CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Poser la question de l’enseignement des sciences et des questions d’éthique dans l’enseignement secondaire est, au premier chef, une démarche pédagogique mais celle-ci s’appuie sur des réalités sociétales qui lui donnent sa pleine dimension.

2En premier lieu, cette démarche souligne pour la société, qui organise l’école, et pour ceux qui y enseignent et font œuvre de pédagogues, combien la transmission du savoir et l’éveil de l’esprit sont des clés essentielles d’une société libre, respectueuse de ceux qui la composent autant que de la recherche et du maintien d’un projet commun.

3A cet égard, et c’est la deuxième dimension de la démarche éthique, elle met en avant la confiance que nous devons porter en la jeunesse, y compris, voire surtout, dans cette période d’adolescence, qui nous paraît si instable et si surprenante mais qui est signe d’une pleine ouverture au monde, avec les craintes et témérités qui sont, au contraire, chez les plus âgés d’entre nous, facteurs de repli sur soi et de regret du passé.

4Enfin, cette éthique, qui nous laisse entrevoir la rencontre constructive, mais parfois controversée, entre les sciences et technologies et les espoirs et peurs d’une société, qui promet à ses membres tout, tout de suite, et sans risque, nous aide à comprendre la fragilité mais la nécessité du chemin à parcourir, véritable calade, chemin de pierre en pente, dont seule la poésie du paysage provençal et la promesse d’atteindre la fraîcheur des rues étroites du village permettent d’apprécier les sinueuses raideurs.

5Opérant sous cette trilogie et m’inspirant de la riche symbolique du chiffre 7, qui représente notamment la totalité du réel, je ferai 7 constats et 7 propositions.

I – Rétrospective : 7 constats

6Ils sont, à mes yeux, le fruit et la synthèse de nos travaux :

71° La science est une universalité en contexte (historique, socio-culturel, politique, économique).

82° L’éthique de la science constitue une interrogation sur la marche du savoir et de ses applications.

93° L’éthique est anticonformiste et invite à remettre en question les acquis mais plus les pratiques sociales liées à la science que les connaissances elles-mêmes.

104° L’enseignement de l’éthique des sciences vise à conduire l’individu à une autonomie responsable en lui donnant la capacité d’argumenter pour penser par lui-même.

115° Il suppose, pour cela, de développer l’analyse critique qui permet de maîtriser l’accès à une information infinie mais aux sources parfois incertaines.

126° L’éthique nécessite un travail pluridisciplinaire mené en équipe et associant les « enseignés » dans une dynamique fondée sur le dialogue argumenté.

137° Pour autant, ces considérations sont-elles suffisantes si des valeurs communes ne guident pas les enseignants et leurs élèves ? Et quelles sont ces valeurs ?

14Il s’agit, bien entendu, des valeurs qui animent la pratique des sciences et qui ont été au cœur de notre premier colloque sur la responsabilité des scientifiques aux conclusions duquel je renvoie.

15Mais, il s’agit aussi de valeurs communes à l’ensemble de la société, telle qu’elle est à un moment donné de son histoire, car, comme l’a souligné J. Gayon, « il revient à chaque génération de (re)définir les règles morales sous lesquelles elle veut vivre ».

16La notion « d’équilibre réfléchi », employée par le philosophe, serait-elle alors le moyen de permettre cette (re)définition sans rompre plus que nécessaire avec la précédente ? En tout état de cause, il convient de nous rappeler que ces « réajustements » éthiques ont pour but de faire en sorte que la réflexion éthique ne soit pas détournée par les urgences du moment.

17Cette impérieuse nécessité inscrit inévitablement l’enseignement de l’éthique des sciences dans une dynamique prospective.

II – Perspective : 7 propositions

181° Que faire si l’on considère que l’enseignement de l’éthique est aussi une manière de maintenir ou d’acquérir du pouvoir (sur soi, sur les autres, ou encore sur la science et de ses applications) ?

19Dérivé des liens qui unissent science et société, le constat que l’enseignement est aussi un lieu de rapports (de pouvoir) entre les hommes doit maintenir les « bonnes intentions éthiques » dans une vigilance de tous les instants : nous enseignons ce que nous sommes, ce qui donne de « l’épaisseur humaine » à cette œuvre de transmission, mais c’est ce qui l’inscrit aussi dans une dimension totalement ouverte à la critique du temps.

202° Former des enseignants.

21Cela implique d’avoir et de leur transmettre une certaine compétence, voire un professionnalisme. Si « éthicien » il y a, nous le définirions comme la personne qui fait découvrir le questionnement éthique et, pour cela, il doit avoir reçu une formation et une pédagogie adaptées, notamment en épistémologie, peu importe la diversité de ses origines disciplinaires.

223° Définir ce qui est en débat par rapport à l’enseignement de l’éthique.

23On ne dira jamais assez combien l’écoute des acteurs (enseignants, élèves, praticiens des sciences et des techniques) est une tâche première de tout enseignement et celle-ci doit, si possible, être menée dans un contexte psychologiquement favorable. Pour l’élève, il faut donc essayer de pratiquer une pédagogie inventive du dialogue, qui le dégage le plus possible des situations de contrainte habituelles d’une classe.

244° Encourager le travail « pluriel » correspond le mieux à cette pédagogie ouverte.

25Cela veut dire pratiquer un travail pluridisciplinaire aussi bien que « mobiliser » les différentes facettes d’une même discipline. Cela veut dire également ne pas avoir peur d’examiner et de confronter des opinions argumentées. Cela veut dire, enfin, se poser la question de la pertinence et de l’étendue de la possible recherche d’un équilibre entre ces différents éléments. L’éthique et son enseignement ne forment pas une « pédagogie aseptisée » ; elles mettent, au contraire, en valeur la diversité de leurs composantes, voire leur cohabitation et leur confrontation.

265° Définir le besoin « d’outils ».

27Il s’agit d’élaborer les outils les plus adaptés à une « posture » nouvelle de mise en situation de l’incertitude.

286° Faire de la langue le vecteur d’une dialectique de l’éthique.

29D’un côté, l’éthique des sciences est tributaire du langage, des concepts et des logiques des disciplines qui participent à sa construction et à son enseignement. Si cette appropriation multiple est enrichissante, elle est aussi source de difficultés conceptuelles et d’enjeux de pouvoir. D’un autre côté, l’utilisation d’une langue commune – le Français en l’espèce – pour enseigner l’éthique, même si c’est parfois au titre de langue étrangère, est facteur d’interrogations supplémentaires au regard de l’histoire de cette langue commune et de sa réalité actuelle. La présence au cours de ce colloque de nombreuses délégations des pays francophones auprès de l’UNESCO, notamment d’Afrique noire, ainsi que de la responsable de la division de l’éthique des sciences, doit nous encourager à approfondir la maîtrise de l’enseignement de l’éthique à travers cet outil de culture, de pensée et de science qu’est le Français dans sa dimension plurielle et universelle.

307° Construire une « Maison des cultures du monde » dans le domaine de l’éthique des sciences.

31Deux raisons justifient ce projet : science et technologie sont intimement liées à l’histoire des sociétés et à leurs cultures et la science et la technologie n’appartiennent en propre à aucune culture.

32A un moment où radicalité et fondamentalisme de l’ignorance voudraient nous jeter dans les abimes d’une violence qui utilise la technologie pour détruire la culture, formons la jeunesse à l’éthique des sciences avec autant de rigueur que nous pouvons lui enseigner la science et la technologie. Il faut que d’ores et déjà, elle puisse dire, au regard de ce que nous nous accomplissons :

33

« Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus ».

34Le chemin reste donc long qui conduit aux « 7 piliers de la sagesse » (le couplet ci-dessus est le 7e couplet de la Marseillaise) et, s’il nous faut mesurer notre peine, souvenons nous que nous ne pouvons nous arrêter en si bon chemin, en tout cas, pas avant le septième jour.

Christian Byk
Président, Comité intergouvernemental de bioéthique (UNESCO), Secrétaire Général, Association Internationale droit, éthique et science, représentant de la France au Comité intergouvernemental de bioéthique (UNESCO).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2018
https://doi.org/10.3917/dsso.051.0003
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