionnement, investissement, intervention et opérations financières). En 2011, le budget de l’État est égal à 390 milliards d’euros, le titre 5 relatif à l’investissement étant égal à 12,6 milliards d’euros [4]. La contribution du ministère de la Défense au titre 5 est de 9,432 milliards d’euros, soit près des trois quarts du budget d’investissement de l’État central.

7Par ailleurs, cette contribution est relativement importante depuis longtemps, la France ayant fait, depuis la Seconde Guerre mondiale, le choix d’une industrie de défense nationale et centralisée. Les vagues de privatisations et de regroupements successifs n’ont pas remis en cause la participation de l’État puisque le budget d’équipement du ministère de la Défense depuis 1980 est, en moyenne, de 15 milliards d’euros (soit, à peu près, la moitié du budget du ministère). Enfin, il convient de signaler que cette caractéristique est assez originale dans le sens où, dans la majeure partie des pays développés, les dépenses de fonctionnement constituent l’essentiel du budget de la défense. Smith [2009] explique que la France partage ce trait avec les États-Unis et le Royaume-Uni, ces deux pays partageant à la fois l’importance de l’industrie de défense et des ambitions stratégiques sur la scène internationale.

8Eu égard aux contraintes pesant sur le financement de l’activité de défense et compte tenu du poids exercé par la défense, en particulier l’importance des dépenses d’équipement, il est donc nécessaire de quantifier les effets des dépenses militaires sur l’économie et en particulier sur la croissance. Ceci constitue l’objet de cet article.

9À ce titre, la littérature sur la relation défense-croissance ne permet pas de tirer des conclusions claires quant à l’efficacité des dépenses de défense sur l’activité économique. Ceci peut s’expliquer par la multiplicité des effets par lesquels les dépenses militaires affectent la croissance. Dunne et al. [2005] distinguent trois canaux. Le premier est celui de demande, qui vise à déterminer l’impact d’une stimulation de dépenses militaires, dans un cadre keynésien. Le second est le canal d’offre qui cherche à mettre en perspective les besoins en termes de facteurs de production et leur allocation entre les différents secteurs de l’économie. Enfin, le dernier canal est celui de la sécurité qui est l’objet premier de l’activité de défense.

10Toute la difficulté est de savoir comment se combinent ces différents effets. Comme le note Deger ([1986], p. 203), « the sum total of channels form a rather complex phenomenon and the final effect may be difficult to estimate ». Pour contourner cette difficulté, nous proposons d’utiliser un modèle non linéaire captant le comportement asymétrique des dépenses militaires, compte tenu des multiples relations allant dans des directions opposées.

11Schématiquement, seuls deux effets sont susceptibles d’une évaluation fiable, à savoir les effets d’offre et demande. Les effets de sécurité sont, par essence, difficiles à mesurer dans la mesure où nous ne disposons pas de données sur la confiance générée par un supplément de dépenses militaires. Toutefois, l’hypothèse de linéarité est trop restrictive dans la mesure où l’intensité des effets peut être différente en vertu d’existence de seuils [5], modifiant alors l’influence des canaux par lesquels la croissance économique est affectée par les dépenses militaires.

12En conséquence, nous allons évaluer les effets de l’effort de défense dans un contexte non linéaire. Notre application empirique porte sur la période 1960-2007. Nos résultats indiquent que l’estimation non linéaire est préférable à l’estimation linéaire, suivant plusieurs critères de sélection. L’impact des dépenses militaires varie en fonction du taux de croissance : pour les cas de croissance faible et de croissance élevée, il est négatif, mais devient positif pour le régime de croissance intermédiaire.

13Suite à cette introduction, la section suivante fait un état de la littérature de la relation défense-croissance, en insistant sur l’approche non linéaire. La troisième section présente les données, les raisons expliquant le choix d’une approche non linéaire et la méthode empirique utilisée dans le cadre de cette étude. Par la suite, nous détaillons les résultats du modèle lstr. Enfin, la dernière section conclut l’article en indiquant quelques recommandations de politique économique.

Revue de littérature

14Benoit [1973] est à l’origine du débat sur la relation défense-croissance. Ce dernier met en évidence le fait que les dépenses militaires stimulent la croissance pour un ensemble de pays en développement, à travers une amélioration en termes de capital humain. L’analyse de Benoit a suscité de nombreux commentaires, de sorte que de nombreux modèles ont été développés par la suite. En outre, les cas d’applications empiriques sont multiples, aussi bien en coupe transversale qu’en séries temporelles ou en données de panel. Pourtant, comme le notent Dunne et Uye [2009], aucun consensus n’émerge de cette vaste littérature. Aussi, semble-t-il difficile de mettre en exergue la supériorité d’un modèle en particulier.

15Brièvement, notons qu’il existe des modèles d’offre visant à quantifier les externalités inhérentes au secteur de la défense. A contrario, les modèles de demande cherchent à mettre en avant les effets d’éviction, qui, indirectement, affectent négativement la croissance. Enfin, des modèles à équations simultanées combinent les deux approches précédentes dans une optique plus globale [6]. Dans la mesure où chaque modèle confirme les prédictions théoriques, ils ne sont pas réellement informatifs [7].

16Pourtant, la recherche de la non-linéarité apparaît comme une piste de recherche prometteuse, puisqu’elle met en évidence le caractère asymétrique des effets des dépenses militaires, cadrant bien avec la complexité de la relation. Dès les premières études, l’existence d’un comportement non linéaire a été signalée [8]. Toutefois, le cadre linéaire a été préféré dans un souci de simplicité, même s’il impose des contraintes fortes en termes économétriques.

17D’un point de vue historique, le premier auteur à introduire une modélisation non linéaire est Landau [1994]. Dans sa spécification à la Barro[9], il introduit la valeur des dépenses militaires au carré pour un ensemble de pays en développement. Il montre que, pour des niveaux d’effort de défense inférieurs à 6 %, la relation est positive et devient négative pour des niveaux supérieurs à ce seuil. Landau [1996] obtient des résultats comparables pour des pays de l’ocde.

18Le développement de l’économétrie des séries temporelles a permis de tester récemment l’hypothèse non linéaire avec des outils modernes. Ainsi, certains articles utilisent des modèles non linéaires à transition brutale (setar, Self Exciting Threshold AutoRegressive). Plusieurs études retiennent cette modélisation. Citons Cuaresma et Reitschuler [2004] pour les États-Unis, Cuaresma et Reitschuler [2006] pour un ensemble de pays et enfin Lee et Chen [2007] pour Taïwan. Dans chaque cas, l’hypothèse non linéaire est acceptée et le comportement asymétrique des dépenses militaires, validé : en fonction du niveau d’effort de défense, l’effet de ce dernier sur la croissance est différent. Plus récemment, d’Agostino et al. [2011] montrent, dans le cadre d’un modèle de Barro [1990] modifié et en utilisant une régression à transition souple, que les dépenses d’investissement (militaire ou non militaire) ont des conséquences positives sur la croissance à l’inverse des dépenses de consommation.

19Dans le cas français, très peu d’études s’intéressent à la relation défense-croissance [10]. Citons l’article de Percebois [1986] qui montre, dans le cadre d’un modèle ad hoc, sur la période 1958-1982, qu’aucune relation n’apparaît entre effort de défense et croissance. Martin et al. [1987] estiment un modèle à plusieurs équations et révèlent que le budget de la défense a eu un effet direct sur la croissance. Aben [1988] indique que les dépenses militaires ne constituent pas un fardeau pour la croissance mais ne sont pas pour autant un outil efficace de politique économique. Aben [1992], au travers d’un calcul de corrélation, aboutit à la conclusion qu’il n’y a pas de relation significative, bien qu’elle soit proche de l’être.

20Au vu de cette brève revue de littérature, il apparaît que notre approche est originale. En effet, aucune approche fondée sur la modélisation non linéaire n’est proposée dans le cadre français. De plus, l’absence de consensus et d’études récentes milite pour un réexamen des effets de l’effort de défense sur la croissance.

Modèle

21Dans cette section, nous allons, dans un premier temps, détailler les variables qui seront utilisées lors de notre application empirique. Par la suite, nous examinons les raisons pour lesquelles la relation défense-croissance exhibe des non-linéarités. Enfin, nous présenterons brièvement le modèle lstr qui est employé pour mettre en évidence la relation non linéaire entre défense et croissance.

Les données

22Afin de quantifier les effets des dépenses militaires sur la croissance, nous avons besoin de deux variables. La première est le taux de croissance du pib par tête, noté g, qui est issue des bases de données du Penn World Table. Ensuite, nous retenons l’effort de défense, noté m et mesuré par le rapport dépenses militaires sur pib. Cette donnée est fournie par l’organisme sipri[11] (Stockholm International Peace Research Institute). Les données sont annuelles et disponibles sur la période 1960-2007.

23Avant toute chose, il convient de déterminer les propriétés de chacune des variables. Nous appliquons alors les tests de Dickey-Fuller et Philipps-Perron, suivant la stratégie de Dickey et Pantula. Le résultat de ces tests est indiqué dans le tableau 1.

Tableau 1

Tests de racine unitaire

Tableau 1
Variable adf niveau retard adf différence retard pp niveau pp différence g – 4,664 0 – 7,184 1 – 4,658 –14,045 m – 5,201 0 – 2,517 1 – 4,117 – 3,740

Tests de racine unitaire

24Le modèle testé pour le taux de croissance est celui qui possède à la fois une tendance et une constante, alors que celui pour l’effort de défense ne possède aucun terme additionnel. Il apparaît du tableau 1 que les deux variables utilisées pour notre analyse sont stationnaires [12].

25Compte tenu de notre choix de variables, l’approche sera simple. Elle ne se fonde pas sur un modèle théorique formel, mais cela se justifie par le fait que la supériorité d’aucun d’entre eux n’a été montré. L’équation estimée prend la forme suivante :

26

equation im2

27À travers ce modèle, nous pouvons étudier l’existence et la quantification des effets des dépenses militaires sur la croissance, à la fois de manière immédiate (mt) et avec des retards equation im3. Cette modélisation est cohérente d’après l’examen des effets de l’effort de défense : en effet, il existerait des effets de demande de court terme à contrebalancer avec des effets d’offre qui opéreraient sur le long terme (voir Smith et Smith [1983] à ce sujet).

28Par ailleurs, les valeurs retardées du taux de croissance sont introduits dans notre modèle. D’un point de vue théorique, des phénomènes de persistance peuvent apparaître dans le processus de croissance, comme le note Jones [1995]. D’un point de vue économétrique, Teräsvirta [2004] souligne la faible puissance du test de linéarité dès lors que des problèmes d’autocorrélation apparaissent. Aussi, ajouter les valeurs retardées de la variable endogène vise à contourner un tel écueil.

Origines de la non-linéarité

29Dans la littérature examinant la liaison entre dépenses militaires et croissance, un grand nombre d’études utilisent des régressions fondées sur une approche linéaire, en considérant que l’effet de l’effort de défense est uniforme. Une telle façon de procéder est séduisante puisqu’elle a l’avantage de la simplicité de mise en œuvre. Toutefois, cette simplicité a un coût, matérialisé par la pauvreté des conclusions qui lui sont associées.

30En effet, nous avons déjà présenté dans l’introduction que l’influence des dépenses militaires est liée à trois canaux (demande, offre et sécurité) pour lesquels les directions sont potentiellement opposées. L’effet net ne peut plus alors être considéré comme uniforme mais plutôt comme non linéaire. Il faut alors déterminer le processus guidant la non-linéarité car estimer un modèle non linéaire requiert de déterminer une variable de transition qui va gouverner le processus de transition entre les régimes.

31La littérature passée peut fournir des arguments quant au choix de la variable de transition. Parmi les études utilisant une telle approche, il faut noter la prévalence de l’effort de défense comme variable de transition. L’idée sous-jacente à un tel choix tient au développement des modèles de la croissance endogène.

32En effet, Barro [1990] montre que l’effet des dépenses publiques, dans le cadre d’un modèle AK, est non monotone : d’une part, elles déprimeraient la croissance à cause de leur financement mais, d’un autre côté, elles permettraient d’accroître la productivité du secteur privé, le niveau optimal étant déterminé lorsque ces deux effets contraires s’équilibrent. Devarajan et al. [1996] ont alors proposé une extension de ce modèle en effectuant une décomposition des dépenses publiques en différentes catégories. Dans ces conditions, la variable de transition choisie est l’effort de défense, ce qui renvoie à l’idée de la recherche du niveau des dépenses militaires qui maximiserait la croissance économique.

33Toutefois, il est possible de montrer que les sources de non-linéarité peuvent être différentes de cette dernière. En effet, même si empiriquement ces autres sources n’ont pas reçu un écho favorable, il convient d’examiner d’autres arguments tout aussi vraisemblables. Le premier d’entre eux est l’importance de l’accès aux ressources pour financer l’effort de défense. Deger [1986] propose une analyse systématique de la non-linéarité pour un ensemble de pays en développement en les catégorisant en fonction de leur capacité à obtenir des ressources. Il apparaît que si l’accès à ces ressources est difficile, alors l’impact des dépenses militaires serait défavorable alors que l’inverse se produit pour les nations à ressources non contraintes [13]. Nous retrouvons alors l’idée selon laquelle un pays peut se « payer » une défense nationale.

34Modéliser une telle approche nécessite de retenir une variable permettant de caractériser la possibilité du pays à accéder aux ressources financières. Compte tenu de la forme de l’équation (1), seule la variable endogène retardée peut jouer ce rôle. En effet, nous savons que le budget de l’État est contracyclique, de sorte qu’en période de croissance faible, les recettes étant plus faibles et les dépenses plus élevées, le déficit se creuse, rendant alors le coût d’opportunité de la dépense publique plus élevé (et réciproquement dans le cas d’une croissance passée élevée). À titre d’illustration, Aben et al. [1993] discutent des arbitrages opérés parmi les dépenses publiques.

35Par ailleurs, certains auteurs ont détecté que les conclusions des régressions économétriques dépendent fortement de la période d’analyse. L’étude de Brauer [2007] est particulièrement instructive à ce titre. Il utilise le même modèle, appliqué sur les données américaines, en utilisant trente-trois régressions roulantes et montre que douze d’entre elles mettent en évidence des signes opposés et que le ratio entre le paramètre ayant la valeur la plus élevée et celui ayant la valeur la moins élevée est égal à 1294,8. Dans l’optique de cet argument, le mécanisme associé à la non-linéarité, détecté au travers de l’instabilité des paramètres, serait lié à un effet des dépenses militaires qui ne soit pas uniforme dans le temps.

36Dans la mesure où les coefficients dépendent de la période d’analyse, il faut alors séparer l’échantillon en sous-périodes de manière à capter la structure non monotone des données. En conséquence, la tendance linéaire serait alors la variable de transition, et, alors, les seuils seraient alors identifiés comme des années dont nous pourrons interpréter l’origine.

37Enfin, la non-linéarité peut être associée à des événements exogènes qui ne sont que partiellement détectés dans les données. C’est notamment le cas pour les périodes de conflit pour lesquels il est possible de mettre en évidence une augmentation des dépenses militaires (Smith [1989]). Les effets économiques des conflits et des menaces qui en découlent peuvent alors être examinés. Aizenman et Glick [2006] expliquent que les dépenses militaires influencent négativement la croissance, mais, lorsque les auteurs contrôlent par le niveau de menaces, l’influence devient positive.

38Afin de vérifier si ce type de non-linéarité est susceptible d’apparaître dans notre cas d’analyse, nous identifions les périodes de conflit et leur impact sur notre régression. Dans le cas de la France, même s’il n’y a pas eu de conflits majeurs menaçant l’intégrité de son territoire, le pays a été engagé dans un certain nombre d’interventions armées, principalement des missions de maintien de la paix.

39Nous créons alors une variable dichotomique, prenant la valeur de 1 pour les années où une intervention armée a eu lieu et 0 autrement [14]. Nous ajoutons ensuite cette variable de conflit dans l’équation estimée (1) ainsi qu’une variable d’interaction conflit × effort de défense (comme le suggèrent Aizenman et Glick [2006]). En aucun cas, ces variables ne sont significatives. Par ailleurs, le test de linéarité indique que l’hypothèse de non-linéarité est rejetée pour ces deux variables [15], de sorte que nous pouvons les exclure de notre étude.

40L’intérêt de notre analyse est de considérer plusieurs sources de non-linéarité, alors que précédemment la variable de transition était déterminée a priori. En retenant une telle posture, nous adoptons une posture neutre vis-à-vis de la modélisation, car le choix a priori est partiel et conduit à choisir la supériorité d’un argument par rapport aux autres. En outre, nous retenons une approche athéorique, ce qui rend nécessaire la recherche exhaustive de non-linéarité.

Modélisation non linéaire : l’approche str

41Afin d’estimer la relation défense-croissance dans un cadre non linéaire, nous choisissons le modèle de régression à transition souple (Smooth Transition Regression), introduit originellement par Teräsvirta [1994]. La formulation générale est la suivante :

42

equation im4

43yt est la variable dépendante, zt un vecteur de variables explicatives, equation im5 un vecteur de variables exogènes et equation im6. Les coefficients de la partie linéaire de la régression sont donnés par equation im7 et ceux de la partie non linéaire par equation im8.

44G(?, c, st) indique la fonction de transition, il s’agit d’une fonction bornée entre 0 et 1 de la variable de transition st. La variable de transition, st, peut être un élément de la variable endogène [16] ou une variable exogène ou bien encore une tendance linéaire. ? est un paramètre de pente qui indique la vitesse de transition entre les régimes. c est le paramètre de seuil, qui peut prendre plusieurs valeurs. Une spécification générale de la fonction G(?, c, st) est la fonction logistique :

45

equation im9

46Avec une telle fonction de transition, le modèle retenu est appelé lstr. K indique le nombre de seuils ; si K = 1 (lstr1), il n’y a qu’un seul seuil et le modèle possède deux régimes, les paramètres changeant de manière monotone en fonction de st. Dans le cas où K = 2, le modèle lstr2 possède trois régimes, mais les deux régimes extrêmes ont le même comportement (pour des valeurs faibles et élevées de st).

47Avant de procéder à l’estimation du modèle lstr, il convient tout d’abord de tester l’hypothèse de linéarité. Le test de linéarité a été proposé par Luukkonen, Saikkonen et Teräsvirta [1988]. Il propose de contourner le problème d’identification sous l’hypothèse nulle ? = 0, en approximant la fonction de transition par un développement de Taylor. La fonction de transition auxiliaire » prend la forme suivante :

48

equation im10

49equation im11 indique le reste du développement de Taylor. Sous l’hypothèse nulle, R3 (?, c, st) = 0 et donc u*t = ut : le reste n’affecte pas les propriétés des erreurs (Van Dijk, Teräsvirta et Franses [2002]). L’hypothèse nulle est H0 : ?1 = ?2 = ?3 = 0.

50Dans le cas où l’hypothèse de linéarité est rejetée, il convient de distinguer entre un modèle lstr1 et un modèle lstr2. Le test est séquentiel, il est basé sur l’ensemble d’hypothèses suivantes :

51

equation im12

52Si la plus petite p-value est associée au test H03, le modèle retenu est un Lstr2 ; autrement, le modèle choisi est un lstr1. Si tous les tests rejettent simultanément la linéarité, alors le plus fort rejet compte.

53Après le rejet de la linéarité, l’étape suivante consiste à estimer le modèle. Un algorithme non linéaire est utilisé, qui requiert de choisir de bonnes valeurs initiales [17]. Un problème récurrent est l’estimation du paramètre ? : dès lors que le paramètre prend une valeur élevée, l’écart type est également élevé, conduisant à un t - ratio faible. Cela dit, le problème est purement numérique et ne suggère pas une éventuelle redondance de la partie non linéaire.

54Enfin, une fois le modèle estimé, il convient d’évaluer la pertinence du modèle. Certains tests sont également utilisés dans un cadre linéaire, comme la normalité, l’autocorrélation et les effets arch. Cependant, deux tests sont importants dans notre contexte : la non-linéarité additionnelle et la constance des paramètres [18]. Le premier teste si le modèle str s’adapte correctement à la non-linéarité contenue dans les données, alors que le second contrôle s’il n’y a pas une évolution de la valeur des paramètres dans le temps.

55Pour résumer, la démarche empirique, adoptée pour cet article, est la suivante : (i) estimer le modèle dans un cadre linéaire, (i) tester la linéarité, (iii) estimer le modèle non linéaire, après avoir déterminer les bonnes valeurs initiales, en cas de rejet de la linéarité et (iiii) valider le modèle lstr à l’aide des tests adéquats.

Résultats

56Dans cette section, nous allons présenter les résultats de notre analyse économétrique en nous basant sur les différentes étapes indiquées dans la section précédente. Ainsi, nous commençons par les conclusions du modèle linéaire. Nous retenons la spécification la plus générale, contenant à la fois des valeurs retardées de la variable expliquée ainsi que les valeurs immédiates et retardées de l’effort de défense. Une fois tous les coefficients non significatifs retirés, le modèle linéaire prend la forme suivante :

57

equation im13

58R2 ajusté = 0,2687 ; pARLM(1) = 0,1421 ; pARLM(2) = 0,3349 ; pARCH(1) = 0,4644 ; pARCH(2) = 0,7279 ; pJB = 0,5128 ; equation im14 ; AIC = – 5,1488 ; SIC = – 4,9898.

59Les valeurs entre parenthèses indiquent les écarts types des paramètres estimés. pARLM(.) est la probabilité du test lm d’autocorrélation, où le chiffre entre parenthèses indique l’ordre du test ; pARCH(.) est la probabilité du test arch, où le chiffre entre parenthèses est l’ordre du test ; pJB est la probabilité du test de normalité ; equation im15 est l’écart type des résidus. AIC et SIC indiquent la valeur des critères d’information d’Akaike et de Schwartz respectivement.

60Nous notons que tous les erreurs possèdent les bonnes propriétés statistiques. Les coefficients sont tous significatifs au seuil de 5 %. Il apparaît de cette spécification linéaire que l’effort de défense a un effet immédiat négatif qui devient positif avec un retard. La valeur du coefficient à la date t - 1 est supérieure à celle du coefficient à la date t, de sorte qu’un effet globalement positif est à attendre. Ceci est vérifié par le calcul de l’élasticité de long terme [19] qui est égale à 0,157 %. Nous pouvons alors postuler que l’impact net de la défense sur la croissance est positif, les effets négatifs de court terme étant dominés par des effets d’entraînement positifs de long terme. Une telle conclusion n’apparaît pas réellement surprenante dans la mesure où le secteur de la défense concentre l’essentiel de l’investissement public de l’État central.

61L’étape suivante de l’analyse est le calcul du test de linéarité. Il suit la procédure décrite à la section précédente. Potentiellement, toutes les variables du modèle sont candidates pour servir de variable de transition, comme nous l’avons déjà explicité dans la sous-section consacrée aux origines de la non-linéarité.

62Le tableau 2 présente les résultats du test. F4 indique l’application de l’hypothèse H04 détaillée précédemment et ainsi de suite pour les autres tests. F se rapporte à l’hypothèse nulle du test de linéarité. Les chiffres sont les p-values associées à chaque test pour chacune des variables.

Tableau 2

Test de linéarité

Tableau 2
Variable de transition f f4 f3 f2 Modèle suggéré gt - 1 0,0092 0,5207 0,0022 0,1446 lstr2 mt 0,3129 0,2639 0,7373 0,1572 Linéaire mt - 1 0,2586 0,3756 0,4016 0,1335 Linéaire tendance 0,0218 0,7213 0,0054 0,0977 lstr2

Test de linéarité

63Le tableau 2 indique que seules deux variables sont retenues pour servir de variable de transition. Il s’agit de la tendance linéaire et de la valeur retardée de la variable endogène. Le test de linéarité est le plus fortement rejeté lorsqu’il s’agit du taux de croissance retardé [20]. Cette dernière servira donc de variable de transition. Par ailleurs, en accord avec la stratégie présentée plus haut, l’hypothèse H03 est celle qui est la plus fortement rejetée, ce qui indique le choix d’un modèle lstr2. Le rejet de l’hypothèse linéaire est cohérente dans notre analyse, compte tenu de la multiplicité des effets par lesquels les dépenses militaires affectent la croissance.

64Certains commentaires s’imposent à ce stade. En effet, les dépenses militaires ne rejettent pas la linéarité, ce qui va à l’encontre de nombreuses études passées. Dans ces conditions, notre propos sera original vis-à-vis de la littérature puisque nous ne déterminerons pas l’effort de défense optimal du point de vue de la maximisation de la croissance. Cela donne du crédit à notre hypothèse de recherche de non-linéarité systématique plutôt que de se restreindre aux seules dépenses militaires comme variable de transition.

65En revanche, le choix du taux de croissance retardé comme variable de transition n’apparaît pas surprenant. Cela traduit le fait qu’en fonction de l’activité économique et donc des conditions de financement du budget de l’État, l’effet des dépenses militaires est différent. En outre, nous pouvons alors interpréter nos résultats en fonction de « régimes de croissance » dont les seuils seront examinés après.

66Désormais, nous pouvons passer à l’estimation du modèle lstr2. Pour éviter que la non-linéarité soit captée par les observations les plus extrêmes de notre échantillon (et donc que les régimes estimés ne contiennent que trop peu d’observations), nous tronquons l’étendue de la variable de transition de 20 %. Il est donné par l’équation suivante :

67

equation im17

68où la fonction de transition G(?, c, s) prend la forme suivante :

69

equation im18

70R2 ajusté = 0,6875 ; pLMAR(1) = 0,798 ; pLMAR(2) = 0,978 ; pARCH(1) = 0,727 ; pARCH(2) = 0,999 ; pJB = 0,605 ; equation im19 ; equation im20 ; AIC = – 8,527 ; equation im21 est l’écart type des erreurs dans le contexte str. Les notations sont identiques à celles du modèle linéaire.

71Notons que l’estimation, telle qu’elle est présentée via les équations (6) et (7), implique une restriction du type ? = – ? pour tous les paramètres à l’exception de la constante. Le modèle non contraint [21] est relativement proche en termes de coefficients que le modèle contraint, mais il apparaît que les erreurs n’ont pas les bonnes propriétés, en particulier l’existence d’effet arch. Il semble alors cohérent d’imposer une restriction [22]. D’un point de vue économétrique, outre les propriétés des erreurs, tous les indicateurs (critères d’information, R2 et gain en termes de variance) confirment la supériorité du modèle contraint par rapport au modèle non contraint.

72Tout d’abord, avant de passer à l’examen des résultats, il convient de remarquer que le choix d’un modèle non linéaire est adéquat dans l’étude de la relation défense-croissance. En premier lieu, la linéarité est rejetée, comme cela a été largement indiqué dans la littérature passée. Par ailleurs, le gain d’utilisation du modèle lstr est confirmé par un ensemble de tests : le R2 est deux fois plus élevé dans un contexte non linéaire comparativement au contexte linéaire, il y a un gain en termes de variance de près de 30 % et enfin les critères d’information sont minimisés avec l’estimation du modèle lstr.

73Enfin, en accord avec la stratégie établie à la section suivante, nous présentons les tests d’absence de non-linéarité additionnelle et de constance des paramètres. Les tableaux 3 et 4 donnent respectivement les résultats de ces tests. Pour le test d’absence de non-linéarité additionnelle, les hypothèses sont identiques à celles du test de linéarité traditionnel. Pour le test de constance des paramètres, l’hypothèse nulle (1) teste uniquement la constance de la constante et l’hypothèse (2) la constance de tous les autres paramètres.

Tableau 3

Test de non-linéarité additionnelle

Tableau 3
Variable de transition f f4 f3 f2 gt - 1 0,3644 0,6198 0,4015 0,1394 mt 0,5432 0,6143 0,3104 0,4555 mt - 1 0,3914 0,2597 0,9072 0,1208

Test de non-linéarité additionnelle

Tableau 4

Test de constance des paramètres

Tableau 4
hypothèse nulle statistique du test (1) (2) lm1 0,3341 0,1049 lm2 0,6253 0,2144 lm3 0,7787 0,2141

Test de constance des paramètres

74Il apparaît qu’il n’existe pas de non-linéarité additionnelle dans la mesure où la valeur des tests est inférieure à 10 %, d’après le tableau 3. Par ailleurs, pour chacune des hypothèses testées, la constance des paramètres est assurée (tableau 4). Ainsi, la stabilité du modèle est assurée.

75Après avoir montré que le modèle lstr a les bonnes propriétés statistiques, nous pouvons désormais analyser les résultats de la régression. En premier lieu, dans la mesure où le modèle estimé est un lstr2, il possède trois régimes distincts. Il s’agit de régimes de croissance puisque la variable endogène est le taux de croissance retardé d’une période. Nous distinguons un régime de croissance faible, le seuil étant égal à 1,3 % ; un régime de croissance intermédiaire, c’est-à-dire pour des performances de croissance comprises entre 1,3 % et 4,2 % et enfin un régime de croissance élevée (pour des taux de croissance supérieur à 4,2 %). En termes d’interprétation, les deux régimes extrêmes (croissance faible et croissance élevée) possèdent la même structure de paramètres.

76En ce qui concerne l’étude de la relation défense-croissance, l’impact de l’effort de défense n’est pas identique entre les régimes. Dans la partie linéaire du modèle, l’effet immédiat est négatif mais l’effet retardé est positif, avec un coefficient supérieur en valeur absolue pour ce dernier. Aussi, pouvons-nous penser que l’effet global est positif, ce qui est confirmé par le calcul de l’effet de long terme, égal, pour ce régime, à 0,53 %. Cette valeur est supérieure à celle obtenue au modèle linéaire. Cet ensemble de paramètres concerne le régime de croissance intermédiaire.

77En revanche, pour les régimes de croissances faible et élevée, une structure différente de coefficients est mise en avant : l’impact est positif dans l’immédiat mais devient négatif avec un retard. Dans de telles circonstances, nous pouvons attendre un effet globalement négatif dans la partie non linéaire du modèle, puisque l’effet de long terme est ici égal à – 0,21 %.

78La question suivante est de savoir s’il existe des régularités temporelles entre les différents régimes. Tout d’abord, il faut noter que le régime de croissance faible comporte 13 observations (sur 48 observations au total dans notre échantillon), le régime intermédiaire 27 et le régime élevé seulement 8. Bien évidemment, les observations associées à ce dernier régime sont exclusivement groupées dans les décennies 1960 et 1970, de sorte que les régimes de croissances faible et intermédiaire constituent l’intégralité des observations à partir du milieu des années 1970. Le graphique 1 retrace les valeurs de la fonction de transition en fonction du temps.

79Sur ce graphique, nous pouvons remarquer qu’entre 1960 et 1980 la fonction de transition prend régulièrement la valeur de 1, dénotant le fait que les régimes extrêmes ont particulièrement été retenus. Par la suite, la fonction de transition fluctue régulièrement entre 0 et 1, sans qu’aucune structure particulière de résultats puisse être relevée.

80Par ailleurs, l’asymétrie associée aux dépenses militaires concerne également l’effet en termes quantitatifs. En effet, si nous comparons les effets entre les deux parties du modèle, il apparaît que l’effet de long terme pour la partie linéaire (positif dans notre cas) est supérieur à l’effet de long terme estimé pour la partie non linéaire (négatif). Toutefois, il faut remarquer que, dans les deux cas, les effets estimés sur la croissance sont relativement faibles. Ce résultat n’est pas réellement surprenant, puisque, en dépit du poids élevé du secteur de la défense, ces effets sont difficiles perceptibles (Smith [2009]). Dans ces conditions, l’existence d’une forme de « keynésianisme » militaire est difficilement supportable.

81Ainsi, la représentation de l’impact de l’effort de défense sur la croissance peut se matérialiser à travers une fonction en U inversé. En fonction du taux de croissance, les retombées des dépenses militaires ne sont pas identiques : dans les cas de croissance faible, elles sont négatives, deviennent positives pour une activité économique modérée puis redeviennent négatives au-delà d’un certain seuil.

Figure 1

Évolution de la fonction de transition dans le temps

Figure 1

Évolution de la fonction de transition dans le temps

82Dans de telles conditions, les bénéfices des dépenses militaires se présentent sous une forme concave, les coûts suivant une fonction convexe. L’intersection des fonctions de coûts et de bénéfices est donnée par les seuils estimés par le modèle lstr. Stroup et Heckelman [2001] montrent une telle représentation.

83L’origine des seuils et donc les conséquences en termes d’effet sur la croissance peuvent s’analyser facilement. Compte tenu de notre spécification, nous interprétons la variable de transition comme étant révélatrice de la possibilité d’accéder au financement du budget de l’État. Si la croissance passée est faible (inférieure au seuil estimé de 1,3 %), les possibilités de financement sont réduites et, dès lors, le coût d’opportunité de la défense est important. En outre, si la croissance est élevée (supérieure au seuil estimé de 4,3 %), des problèmes de gaspillage peuvent apparaître. Dans ces conditions, il n’est pas inenvisageable que les deux régimes extrêmes de croissance conduisent à une structure identique de paramètres.

84Dans le cadre d’une croissance faible, les dépenses militaires sont, par essence, in-essentielles et constituent alors une perte sèche : d’autres dépenses publiques peuvent servir de moteur à la croissance. Pourtant, compte tenu du fort degré d’inertie, il est difficile de revoir fortement à la baisse, en courte période, le budget de la défense. Notons, par ailleurs, que les effets de demande pour ce régime sont positifs, ce qui confirme l’analyse keynésienne. Mais globalement, les retombées négatives de l’effort de défense sont négatives, compte tenu de la supériorité des effets d’offre négatifs sur le long terme.

85Concernant l’impact négatif pour les taux de croissance élevés, il a été largement montré l’influence de l’effort de défense dans l’origine de tensions inflationnistes ou encore dans le développement d’un complexe militaro-industriel, ce dernier conduisant à des phénomènes de recherche de rentes. De plus, même si des effets de demande favorables à l’activité économique peuvent apparaître, ils sont plus que contrebalancés par des effets d’allocation avec un retard.

86À propos des effets positifs dans le régime de croissance intermédiaire, rappelons que le secteur de la défense est le premier investisseur central public [23]. En effet, pour l’année 2010, 75 % des investissements publics centraux sont initiés par le ministère de la Défense (80 % pour l’année 2011). Ainsi, les effets de débordement de l’effort de défense se matérialisent pleinement dès lors que les performances économiques sont moyennes. Globalement, les conséquences économiques de l’effort de défense sont plutôt faibles, notamment parce que des effets de demande défavorables apparaissent à court terme, traduisant ainsi l’existence d’effet d’éviction.

87Une faible efficacité des dépenses militaires n’est pas surprenante puisqu’elles n’ont pas de vocation purement économique. Il est toutefois possible de chercher à améliorer cette efficacité. Dans les cas où la croissance est modérée, cela revient à considérer une augmentation de l’effort d’investissement du ministère de la Défense : les effets d’offre dominent ceux de demande. Inversement, accroître le budget de fonctionnement dans les cas de récession ou de croissance élevée s’avère une bonne stratégie puisque cela permettrait la stimulation des effets de demande favorables à la croissance.

Conclusion

88Compte tenu de la multiplicité des effets par lesquels les dépenses militaires affectent la croissance et parce que nous ne savons pas a priori comment ces effets se combinent, la non-linéarité a été très souvent citée comme potentiellement adaptée à la modélisation de la relation défense-croissance.

89Cet article contribue alors au débat en offrant de nouvelles évidences empiriques pour le cas de la France sur la période 1960-2007. Nous utilisons un modèle à transition souple ; une telle approche non linéaire est originale dans le cas de la France. Nous montrons que le modèle lstr permet une compréhension plus adéquate de la relation défense-croissance.

90Nous devons alors mettre en avant le comportement non monotone des effets des dépenses militaires : pour les cas de croissance faible (inférieure à 1,3 %) et pour ceux de croissance élevée (supérieure à 4,2 %), l’effet est négatif mais devient positif pour les cas de croissance intermédiaire. Par ailleurs, l’asymétrie concerne l’impact en termes quantitatifs puisque, en valeur absolue, les effets positifs sont supérieurs aux effets négatifs, bien que globalement assez faibles. L’idée même d’une forme de « keynésianisme militaire » est alors sujette à caution.

91Aussi, eu égard aux perspectives actuelles de croissance (a priori moyennes) et aux orientations stratégiques conduisant probablement à une réduction de l’effort de défense, il est à craindre une diminution de l’efficacité de l’effet des dépenses militaires sur la croissance. Pour autant, puisque le secteur de la défense est le principal en matière d’investissements publics centraux, il vaudrait mieux que les réductions éventuelles portent sur le budget de fonctionnement du ministère de la Défense plutôt que sur le budget d’équipement. Ainsi, cela permettrait de répondre à l’impératif de modernisation des armées françaises dans un contexte financier défavorable.

92Même si notre analyse est partielle et sans fondements théoriques, elle permet de mettre en évidence le caractère non linéaire de la relation défense-croissance. Aussi, convient-il de rechercher, dans un contexte plus large de pays, l’existence de non-linéarité. Ceci peut donc faire l’objet d’une prochaine étude.

Je remercie la dga (Direction générale de l’armement), l’ihedn (Institut des hautes études de défense nationale) et le sgdns (Secrétariat général pour la défense nationale et la sécurité) pour leur soutien financier. Cet article bénéficie des commentaires de Jacques Aben et du rapporteur de la Revue dont les commentaires ont permis une amélioration significative de cet article. Je reste seul responsable des erreurs restantes.

Notes

  • [*]
    Université Montpellier 1, umr 5281 art-Dev. Correspondance : Université Montpellier 1, Faculté d’économie, avenue Raymond Dugrand, CS 79606, 34960 Montpellier cedex 2. Courriel : julien.malizard@univ-montp1.fr
  • [1]
    Il convient de rappeler que le plan d’austérité anglais concerne tout particulièrement le ministère de la Défense puisque 42 000 suppressions d’emplois sont à prévoir ainsi qu’une baisse de 8 % de son budget sur les quatre prochaines années. En conséquence, les programmes d’équipement seront revus pour cadrer avec les contraintes financières.
  • [2]
    Rappelons que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à posséder l’arme atomique.
  • [3]
    Source : Annuaire statistique de la défense [2010].
  • [4]
    L’investissement public au sens large, en incluant également les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale, est égal à 61,4 milliards d’euros.
  • [5]
    Nous développons dans la section 3.2 des éléments permettant d’expliquer les origines de tels seuils.
  • [6]
    Voir Ram [1995] ou Sandler et Hartley [1995] pour une analyse plus détaillée de ces modèles.
  • [7]
    Dans un sujet éminemment teinté d’a priori et donc partisan, il n’est pas surprenant de constater qu’il s’agit toujours des mêmes auteurs utilisant les modèles de demande, ceux qui croient que la relation défense-croissance est négative et réciproquement pour les modèles d’offre. Voir, à ce sujet, Sandler et Hartley [1995].
  • [8]
    Ainsi, Boulding [1974] suggère que « all the relationships explored are linear, yet it is clear from quite casual inspection that significant nonlinear relationships may be involved ». Cette référence est issue de Deger [1986].
  • [9]
    Cette spécification, originellement proposée par Barro [1991], est discutée par Durlauf, Johnson et Temple [2004].
  • [10]
    En revanche, de nombreux articles traitent de la détermination des dépenses militaires, en particulier Coulomb et Fontanel [2005].
  • [11]
    Mesurer les dépenses militaires requiert une attention particulière. L’avantage d’utiliser les données sipri est que la définition et le périmètre associés aux dépenses militaires sont les mêmes dans le temps. Par ailleurs, cette source présente l’intérêt de la comparabilité internationale.
  • [12]
    La stationnarité des séries est nécessaire pour conduire l’estimation du modèle lstr.
  • [13]
    Frederiksen et Looney [1983] reprennent les résultats de Benoit [1973] et proposent une telle interprétation de leur résultat.
  • [14]
    Pour notre période d’analyse, les périodes de conflits sont les suivantes : guerre d’Algérie (1960-1962), Tchad (1986), guerre du Golfe (1991), Rwanda (1994), Kosovo (1999), Afghanistan, Côte d’Ivoire et Liban (2002 à 2007).
  • [15]
    La valeur du test F prend respectivement la valeur de 0,9023 et 0,9871.
  • [16]
    Dans ce cas, st = yt - dd est un paramètre de retard.
  • [17]
    Voir Teräsvirta [2004] pour une présentation synthétique des méthodes d’estimation et des problèmes associés.
  • [18]
    Ces deux tests sont présentés en détail par Van Dijk et al. [2002].
  • [19]
    Dans le cas présent, elle prend la forme equation im25.
  • [20]
    Notons, par ailleurs, que l’estimation du modèle lstr2 avec la tendance comme variable de transition conduit à un modèle pour lequel les coefficients et les écarts types ne sont pas plausibles.
  • [21]
    Non présenté ici pour préserver de l’espace. Disponible sur requête.
  • [22]
    Notons que Teräsvirta [2004] suggère que ce type de restrictions est cohérent dans la mesure où le modèle estimé est basé sur un modèle linéaire sans restriction.
  • [23]
    L’importance des dépenses publiques d’investissement a été originellement signalée par Aschauer [1989].
Français

L’objet de cet article est de proposer de nouvelles conclusions empiriques à la relation dépenses militaires-croissance économique pour la France. Compte tenu de la complexité de cette relation, nous utilisons un modèle non linéaire, ce qui est original pour le cas de la France. Les résultats sont les suivants : (i) l’approche non linéaire est préférée à l’approche linéaire ; (ii) la variable de transition est la valeur retardée du taux de croissance ; (iii) le comportement asymétrique de l’effort de défense est mis en avant, en fonction du régime de croissance : pour les cas de croissance faible et de croissance élevée, l’effet est négatif, mais devient positif pour une croissance intermédiaire.

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Julien Malizard [*]
  • [*]
    Université Montpellier 1, umr 5281 art-Dev. Correspondance : Université Montpellier 1, Faculté d’économie, avenue Raymond Dugrand, CS 79606, 34960 Montpellier cedex 2. Courriel : julien.malizard@univ-montp1.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/04/2014
https://doi.org/10.3917/reco.653.0601
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