Pour bâtir une société convivialiste fondée sur le libre débat entre égaux, il ne suffit pas de s'en prendre au pouvoir des élites et de rendre la parole au peuple. La leçon de l'histoire récente est rude pour ceux qui espéraient qu'Internet, en donnant à tous la possibilité de s'exprimer librement, serait l'allié naturel de la démocratie. Les difficultés rencontrées pour promouvoir les pratiques délibératives illustrent les limites de la rationalité communicationnelle : les interactions langagières ne sont pas exemptes de violence et d'effets de domination. Un détour par la théorie de l'argumentation permet de préciser les conditions politiques et organisationnelles de pratiques délibératives équitables et productrices de rationalité. Cette réflexion pointe la nécessité d'instituer à tous les niveaux de décision des scènes d'argumentation régies par un ensemble de règles procédurales et méthodologiques s'inspirant de certaines pratiques existantes.
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Crise du politique et crise de la raison sont étroitement liées. Le trumpisme illustre jusqu’à la caricature le délitement des espaces de débat sans lesquels la démocratie ne saurait exister. Au-delà du complotisme et de la poussée inquiétante de passions identitaires négatrices de l’altérité, il convient de prendre la mesure d’un phénomène plus large de perte de confiance dans la raison commune et dans les vertus d’un débat ouvert.
Pour bâtir une société convivialiste – pacifiée, pluraliste et délibérative –, il ne suffira pas de s’en prendre au pouvoir des élites et de rendre la parole au peuple. La leçon de l’histoire récente est rude pour ceux qui espéraient qu’Internet, en donnant à tous la possibilité de s’exprimer librement, serait l’allié naturel de la démocratie : l’anonymat des réseaux sociaux et la logique perverse des algorithmes favorisent l’expression décomplexée, la légitimation et l’amplification mimétique des pulsions violentes. Il ne suffit pas de se parler pour se comprendre : faute de partager un socle minimal de convictions et de modes de raisonnement, on ne peut même pas se faire confiance. Mieux vaut le dire clairement : l’idée selon laquelle on peut chercher la vérité en discutant n’importe comment avec n’importe qui ne tient pas la route. Nous sommes tous pris dans des champs de forces, des passions (fidélités ou ressentiments) et des intérêts dont les points d’ancrage sont et seront toujours hors champ du débat. Nous sommes tous des « porteurs d’enjeux » et des experts à divers titres et nos points de vue ne peuvent être tenus pour également légitimes au regard de n’importe quelle question…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 03/06/2021
- https://doi.org/10.3917/rdm1.057.0155
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