CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans divers pays du monde se développe un système de justice original qualifié de justice restauratrice (ou réparatrice). Cet essor résulte notamment de l’insatisfaction générale éprouvée à l’égard du système traditionnel :

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  • la profonde déception des victimes,
  • l’échec des politiques de répression et en particulier de l’emprisonnement : l’incarcération est surtout une école du crime, particulièrement pour les mineurs,
  • la longueur, la complexité et le coût excessifs du processus judiciaire,
  • l’engorgement des tribunaux.

Des sources très anciennes et une redécouverte contemporaine

3 Définir la justice réparatrice n’est pas facile car ce terme regroupe de multiples activités, depuis les médiations entre un agresseur et sa victime jusqu’à la commission Vérité et réconciliation d’Afrique du Sud [2], après la sortie de l’apartheid. Parmi les multiples définitions que j’ai pu relever, en voici une qui me semble bien résumer cette approche :

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« Le but de l’approche réparatrice est de compenser le tort fait aux victimes et de contribuer à maintenir la paix et la sécurité dans la société » [Déclaration de Louvain, 1997].

5 La justice restauratrice nécessite la présence d’au moins trois personnes :

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  • la victime qui accepte d’y participer, sans qu’une pression soit exercée sur elle,
  • l’agresseur qui est prêt à reconnaître sa culpabilité,
  • un médiateur (parfois nommé facilitateur) compétent et ayant reçu une solide formation.

7 Dans certains cas, comme nous le verrons plus loin, d’autres personnes participent également au processus.

8 La justice restauratrice contemporaine tire une partie de son inspiration et de ses techniques dans les pratiques ancestrales de certains peuples africains, des Maoris de Nouvelle-Zélande ou encore d’Indiens d’Amérique du Nord. Ces systèmes de justice traditionnelle considèrent généralement que l’agresseur s’est coupé de la société par l’offense qu’il a commise. Dès lors, l’objectif essentiel des autres membres de la société est de le réintégrer dans la société en vertu du principe qu’il est mauvais pour une société de se démembrer.

9 La toute première expérience de justice restauratrice occidentale a eu lieu en 1974 à Elmira, dans l’Ontario, à partir de l’initiative spontanée d’un agent de mise à l’épreuve. Voici l’histoire telle que la raconte sur Internet Russ Kelly, l’un des deux jeunes qui a bénéficié de cette mesure [Kelly, non daté].

10 Russ a grandi dans une famille de sept enfants, son père est décédé quand il avait six ans et sa mère quand il en avait quinze. En profond mal-être personnel, il se tourne vers la drogue et l’alcool. Un soir, il fait la tournée des bars avec un ami et, à leur retour, celui-ci lui propose de tout dévaster sur leur passage. En deux heures, de 3 à 5 heures du matin, ils saccagent vingt-quatre voitures et un petit bateau, abîment vingt-deux propriétés, un magasin et une église. Puis ils rentrent chez eux et s’endorment. À sept heures du matin, la police, prévenue par un voisin, frappe à la porte. Tous deux reconnaissent leur responsabilité. Le dossier est confié à Mark Yantzi, un agent de mise à l’épreuve qui a l’idée de faire se rencontrer les victimes et ces délinquants, afin que ceux-ci reconnaissent leur responsabilité et s’engagent à réparer le mal fait. Il mentionne cette proposition dans le rapport qu’il adresse au juge Gordon McConnell qui, fatigué de l’inefficacité de la justice pour prévenir la récidive, accepte la proposition.

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« Rencontrer nos victimes, écrit Russ Kelly, a été l’une des choses les plus dures que j’aie jamais vécues dans ma vie. Accompagnés par Mark Yantzi et Dave Worth, nous leurs avons présenté nos excuses, écouté ce que les victimes avaient à nous dire, déterminé le montant de la restitution, demandé pardon et déclaré aux victimes que c’était un acte de vandalisme au hasard et qu’elles n’étaient donc pas ciblées […] Environ deux mois plus tard, nous sommes revenus avec des chèques pour compenser les dépenses non couvertes par les assurances. Nous avons été également sanctionnés par une mise à l’épreuve de 18 mois. » « Si j’avais été en prison, j’en serais ressorti en étant une personne pire, avec un cœur endurci. »

12 Russ Kelly est aujourd’hui… médiateur et conférencier sur la justice restauratrice, au sein de l’association Initiatives de justice communautaire.

Une tout autre conception de la justice et de l’être humain

13 J’ai souligné plus haut cette différence essentielle : la justice classique se focalise surtout sur la juste peine à infliger au coupable, tandis que la justice restauratrice se focalise sur les besoins de la victime et sur la responsabilité de l’agresseur pour réparer la blessure causée. Mais ce n’est pas la seule différence. En effet :

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  • selon la justice classique, la réparation de la victime est accessoire et est essentiellement envisagée sur le plan matériel, tandis que selon la justice restauratrice, la réparation de la victime est un objectif central et est surtout morale et émotionnelle ;
  • selon la justice classique, plus une punition est sévère, plus un agresseur potentiel aura peur d’être condamné et donc plus il évitera de (re)commettre des actes répréhensibles, tandis que selon la justice restauratrice, plus un agresseur ressent d’empathie pour une victime, plus il évitera de commettre à nouveau des actes répréhensibles.

15 Pour bien comprendre la différence entre ces deux conceptions de la justice, rien ne vaut des exemples concrets. Voici donc un cas (parmi d’autres) où une décision de justice peut être parfaitement fondée sur le plan légal tout en étant profondément injuste et aberrante, tandis que certaines décisions prises en médiation peuvent être profondément justes sur le plan humain, tout en étant impossibles à obtenir dans le cadre d’un tribunal. Cette expérience est présentée par Béatrice Blohorn-Brenneur, président de chambre à la cour d’appel de Grenoble, qui s’efforce depuis des années de faire connaître la médiation dans les conflits du travail [Blohorn-Brenneur, 2006, p. 165-167].

16 Un plombier travaillait depuis trente-trois ans dans une entreprise familiale, au point de faire quasiment « partie de la famille ». Il s’investissait fortement, dépassant souvent largement les horaires prescrits. Le 23 décembre 2000, le plombier rentre tôt chez lui pour préparer Noël avec ses enfants. Il découvre une lettre de l’entreprise lui annonçant son licenciement, car la société allait maintenant externaliser les travaux de plomberie. Le courrier précise qu’il est inutile que le salarié se présente à l’entreprise, les deux mois de préavis lui seront payés. La brutalité de la procédure révolte cet homme. Le dossier arrive sur le bureau de Béatrice Blohorn-Brenneur, qui propose une médiation, acceptée par tous. Le plombier raconte l’attachement qu’il éprouvait pour l’entreprise et pour les enfants du patron qu’il avait vus naître, grandir et se marier.

17 Le moment crucial se produit lorsqu’il enlève sa chemise pour montrer à son ancien employeur les cicatrices laissées sur son buste et sur son dos par les opérations qu’il avait subies après deux accidents du travail.

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« Voici l’infirme que vous avez jeté, dit-il. J’ai passé des heures sur la table d’opération entre la vie et la mort, pour avoir risqué ma vie pour vous et votre société. Ces cicatrices, eh bien, moi, ces derniers temps, je ne peux plus les voir car je n’ai plus de miroir… n’ayant plus de toit. Je suis au RMI. Comme je n’ai pas pu payer mes traites, j’ai été expulsé de mon appartement. Je dors aujourd’hui dans un garage qu’un ami m’a aménagé. Voilà ce que vous avez fait de moi. »

19 L’employeur est bouleversé : « Je te demande pardon, je n’avais pas réalisé », dit-il d’une voix brisée. Il plonge alors la tête dans les mains et se met à pleurer. De longues minutes s’écoulent ainsi, dans un profond silence. La médiatrice n’intervient pas, laissant l’employeur réaliser l’ampleur du drame vécu par le plombier. Finalement, ce dernier tend la main à l’employeur en disant : « Ça ne répare rien, mais cela me suffît. » L’employeur prend la main tendue… et la médiation se conclut par un accord : un salarié affecté à la maintenance est absent pour une grave maladie et il n’est pas certain qu’il puisse reprendre le travail ; le plombier le remplacera en contrat à durée déterminée en attendant son retour ; par la suite, on lui trouvera un emploi jusqu’à sa retraite.

20 Comme le souligne Béatrice Blohorn-Brenneu :

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« Si notre plombier n’avait pu s’exprimer librement, à cœur ouvert, jamais son employeur n’aurait pu prendre conscience des conséquences de son comportement. Dans une enceinte judiciaire, de tels aveux n’auraient pu avoir lieu. Nous n’étions saisis que du litige juridique qui était de savoir si, économiquement, l’entreprise était en droit de supprimer le poste de plombier. C’est à cette seule question que nous aurions répondu. En médiation, les parties avaient trouvé elles-mêmes une solution qu’un juge n’aurait pas eu le droit d’imposer. »

Ce qui se passe en justice restauratrice

22 Les deux principales approches de justice restauratrice sont la médiation victime-agresseur et la rencontre de groupe familial (family group conferencing).

23 La médiation permet aux parties impliquées de dialoguer et d’exprimer les émotions ressenties, en présence d’un médiateur, chargé de faciliter la communication. Un principe majeur est que le médiateur n’a pas de pouvoir sur le contenu des décisions prises (contrairement à un juge) ; en revanche, c’est lui qui maîtrise pleinement le processus (distribution de la parole, interruption d’une personne si celle-ci manifeste un comportement irrespectueux de l’autre, etc.). Par ailleurs, il utilise un mode de communication empathique, permettant à chacun d’exprimer au mieux son ressenti, il permet la libération des émotions des participants, sans toutefois que cela conduise à des débordements agressifs. Ainsi, la médiation est bien plus qu’une simple modalité de résolution des conflits, elle conduit souvent à une véritable transformation intérieure des participants. Enfin, le médiateur respecte des règles déontologiques essentielles : neutralité, indépendance, impartialité et confidentialité. Tout ceci fait qu’on ne s’improvise pas médiateur ; cette fonction nécessite d’être formé sérieusement.

24 Quant aux rencontres de groupe familial, il s’agit, en quelque sorte, de médiations élargies. Sont invités à participer, non seulement la victime et son jeune agresseur, mais également la famille élargie du mineur ainsi qu’un adulte avec qui il s’entend bien (par exemple un professeur de sport ou un animateur de club). Il en est de même pour la victime qui peut venir avec des proches ou amis. Un travailleur social ou un policier peuvent également être présents. En bref, toute personne susceptible de fournir des idées pertinentes pour améliorer la situation dans l’avenir. Cette pratique s’est diffusée dans plusieurs pays, mais est encore presque inconnue en France.

Une justice triplement efficace

25 La justice restauratrice vise à donner aux victimes, aux délinquants et à la société le sentiment satisfaisant que « justice est faite ». On peut résumer les effets de cette approche sous forme de trois R : Réparation de la victime, Responsabilisation de l’auteur et Rétablissement de la paix sociale.

TABLEAU 1

LES AVANTAGES PRÉSENTÉS PAR LA JUSTICE RESTAURATRICE

Pour la victime Pour l’agresseur Pour la société
Principes fondamentaux Réparation Responsabilisation Réintégration Rétablissement de la paix sociale
Avantages La justice réparatrice permet à la victime de :
— voir les dommages réparés
— réparer sa blessure
— avoir accès à plus d’information sur l’événement
— être mieux entendue
— participer au processus, s’y impliquer et l’influencer.
La justice réparatrice permet à l’agresseur de :
— prendre conscience de la souffrance occasionnée
— développer de nouvelles aptitudes sociales
— se rendre utile et en tirer un sentiment de fierté
— être réintégré au sein de la société.
La justice réparatrice permet à la société de :
— disposer d’une justice plus accessible
— mieux prévenir et contrôler la délinquance et la criminalité.
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LES AVANTAGES PRÉSENTÉS PAR LA JUSTICE RESTAURATRICE

26 Le ministère de la Justice du Canada a publié en 2001 une synthèse de l’ensemble des documents sur la justice restauratrice publiés au cours des vingt-cinq années précédentes, en utilisant des critères rigoureux de sélection des études [Latimer et al., 2001] : chacune d’elles devait avoir comparé les résultats obtenus par des personnes ayant participé à une expérience de justice restauratrice et d’autres n’y ayant pas participé. Cette synthèse aboutit aux résultats suivants :

27 Réparation de la victime. Toutes les études examinées sauf une montrent que les victimes qui ont participé à un programme de justice réparatrice sont beaucoup plus satisfaites que celles qui sont passées par la justice traditionnelle. La seule étude qui présente un résultat négatif est également la seule où la peine avait été décidée par le juge avant la rencontre entre victimes et agresseurs, et donc où les victimes n’ont pas pu influencer la décision du juge.

28 Responsabilisation de l’agresseur. Les délinquants qui participent aux programmes de justice réparatrice ont un taux de respect des engagements beaucoup plus élevé. Par ailleurs, ces programmes ont une incidence positive sur la satisfaction des délinquants. Une étude cependant montre un niveau de satisfaction des délinquants nettement moins important que par le biais de la justice traditionnelle ; c’est la même que précédemment, c’est-à-dire la seule où la peine avait été décidée par le juge avant la rencontre entre victimes et agresseurs.

29 Rétablissement de la paix sociale. Plus des deux tiers (72 %) des études montrent une réduction de la récidive, comparativement aux résultats obtenus par le biais de la justice pénale traditionnelle.

30 Notons pour finir que la justice restauratrice entraîne généralement une diminution du nombre et de la gravité des sanctions infligées, mais pas leur élimination. La plupart des auteurs d’actes qui participent à cette forme de justice en tirent d’ailleurs le sentiment qu’il est légitime d’être sanctionné pour ce qu’ils ont commis.

31 Une autre synthèse [Nugent et al., 2003] portant spécifiquement sur la délinquance des mineurs (aboutissant à un total de 9307 jeunes), révèle que la récidive, en cas de médiation entre la victime et l’agresseur, diminue de 26 % par rapport aux cas traités en justice traditionnelle, ce qui est un chiffre bien plus élevé que le taux obtenu (10 % à 12 % de réduction) grâce à diverses interventions pour les délinquants constatée dans deux récentes méta-analyses. Par ailleurs, les participants à la médiation avaient tendance à commettre des récidives moins graves.

32 Enfin, une autre synthèse de trente-neuf études [McCold et Wachtel, 2003] a mis en évidence que les médiations agresseur-victimes entraînent une satisfaction nettement plus importante des victimes et des délinquants, mais que les rencontres de groupe familial obtiennent elles-mêmes des résultats encore plus élevés que les médiations. Par exemple, 91 % des victimes sont satisfaites à la suite de rencontres de groupe familial, contre 82 % à la suite de médiations et seulement 56 % dans le système de justice traditionnel.

33 Je vais maintenant détailler successivement ce qui se passe pour ces trois catégories humaines que sont les victimes, les délinquants et la société.

Ce qui se passe chez les victimes

34 Comme je l’ai souligné au début de ce chapitre, les victimes sont en droit d’attendre de la justice deux facettes de la réparation : la réparation matérielle et la réparation émotionnelle. La justice classique ne prend en compte que la réparation matérielle, sous forme d’indemnisation, alors que c’est la réparation émotionnelle qui est, de très loin, la plus importante pour la victime (gestes et expressions de politesse, de respect, manifestations d’empathie et de remords, demande de pardon, désir de réparer le mal causé). De plus, même pour la réparation matérielle, le scénario est très différent de ce qui se passe au tribunal : la victime a son mot à dire sur la compensation et/ou le service à la communauté qui lui semblent le plus justes.

35 Ce que les victimes souhaitent essentiellement, c’est mieux connaître les raisons du délit et exprimer leur douleur à l’agresseur afin que celui-ci prenne conscience de sa responsabilité, qu’il leur présente ses excuses et s’engage à changer de comportement ; elles désirent être libérées de la souffrance et de la colère qui les envahit et souhaitent la sécurité future pour elles-mêmes et pour d’autres victimes potentielles ; le souhait d’une compensation matérielle pour les dommages subis est également présente chez certains, mais n’est généralement pas prioritaire [Aertsen, 2003 ; Umbreit et al., 2006].

36 C’est précisément à ces attentes que peut répondre la justice restauratrice. Les victimes ayant vécu une expérience de justice restauratrice se sentent nettement mieux sur plusieurs aspects : moins peur de l’agresseur (en particulier pour les victimes de violence), moins de sentiment de risque d’être à nouveau victime, meilleur sentiment de sécurité, moins de colère envers l’agresseur, plus grande confiance dans les autres, plus de confiance en soi, moins d’anxiété [Sherman et Strang, 2007, p. 65]. Comparativement aux victimes qui passent par le tribunal, elles éprouvent plus de satisfaction envers la procédure, les résultats et la responsabilisation de l’agresseur, et ressentent moins de symptômes traumatiques et de désir de vengeance envers l’agresseur.

37 Dans une série d’études australiennes, 90 % des victimes estimaient que l’agresseur devait présenter des excuses. Or que se passe-t-il ensuite ? 86 % des personnes ayant vécu une justice restauratrice ont dit que leur agresseur avait présenté ses excuses, contre seulement 19 % des victimes passées par le tribunal. De plus, 77 % des victimes en justice restauratrice estimaient que les excuses étaient sincères, contre seulement 41 % des victimes passées au tribunal [Sherman et Strang, 2007].

38 Quatre-vingt pour cent à 100 % des victimes déclarent être satisfaits du processus et de l’accord qui en a résulté et recommanderaient une médiation à d’autres victimes [Umbreit et al., 2006, p. 4]. Dans une étude, aux résultats particulièrement impressionnants, 98 % des victimes étaient prêtes à recommander la rencontre de groupe familial à des amis, contre seulement 23 % des victimes passées au tribunal.

39 John Braithwaite, sociologue et criminologue australien, l’un des principaux promoteurs de la justice restauratrice, explique qu’au début où il diffusait les résultats de ses recherches, il s’attendait à ce que les associations de victimes s’opposent à lui et à ses collègues. Il se trompait car de nombreuses victimes, après avoir fait l’expérience personnelle de la justice restauratrice, ont déclaré à leurs associations qu’elles préféraient cette forme de justice au tribunal [Braithwaite, 1999, p. 1745]. Aujourd’hui, une partie importante des recherches en justice restauratrice sont menées par des criminologues femmes qui ont constaté à quel point cette approche était préférable pour la reconstruction personnelle des femmes victimes [3].

40 Les personnes chargées de préparer des médiations ou des rencontres de groupe familial doivent cependant être particulièrement vigilantes car il existe des situations où cette démarche peut être néfaste aux victimes. C’est ce qui se passe, en particulier, dans les rares cas où l’agresseur nie clairement sa culpabilité, exprime une colère intense ou ne vient pas à la rencontre comme il l’avait dit, ou encore quand il ne remplit pas ses engagements. Il est alors préférable de ne pas organiser de rencontre et de renvoyer l’affaire au tribunal.

Ce qui se passe chez les agresseurs

41 Se retrouver face à sa victime est une expérience très différente pour l’agresseur, selon que cela se passe au tribunal ou dans une rencontre de justice restauratrice. Au tribunal, le rôle de l’agresseur consiste essentiellement à se défendre, en minimisant son niveau de responsabilité. Il donne souvent l’impression de se désintéresser du sort des victimes et n’exprime aucun regret envers ces dernières.

42 En justice restauratrice, c’est tout le contraire que l’on attend de lui : la rencontre avec la victime a précisément pour objectif qu’il prenne vraiment conscience de la souffrance occasionnée, qu’il regrette son acte et présente des excuses et s’engage à ne pas recommencer à l’avenir. L’agresseur peut ainsi apprendre de cette expérience, surtout s’il est jeune, et grandir en humanité. Le tribunal réduit fortement cette possibilité. Au cours d’une rencontre de justice restauratrice, l’agresseur est invité à faire tomber les masques, à écouter la souffrance et les reproches d’autrui et s’engager ainsi sur un chemin d’empathie, mode émotionnel auquel il n’est probablement pas habitué.

43 Le professeur Lode Walgrave [2004], qui a organisé des rencontres de groupe familial en Belgique, souligne que « la plupart des délinquants ne sont pas indifférents devant la souffrance des victimes, même s’ils s’étaient cuirassés émotionnellement au début. La victime se découvre à eux comme plus qu’un « “objet avec un sac à mains”, par exemple, mais comme une dame avec des besoins et des émotions (comme leur mère) ». Il est fréquent d’entendre des phrases telles que « Je ne savais pas que cela vous toucherait autant » ou « Je ne voulais pas vous faire tout ce mal ». La justice restauratrice engage ces personnes dans une réflexion sur le sens du bien et du mal.

44 Comme nous l’avons vu précédemment, les agresseurs, comme les victimes, sont plus satisfaits lorsqu’ils sont passés par la justice restauratrice que par la justice classique. Par exemple, dans une étude [McGarrell et al., 2000], les jeunes agresseurs ayant vécu une rencontre de groupe familial sont 85 % à être prêts à recommander cette forme de justice à des amis, contre seulement 38 % des jeunes passés par le tribunal. Le résultat le plus élevé est celui de cent treize jeunes délinquants dans le département de justice du Queensland, en Australie, où 98 % d’entre eux percevaient la rencontre comme juste et 99 % étaient satisfaits de l’accord obtenu. Conséquence logique : les délinquants ayant vécu une expérience de justice restauratrice respectent bien mieux leurs engagements que ceux passés par le tribunal.

Ce qui se passe dans la société

45 L’impact social le plus important de la justice restauratrice, comparativement à la justice classique, est la baisse de la récidive. Dans une synthèse de dix études portant sur des délits avec violence, il y a eu réduction de la récidive dans six études, et un résultat identique dans quatre études [Sherman et Strang, 2007, p. 16]. Une méta-analyse synthétisant dix-neuf études d’évaluation de médiations entre victime et agresseur, incluant un total de 9 307 jeunes, constate une réduction de la récidive de 26 % par rapport aux délinquants passés par la justice classique [Nugent et al., 2003]. De plus, les récidives commises par les participants à la médiation sont généralement moins graves. Les principaux facteurs liés à la baisse de la récidive sont le remords éprouvé au cours de la médiation et les excuses présentées aux victimes, le fait d’avoir été impliqué dans le processus de décision, de ne pas avoir été considéré comme une mauvaise personne.

46 On pourrait penser qu’il est préférable de limiter la justice restauratrice aux délits mineurs et réserver les crimes graves pour la justice classique. Or les résultats des recherches aboutissent à la conclusion inverse. En effet, les rares cas où l’on a pu observer une hausse de la récidive concerne les atteintes à la propriété sans violence sur les humains. Ainsi, dans une synthèse portant sur ce type de délit, cinq études ont constaté une baisse de la récidive, deux une augmentation de la récidive et quatre pas de différences [Sherman et Strang, 2007, p. 17].

47 Il est possible que les rares cas d’échec de la justice restauratrice relèvent de ce type de situation : un voleur pauvre rencontre sa victime aisée qui se plaint amèrement de ce qui lui est arrivé. Le voleur peut alors se convaincre qu’il n’a fait que rétablir un équilibre au sein d’une société profondément injuste. Le trouble ressenti par la victime peut ainsi le laisser indifférent.

La situation dans le monde… et en France

48 De plus en plus de pays ont intégré la justice restauratrice dans leurs pratiques judiciaires. Notons également le grand intérêt manifesté envers la justice restauratrice par le Conseil de l’Europe et l’ONU.

49 En 2005, lors de la 26e conférence des ministres européens de la justice, ceux-ci ont souligné « la nécessité de promouvoir l’application de la justice réparatrice dans leurs systèmes de justice pénale », notant que « le recours à l’emprisonnement fait peser un lourd fardeau sur la société et occasionne des souffrances humaines », et que « le recours à des sanctions et à des mesures appliquées dans la communauté, ainsi qu’à des mesures de justice réparatrice, peut avoir un impact positif sur les coûts sociaux de la criminalité et de la lutte contre celle-ci » [Conseil de l’Europe, 2005].

50 De même, en 2002, le Conseil économique et social des Nations unies a adopté la résolution E/2002/30, qui encourage les États membres à avoir recours à des programmes de justice réparatrice, partant du principe que « cette approche offre la possibilité aux victimes d’obtenir réparation, de se sentir davantage en sécurité et de trouver l’apaisement, permet aux délinquants de prendre conscience des causes et des effets de leur comportement et d’assumer leur responsabilité de manière constructive et aide les communautés à comprendre les causes profondes de la criminalité, à promouvoir leur bien-être et à prévenir la criminalité » [Organisation des Nations unies, 2008].

Notes

  • [1]
    Ce texte est tout d’abord paru dans l’ouvrage de Jacques Lecomte (dir.), Introduction à la psychologie positive, Dunod, chapitre XVII, 2009. Nous remercions vivement les éditions Dunod de nous avoir donné gracieusement l’autorisation de le reproduire. (N.d. R.)
  • [2]
    Voir le chapitre XII de notre ouvrage.
  • [3]
    C’est le cas, par exemple, de Kathleen Daly, Mary Koss, Allison Morris, Joan Pennel.
Français

L’insatisfaction générale éprouvée à l’égard du système traditionnel de la justice, qui aboutit à la lenteur et au coût du processus judiciaire, à l’engorgement des prisons mais aussi à la déception des victimes, a suscité le développement, dans divers pays du monde, d’une justice alternative dite restauratrice ou réparatrice. Aujourd’hui redécouverte, cette nouvelle conception de la justice et de l’humain repose deux principales approches : la médiation (avec une mise en présence) victime-agresseur et la rencontre de groupe familial. Le propos de ce texte – initialement paru aux éditions Dunod dans Introduction à la psychologie positive – est de décrire les modalités de fonctionnement mais également les conséquences positives de la justice restauratrice pour les agresseurs, les victimes et la société. De plus en plus d’études concluent en effet à un très net ralentissement et à une diminution de la gravité de la récidive.

Références bibliographiques

  • AERTSEN I., 2003, « Le développement d’une justice réparatrice orientée vers la victime : la problématique et l’expérience belge », Intervention lors des sessions de formation continue de l’École nationale de la magistrature, 6 et 7 mars. Disponible sur Internet.
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  • BRAITHWAITE J., 1999, « A future where punishment is marginalized : realistic or utopian ? », UCLA Law Review, 46 (6), p. 1727-1750.
  • CONSEIL DE L’EUROPE, 26e conférence des ministres européens de la justice, 2005, Résolution n° 2 relative à la la mission sociale du système de justice pénale. Justice réparatrice, Document disponible sur Internet.
  • DÉCLARATION DE LOUVAIN sur la pertinence de promouvoir l’approche réparatrice pour contrer la criminalité juvénile faite à l’occasion de la première conférence internationale sur la justice réparatrice pour les adolescents, 14 mai 1997.
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  • NUGENT W., WILLIAMS R.M., UMBREIT M.S., 2003, « Participation in victim-offender mediation and the prevalence and severity of subsequent delinquent behavior : A meta-analysis », Utah Law review, (1), p. 137-166.
  • ORGANISATION DES NATIONS UNIES, 2008, « Principes fondamentaux des Nations unies concernant le recours à des programmes de justice réparatrice en matière pénale », in Manuel sur les programmes de justice réparatrice, New York, p. 101-103. Document disponible sur Internet.
  • SHERMAN L.W., STRANG H., 2007, Restorative Justice : The Evidence, The Smith Institute, London, p. 65.
  • UMBREIT M.S., VOS B., COATES R.B., 2006, Restorative Justice Dialogue, Evidence-Based Practice, Center for Restorative justice & Peacemaking, University of Minnesota. Disponible sur Internet.
  • WALGRAVE L., 2004, « La justice réparatrice et les victimes », in Le Traitement de la délinquance juvénile, Vers un modèle sanctionnel réparateur, Actes du colloque organisé le 23 avril 2004 par le groupe MR de la Chambre des représentants, p. 49-68. Disponible sur Internet, p. 64.
Jacques Lecomte
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/11/2012
https://doi.org/10.3917/rdm.040.0223
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