CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’essor des sociétés de consommation a souvent été vécu et analysé comme une forme d’émancipation de l’humanité vis-à-vis des contraintes matérielles [1]. Si cette lecture possède une certaine justesse, elle laisse en revanche de côté d’importants aspects du processus. Elle néglige en particulier combien l’essor des pratiques et imaginaires consuméristes a reposé sur de nouvelles circulations massives de matières et de produits, dont beaucoup finissent en déchets ultimes. La surabondance d’objets à la durée de vie de plus en plus éphémère a contribué à la généralisation du gaspillage. Les problèmes écologiques qui en résultent semblent insurmontables. S’il intéresse de plus en plus les écologues, le gaspillage est également devenu une question pour les sciences humaines et sociales, l’anthropologie en particulier [2]. C’est aussi une question historique, tant les déchets et les modes de production et de consommation ont une généalogie qui éclaire la relation des sociétés à leur environnement comme les ressorts de l’explosion des pratiques de gaspillage [3]. La question pose néanmoins toute une série de problèmes aux historiens, tant les pratiques en aval de la consommation sont difficiles à saisir dans les sources : la récupération, la réparation, le bricolage ou les actions de réutilisation, qui tendent à limiter le gaspillage, sont largement invisibles. L’histoire environnementale offre toutefois des pistes pour explorer la genèse des pratiques et imaginaires contemporains de gaspillage.

2Si les mots « déchet » et « gaspillage » sont anciens, leur sens a changé et cette évolution éclaire la manière dont les sociétés affrontent le déferlement des biens. Au xixe siècle, le « déchet » désigne avant tout la diminution et le discrédit d’une chose ou d’un phénomène. Dans l’ordre de la production, c’est plutôt le mot « résidu » qui est employé. Mais à partir de la fin du xixe siècle, le déchet dans son sens général est marginalisé au profit des déchets, comme accumulation de matières dont il faut se débarrasser. Ce sont alors des « résidus impropres à la consommation ou inutilisables », avec en général la connotation qu’il s’agit de choses sales et encombrantes (Le Robert). Le déchet et les matières non utilisées renvoient à la notion de gaspillage, dont on retrouve la trace dès le xvie siècle dans le monde rural. Issu du vieux français « gaspail, gaspailler », le gaspillage désigne alors un déchet de paille. Au xviiie siècle, il s’étend à l’idée de perte d’une unité mesurable, tel le temps, l’argent, le talent. Attesté en 1732, le mot « gaspillage » désigne par la suite généralement les dépenses inutiles et la gabegie des deniers publics [4]. D’après les occurrences relatives du mot dans la production bibliographique numérisée par Google Books, son emploi apparaît de plus en plus fréquent au cours des deux derniers siècles, avec un premier pic lors de la première guerre mondiale, puis un second, plus important, durant les années 1970, lorsque l’appel à l’économie des ressources et à la sobriété pousse à lutter contre toutes les formes de gaspillage.

3Historiquement, les restes sont devenus déchets lorsque les logiques de réutilisation ont disparu au profit du rejet, rupture que l’on peut situer dans le dernier quart du xixe siècle en Europe et en Amérique du Nord [5], alors que les revenus des populations augmentent et que la quête d’équilibre entre la ville et ses périphéries urbaines disparaît [6]. Les restes deviennent de moins en moins intéressants à mesure que le pouvoir d’achat des populations augmente, et que les produits fabriqués deviennent composites, c’est-à-dire difficilement réutilisables pour d’autres emplois sans une transformation complexe. Alors que les objets étaient globalement fabriqués afin de répondre à des besoins précis et localisés, leur production industrielle pour un marché de plus en plus global contribue à accentuer considérablement le gaspillage, jusqu’à faire de ce dernier un élément fondamental des dynamiques du capitalisme contemporain. L’enjeu de ce bref article de synthèse sera de proposer quelques pistes pour explorer la généalogie des imaginaires et des pratiques de gaspillage en amont des vifs débats des années 1970.

Lutter contre le gaspillage : une préoccupation constante des sociétés anciennes

4Avant l’essor des sociétés de consommation modernes, les sociétés humaines reposent sur le manque, la pénurie, la contrainte écologique qui imposent d’économiser la nature, qu’il s’agisse de la biomasse comme des produits manufacturés. Dans tous les domaines, la lutte contre le gaspillage est alors une préoccupation constante. Elle concerne d’abord les ressources, dont la déperdition est vue comme une faute. C’est le cas pour la gestion des forêts et du bois, pour les produits alimentaires, mais aussi pour toutes les ressources extraites du sous-sol, à commencer par le charbon, notamment lorsque s’étend le débat sur son épuisement dans les années 1860 [7]. En France, alors que le pays manque de charbon et doit en importer, la hantise du gaspillage s’étend, et les « richesses du sous-sol » doivent être exploitées avec prudence [8]. Outre-Manche, la lutte contre le gaspillage accompagne également les craintes récurrentes de pénurie [9]. En mars 1837, les parlementaires français constatent avec consternation « qu’un gaspillage énorme avait lieu à Durham et à Newcastle, que la perte pouvait s’élever aux deux tiers des quantités extraites », ce qui risquait de fortement diminuer la durée d’exploitation des mines britanniques [10]. Les Anglais semblent gaspiller davantage du fait de l’abondance de la ressource, là où en France des stratégies de valorisation des houilles et des efforts de classifications sont conçus pour rationaliser et économiser cette ressource dont le pays manque [11].

5Si les sociétés rurales sont enclines à lutter contre le gaspillage de matières, les sociétés urbaines bourgeoises le deviennent moins : pour elles, le gaspillage relève d’abord d’une perte d’argent ou de temps, il est un dysfonctionnement de la rationalité économique. La réduction du gaspillage concerne avant tout la production afin de minimiser les pertes dans la gestion des entreprises ; les élites urbaines s’accommodent en revanche assez vite d’une consommation effrénée, sous couvert de bonne morale bourgeoise [12]. Par contre, l’économie de l’épargne irrigue l’économie domestique. Le fouriériste Charles Harel, dans son Ménage sociétaire, suggère ainsi de redoubler « de zèle et de vigilance pour empêcher le gaspillage et pour utiliser tous les restes [13] ».

6La rationalité économique interroge très vite les formes d’efficience. Par exemple, les pollutions peuvent être perçues comme signe de gaspillage, en particulier la fumée, qui témoigne d’une mauvaise combustion, discours que les ingénieurs du secteur privé sont prêts à entendre dans un contexte économique difficile. Des associations de lutte contre les fumées charbonneuses perçues comme un absurde gaspillage se constituent en Grande-Bretagne dès le milieu du xixe siècle ; le médecin et physicien Neil Arnott estime, quant à lui, en 1855 que le gaspillage, par la fumée, est un crime contre les générations futures [14]. La pensée technique et industrielle traque alors le gaspillage pour optimiser la production. Tandis que la métrologie homogénéise les savoirs et les pratiques des ingénieurs et des industriels, l’organisation scientifique du travail oriente vers une activité productive qui gaspille moins et produit plus efficacement. La recherche de l’élimination du « gâchis » (waste) est au cœur du mouvement taylorien du début du xxe siècle.

7Dans les sociétés disposant de ressources limitées domine donc longtemps une économie du recyclage qui s’efforce de transformer les produits et de réutiliser les matières plutôt que de les jeter. Selon Sabine Barles, les pratiques de recyclage (sans que le mot n’existe encore) n’auraient jamais été aussi poussées que durant la première moitié du xixe siècle [15]. Les sous-produits de boucheries, les coquilles d’huîtres, les chiffons de laine ou encore les vieilles chaussures, tous ces produits du quotidien sont réutilisés d’une façon ou d’une autre : les chiffons servent à fabriquer le papier, les os à la fabrication d’objets ou d’ornementation. La ville elle-même est pensée comme un gisement d’engrais. Dans un célèbre passage de son roman Les misérables, Victor Hugo notait que « tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde [16] ».

8Dans un premier temps, l’industrialisation semble donc renouveler l’intérêt pour la valorisation des déchets qui deviennent, pour des entreprises aux ressources limitées, un enjeu central. En France, au début du xixe siècle, le chimiste et industriel Jean-Antoine Chaptal déclare que les résidus peuvent retrouver de la valeur grâce à la nouvelle science chimique qui les recherche pour les fabriques de gélatine ou de sel ammoniac [17]. Dans une autre perspective, le philosophe républicain Pierre Leroux propose une économie politique du déchet à travers son modèle du circulus formulé dès les années 1830. Comme chez certains réformateurs britanniques, la valorisation des déchets humains sous forme d’engrais doit permettre de réfuter les visions pessimistes de Thomas Malthus sur les décalages entre le rythme de la croissance démographique et celui des ressources naturelles. Après son exil en 1851, Leroux expérimente sa théorie et utilise ses propres excréments comme fertilisants, puis il cherche à convaincre les autorités d’adopter ce système, faisant des déchets un puissant élément de régénération sociale [18]. Cette théorie, abondamment tournée en dérision comme une excentricité du socialisme romantique, reflète pourtant une inquiétude toujours tenace à l’égard du gaspillage. Les principaux économistes, industriels ou agronomes du temps s’y intéressent d’ailleurs, à l’image de Karl Marx et Justus von Liebig dont les interrogations sur la fertilité des sols et les échanges inégaux entre mondes ruraux et urbains lancent un débat fécond. Dans le livre III du Capital, Marx distingue deux types de résidus : les résidus de la consommation dont l’« utilisation donne lieu, dans la société capitaliste, à un gaspillage considérable [19] », et les résidus de la production, qui peuvent faire l’objet d’un recyclage important, surtout si la production est importante et la chimie développée. À propos de l’industrie chimique, Marx écrit qu’elle « fournit l’exemple le plus remarquable de l’utilisation des résidus. Non seulement elle consomme et réutilise les déchets des fabrications qui lui sont propres, mais elle trouve un emploi à ceux de beaucoup d’autres industries [20] ». Quant à la grande agriculture capitaliste, elle aboutit au gâchis : « Nous avons affaire à une exploitation des forces du sol qui équivaut à leur gaspillage [21]. »

9Cette quête incessante de matière touche aussi la consommation, les pratiques commerciales d’occasion étant très répandues au xixe siècle. Avec les fripiers dominent des logiques de réutilisation des vêtements et un important commerce d’occasion, conjoint à des pratiques de réparation [22]. Dans les milieux populaires, la lutte contre le gaspillage est un combat quotidien qui conduit à rapiécer, réutiliser, réparer chaque vêtement et objets du foyer. Dans ses budgets, Le Play tient le compte de ce type de pratiques. Au milieu du xixe siècle, l’ouvrier typographe Badier évalue par exemple la durée de vie de ses vêtements – dix ans pour une redingote ; selon une répartition sexuée des tâches, sa femme rapièce et fait durer les habits de la famille alors qu’il se charge durant les veillées de réparer le mobilier [23]. La figure symbolique qui relie production et consommation est le chiffonnier, idéal-type du xixe siècle qui a fait l’objet d’une importante littérature [24]. Cette vogue pour le recyclage, perçu par beaucoup comme la meilleure réponse au problème apparemment insoluble de l’accroissement continu des déchets, est alors une promesse de prospérité et d’abondance [25].

Rupture métabolique, accroissement des déchets et gaspillage

10La deuxième moitié du xixe siècle inaugure un autre rapport aux déchets. D’une part, les flux de matières entre la ville et la campagne sont rompus car les terres sont progressivement amendées et fertilisées, non plus par les déchets urbains, mais par des matières fossiles importées (guano, nitrate de soude, phosphates) ou par les nouveaux engrais chimiques, comme les superphosphates (années 1840) dont la gamme ne cesse de s’étendre après 1860. Si le processus dure plusieurs décennies, d’inégale ampleur suivant les régions, il est inéluctable : c’est la rupture dite « métabolique [26] ». D’autre part, le niveau de consommation décolle en Occident après 1860 et les produits fabriqués sont de plus en plus composites, donc plus difficiles à réutiliser pour d’autres usages, avec une capacité de dégradation très faible, notamment pour les produits de la carbochimie (colorants et quantités de molécules synthétiques). De nouvelles formes de consommation ostentatoires sont par ailleurs stimulées par la première mondialisation et le libre-échange qui poussent à une baisse des prix. Ces éléments aboutissent à « l’invention des déchets » qui s’accumulent de façon inédite dans les espaces urbains et qui commencent à être pris en charge, à des coûts élevés, par les autorités locales [27]. Il s’ensuit de grands débats sur les déchets, dont on ne sait que faire : faut-il les enterrer, les incinérer ? Les immondices, qui étaient source de revenus pour les municipalités, deviennent une charge [28].

11Le fumier, engrais par excellence pour les paysans, ne devient un déchet qu’à partir du moment où les engrais chimiques et l’apport de substances minérales prélevées ailleurs se développent à la fin du xixe siècle. Le discours des chimistes et des agronomes, adeptes de cette modernisation, accompagne cette évolution. Ils ne cessent après 1840 de dénigrer la capacité fertilisante des boues urbaines ou de la poudrette issue des fosses d’aisances [29]. Le paradoxe est qu’au nom de l’optimisation des matières nutritives pour les sols, le cycle des matières est rompu et les matières de vidanges sont de plus en plus déversées dans les égouts pour finir dans les rivières, un processus renforcé après 1880 avec la généralisation du tout-à-l’égout et des chasses d’eau dans les villes. Parallèlement, les poubelles, du nom du préfet qui instaura l’utilisation de ces boîtes de collecte à Paris, se diffusent dans les espaces publics. Leur prolifération témoigne de l’accumulation nouvelle des déchets et inaugure la mise en place des infrastructures du gaspillage.

12La plupart des promoteurs du tout-à-l’égout et du traitement chimique accompagnent cette opération de rupture de cycle de la matière de grandes théories sur le recyclage (sans utiliser le mot). C’est le cas par exemple de l’ingénieur des Mines Charles de Freycinet en France. De 1862 à 1868, celui qui sera ministre des Travaux publics de 1877 à 1879, mène une série d’enquêtes en Europe sur le sujet. Il propose un riche tableau des stratégies de réutilisation des substances dangereuses comme l’aniline, issue des « résidus goudronneux de la houille », qui au lieu d’être gaspillée et rejetée comme un déchet pourrait servir de base aux colorants de synthèse [30]. Le recyclage apparaît comme un instrument pour réinscrire la question des déchets dans la rationalité économique des fabricants en quête de profits. Les débats s’instaurent généralement entre un industriel, son voisinage et les pouvoirs publics qui doivent arbitrer. C’est alors que les théories du recyclage apparaissent, comme moyen de valoriser les produits dont on ne sait que faire. Généralement, l’ingéniosité entrepreneuriale à externaliser les déchets, soit par le recyclage, soit par le rejet ultime, tend à primer et les pouvoirs publics suivent largement les solutions proposées par les industriels [31].

13Notons que les théories du recyclage correspondent aux grandes phases de production des déchets, comme si l’ampleur des débats était finalement corrélée à l’insolubilité du problème. Nombre de contemporains ne sont pas dupes des apories de ces théories de la nouvelle économie industrielle. Par exemple, au Royaume-Uni, William Morris dénonce « l’omniprésence des ersatz et […] le fait de s’en accommoder [qui] forment l’essence de ce que nous appelons civilisation ». Dans une conférence donnée en 1894 dans un quartier populaire de Manchester, il dénonce avec force le gaspillage incessant de l’industrie moderne : « Mes amis, un très grand nombre de gens sont employés à produire de pures et simples nuisances comme le fil de fer barbelé, l’artillerie lourde, les enseignes et les panneaux publicitaires disposés le long des voies ferrées, qui défigurent les champs et les prés, etc. Hormis ce genre de nuisances, combien de travailleurs fabriquent des marchandises dont la seule utilité est de permettre aux gens riches de “dépenser leur argent”, comme on dit. […] En résumé, de quelque manière qu’on la considère, notre industrie n’est que gaspillage [32]. »

14De même, dans les années 1880, le biologiste Patrick Geddes, admirateur de John Ruskin, met « en évidence le formidable gaspillage de ressources dont sont responsables les processus de production et de distribution industriels [33] ». Les nouveaux modes de consommation réactivent les alertes à propos de l’épuisement des ressources minérales du globe. Les congrès géologiques internationaux s’emparent de cette question, comme celui de Stockholm en 1910 sur les réserves en minerai de fer [34]. Dès cette époque, les États-Unis apparaissent comme un pays pionnier dans le gaspillage de biens manufacturiers [35].

15Les deux guerres mondiales sont des périodes de pénuries qui marquent le retour d’une lutte contre le gaspillage perçu comme antipatriotique [36]. En 1916, le ministre français de la Guerre ordonne par exemple que soit « réprimé sévèrement tout gaspillage d’essence », mais aussi que soit limité « l’emploi des automobiles pour tous transports ou déplacements qui peuvent être effectués par d’autres moyens [37] ». Après leur entrée en guerre en avril 1917, les États-Unis tentent également – en vain – de limiter les fumées qui s’échappent des usines conçues comme un gaspillage inefficace et antipatriotique. Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement américain encourage l’usage du vélo, tandis que celui de Grande-Bretagne promeut le recyclage [38]. Dans d’autres cas, les rationnements peuvent obliger l’agriculture à se passer d’intrants chimiques ou à développer des techniques sobres en énergie. Dans la presse, il n’est alors pas rare de trouver en une des articles dénonçant le gaspillage comme dans Le Petit Parisien du 27 décembre 1939 qui le qualifie de « crime », ou encore dans L’Excelsior qui publie le 2 mars 1940 un article intitulé « Sus au gaspillage ».

16De même, face aux pénuries et aux scandales d’une surproduction insolvable, la crise des années 1930 a pu relancer la préoccupation à l’égard du gaspillage. La presse se fait l’écho du sujet, appelant à faire la « guerre au gaspillage [39] ». En 1932, une grande « exposition du gaspillage » est même organisée à Paris, largement relayée par la presse de province, où « plusieurs grandes administrations ont déjà fait chez elles des expositions de gaspillage » ; le journaliste recommande alors « une exposition de gaspillage spécialement pour les écoliers et les écolières [40] ».

17Il est intéressant de noter que c’est au lendemain de la première guerre mondiale que s’instaure au niveau mondial la première réflexion internationale sur les résidus de l’industrie. En 1920, l’Institut international d’agriculture (ancêtre de la FAO) lance le projet d’une enquête sur la réutilisation des déchets urbains et des résidus industriels dans les campagnes, sous forme d’aliments ou d’engrais. L’enquête se donne pour but d’aider la circulation des informations sur les différentes expériences menées afin d’éviter le gaspillage de matières dont les quantités sont parfois très importantes ou qui risqueraient sinon d’être perdues dans l’environnement. Dans les filatures, par exemple, les chrysalides, c’est-à-dire 79 % environ du poids du cocon frais, sont un résidu des opérations de dévidage, qui peut être destiné à l’alimentation animale ou à la fertilisation. Mais il peut s’agir aussi de récupérer les éléments utiles (potasse, azote, etc.) contenus dans les explosifs et les stocks accumulés pendant le conflit, accompagnant la reconversion de l’industrie de guerre vers les emplois agricoles [41].

18Ces quelques exemples de gestion contrainte de la pénurie ne doivent toutefois pas masquer combien, à un niveau plus macroéconomique, les nations belligérantes engagent une mobilisation totale de leur appareil productif qui prépare un accroissement considérable du gaspillage une fois la paix revenue.

Mécanismes du gaspillage et grande accélération du xxe siècle

19Après l’invention des déchets et la rupture métabolique, le gaspillage devient véritablement l’un des moteurs du progrès des sociétés et du système économique à partir de l’entre-deux-guerres, même si les situations sont évidemment très variables. L’histoire environnementale et les travaux consacrés aux cycles de matières montrent l’accroissement de gaspillage de matière au cours de la « Grande accélération » du milieu du xxe siècle [42]. Les quantités de déchets, quelles que soient les substances envisagées, augmentent fortement sur le plan quantitatif, alors que d’un point de vue plus qualitatif ils sont de moins en moins biodégradables, de plus en plus complexes et toxiques. Les volumes d’emballages par exemple, source majeure de gaspillage, explosent alors que les mises en décharge tendent à se généraliser. Des années 1930 aux années 1970, la part toxique de chaque point de croissance de la production industrielle ne cesse de s’accentuer.

20Les après-guerres font rapidement disparaître le souci d’économie et le gaspillage devient alors une manifestation de liberté alors que le recyclage et la sobriété sont renvoyés du côté de l’avarice, des mauvais souvenirs de la guerre et de l’occupation, ce qui explique le formidable gaspillage associé à la croissance économique d’après 1945. Notons que les mots qui ont pour radical recycle en sont contemporains. Le verbe anglais to recycle est attesté depuis 1926, mais ses dérivés ne se répandent qu’après 1945. En France, recycler apparaît en 1959 et recyclage en 1960. L’emploi se développe dans les deux langues surtout dans les années 1970, précisément à une époque où la quantité de déchets suit une trajectoire exponentielle à l’échelle de la planète.

21À contre-courant des tentatives pour lutter contre le gaspillage durant la grande crise des années 1930, de nouvelles pratiques gaspilleuses sont inaugurées ; ces dernières sont en effet censées relancer la croissance. C’est ainsi durant l’entre-deux-guerres qu’est théorisée aux États-Unis la notion d’obsolescence programmée. En 1932, Bernard London l’évoque pour la première fois comme une stratégie commerciale susceptible de répondre à la crise et à la grande dépression, pour stimuler la consommation globale, soutenir l’industrie et permettre de renouer avec la croissance [43]. La théorie repose sur des pratiques industrielles déjà bien présentes. Dans les années 1920, face à la chute de leurs ventes, les principaux fabricants d’ampoules (le fameux « Cartel Phoebus ») décident de mettre en place une entente commerciale afin de limiter la durée de vie de leurs produits et contraindre le consommateur à les renouveler et donc les acheter plus souvent. L’entreprise DuPont de Nemours met également en œuvre ­l’obsolescence programmée avec la fabrication de bas et collants qui ont une durée de vie volontairement limitée [44].

22Conjointement, toujours aux États-Unis, apparaît l’économie du jetable, notamment pour les emballages [45]. Durant l’été 1936, la Continental Can Company lance les premières canettes de bière jetables sur le marché. Elle finance une grande campagne publicitaire dans la presse, où elle vante les mérites de sa nouvelle invention, si pratique, s’ouvrant en un tour de main, conservant le goût et la fraîcheur, et qui, surtout, permet de « boire directement sans avoir de bouteilles vides à ramener ». Le principal argument de vente est de pourvoir jeter ces canettes de bière (y compris dans les rivières), ce qui est décrit comme très pratique ! Au début des années 1950, les fabricants de soda emboîtent le pas aux brasseurs : alors qu’en 1947 100 % des sodas et 58 % des bières sont vendus dans des bouteilles réutilisables, en 1971 cette part n’était plus respectivement que de 25 %. Ce faisant, on promeut le recyclage des matières jetées, car cela permet de créer de nouvelles filières industrielles et donc davantage de croissance [46].

23La publicité a été un des vecteurs majeurs de la promotion de la jetabilité au sein de la société de consommation. Le design fait partie de l’équation, car il vise à magnifier les objets et leur modernité pour mieux relancer la croissance. Alors qu’il était déjà utilisé depuis plusieurs décennies outre-Atlantique, le terme design ne se répand réellement en France que dans les années 1960. Il accompagne la diffusion d’un petit électroménager dans les foyers qui habitue les populations à l’utilisation de l’électricité. Publicitaires, commerciaux et designers deviennent des prescripteurs de goût et de désir, et accompagnent la société de consommation en remodelant sans cesse la subjectivité des individus au service de la construction des marchés et de l’accroissement des profits. Mais à contre-courant, le design suscite aussi d’emblée des doutes et des interrogations de la part des observateurs de la société industrielle. Malgré ces critiques (Georges Friedmann, Roland Barthes ou Jean Baudrillard), le design crée le désir de consommer et incite au renouvellement des objets, et donc à un gaspillage croissant au gré des modes et de l’obsolescence des marchandises [47].

24Durant la première décennie de l’après-guerre, le gaspillage n’est plus condamné mais devient au contraire une pratique socialement valorisée, identifiée à la croissance du confort et du bien-être, signe d’abondance. Sans revenir sur des statistiques bien connues, tous les postes de dépenses augmentent fortement au cours de la période : si la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation diminue drastiquement, les quantités de nourriture emballée – de plus en plus industrielles – consommées et jetées explosent ; le taux d’équipement en réfrigérateurs en France passe de 7,5 % en 1949 à 88,5 % en 1974 ; la proportion des WC intérieurs augmente quant à elle de 28 % en 1954 à 73,8 % en 1975, etc. Au lieu de dénoncer les pratiques de gaspillage des classes dominantes, il s’agit de généraliser la surconsommation des élites à l’ensemble de la population, même si les pratiques de consommation continuent évidemment de différer beaucoup selon les pays, les groupes et les catégories sociales, mais aussi les idéologies politiques ou religieuses [48].

De la « tragédie du gaspillage » aux critiques de la consommation

25Les nouvelles dynamiques de gaspillage qui modèlent l’essor du capitalisme au cours du xxe siècle ne sont jamais totalement dominantes. La dénonciation du capitalisme gaspilleur s’étend jusqu’aux années 1970, en lien avec l’essor des débats écologiques et les crises de l’énergie.

26Dès 1925, l’économiste américain Stuart Chase décrit ce phénomène dans son livre The Tragedy of Waste, et dix ans plus tard l’historien Lewis Mumford en dénonce les mécanismes [49]. Dans les années 1930, la philosophe Simone Weil va au-delà de la seule dénonciation de l’aliénation du travailleur à la chaîne en proposant aussi une analyse politique du développement du gaspillage : « Les machines automatiques ne sont avantageuses qu’autant que l’on s’en sert pour produire en série et en quantités massives ; leur fonctionnement est donc lié au désordre et au gaspillage qu’entraîne une centralisation économique exagérée ; d’autre part elles créent la tentation de produire beaucoup plus qu’il n’est nécessaire pour satisfaire les besoins réels, ce qui amène à dépenser sans profit des trésors de force humaine et de matières premières [50]. »

27Quant à Hannah Arendt, dans Condition de l’homme moderne en 1958, elle constate que le déferlement technique, loin de libérer l’homme, tend plutôt à convertir en simples « choses à consommer » les objets qui devraient satisfaire nos besoins : « […] toute notre économie est devenue une économie de gaspillage dans laquelle il faut que les choses soient dévorées ou jetées presque aussi vite qu’elles apparaissent dans le monde pour que le processus lui-même ne subisse pas un arrêt catastrophique [51]. »

28De nombreux discours de ce type se répandent dans les années 1960-1970 parallèlement à la diffusion de l’obsolescence programmée. Les critiques émanent par exemple des économistes tels que Kenneth Galbraith (The Affluent Society, 1958) ou des journalistes comme Vance Packard (The Waste Makers, 1960). Au début des années 1970, en France, l’agronome René Dumont met en cause « la société de gaspillage » alors qu’il s’impose comme une figure de proue du mouvement écologiste, et devient même le premier candidat écologiste à l’élection présidentielle française de 1974. Dans son livre L’utopie ou la mort ! publié en 1973 et vendu à 150 000 exemplaires, il énonce son nouveau credo : critique radicale de la « société du gaspillage », mise en cause violente des « pays riches égoïstes », de l’automobile « symbole de nos aberrations », dénonciation des « industries mécanisées » qui ruinent les artisanats locaux et bouleversent les environnements. Dumont ne condamne pas pour autant la « technologie moderne » en général ; il demeure un technicien, soucieux de problèmes concrets et s’il pourfend les techniques qui sont productrices de gaspillages et de pollutions, il demande aussi qu’on les examine au cas par cas [52].

29Durant les années 1970, la crise énergétique, la multiplication des alertes et la montée de l’écologie politique accentuent la dénonciation du gaspillage et conduisent à de multiples pratiques visant à réduire les pertes. La lutte contre les emballages, l’apparition de nouvelles formes de consommations alternatives, ou encore les efforts des industriels pour affronter les crises et limiter leurs consommations et leurs rejets ont pu faire croire que nous entrions dans une époque de lutte contre les gaspillages de toutes sortes. Pourtant, les quantités de matières consommées, transformées et rejetées dans les milieux ne cessent de s’accroître depuis et le modèle du gaspillage d’abord limité aux nations industrialisées du Nord s’est plutôt universalisé à l’échelle du globe avec la nouvelle phase de mondialisation néolibérale et l’essor des nouvelles trajectoires informatiques et numériques. Loin de refermer la période d’expansion des pratiques de gaspillage, la décennie 1970 ouvre plutôt une nouvelle phase ambivalente marquée officiellement par la lutte incessante contre le gaspillage mais surtout par l’augmentation parallèle des quantités de matières et de déchets gaspillés, rejetés dans les milieux, à l’image des plastiques devenus un fléau massif.

30Depuis quarante ans, la montée en puissance des critiques et alertes pousse certes à l’invention de pratiques d’économie, de sobriété, de réutilisation qui sont mises en scène par la publicité et les politiques de développement durable. Mais qu’en est-il de la réalité derrière les apparences et les discours ? Nous sommes rentrés dans une société qui refuse officiellement le gaspillage, alors même que celui-ci reste massif, qu’il est plus que jamais au cœur des dynamiques de croissance et des modes de vie individuels : un constat qu’un retour vers l’invention du gaspillage permet d’autant mieux de mettre en lumière.

Notes

  • [1]
    Encore aujourd’hui, la dernière synthèse française sur l’histoire de la consommation adopte cette perspective : J.-C. Daumas, La révolution matérielle. Une histoire de la consommation (France, XIXe-XXe siècle), Flammarion, Paris, 2018.
  • [2]
    Parmi la production récente : O. Debary, De la poubelle au musée. Une anthropologie des restes, Créaphis, Grâne, 2019 ; F. Joulian, Y.-P. Tastevin et J. Furniss (dir.), « Réparer le monde. Excès, reste et innovation », Techniques & Culture, n° 65-66, 2016 ; É. Guitard et V. Milliot (dir.), « Propreté, saleté, urbanité », Ethnologie française, n° 153, 2015 ; B. Monsaingeon, Homo Detritus. Critique de la société du déchet, Seuil, Paris, 2017 ; A. Appadurai (dir.), The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Cambridge University Press, Cambridge, 1996.
  • [3]
    F. Jarrige et T. Le Roux, « Le rôle des déchets dans l’histoire. Entretien avec S. Le Lay », Mouvements, n° 87, 2016, p. 59-68.
  • [4]
    Centre national de ressources textuelles et lexicales, <www.cnrtl.fr/etymologie/gaspiller>.
  • [5]
    S. Barles, L’invention des déchets urbains. France, 1790-1970, Champ Vallon, Seyssel, 2005.
  • [6]
    L. Herment et T. Le Roux, « Recycling. The Industrial City and Its Surrounding Countryside, 1750-1940 », Journal of the History of Environment and Society, n° 2, 2017, p. 1-24.
  • [7]
    A. Missemer, Les économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931), Classiques Garnier, Paris, 2017.
  • [8]
    Par exemple, É. Dupont, Traité pratique de jurisprudence des mines, Dunod, Paris, 1833, p. 23, 51, 53, 64, 72, 95, 268.
  • [9]
    F. Albritton Jonsson, « Abundance and Scarcity in Geological Time, 1784-1844 », dans K. Forester et S. Smith (dir.), Nature, Action and the Future. Political Thought and the Environment, Cambridge University Press, Cambridge, 2018, p. 70-93.
  • [10]
    Le Moniteur universel, 1er avril 1837, p. 6.
  • [11]
    N. Sougy, « Le charbon est rare, il faut l’économiser ! Valorisation, usages et normalisation des houilles durant l’entre-deux-guerres », dans P. Lamard et N. Stoskopf (dir.), La transition énergétique, un concept historique ?, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Asq, 2018, p. 241-255.
  • [12]
    W. Sombart, Le bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique moderne, Payot, Paris, 1928. Notons que l’historiographie de la consommation insiste sur la lenteur du processus, liée aux mutations des transports et de la production : D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la société de consommation, XVIIIe-XIXe siècle, Fayard, Paris, 1997 ; F. Trentmann, Empire of Things. How We Became a World of Consumers, from the Fifteenth Century to the Twenty-First, Allen Lane, Londres, 2016.
  • [13]
    C. Harel, Ménage sociétaire, ou Moyen d’augmenter son bien-être en diminuant sa dépense, La Phalange, Paris, 1839, p. 136. Cf. l’article de Jeanne Guien, Isabelle Hajek et Sylvie Ollitrault dans ce dossier.
  • [14]
    S. Mosley, The Chimney of the World. A History of Smoke Pollution in Victorian and Edwardian Manchester, The White Horse Press, Cambridge, 2001 ; P. Thorsheim, Inventing Pollution. Coal, Smoke and Culture in Britain, Ohio University Press, Athens, 2006.
  • [15]
    S. Barles, op. cit., 1re partie.
  • [16]
    V. Hugo, Les misérables, Robert Laffont, Paris, 2002 [Albert Lacroix, Paris, 1862], part. V, livre II : « L’intestin de Léviathan », p. 991.
  • [17]
    A. Chaptal, De l’industrie française, Renouard, Paris, 1819, t. 2, p. 75-76.
  • [18]
    D. Simmons, « Waste Not, Want Not. Excrement and Economy in Nineteenth-Century », Representations, vol. 96, n° 1, 2006, p. 73-98.En ligne
  • [19]
    K. Marx, Le capital. Tome 2 : Livres II et III, Gallimard, Paris, 2008, chap. V, sect. IV, « Utilisation des résidus de la production ».
  • [20]
    Cité par J.-B. Fressoz, « La main invisible a-t-elle le pouce vert ? Le libéralisme et la naissance de l’écologie industrielle au xixe siècle », Technique & Culture, n° 65-66, 2016, p. 328-343.
  • [21]
    J. B. Foster, Marx’s Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, New York, 2000.
  • [22]
    M. Charpy, « Formes et échelles du commerce d’occasion au xixe siècle. L’exemple du vêtement à Paris », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 24, 2002, p. 125-150.
  • [23]
    F. Jarrige, « De sages compositeurs. Budgets, enquêtes et trajectoires sociales au milieu du xixe siècle (Paris, Bruxelles) », Les Études sociales, n° 155, 2012, p. 75-96.
  • [24]
    A. Compagnon, Les chiffonniers de Paris, Gallimard, Paris, 2017, p. 413 ; S. Barles, « Les chiffonniers, agents de la propreté et de la prospérité urbaine au xixe siècle », dans D. Corteel et S. Le Lay (dir.), Les travailleurs des déchets, Érès, Toulouse, 2011, p. 45-67.
  • [25]
    C. Hamlin, What Becomes of Pollution ? Adversary Science and the Controversy on the Self-Purification of Rivers in Britain, 1850-1900, Garland, New York, 1987.
  • [26]
    L. Herment et T. Le Roux, art. cité ; E. Marald, « Everything Circulates. Agricultural Chemistry and Recycling in the Second Half of the Nineteenth Century », Environment and History, vol. 8, n° 1, 2002, p. 65-84 ; J. B. Foster et C. Brett, « Ecological Imperialism and the Global Metabolic Rift. Unequal Exchange and the Guano/Nitrates Trade », International Journal of Comparative Sociology, vol. 50, n° 3-4, 2009, p. 311-334.
  • [27]
    S. Barles, op. cit. ; J. Tarr, The Search for the Ultimate Sink. Urban Pollution in Historical Perspective, University of Akron Press, Akron, 1996 ; M.-V. Melosi, Garbage in the Cities. Refuse, Reform, and the Environment, 1880-1980, Texas A&M University Press, College Station, 1982.
  • [28]
    S. Frioux, Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, PUF, Paris, 2013 ; T. Cooper, « Modernity and the Politics of Waste in Britain », dans P. Warde et S. Soerlin (dir.), Nature’s End. History and the Environment, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2009, p. 247-272.
  • [29]
    S. Tomic, « La “science des engrais” et le monde agricole en France au xixe siècle », Journal for the History of Environment and Society, vol. 2, 2017, p. 63-93.
  • [30]
    C. de Freycinet, Principes de l’assainissement des villes : comprenant la description des principaux procédés employés dans les centres de population de l’Europe occidentale pour protéger la santé publique, Dunod, Paris, 1870, p. 61 et 429.
  • [31]
    F. Jarrige et T. Le Roux, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Seuil, Paris, 2017.
  • [32]
    W. Morris, L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 1996, p. 121, 155.
  • [33]
    Cité par J.-P. Déléage, Une histoire de l’écologie, La Découverte, Paris, 1991, p. 70.
  • [34]
    A. Offret, « Le XIe congrès géologique international en Suède », Revue générale des sciences pures et appliquées, t. 22, 1911, p. 363.
  • [35]
    S. Strasser, Waste and Want. A Social History of Trash, Metropolitan Books, New York, 1999.
  • [36]
    C. Molles, La fin du pétrole. Histoire de la pénurie sous l’Occupation, Descartes et Cie, Paris, 2010.
  • [37]
    « Gaspillage d’essence », Le Matin, 5 mars 1916, p. 4.
  • [38]
    D. Stradling, op. cit., p. 141 ; P. Thorsheim, Waste into Weapons. Recycling in Britain during the Second World War, University of North Carolina, Charlotte, 2015.
  • [39]
    Par exemple dans le supplément agricole de L’Ouest-Éclair, 21 février 1931.
  • [40]
    « L’exposition du gaspillage », Le Progrès de la Côte-d’Or, 4 décembre 1932.
  • [41]
    N. Mignemi, « L’enquête de l’Institut international d’agriculture sur la réutilisation des déchets et des résidus (1920-1922) ou qui gouverne l’agriculture ? », Journal of the History of Environment and Society, vol. 2, 2017, p. 127-153.
  • [42]
    C. Pessis, S. Topçu et C. Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, La Découverte, Paris, 2016 ; J. R. McNeill et P. Engelke, The Great Acceleration. An Environmental History of the Anthropocene since 1945, The Belknap Press of Harvard, Cambridge (Mass.), 2016.
  • [43]
    B. London, « En finir avec la crise grâce à l’obsolescence planifiée », Écologie & Politique, n° 44, 2012, p. 167-179, et L’obsolescence planifiée. Pour en finir avec la Grande Dépression, Éditions B2, Paris, 2013 ; G. Slade, Made to Break. Technology and Obsolescence in America, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 2006 ; S. Latouche, Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2012.
  • [44]
    P. Ndiaye, Du nylon et des bombes. DuPont de Nemours, le marché et l’État américain (1900-1970), Belin, Paris, 2001.
  • [45]
    G. Cross, An All-Consuming Century. Why Commercialism Won in Modern America, Columbia University Press, New York, 2000 ; S. Garon et P. L. Maclachlan (dir.), The Ambivalent Consumer. Questioning Consumption in East Asia and the West, Cornell University Press, Ithaca, 2006 ; S. Wiesen, Creating the Nazi Marketplace. Commerce and Consumption in the Third Reich, Cambridge University Press, Cambridge, 2011.
  • [46]
    G. Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, La Fabrique, Paris, 2018, p. 193.
  • [47]
    C. Leymonerie, Le temps des objets. Une histoire du design industriel en France (1945-1980), Cité du design, Saint-Etienne, 2016.
  • [48]
    M.-E. Chessel, Consommateurs engagés à la Belle époque. La Ligue sociale d’acheteurs, Presses de Sciences Po, Paris, 2012.
  • [49]
    L. Mumford, Technics and Civilization, Harcourt, Brace & Co., New York, 1934, trad. fr. : Technique et civilisation, Éditions Parenthèses, Marseille, 2016. Cf. aussi, de Stuart Chase, The Challenge of Waste, League for Industrial Democracy, New York, 1922.
  • [50]
    S. Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Gallimard, Paris, 1998 [1934], p. 10, 35 et 79.
  • [51]
    H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Pocket, Paris, 1994 [Calmann-Lévy, Paris, 1983], p. 185.
  • [52]
    R. Dumont, L’utopie ou la mort !, Seuil, Paris, 1974, 2e éd., p. 5, 14 et 85.
Français

Cet article propose un regard historique synthétique sur la généalogie des pratiques de gaspil-lage en amont des débats des années 1970. Les restes sont devenus déchets lorsque les lo-giques de réutilisation ont disparu au profit du rejet, à mesure que le pouvoir d’achat des populations augmente et que les produits fabriqués deviennent composites, c’est-à-dire difficilement réutilisables pour d’autres emplois sans une complexe transformation. Alors que les objets étaient globalement fabriqués afin de répondre à des besoins précis et localisés, leur production industrielle pour un marché de plus en plus global n’a cessé d’accentuer le gaspillage, jusqu’à faire de ce dernier un élément fondamental des dynamiques du capitalisme. Il s’agit d’explorer quelques aspects de la question du recyclage telle qu’elle apparaît après la rupture métabolique du second XIXe siècle, lorsque l’essor urbain et de la consommation se conjuguent pour accroître les quantités de déchets et les pratiques de gaspillage.

Mots-clés

  • Gaspillage
  • déchets
  • production industrielle
  • capitalisme
  • consommation
  • métabolisme
François Jarrige
François Jarrige est membre de l’Institut universitaire de France et maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne (Centre Georges Chevrier, UMR-CNRS 7366).
Thomas Le Roux
Thomas Le Roux est chargé de recherches au CNRS, et appartient au Groupe de recherche en histoire environnementale (GRHEN) du CRH à l’EHESS.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/07/2020
https://doi.org/10.3917/ecopo1.060.0031
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