CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au cours d’un colloque, toujours cité en référence quoique déjà ancien, sur l’industrialisation en Europe au xixe siècle [1], Louis Bergeron rappelait avec force que dans le temps long du xviiie et du xixe siècle, c’est-à-dire entre la période du mercantilisme et celle des protectionnismes d’après 1815, en passant par la phase aiguë du Blocus continental,

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« l’industrialisation en Europe continentale s’était accomplie dans des conditions de marché totalement étrangères à celles dont avait pu bénéficier l’industrialisation britannique. En Angleterre, le processus d’industrialisation s’était déroulé dans un marché ouvert et d’envergure mondiale alors que sur le continent, le démarrage avait eu lieu dans des conditions valorisant les marchés intérieurs, dans une situation de marché fermé » [2].

3Et de proposer d’orienter la recherche sur les conditions locales du marché à l’intérieur de l’Europe, sur les différences d’aptitude à l’équipement industriel, certainement très variables d’une région à l’autre, et sur la longue durée [3].

4À l’occasion de cette journée de travail, je voudrais, à partir de trois cas, réouvrir ce dossier des aptitudes à l’équipement industriel, des moteurs et des freins de l’établissement industriel, des propensions à l’emménagement ou au déménagement des Verleger européens. Sur le tableau de bord de ces entrepreneurs, qui fabriquaient et qui vendaient, les indicateurs prix de revient et prix de vente ont toujours figuré en bonne place et, pour certains des marchands-fabricants, la taxe à l’entrée des matières premières importées et les droits de douane à l’exportation, le « coût des frontières » représentait une des conditions de marché la plus attractive ou la plus dissuasive pour s’installer et persévérer dans le Verlagssystem régional, ou pour l’abandonner, ou encore le quitter pour un lieu plus attractif et moins coûteux.

Les dédoublements de fabrique entre Verviers et Hodimont

5On connaît bien, depuis les beaux travaux de Pierre Lebrun [4], ce petit paradis libéral pour manufacturiers de draps qui s’était formé, depuis la fin du xviiie siècle, dans la région de Verviers, partie de la principauté de Liège, et dans celle d’Eupen, partie du Limbourg espagnol qui allait devenir en 1713 partie orientale des Pays-Bas autrichiens (voir carte 1).

Carte 1

Souveraineté et confessions religieuses entre Meuse et Rhin

Carte 1

Souveraineté et confessions religieuses entre Meuse et Rhin

Source : IFRÉSI-CNRS (H. Bataille, G. Gayot).

6Dans ces deux petites régions entièrement consacrées à l’industrie du drap fin de laine mérinos espagnole, régnait la plus grande liberté d’entreprendre et de fabriquer : pas d’autorisation du prince ou de la ville pour s’établir Verleger, pas de métiers jurés pour les marchands-fabricants et les ouvriers, pas de règlements pour les fabricats ni pour les fabricants, pas de tarifs pour les salariés ni pour les salariants. Autres particularités vers 1760 de « ce petit coin de terre qui comprend Aix-la-Chapelle, Verviers et Eupen [et] qui n’a pas trois miles [1 mile autrichien = 7,5 km] de diamètre » : 200 à 300 fabricants qui entretenaient trois mille métiers à drap fin [5], soit plus que dans le royaume de France, et 200 à 300 – évidemment les mêmes ! – qui vendaient ou faisaient vendre leurs produits sur les foires de Francfort, Naumburg et surtout Leipzig [6]. Ces messieurs de Verviers avaient-ils, à l’entrée et à la sortie de leur territoire, la même liberté de faire trafic de leurs laines et de leurs produits semi-ouvrés (fil) ou finis qu’ils avaient de fabriquer à l’intérieur de leurs frontières ?

7Quel était le coût de l’enclavement de Verviers en terre « autrichienne » ? Car, à observer la carte 1, le Franchimont, donc le ban de Verviers, était complètement isolé du domaine principal de Liège, et plus encore, une frontière politique coupait en deux la région-vallée drapière de la Vesdre, séparant le pays de Verviers du Limbourg et d’Eupen, le Limbourg « autrichien » dont le bourg d’Hodimont faisait partie, et où l’on entrait après avoir franchi le ruisseau de Dison… en sortant de Verviers (carte 2). Le prix à payer par les Verviétois à leur propre prince-évêque pour sortir de leur isolement et pour remplir ses caisses s’appelait le soixantième, droit ad valorem prélevé à l’entrée, à la sortie ou pour le transit de toute marchandise dont la laine, sur le petit pont au-dessus du ruisseau de Dison, par exemple. À l’inverse, la laine entrait librement dans le Limbourg et les draps tissés et travaillés dans cette province entraient en franchise aux Pays-Bas, à condition, bien sûr, de ne pas emprunter une route où les commis de l’État de Liège auraient perçu leur soixantième, sans hésitation.

Carte 2

Verviers et Hodimont au xviiie siècle

Carte 2

Verviers et Hodimont au xviiie siècle

Source : L. Dechesne, Industrie drapière de la Vesdre avant 1800, Paris-Liège, Sirey-Wykmans, 1926, hors-texte.

8Aussi, la défaveur dans laquelle étaient placés les Verviétois pour ce qui est des droits de douane et les avantages d’une installation à Hodimont incitaient-ils nombre de Verleger à dédoubler leur fabrique, ou au moins, à procéder à un aménagement territorial du travail et à un dédoublement de leur personnel d’encadrement [7]. Il ne s’agissait pas de déplacer la main-d’œuvre locale d’autant que, pour certaines opérations, celle-ci avait su conserver jalousement son emplacement et son monopole ; en 1739, une émeute éclate à Verviers, menée par des tisserands en colère contre des manufacturiers de la ville qui donnaient à tisser à des ouvriers étrangers, c’est-à-dire du Limbourg ; une ordonnance bienveillante du prince du 20 octobre leur donna raison et confirma leur bon droit [8]. Il n’était pas non plus question de délocaliser ni de dédoubler les moulins à fouler installés le long du « canal des usines » qui traversait Verviers d’ouest en est, tel un axe de prospérité (carte 3). Mais rien, ni personne ne put empêcher certains fabricants de Verviers de louer un local à Hodimont, ou d’y bâtir une maison, au nom d’un frère ou d’une belle-mère, d’y entreposer des laines arrivées des Pays-Bas, de les faire laver, carder et filer par des Limbourgeois et des Limbourgeoises, et, la nuit, de les faire franchir, filées, le ruisseau de Dison. Cette délocalisation des opérations industrielles en faveur d’Hodimont permit à ceux qui l’entreprirent de ne pas voir 4 % de leur investissement s’évaporer en divers soixantièmes ; et lorsque l’on sait que le bénéfice normal sur une pièce de drap fin s’élevait à 12 % du prix de revient [9], on comprend mieux pourquoi la fortune a souri aux audacieux, tel François Franquinet, installé durablement à Verviers et dans le Limbourg, qui mourut à Verviers en 1754 avec trois millions de livres tournois, soit deux millions trois cent mille florins-brabant [10].

Carte 3

Verviers en 1750-1800. La Vesdre et le canal des Usines

Carte 3

Verviers en 1750-1800. La Vesdre et le canal des Usines

D’après P. Lebrun, op. cit., planche 2.

9C’est précisément en 1754 que le prince-évêque de Liège, sans doute inspiré par l’air libéral du temps, supprima le maudit soixantième, provoquant aussitôt le retour au pays de Verviers des opérations de manufacture que les Verleger « avaient transplantées dans le Limbourg ». Ainsi, un membre du clan Franquinet « qui a fait construire de fond en comble une grande et vaste maison dans Verviers qui contient des lavoirs et commodités les plus essentielles à la manufacture » [11]. Le mouvement de relocalisation des activités drapières dans le pays de Verviers s’accéléra après 1770, toujours à cause d’une modification de la politique douanière, mais cette fois l’impulsion vint des Pays-Bas autrichiens. Dans le but de favoriser le port d’Ostende, une taxe de 2 % enchérit toute laine espagnole non débarquée à Ostende et entrant aux Pays-Bas, ce afin de gêner l’importation des laines mérinos par Amsterdam. Lambert Franquinet cessa alors de faire travailler à Francomont, dans le Limbourg, et Pierre Henri Dethier installa son frère Pierre Servais à Verviers tandis qu’il restait fidèle au poste à Hodimont, ce qu’enregistra fidèlement les Adreß-Post-und Reise-Kalender des foires de Leipzig [12]. Enfin, dernière manœuvre sur le front douanier, la décision de l’empereur Joseph II en 1780 et en 1783 de réduire de moitié les droits sur les draps fabriqués dans le Limbourg à leur entrée dans les États héréditaires : Renate Godart, le Verviétois, établit aussitôt son fils Guillaume à Hodimont, Scheibler de Monschau installa le sien à Eupen [13], et Jean Thys put faire venir sans frais en Carinthie des draps manufacturés dans son établissement d’Eupen afin de compléter ses livraisons de draps fabriqués dans celui de Klagenfurt.

10Ainsi, pendant près d’un siècle, deux à trois générations de Verleger verviétois et eupénois avaient fait et acquis l’expérience de la mobilité de l’entreprise, de l’accommodement avec des barrières douanières changeantes, du dédoublement des fabriques. À trois reprises, ils leur avaient fallu bâtir puis démonter des hangars, conquérir puis abandonner une main-d’œuvre villageoise heureusement peu chère, nombreuse et croissante du fait des mariages proto-industriels plus précoces et plus féconds, et dans le même temps, choisir les meilleurs fournisseurs en laine et fidéliser leurs clients aux foires de Leipzig. Dans les conditions du temps, ils « modernisèrent » leur entreprise, c’est-à-dire qu’ils s’arrangèrent avec les politiques douanières des États qui se faisaient encore la « guerre d’argent ». De guerre, d’ailleurs, il n’y en eut plus, au xviiie siècle, sur les terres de Liège et du Limbourg – Fontenoy est en France – ; aussi, la paix chez soi, la stabilité des frontières territoriales et les guerres lointaines, toujours intéressantes pour des fabriques de draps d’officier, y entretinrent-elles la prospérité jusqu’à la conquête française en 1792. Ce ne fut pas le cas du duché de Berg.

Translation des douanes et transferts d’établissements dans le duché de Berg

11Cette « Angleterre en miniature », admirée par Nemnich en 1809 [14], n’avait pas attendu l’entrée de son nouveau prince Joachim Murat, le 24 mars 1806, à Düsseldorf, pour être distinguée parmi les pays d’Europe où « le sol est peu de chose et [où] l’industrie est tout » [15]. En fait, pendant tout le xviiie siècle, le duché de Berg avait livré à l’Europe tout ce que l’Angleterre lui fournissait déjà en quincaillerie, rubans, mercerie, étoffes de laine et de coton et partout, à Paris comme à Leipzig, les marchands fabricants de siamoises et de rubans d’Elberfeld et de Barmen, les Verleger de lames et de limes de Solingen et de Remscheid, les drapiers de Lennep, proposaient fièrement leurs produits « anglais ». Aussi, dès que la France frappa d’interdiction l’entrée des « marchandises de la nature de celles que fabriquait plus spécialement l’Angleterre [décret du 1er mars 1793]» [16], l’industrie bergoise fut-elle touchée.

12La translation des barrières douanières le long de la rive gauche du Rhin, officielles et prohibitives après le tarif du 30 avril 1806, la fixation des limites de l’Empire français sur les bords d’un « Rhin francisé » [17], ce

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« mâle Rhin (…) fait pour fraterniser avec la Seine, la Garonne et la Loire, et [à qui] la Nature n’a donné son cours du midi au nord que pour borner légitimement le damier départemental de la France » [18]

14n’avaient pas été une surprise pour les Bergois. Sans faire remonter leurs craintes à Turenne, selon lequel aucun homme de guerre ne peut être en repos en France « tant qu’il y aura un Allemand en deçà du Rhin », le commerce de Berg avait beaucoup de souci à se faire avec la Grande Nation devenue annexionniste et protectionniste. Dès 1795, Siéyès, après que la rive gauche eut été conquise sinon réunie à la France, avait donné le ton : « L’ennemi à vaincre, c’est l’Angleterre et le moment viendra où, au-delà du Rhin, il faudra lui opposer une Allemagne asservie, des côtes gardées, des ports fermés » ; et Talleyrand d’ajouter froidement : « Il faut remanier toute cette Allemagne » [19]. L’agressivité de la République française, dans ses limites naturelles « enfin retrouvées », était autant militaire que commerciale et, du Directoire à l’Empire, de la loi du 10 brumaire an V prohibant toutes les marchandises « réputées » anglaises au décret de Berlin (21 novembre 1806) et aux décrets de Trianon et de Saint-Cloud (5 juillet, 2 septembre 1810), élargissant et durcissant le blocus continental, les objectifs furent les mêmes : « parquer les Anglais dans leur île » [20], protéger l’industrie de la Grande Nation et remplacer l’Angleterre comme atelier du continent, notamment sur le marché allemand de 25 millions de consommateurs. La méthode des directeurs et de Napoléon ? « Faire manœuvrer le commerce comme un bataillon et exiger de lui une soumission aussi passive », se rappelle Chaptal. Quant aux Bergois, ils étaient en état d’alerte, et ceux qui ne l’étaient pas furent réveillés brutalement par le préambule de la loi tarifaire de 1804 :

15

« L’industrie étrangère sera repoussée de notre territoire pendant le temps qui est nécessaire aux fabriques françaises pour réparer leurs pertes et consolider leurs établissements » [21].

16Pour les Verleger qui n’avaient pas encore compris que l’intention de l’empereur était d’abandonner la rive droite du Rhin à la désindustrialisation, la mise en garde de Chaptal selon laquelle « l’Empereur a manifesté son intention bien arrêtée de ne sacrifier aucune des villes de la rive gauche en faveur de la rive droite [du Rhin] » [22], arriva trop tard dans le duché de Berg.

17Nombreux furent les marchands-fabricants bergois qui n’attendirent pas la fermeture des marchés italiens et des marchés du nord pour filer, avec leurs ouvriers privés d’ouvrage, s’établir dans le département de la Roer, sur la rive gauche du Rhin, en France. Serrurerie, clouterie, rubannerie, casimirs de laine, filatures et tissages de coton, se développèrent dans la région de Cologne sous l’impulsion des 3 000 maîtres et ouvriers, émigrés de 1800 à 1813, encouragés par le préfet de la Roer mais surveillés par l’administration des douanes : autorisation de filer sur la frontière mais défense d’y tisser par peur que les ateliers se transformassent en entrepôts de contrebande [23]. Il s’agissait de départs et d’établissements définitifs et non de dédoublements de fabriques comme à Verviers et dans le Limbourg, tandis que, dans le duché de Berg, l’industrie végétait ou chômait, et que les Verleger restés au pays croulaient sous des stocks qu’ils ne pouvaient plus écouler, même aux foires de Leipzig. Avant d’en venir à la catastrophe économique et sociale qui allait suivre, laissons à la chambre de commerce de Cologne relater au préfet de la Roer, Ladoucette, ce mouvement de « transmigration » d’entreprises du duché de Berg vers le département de la Roer de 1800 à 1810, en observant les belles cartes d’époque (cartes 4 et 5).

Carte 4

Grand-duché de Berg

Carte 4

Grand-duché de Berg

Source : J.-F. Ladoucette, op. cit., hors-texte.
Carte 5

Département de la Roer

Carte 5

Département de la Roer

Source : A. J. Dorsch, Statistique du département de la Roer, Cologne, 1804, hors-texte.

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« Cette série de prospérités fut interrompue par la translation des douanes françaises sur le bord du Rhin ; la France et l’Italie ayant été fermées à leur industrie, ils furent obligés de la diriger vers le Nord, ou de transférer leurs établissements sur la rive gauche du Rhin pour conserver leurs relations avec le midi de l’Europe.
Nous voilà arrivés à l’époque d’où datent la plupart des établissements manufacturiers formés le long de la rive gauche du Rhin, notamment ceux de Cologne, de Neuss et d’autres endroits de notre arrondissement. Plusieurs manufacturiers du duché de Berg transférèrent depuis cette époque-là leurs établissements sur la rive gauche du Rhin, et Cologne, qui depuis trois siècles n’avait presque plus de manufactures, vit naître dans l’enceinte de ses murs des établissements nouveaux de toute espèce, des manufactures de velours, de rubans de velours, de soie, de filoselle et de lin, des fabriques de soie, des filatures de coton, des fabriques de siamoises, de toiles de coton, etc., etc., établissements qui tirent la presque totalité de leurs matières premières de la France, de l’Italie et du Levant. Ces fabricants consacrèrent des sommes considérables à ces nouveaux établissements, mais le succès ne répondit pas complètement à leurs espérances. Ils furent obligés de prendre leurs ouvriers parmi la classe la plus indigente du peuple qui, accoutumée au vagabondage et à la mendicité, n’avait nulle idée d’ordre ni de moralité, et dont le penchant invétéré pour la crapule et l’oisiveté présenta à ces manufacturiers un obstacle tellement invincible que dix ans de persévérance et de travaux n’ont pas suffi pour donner aux ouvriers de notre arrondissement le même esprit d’activité qui est pour ainsi dire inné dans les habitants du pays de Berg et sans lequel il est impossible de faire prospérer des fabriques » [24].

19La migration de la main-d’œuvre bergoise vers la rive gauche du Rhin n’avait pas été suffisante pour que les Verleger qui l’accompagnaient conservassent durablement l’avantage procuré par des coûts salariaux réputés pour être les plus bas du continent. De plus, les « immigrés bergois » prirent rapidement les mauvaises habitudes des ouvriers de la Roer, celles de travailler moins et de dépenser plus, et réclamèrent aussitôt l’ajustement des tarifs de leur ouvrage sur ceux du pays d’accueil. Reste que ces départs d’entrepreneurs, d’hommes et d’outils avaient affaibli une industrie exportatrice déjà fragilisée par la perte de ses débouchés au nord, au sud et à l’ouest. Diederichs, maire de Remscheid, établit, en 1810, un tableau intéressant des richesses produites dans le duché de Berg en temps normal – sous-entendu : fin 1810, il ne reste que le « squelette de ces fabriques qui occupaient 80 000 ouvriers et faisaient vivre 100 000 familles » [25] – qui apparaît au total comme le double, mais en temps réel celui-là, de l’état des fabrications industrielles dans le département de la Roer dressé par Golbery [26].

tableau im6
Grand-duché de Berg Département de la Roer Fer 12 à 15 millions Laiton (Stolberg) 6 millions Toiles et rubans 12 à 15 millions Aiguilles 1,5 million Draps 6 à 8 millions Draps 18 millions Coton et étoffes de coton 15 millions Arrondissement de Cologne 14 millions Soie et velours 6 à 8 millions Arrondissement de Crefeld 13 millions Plomb (Bleyberg) 1,4 million Houilles 2 millions Total 51 à 61 millions Total 55,9 millions + 10 millions de grains (800 à 900 000 hl de froment et seigle).

20Signes que tout allait pour le mieux dans le département de la Roer, en France : la création, en décembre 1812, à Wesel d’une chambre de commerce, au point où se croisaient l’axe France-Allemagne du nord et l’axe rhénan Hollande-Allemagne ; le premier rang pour les recettes fiscales de la Roer parmi les treize départements « allemands et belges » [27]. Signes que tout allait de plus en plus mal dans le duché de Berg, hors de France, alors que le premier « brûlement » de marchandises anglaises avait eu lieu à Düsseldorf le 10 décembre 1810 : l’effroi et « même quelque chagrin » de Beugnot devant cette « nuée d’hommes » sans travail ; la sourde oreille faite par Napoléon, en visite à une exposition dans la capitale du grand-duché dont il était le souverain depuis le départ de Murat, à un fabricant qui lui faisait remarquer que le pays n’était pas grand mais que l’industrie l’avait été, ou plutôt la reprise alarmante par l’empereur de son premier commentaire mal formé, seulement précédé d’un « Ha ! » agacé : « Ha ! L’exposition à l’air d’un grand pays » [28]

21Impuissants à contourner ou à obtenir l’abaissement des barrières douanières dressées contre eux, alliés de la Grande Nation dans un duché « enclavé et séquestré dans les autres pays », apportant à la France « tout ce qu’elle veut et tant qu’elle veut », les Verleger bergois se résolurent à demander puis à supplier l’empereur, tels les fabricants de Remscheid, d’annexer le grand-duché à la France : « Le mot union serait le talisman qui nous rendrait la vie ». Précédant et soutenant la députation du commerce d’Elberfeld à Paris, à laquelle s’associèrent les pasteurs et les députés des églises réformées, Beugnot écrivait à Roederer le 31 mars 1811 :

22

« Il faut que la population [du duché de Berg] émigre ou périsse… oui, l’émigration a déjà commencé ; elle continue ; les hommes, les capitaux, les machines passent sur la rive gauche ou vont chercher en Saxe et en Westphalie la liberté de mouvement dont ils ne sauraient se passer. La réunion [à la France] est inévitable : il faut la faire tout de suite pour éviter des déplacements inutiles » [29].

23La réunion ne se fit pas. Napoléon n’en voulait pas, et les nouveaux Français de la rive gauche du Rhin, Bergois émigrés en tête, non plus.

24

« Tant il est vrai, confiait Eversmann à Héron de Villefosse – auteur de notre carte du duché de Berg – que le fabricant n’est pas attaché au sol ; il s’en va si on l’opprime et, en vrai Weltbürger, n’a pas de patrie ».

25Et Eversmann savait de quoi il parlait : ancien conseiller des mines auprès de Stein et du roi de Prusse, il était passé au service du grand-duché de Berg où il avait été très apprécié par Beugnot et par Héron de Villefosse, ingénieur des mines, et, en 1810, il partit en Russie où le tsar le promut directeur des usines de Saint-Pétersbourg [30]

26Pas de patrie, les Verleger bergois ? Pas de frontières, les habitants du pays de Berg ? Peut-être n’en avaient-ils pas avant les guerres révolutionnaires et la mise en place du système continental ? En tout cas, l’expérience de l’union douanière à la mode napoléonienne qui, avec ses 35 000 douaniers – 12 000 en l’an V –, détourna le commerce plutôt qu’elle ne l’encouragea, et qui, à coup de tarifs et de prohibitions, ébranla les bases industrielles plus qu’elle ne les consolida, provoqua chez les entrepreneurs et les notables bergois une prise de conscience plus nette des avantages du protectionnisme face à une concurrence inégale [31]. Il est vrai que, sur fond de misère et de contrebande généralisée, la grande révolte des Bergois éclata en janvier 1813 avec des appels au tsar Alexandre qui « donnera du sucre et du café », des mots d’ordre hostiles à Napoléon qui « a apporté l’égalité de la misère » [32], ou le port de rubans jaunes, vieille couleur des Orange-Nassau, dans le département de la Sieg, mais la bataille des Nations, la Völkerschlacht, n’avait pas encore eu lieu à Leipzig et la Prusse n’avait pas encore fait connaître ses buts de guerre. Quand les troupes russes furent passées et que vint le Congrès de Vienne, ce « pays, si mal arrondi que tous les points en étaient, en quelque sorte, limitrophes à l’étranger et si bien destiné par sa configuration à être une région de transit » [33], fut incorporé à la Prusse, avec la rive gauche du Rhin, et en 1818, au Zollverein prussien. Après avoir vécu la frontière et les barrières douanières comme une ligne de front où leur allié français tantôt les repoussait comme des ennemis, tantôt les attirait comme des proies, les Bergois, soulagés, goûtèrent sous le régime prussien aux bienfaits d’un État protecteur.

27Reste que le grand-duché de Berg souffrit du Blocus au point qu’on l’accusa, s’il se poursuivait, d’être la cause de la ruine des Bergois ; tandis que la rive gauche du Rhin en profita, au point que les Verleger aixois furent accusés de trahison, et qu’en Saxe, le Blocus fit le bonheur des Saxons.

Dans un angle mort du Blocus continental, l’industrialisation intensive de la Saxe

28En 1819, Chaptal concluait ainsi le chapitre XIII « Du commerce de la France avec les États d’Allemagne » de son célèbre ouvrage De l’industrie française[34] :

29

« Depuis trente ans, la position de quelques États d’Allemagne a beaucoup changé, et notre industrie doit s’en ressentir : les manufactures de laine, de coton et de fil se sont multipliées et améliorées partout, à tel point que la vente de nos produits y donne à peine aujourd’hui les bénéfices les plus modérés du commerce. La Saxe, surtout, a formé des établissements qui ont diminué nos débouchés ; les laines y ont été tellement perfectionnées, par l’introduction des mérinos et le croisement des races, qu’on en exporte une très grande quantité, et qu’elles approvisionnent les fabriques de Verviers, d’Aix-la-Chapelle et des bords du Rhin. La Saxe a encore établi un grand nombre de manufactures de cotonnade, de draperie, de toilerie et s’est placée, par son industrie, au rang des premières nations manufacturières de l’Europe. Si l’on ajoute à ces avantages celui de posséder de riches mines métalliques dont l’exploitation est dirigée par une administration très éclairée, on concevra que ce royaume est un des plus redoutables pour notre commerce avec le Nord » [35].

30Depuis les années 1790, la Saxe aurait donc, d’après Chaptal, été emportée par deux vagues d’industrialisation successives, la première portant les manufactures de laines « électorales » mérinos [36] au niveau des fabriques « belges » et rhénanes, la seconde poussant en avant toute l’industrie textile, dont celle du coton ; et la Saxe aurait accédé au rang des premières nations industrielles d’Europe dès le début du xixe siècle, à l’époque où le duché de Berg menaçait ruine, et bien avant qu’elle n’eût joui de cette réputation aux yeux des industriels français, par exemple [37]. L’ancien ministre de Bonaparte exagère peut-être la puissance du premier élan lainier mais les travaux de Rudolf Forberger [38] et le test des foires de Leipzig que nous avons fait « subir » aux Verleger de draps de Dresde, Grossenhain, Crimmitschau et Oederan paraissent confirmer le jugement flatteur de Chaptal. Dès 1795, ils entrent dans la grande compétition internationale du marché des feine Tücher (draps fins), y rivalisent victorieusement avec les Verviétois, les Eupénois et les Aixois, et accumulent des bénéfices tels qu’un Fiedler peut construire une nouvelle fabrique à Wingendorf, près d’Oederan, en 1816, et se payer le luxe d’y introduire en 1818 des machines à tondre les draps, fabriquées à Sedan par Neuflize depuis 1817, des tondeuses mécaniques à hélice coupante à 15 000 F/pièce, si révolutionnaires que les Anglais en importeront en 1824 sous le nom de spiral cutter[39].

31Mais la véritable innovation, celle qui déclencha en Saxe la seconde vague d’industrialisation, fut l’introduction du travail du coton. Comme toutes les industries nouvelles sur le continent, le coton saxon eut son pionnier, en la personne de Carl Friedrich Bernhard installé à Harthau, près de Chemnitz, en 1797, son Anglais, avec Evan Evans arrivé de Manchester à Harthau en 1802 accompagné par son mécanicien Watson, et sa première Mule-Spinnerei à force hydraulique [40].

32Dans la branche coton en Saxe, il n’y avait pas de corporations pour ralentir le démarrage, limiter l’embauche d’ouvriers et réclamer un tarif, comme en Bavière et à Augsbourg où elles furent rétablies en 1804 [41] ; et les bas salaires permirent aux vingt-deux Verleger de coton de Plauen, dans le Voigtland, et à Christian Brücker, de Mylau, d’offrir aux chalands des foires de Leipzig en 1803 des « mousselines saxonnes » bon marché – les prix saxons étaient inférieurs de 20 % à ceux de Gand, pourtant réputé dans toute l’Europe pour ses salaires de misère –, et de rivaliser en qualité avec celles qui s’étalaient à l’éventaire des marchands de Saint-Gall et de Manchester [42]. Car, les foires lipsiennes furent, comme pour les étoffes de laine, un marché particulièrement stimulant pour la jeune industrie cotonnière, et la création, en juillet 1807, du grand-duché de Varsovie sous la suzeraineté du roi de Saxe, augmenta d’un coup ce marché de trois millions de consommateurs supplémentaires [43]. Chaptal avait raison : en une quinzaine d’années, le piémont saxon du Erzgebirge – les monts Métallifères – fut recouvert d’un manteau de filatures et de tissages de coton, tandis que le piémont bohémien, émulation de frontière et mercantilisme obligent, se dotait de la même couverture. Dans les deux régions, le coton se superposa souvent à la laine et au lin, à la ville comme à la campagne, et le tissu industriel formé fut épais et dense, souple et durable (cartes 6 et 7). Les chiffres de la députation du commerce de Saxe disent la même chose mais d’une autre manière : 13 200 broches en 1805, 287 713 en 1814 [44] ; et Chaptal y aurait vu la confirmation de sa haute opinion de l’industrie cotonnière saxonne : en 1819, en France, il aurait fallu réunir la Seine, le Nord et la Somme, ou la Seine-Inférieure, le Rhône, l’Aisne et le Haut-Rhin pour atteindre un niveau d’équipement aussi élevé [45].

Carte 6

La proto-industrie du lin, du coton et de la laine et les industries extractives et métallurgiques en Saxe au début du xixe siècle. Routes de poste de Leipzig. Relais et directions en 1810

Carte 6

La proto-industrie du lin, du coton et de la laine et les industries extractives et métallurgiques en Saxe au début du xixe siècle. Routes de poste de Leipzig. Relais et directions en 1810

Carte 7

La proto-industrie du lin, du coton et de la laine en Bohême au début du xixe siècle

Carte 7

La proto-industrie du lin, du coton et de la laine en Bohême au début du xixe siècle

d’après G. Otruba : Anfänge und Verbreitung der böhmischen Manufakturen bis zum Beginn des 19. Jahrhunderts (1820), Bohemia-Jahrbuch, 6, (1965).

33Une telle performance n’aurait pu s’accomplir sans coton, sans approvisionnement, sans routes. Or, du coton, il en vint à Leipzig, du Brésil et du Levant, d’Amérique du Nord et même d’Angleterre [46]. Les arrivages n’en furent pas réguliers, loin s’en faut : les brûlements de marchandises réputées anglaises commencèrent à Leipzig en 1810 ; et les soldats français, quand ils n’étaient pas réquisitionnés par la bataille, firent, à partir de 1807, le métier de douanier avec zèle, fouillant rigoureusement au corps leurs alliés saxons, palpant partout les gens mal habillés, soumettant même les femmes d’un rang élevé à ce traitement [47] : la gravure colorée de Gießler (voir illustration), où « des soldats français contrôlent à la porte de la ville si des marchandises anglaises ne sont pas introduites en fraude », qui date de 1807 [48], est aussi féroce pour les militaires douaniers que le sont, pour les vrais douaniers, les vers du poète relégués en note infra-paginale. Aussi, les prix des matières premières tendirent-ils à monter fortement : de 1790 à 1806, le prix du coton américain doubla [49], et le prix du zentner de coton passa de 15 840 pfennige en 1805 à 31 680 en 1811 ; quant à la livre de coton en fil, elle s’éleva, dans le même temps, de 240 pfennige à 384 [50]. Rien de comparable cependant avec le sucre dont le prix fut multiplié par 6 ! Parce que les marchands russes, par Königsberg et la Baltique, et les marchands grecs venus de Salonique continuèrent à approvisionner les Verleger saxons et bohémiens en coton d’origine brésilienne, nord-américaine, turque et… anglaise, l’industrie cotonnière ne fut pas asphyxiée faute de matières premières ; parce que les décrets prohibitifs de 1806 et de 1810 n’étaient pas appliqués en Allemagne – Napoléon le reconnaissait lui-même –, l’est de l’Europe se dérobait au « système continental », et l’on trouvait les denrées coloniales à des taux de moins en moins élevés à mesure qu’on s’éloignait du centre de l’Empire [51]. Et surtout, il se construisit de nouvelles routes et de nouveaux itinéraires commerciaux furent tracés se conformant à cette configuration d’angle mort.

34Le phénomène le plus connu de l’histoire du système continental, écrivait Marcel Dunan, est le déplacement progressif des grands courants de transit vers l’Europe orientale, mais il n’a été signalé qu’en 1810 [52]. Il ajoutait cependant [53] que Marcel Blanchard avait, dès 1920, bien expliqué comment à partir de 1793, s’était formé progressivement une Europe du blocus qui vécut dans une atmosphère de serre protégée et une Europe libre qui demeura pleinement en liaison avec le dehors [54] ; à se demander, d’ailleurs si cet historien, dont Georges Lefebvre connaissait les travaux [55], n’avait pas trouvé son projet de recherche dans le remarquable rapport de Bacher, ministre à Francfort, sur les nouveaux itinéraires suivis en 1810 par les marchandises anglaises et les produits interdits en général (voir annexe). Tout s’est passé comme si, au fur et à mesure des conquêtes et des victoires françaises sur le Rhin et au-delà, l’écho des salves prohibitives qui suivaient, partie du centre de la Grande Nation puis de l’Empire, arrivait assourdi, à l’est du Weser, et inaudible sur les bords de l’Elbe. Ainsi au sud de l’« Europe libre », Salonique – et de là en Saxe –, et surtout Trieste continuèrent le trafic avec le Levant. L’empereur du Saint Empire fit équiper l’hinterland montagneux d’Autriche pour le grand roulage afin d’éviter aux ballots de coton levantin et anglais débarqués à Trieste d’être fractionnés en petits paquets, et de ravitailler au mieux les manufactures de cotonnades de Vienne et de Bohême. Voilà pourquoi, dès le Consulat, Bonaparte avait cherché à ramener plus à l’ouest, par Gênes, le Simplon et le Cenis, avec les aménagements routiers nécessaires, l’axe du transit terrestre entre le Levant et la partie occidentale du continent. Il n’y parvint pas. Et Bacher, à Francfort, en 1810, colporta la rumeur commerciale étonnante selon laquelle le Danube allait à l’avenir « au lieu du Rhin, devenir le canal » pour l’approvisionnement de la Confédération du Rhin [56].

35Plus intéressantes pour la Saxe parce que plus à portée de Leipzig que les routes méridionales, les communications avec les ports allemands et russes de la Baltique furent parfois incertaines mais elles ne s’interrompirent pas durablement. Lorsque les barrières douanières furent renforcées sur la mer du Nord et dans le royaume de Westphalie, Königsberg devint un grand port de transit pour les produits anglais, coton compris, et Leipzig, un port franc en pleine terre, passé le danger de la participation de la Saxe au « système continental ». La députation du commerce note à la foire de Pâques de 1810 une « fièvre du marché extraordinaire », un état « florissant » des principales branches du commerce allemand. Même année, à la foire de Saint-Michel : les mousselines et les cotonnades saxonnes ne se sont jamais aussi bien vendues ; venues de Riga et de Königberg, 800 voitures russes bourrées de coton du Brésil et de café ont été prises d’assaut contre argent comptant ; de gros arrivages de produits coloniaux de toutes sortes en provenance d’Odessa ont trouvé preneurs [57]. 1810, année record ! Et entre Pâques et la Saint-Michel 1810 étaient signés les décrets de Trianon et de Saint-Cloud…

36En 1815, la Saxe perdit la moitié de son territoire au profit de la Prusse et lorsque l’union douanière – Zollverein – avec celle-ci, effective au 1er janvier 1834, fut projetée, des esprits chagrins prophétisèrent aussitôt que « l’herbe pousserait dans les rues de Leipzig » [58]. Ils avaient tort. L’industrie saxonne moderne avait bien démarré dans un pays déjà intensivement proto-industrialisé à la fin du xviiie siècle, et le Blocus continental n’en était pas venu à bout ; au contraire, le nouveau système de communication, mis en place pour le contourner par le nord et par le sud, avait permis d’approvisionner les Verleger de coton en matières premières et le tissu industriel en fut renforcé. En 1837, la Saxe comptait 375 000 broches, elle dépassait la Bavière et le canton de Zurich [59], et pas une herbe n’avait poussé à Leipzig ou à Chemnitz. Dans les rues des villes et des bourgades saxonnes, c’était une forêt de cheminées qui avait poussé.

Conclusion : la longue « guerre d’argent », à petite et à grande échelle

37Les trois cas de métamorphose du territoire industriel que nous avons présentés ici ont en commun d’avoir eu lieu au cours d’épisodes assez rapprochés de la longue « guerre d’argent » que se livrèrent les États pendant au moins deux siècles. Car le Blocus continental est bien la phase ultime et la forme impériale d’une guerre que Colbert a poursuivi sinon déclaré, décrite sinon théorisée, dans son mémoire de 1670 : « Il faut augmenter l’argent dans le commerce public en l’attirant des pays d’où il vient et en le conservant au-dedans », bâtir ainsi la prospérité de l’État et la gloire du prince aux dépens des voisins, favoriser la production des richesses nationales, et éventuellement leur exportation, à coup de tarifs douaniers, de construction de navires et de voies de communications [60]. Dans l’en-tête de son célèbre mémoire de 1807 sur l’état de son « empire » manufacturier, le grand Guillaume Ternaux, avant de se référer à Colbert, n’hésite pas à écrire fortement : « Et moi aussi, je fais la guerre à l’Angleterre ! » [61]. Ternaux tenait à l’Anglais et à l’Empereur le même langage que Turenne tenait à l’Allemand et au roi Louis XIV…

38La concurrence entre le « soixantième liégeois » et les recettes douanières des Habsbourg à la frontière des Pays-Bas n’est évidemment pas de même nature ni de même échelle que les tarifs de Trianon et de Saint-Cloud, la rivalité entre la France et l’Angleterre au cours de la guerre de Succession d’Espagne ou la guerre contre la Hollande en 1672. De part et d’autre du ruisseau de Dison, entre Hodimont, Eupen et Verviers, il s’agit plutôt d’une « guerre d’argent en dentelles » conduite à petite échelle le long de frontières familières, par des douaniers débonnaires. Reste que cette petite guerre entre les trésoreries princières contribua à faire du territoire transfrontalier entre Meuse et Rhin un lieu d’échanges intenses et d’industrialisation intensive, de la frontière un facteur de concurrence et d’émulation, de la vallée de la Vesdre un district industriel où s’accumulèrent les savoir-faire ouvriers et les dispositions à la modernisation, c’est-à-dire à l’adaptation, des Verleger.

Gravure de Christian Gottfried Heinrich Gießler (1807)

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Gravure de Christian Gottfried Heinrich Gießler (1807)

Source : note 48.

39Il n’y avait qu’un marchand-fabricant d’Eupen, installé à Klagenfurt en 1761, Jean Thys, pour vanter à Sa Majesté impériale royale et apostolique, Marie-Thérèse, les vertus de la concurrence et de l’« atmosphère industrielle » qui régnaient entre Verviers et Aix-la-Chapelle :

40

«… Si toutes les nouvelles fabriques de draps fins se plaçaient près de la première [la sienne], dont la réussite est déjà certaine, l’avantage en serait infiniment plus grand pour l’État. Parce que se soutenant mieux l’une l’autre dans l’industrie et l’émulation, multipliant les secours sans nombre, toutes produiraient plus et fourniraient au commerce général plus d’objets. La France, et le petit coin de terre qui comprend Aix-la-Chapelle, Verviers, et Eupen en fournissent une preuve convaincante. La France a partagé les fabriques de draps fins dans plusieurs provinces, et toutes ensemble ne comptent pas deux mille métiers battants ; dans ce petit coin de terre, qui n’a pas trois miles de diamètre, plus de 200 différents fabricants en entretiennent trois mille, et envoient leurs draps dans toutes les parties du monde ; la raison en est simple : Abbeville serait perdu, avant que Sedan ne pût le soutenir, et quel soutien Sedan pourrait-il chercher dans le Languedoc ? Eupen est à une lieue de Verviers, à une lieue et demie d’Aix-la-Chapelle ; les secours sont prompts, et dans la même journée que la demande en est faite, ils sont par là efficaces : l’émulation est vive et soutenue, la grande concurrence des fabricants y attire la grande concurrence d’ouvriers de tous pays ; celle-ci établit le bon marché des mains-d’œuvre, celle-là le bon marché de la marchandise fabriquée. Les matières premières y sont portées par les producteurs mêmes, et la grande concurrence de ceux-ci fait encore que ces matières y sont meilleur marché qu’ailleurs, avantages que la multiplicité des fabriques de même espèce, dans un même emplacement, peut donner seule… L’émulation, la rivalité et la multiplicité sont essentielles au progrès des fabriques » [62].

41À l’est du Rhin, après que la rive gauche fut conquise et intégrée au territoire national, la « guerre d’argent » conduite par la Grande Nation et l’Empire français, à coup de canons et de tarifs douaniers, ressemble au « processus de destruction créatrice » tel que l’a décrit Schumpeter [63]. À ceci près que c’est l’État directorial, consulaire et impérial qui mena le jeu : ayant défini ses buts de guerre et ses objectifs économiques dès 1795-1797, l’État, qui nourrissait des ambitions grandissantes pour les entreprises et les fabriques de la Grande Nation, céda pour elles, dans la forme du système continental, à l’irrésistible tentation envers la position de monopole [64] et de vendeur unique [65]. Le duché de Berg, auquel fut appliqué la terrible règle selon laquelle on ne peut bien bâtir chez soi qu’avec les décombres du voisin, faillit y perdre l’existence. Alors, dans toute l’Allemagne, les entrepreneurs et les États cherchèrent, en vain en Bavière, ou avec succès en Saxe, à échapper à cette politique de « concurrence imparfaite » qu’on allait dénoncer un siècle après comme celle des trusts[66] ; plus, ils laissèrent et surtout aidèrent à se former un projet nouveau de reconstruction de l’économie allemande.

42Reconnaissons à Murat le mérite d’avoir été l’un des premiers à parler du duché de Berg comme partie du « grand système fédératif »… de l’Empire [67]. Il ne pouvait, évidemment, dire autre chose, mais l’idée fédérale n’allait pas tarder à être reprise, pour le compte de l’Allemagne, cette fois. Avant d’en arriver là, deux critiques de la politique impériale en 1810, qui montrent que les dirigeants et les hommes d’affaires allemands avaient mesuré à leur juste échelle les enjeux du Blocus ; le roi de Prusse :

43

« Une imposition trop forte des matières premières ruinerait nécessairement l’industrie allemande et favoriserait celle de l’Angleterre, [alors] qu’au contraire la perfection des manufactures d’Allemagne ruinerait celles de l’Angleterre et rendrait la contrebande impossible » ;

44les Verleger d’Elberfeld : « Le meilleur moyen de lutter contre le monopole anglais n’est pas de lui substituer un autre monopole (celui de la France) mais de protéger l’industrie continentale ». Le système détruisait des richesses sans en créer de nouvelles, sauf en Prusse, en Saxe et en Bohême, c’est-à-dire dans les lieux hors d’atteinte. Bilan économique effrayant du Blocus, présenté par Beugnot : « Actuellement l’administration fait du mal sans profit » [68].

45Placé par le Congrès de Vienne à la tête d’un royaume morcelé, mais qui s’étirait maintenant d’Aix-la-Chapelle à Königsberg, le roi de Prusse montre l’exemple de ce qu’il convenait de faire en supprimant les douanes intérieures, et en instaurant un tarif unique dans ses propres provinces. Après avoir hésité et projeté une union douanière de l’Allemagne moyenne, la Saxe entra en 1833 avec la Bavière et le Wurtemberg dans le Zollverein. Von Lindenau, successeur de von Einsiedel au ministère du Commerce en 1829, commentait ainsi le processus dans lequel s’était engagée la Saxe :

46

« Alors, il ne sera plus question d’un simple élargissement du système prussien de douanes, mais de décider le système qui conviendra le mieux à une réunion de pays habités par 22 millions d’Allemands industrieux ; il ne s’agira plus d’une association prussienne, mais allemande, non plus de la suprématie de l’intérêt prussien, mais du système commercial vraiment fédératif des États allemands. À la réussite d’un tel plan, je crois avec confiance. Et une telle réunion ne vivifiera pas seulement le commerce des foires de Leipzig mais ouvrira pour les fabriques de la Saxe un âge d’or ; de cet avenir, il m’est impossible de douter » [69].

47Là où Napoléon avait déçu, détruit et désespéré, Frédéric Guillaume III avait encouragé, redonné des raisons d’espérer et d’entreprendre, et finalement convaincu les Saxons qu’ils n’avaient jamais travaillé et qu’ils ne travailleraient jamais pour le roi de Prusse ou pour le monopole prussien. Dès lors, Friedrich List put tracer aux Allemands leur Sonderweg, le chemin qu’ils avaient suivi et la grand route dans laquelle ils s’étaient engagés : unité culturelle, unité économique, unité nationale.

Annexe

Appendice F, in C. Schmidt, op. cit., p. 497-499

Rapport de Bacher, ministre à Francfort, sur la nouvelle direction suivie par les marchandises anglaises et les effets du tarif de Trianon

48« Les commissionnaires de France continuent d’expédier des ballots de tous les genres de denrées et marchandises coloniales pour la Suisse, tandis qu’ils en reçoivent journellement, par la voie de Lünebourg ou par celle de Leipzig. Les premières maisons de cette ville sont chargées des avances très considérables à faire pour accélérer le transit des cotons du Brésil qui leur sont adressés de Russie par Koenigsberg et Leipzig. On prétend que la nouvelle direction que prennent actuellement les denrées et marchandises coloniales, depuis que les côte de la Hollande et des villes hanséatiques jusqu’à l’Oder ne leur sont plus aussi accessibles que par le passé, a été successivement mise dans une telle activité sur toutes les routes qui conduisent des divers points de la Russie d’un côté vers la Prusse, de l’autre par la Pologne et la Moravie jusqu’à Vienne et des provinces ottomanes dans celles de l’Empire d’Autriche pour les marchandises anglaises débarquées dans les ports du Levant, que le Danube va devenir au lieu du Rhin le canal par lequel les États de la Confédération du Rhin pourront s’en approvisionner à l’avenir. Les négociants allemands envisagent cette révolution dans le commerce, qui a réduit la Hollande et la basse Allemagne à une nullité mercantile, comme devant conduire à former de nouvelles relations très suivies entre la Russie, l’Autriche et la Bavière et par conséquent à établir des voies assurées pour faire arriver non seulement les denrées coloniales mais encore les marchandises anglaises, jusque dans les États de la Confédération du Rhin et de là jusqu’au Rhin et même en Suisse, dès qu’elles pourront y être vendues à un prix assez élevé pour couvrir les frais de transport. En admettant donc, ce qui est loin d’exister, que par les mesures prises dans la Basse-Saxe et dans le royaume de Westphalie on puisse parvenir moyennant un triple cordon à rendre impénétrable le passage entre le Rhin et l’Elbe, il n’en résulterait d’autre effet que celui d’augmenter dans la même proportion l’arrivage des denrées et marchandises coloniales venant de la Russie par Koenigsberg et Leipzig. En supposant même que le roi de Saxe, qui a employé des sommes très considérables pour relever les fabriques de mousseline, de calicot, d’indienne et de cotonnade de tout genre qui fleurissent maintenant dans ses États, voulût étendre le cordon depuis Wittemberg jusqu’aux frontières de la Bohême et en même temps consentir à introduire le tarif des droits à percevoir sur les cotons qu’il est au contraire de son intérêt de procurer à ses fabriques au meilleur marché et des plus belles qualités possibles, ce sacrifice douloureux, qui réduirait toute la partie montagneuse de la Saxe à la plus profonde misère, ne serait d’aucun avantage à la France et ne servirait qu’à enrichir le gouvernement et les négociants de l’Autriche, qui jouiraient de la perception des droits d’entrée et de sortie et des bénéfices considérables que leur assurerait le transit des denrées et marchandises coloniales que l’on ne pourra jamais empêcher de pénétrer par contrebande par la Bohême dans le Voigtland, le pays de Bayreuth, et le Haut-Palatinat et par la Haute-Autriche et la Styrie dans le pays de Salzbourg et de Bergtesgaden, qui ont toujours été les couloirs par lesquels les marchandises françaises et toutes celles prohibées, passent dans les provinces de l’Empire d’Autriche malgré toute la surveillance des chaînes de douaniers entretenues par cette puissance.

49Les ouvriers des manufactures de cotonnades seraient obligés d’émigrer de la Saxe et du Voigtland et même de la Bavière, du pays de Bade et de la Suisse, pour chercher du pain dans les fabriques de l’Autriche montées, et dirigées par des Anglais, qui inonderaient par ce moyen de nouveau les États de la Confédération de leurs fabrications. C’est ainsi que la France a perdu pendant et depuis la Révolution une partie précieuse de ses artistes et de ses ouvriers qui ont contribué autrefois à la réputation des manufactures de Lyon, Saint-Etienne, Sedan, Verviers et les départements de l’Ourthe et de la Roer, dont l’Autriche, la Bohême, la Moravie et en partie la Saxe, se sont successivement enrichies ».

Notes

  • [*]
    G. Gayot, professeur, Université Charles-de-Gaulle—Lille 3, B.P. 149, 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex ; UMR-CNRS 8529 CERSATÉS, directeur de l’IFRÉSI-CNRS, Lille
  • [1]
    P. Léon, F. Crouzet, R. Gascon (dir.), L’industrialisation en Europe au xixe siècle. Cartographie et typologie, Paris, Éd. du CNRS, 1972, 619 p. François Crouzet, dans sa post-face, p. 601, écrit par exemple : «… il est préférable de réserver à l’expansion de ces activités manufacturières archaïques le terme de “proto-industrialisation” ». Et nous étions en 1972… En 1982, au congrès international d’histoire économique de Budapest, Pierre Deyon et Franklin Mendels dirigeaient de main de maître une session sur la proto-industrialisation.
  • [2]
    Ibidem, p. 373.
  • [3]
    Une partie importante de ce programme vient d’être réalisée de bien belle manière par P. Verley, L’échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Paris, Gallimard, 1997, 713 p.
  • [4]
    P. Lebrun, L’industrie de la laine à Verviers pendant le xviiie siècle et le début du xixe siècle. Contribution à l’étude de la révolution industrielle, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Lettres et Philosophie de Liège, 1948. Voir aussi G. Gayot, « La main invisible qui guidait les marchands aux foires de Leipzig : enquête sur un haut lieu de la réalisation des bénéfices, 1750-1830 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48-2/3, avril-septembre 2001, p. 72-103.
  • [5]
    Vienne, Österreichisches Staatarchiv, Finanz-und Hofkammerarchiv, Kommerz Innerösterreich, Fz. 105/2, rote Nummer 442, « Tuchfabrik von Thys in Klagenfurt (1761-1794) ». Jan Thys est l’un de ces Eupénois qui partit s’établir dans les États héréditaires de Marie-Thérèse, impératrice, reine de Bohême et de Hongrie, souveraine des Pays-Bas et donc du Limbourg et d’Eupen.
  • [6]
    G. Gayot, « La main invisible… », art. cit., p. 83-84.
  • [7]
    P. Lebrun, op. cit., p. 66-72.
  • [8]
    J.-S. Renier, Histoire de l’industrie drapière au pays de Liège et particulièrement dans l’arrondissement de Verviers depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, Liège, Léon de Thier, 1881, p. 55.
  • [9]
    G. Gayot, Les draps de Sedan (1646-1870), Paris, Éd. De l’EHESS, 1998, p. 32.
  • [10]
    AN, F12 661, voyage d’Abraham Poupart, manufacturier de Sedan, dans les fabriques de Liège et de Limbourg, 1755. Paul Bertholet, « L’étonnante fortune du marchand-drapier verviétois François Franquinet (1671-1754) », Bulletin de la Société Verviétoise d’archéologie et d’histoire, LXI, 1980, p. 136-173.
  • [11]
    Arch. État Liège, États, liasse 251, ordonnance du 7 avril 1754, cité par P. Lebrun, op. cit., p. 72.
  • [12]
    G. Gayot, « La main invisible… », art. cit., p. 84, note 27.
  • [13]
    P. Lebrun, op. cit., p. 73.
  • [14]
    « Ein England im kleinen », cité par C. Schmidt, Le grand-duché de Berg (1806-1813). Étude sur la domination française en Allemagne sous Napoléon Ier, Paris, Alcan, 1905, XVI-528 p., p. 325, note 1.
  • [15]
    La formule est du comte Beugnot, conseiller d’État, commissaire impérial à Düsseldorf, citée par C. Schmidt, op. cit., p. 378-379.
  • [16]
    C. Schmidt, op. cit., p. 327.
  • [17]
    L. Febvre, Le Rhin. Histoire, mythe et réalités, Paris, Perrin, 1997, (rééd. Armand Colin, 1935), p. 221.
  • [18]
    Ibidem, p. 219. Ce jugement géopolitique très « collaborateur » est de notables d’Aix-la-Chapelle, chef-lieu du département de la Roer (et non pas Roër comme on l’imprime trop souvent, du nom de la rivière, affluent de la rive gauche du Rhin, il faut prononcer Ruhr, sans pour autant la confondre avec la rivière du comté de la Mark, côté rive droite, d’après C. Schmidt, op. cit., p. 325, note 2).
  • [19]
    C. Schmidt, op. cit., p. 2.
  • [20]
    Ibid., p. 339, AN, F7 6151 (n° 818), mission de Léonard Bourdon à Hambourg.
  • [21]
    S. Woolf, Napoléon et la conquête de l’Europe, Paris, Flammarion, 1990, p. 202.
  • [22]
    C. Schmidt, op. cit., p. 338, note 2. La lettre de Chaptal est datée du 5 octobre 1807.
  • [23]
    Ibid., p. 400 et note 3.
  • [24]
    AN, F12 549, 550, pétition adressée par la chambre de commerce de Cologne au préfet de la Roer contre le projet de réunion du Grand-Duché de Berg à l’Empire, 16 septembre 1810, citée par C. Schmidt, op. cit., appendice E, p. 493.
  • [25]
    AN, AF IV 1839, cité par C. Schmidt, op. cit., p. 384-385.
  • [26]
    S. R. X. Golbery, Considérations sur le département de la Roer, suivi de la notice d’Aix-la-Chapelle et de Borcette, Aix-la-Chapelle, impr. de Beaufort, 1811, p. 164.
  • [27]
    J.-F. Ladoucette, Voyage fait en 1813 et 1814 entre Meuse et Rhin, suivi de notes avec une carte géographique, Paris, impr. de Fain, Alexis Emery, libraire, Aix-la-Chapelle, Laruelle, libraire, juillet 1818, p. 358.
  • [28]
    C. Schmidt, op. cit., p. 378-380, p. 402.
  • [29]
    Ibidem, p. 404, p. 384, p. 395.
  • [30]
    Ibidem, p. 399, p. 396-397, note 2.
  • [31]
    S. Woolf, op. cit., p. 223.
  • [32]
    C. Schmidt, op. cit., p. 461.
  • [33]
    Ibidem, p. 373.
  • [34]
    Chaptal, De l’industrie française, Paris, 1819. Réed. avec une présentation de Louis Bergeron, Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1993, 532 p.
  • [35]
    Ibidem, p. 118-119.
  • [36]
    Les laines mérinos provenant du troupeau importé d’Espagne en Saxe en 1763 furent appelées « électorales » par les manufacturiers français qui s’y approvisionnèrent à partir de la fin du xviiie siècle afin de les distinguer des laines castillanes, dont ils dépendaient jusque-là. AN, 44 AQ5, André de Neuflize (1784-1836), Travail sur la fabrication des draps.
  • [37]
    La réputation de l’industrie saxonne n’est acquise que vers le milieu du xixe siècle, si l’on en croit les témoignages recueillis dans Enquête industrielle sur le traité de commerce avec l’Angleterre, t. III, Industrie textile. Laines, Paris, Imprimerie impériale, 1860, XVI-794 p. Reste que les échecs ou les succès économiques subis ou obtenus, ici ou là, à cause ou malgré le Blocus continental furent partout amplifiés, entretenant ainsi, et parfois en en étant à l’origine, une réputation de nation industrielle dynamique ou timorée, plus ou moins apte à « rebondir », plus ou moins prompte à l’innovation. Cette histoire comparée de la réputation industrielle des nations, des régions et des pays est un chantier tout aussi intéressant à entreprendre que celui d’une histoire des produits industriels.
  • [38]
    R. Forberger, Die Manufaktur in Sachsen vom Ende des 16. bis zum Anfang des 19. Jahrhunderts, Berlin, Akademie-Verlag, 1958. id., Die industrielle Revolution in Sachsen 1800-1861, t. I, vol. 1, Die Revolution der Produktivekräfte in Sachsen ; vol. 2, Übersichten zur Fabrikenentwicklung, Berlin, Akademie-Verlag, 1982.
  • [39]
    G. Gayot, « La main invisible… », art. cit., p. 81. Leipzig, Stadtarchiv, Adreß-Post und Reise-Kalender, 1795 ; G. Gayot, « Die Abenteuer des “Ritters” Cochelet in Sachsen in 1818 », in U. Hess, P. Listewnick, M. Schäfer (éds), Wirtschaft und Staat in Sachsensindustrialisierung 1750-1930, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2003, p. 73-86.
  • [40]
    K. P. Herschel, Evan Evans (1765-1844). Leben und Werk des Förderers des Maschinenbaus und der maschinellen Baumwollspinnerei in Sachsen, Förderverein « Kulturmeile Geyer-Tannenberg », 1999, p. 15, p. 19.
  • [41]
    M. Dunan, Napoléon et l’Allemagne. Le système continental et les débuts du royaume de Bavière (1806-1810), Paris, Plon, 1942, p. 117-119. Voir aussi H.-G. Haupt, Das Ende der Zünfte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, 285 p.
  • [42]
    Leipzig, Stadtarchiv, Adreß-Post und Reise-Kalender, 1803, p. 37, p. 41.
  • [43]
    S.Woolf, op. cit., p. 206.
  • [44]
    P. Benaerts, Les origines de la grande industrie allemande, Paris, Turot, 1933, p. 484, note 10.
  • [45]
    Chaptal, op. cit., p. 326.
  • [46]
    E. Hasse, Geschichte der Leipziger Messen, Leipzig, Hirzel, 1885, p. 421 ; C. Schimdt, op. cit., p. 365 ; K. P. Herschel, op. cit., p. 19.
  • [47]
    Témoignage de Rist, représentant du Danemark à Hambourg, cité par S. Woolf, op. cit., p. 224. Au cours de ma communication, le 25 mai 2003, j’ai rappelé à Pierre Deyon que pendant mon exposé de soutenance de thèse en 1993, il m’avait laissé citer, à propos de la douane, les premiers vers des Douaniers d’Arthur Rimbaud :
    Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
    Quand l’ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
    Ils s’en vont, amenant leurs dogues à l’attache,
    Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !
  • [48]
    Extraite de V. Rodekamp (éd.), Leipzig Stadt der wa(h)ren Wunder. 500 Jahre Reichsmesseprivileg, Leipzig, Stadtgeschichliches Museum Leipzig, 1997, p. 317. 1 zentner = 100 livres.
  • [49]
    K. P. Herschel, op. cit., p. 18.
  • [50]
    S. Poser, « Napoléon und die Kontinentalsperre », in V. Rodekamp (éd.), op. cit., p. 230.
  • [51]
    C. Schmidt, op. cit., p 361.
  • [52]
    M. Dunan, op. cit., p. 313.
  • [53]
    Ibidem, p. 742.
  • [54]
    M. Blanchard, Les routes des Alpes occidentales à l’époque napoléonienne (1796-1815). Essai d’étude historique sur un groupe de voies de communication, Grenoble, impr. Joseph Allier, 1920.
  • [55]
    G. Lefebvre, Napoléon, Paris, Presses universitaires de France, 1947, p. 462.
  • [56]
    M. Blanchard, op. cit., p. 368-372 ; M. Dunan, op. cit., p. 703 ; S. Woolf, op. cit., et F. Crouzet, L’économie britannique et le Blocus continental (1806-1813), Paris, Presses universitaires de France, 1958, font la même analyse.
  • [57]
    E. Hasse, op. cit., p. 419-420.
  • [58]
    P. Benaerts, op. cit., p. 69-70.
  • [59]
    M. Lévy-Leboyer, Les banques européennes et l’industrialisation internationale dans la première moitié du xixe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1964, p. 180 et note 32.
  • [60]
    P. Deyon, Le mercantilisme, Paris, Flammarion (coll. « Questions d’histoire »), 1969, p. 26.
  • [61]
    AN, F12 618, mémoire de Guillaume Ternaux, 1807.
  • [62]
    Vienne (Autriche), source citée, note 5. Ce mémoire fut écrit en 1765, quatre ans après sa première installation en 1761.
  • [63]
    J. Schumpeter, Capitalisme socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1967, p. 119-125 (1re éd. 1942).
  • [64]
    J. Bouvier, « Le capitalisme et l’État en France », Recherches et travaux, Bulletin de l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université de Paris I, 15, décembre 1986, p. 53. Cet article, véritable leçon de méthode, a été repris in Quel avenir industriel pour la France, Paris, Economica, 1987.
  • [65]
    J. Schumpeter, op. cit., p. 143.
  • [66]
    Ibidem, p. 144.
  • [67]
    Murat à Crétet, 12 juin 1806, cité par C. Schmidt, p. 387 (c’est moi qui souligne).
  • [68]
    Ibidem, p. 378, p. 381-383, p. 408-409 (c’est moi qui souligne).
  • [69]
    P. Benaerts, op. cit., p. 53, mémoire de von Lindenau, 14 janvier 1830 (c’est moi qui souligne).
Français

En quoi le changement des politiques douanières et le déplacement des barrières douanières modifient-ils les performances des territoires industriels ? À cette question traditionnelle, nous en ajoutons d’autres suggérées par de nouvelles recherches sur le processus d’industrialisation : en quoi le changement des tarifs douaniers ou la « translation » des douanes constitue-t-il un moteur ou un frein à la mobilité des entreprises proto-industrielles, à la propension des Verleger à s’établir, à la « transmigration » des installations et de la main-d’œuvre ? Entre 1750 et 1815, on proposera trois études de cas, dans un climat de « guerre d’argent en dentelle » à l’échelle régionale puis dans un contexte de guerre économique ouverte à l’échelle continentale : le district de Verviers et Hodimont, le duché de Berg et la Saxe électorale.

Mots-clés

  • Verleger
  • entrepreneurs
  • douanes
  • Blocus
  • mercantilisme
  • industrie
  • coton
  • laine
  • Berg
  • Verviers
  • Saxe
  • Bohême
  • Carinthie
  • Liège
  • Prusse
  • Napoléon
  • Directoire
English

Borders, Customs Barriers and Metamorphosis of the Industrial Territories between the Meuse and the Elb (1750-1815)

Borders, Customs Barriers and Metamorphosis of the Industrial Territories between the Meuse and the Elb (1750-1815)

How far do changes in customs policies and the displacement of customs barriers alter the performance of industrial territories ? To this traditional question, we add others suggested by new research on the process of industrialisation. How far do changes in customs duties or the « translation » of customs posts drive or slow down the mobility of proto-industrial companies, lead the Verleger to settle, induce the « transmigration » of facilities and manpower ? Between 1750 and 1815, three cases will be studied in a climate of « guerre d’argent en dentelle » on a regional scale, then in a context of open economic war on the continental scale : the district of Verviers and Hodimont, the dukedom of Berg and Electoral Saxony.

Nederlands

Grenzen, douanebarrieres en veranderingen in de industriezones tussen Maas en Elbe (1750-1815)

Kunnen veranderingen in het douanebeleid en verplaatsingen van douanebarrieres de prestaties van industriezones beïnvloeden ? Deze vraag is al vroeger gesteld. Rekening houdend met recent onderzoek inzake het industrialisatieproces kan men zich ook afvragen of veranderingen van douanetarieven als een motor of een rem werken voor de mobiliteit van de vroege industriële ondernemingen, zoals de vestiging van de Verleger en het verplaatsen van infrastructuur en werkkrachten. Voor de periode 1750-1815 worden drie voorbeelden bestudeerd, met op de achtergrond de regionale « oorlog van geld en kant » en in de context van economische oorlog op het continent : het district Verviers en Hodimont, het hertogdom Berg en het keurvorstendom Saksen.

Gérard Gayot [*]
  • [*]
    G. Gayot, professeur, Université Charles-de-Gaulle—Lille 3, B.P. 149, 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex ; UMR-CNRS 8529 CERSATÉS, directeur de l’IFRÉSI-CNRS, Lille
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/10/2014
https://doi.org/10.3917/rdn.352.0781
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