CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis le début des années 2010 en France, des voix ont émergées qui critiquent sévèrement un ensemble de pratiques des professionnel-le-s de la gynécologie. Forums en ligne rassemblant des témoignages d’usagères, dénonciations de pratiques via les réseaux sociaux [1], pétition contre la pratique des touchers vaginaux sous anesthésie générale sans consentement [2], diffusion du terme de « violence obstétricale » pour désigner des pratiques considérées comme portant atteinte à l’intégrité physique et morale des parturientes [3], publications de tribunes et de livres sur la question [4] constituent autant de moyens d’action déployés dans ce processus de politisation du cabinet gynécologique [5]. S’inscrivant dans un contexte plus large de plus grande audibilité des voix féministes dans l’espace public et dans le sillage des mobilisations d’usagers et usagères du système de santé, les discours développés ont accordé une place importante aux droits des patient-e-s dans leurs argumentaires, notamment via des références nombreuses à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades [6]. Cette loi, venue ratifier les revendications des usagers et usagères du système de santé pour une relation de soin plus égalitaire de « décision partagée » [7], introduit notamment dans les textes juridiques les droits au « consentement libre et éclairé » [8] des patient-e-s, notion structurante de ces mobilisations. Au fondement des théories politiques libérales contractualistes, la notion de consentement exprime la volonté et la capacité des individus [9]. Dans le droit de la santé, le consentement des patient-e-s est apparu progressivement en Europe depuis les années 1960 pour lutter contre le paternalisme médical, jusqu’à devenir aujourd’hui la condition première de légitimation de l’acte médical [10]. Ce mouvement pourrait laisser penser que les patientes en gynécologie ont acquis une connaissance pleine et entière de leurs droits concernant le consentement, et n’hésitent pas à les revendiquer au sein de la consultation. Dans un contexte en mutation, quelles sont les expériences ordinaires des patientes [11] en gynécologie ? Comment font-elles sens de l’interaction gynécologique, et quelles sont les éventuelles « critiques ordinaires » [12] qu’elles développent ? Le recours au droit lors de l’émergence d’une critique politique de la consultation gynécologique ne doit en effet pas éclipser la question du rapport ordinaire [13] des patientes en gynécologie à leurs droits.

2L’objectif de cet article est de contribuer à l’étude des inégalités de l’appropriation du droit dans la relation médicale à travers le cas des patientes en gynécologie. Alors que de nombreux travaux se sont intéressés aux usages ordinaires du droit par leurs destinataires [14], le champ médical en général [15] et gynécologique en particulier ont étrangement été peu investis. Des travaux ont malgré tout montré que les droits des patient-e-s ne sont pas assurés de la même manière selon les hiérarchies de classe, de genre et de race – et également de nationalité [16], notamment parce que la délivrance de l’information par les soignant-e-s varie selon la position des patient-e-s dans l’espace social [17]. Alors que les compétences juridiques font l’objet d’une inégale distribution sociale [18], nous proposons de participer à l’étude de la réception du droit de la santé en analysant à nouveaux frais le droit au consentement libre et éclairé à travers la variation de ses usages par les patientes lors de la consultation gynécologique. En se fondant sur une enquête ethnographique en France auprès de patientes en gynécologie [19], cet article vise donc à explorer les expériences des patientes, en se concentrant sur leurs représentations et usages de leurs droits. Il prend pour objet les manières dont les patientes identifient, nomment et interprètent une situation ayant posé problème dans la consultation gynécologique, dans un contexte d’émergence de critiques sévères envers cette spécialité médicale et de la thématisation des « violences gynécologiques ». Il s’agit de comprendre les ressorts de l’effectivité du droit et de l’activation des droits [20] à travers l’étude des manières dont les patientes ont conscience de leurs droits, et des pratiques de résistance [21] qu’elles déploient éventuellement.

3Pour ce faire, la notion de conscience du droit issue des Legal Consciousness Studies est particulièrement heuristique. Cette notion permet de décaler la question des dispositifs de recours en cas de non-respect des droits pour comprendre la manière dont les expériences vécues des patientes sont informées par leur rapport au droit. Plus spécifiquement, ce cadre d’analyse apporte un éclairage pertinent pour interroger le lien entre le vécu subjectif de la consultation en gynécologie et le rapport spécifique des patientes au droit et à leurs droits. Les travaux issus de ce courant de recherche s’attachent en effet à comprendre comment les personnes donnent sens à leurs expériences quotidiennes, selon leurs propres représentations du droit. Ils insistent sur l’influence des lois et des institutions sur la manière dont sont interprétées les situations ordinaires, et replacent le droit au sein des interactions sociales. Étudier la conscience du droit revient alors à « saisir la manière dont la légalité est vécue et comprise par les individus ordinaires lorsqu’ils s’engagent, évitent ou résistent au droit et au registre juridique » [22]. L’introduction du droit au consentement pour les patient-e-s dans le corpus législatif français invite à explorer comment cette notion de consentement est mise en pratique et négociée dans les interactions, et comment elle donne forme aux expériences vécues.

4Les patientes jugent de manière contrastée leurs expériences en gynécologie. Nous soutenons que la diversité des manières dont les patientes se représentent leurs expériences gynécologiques est modelée par des rapports ordinaires différents au droit, notamment aux droits à l’information et au consentement éclairé, et plus largement, par des conceptions différenciées de la relation entre médecin et patientes [23]. Le concept de conscience du droit est ainsi particulièrement utile pour saisir la diversité des vécus subjectifs des expériences en gynécologie. Un des principaux apports des Legal Consciousness Studies a en effet été de montrer que les consciences du droit sont loin d’être homogènes : elles sont en réalité plurielles et diverses. Or, ces consciences du droit sont différenciées selon les caractéristiques sociales des individus. Autrement dit, le droit n’est ni interprété ni mobilisé de la même manière selon la position des individus dans l’ensemble des hiérarchies constituant l’espace social. Comme l’ont montré les travaux issus des Legal Consciousness Studies, les rapports sociaux tels que le genre, la classe et la race entraînent des différences dans la manière d’interpréter le droit [24]. Néanmoins, l’âge est souvent peu théorisé dans ces recherches. C’est pourquoi cet article porte une attention spécifique à ce rapport social dans la structuration de la diversité des rapports au droit. Cette attention à l’âge a semblé d’autant plus nécessaire que la gynécologie participe de la production sociale genrée de l’âge [25].

Méthodologie de l’enquête

L’enquête a été menée entre septembre 2014 et avril 2015 auprès de personnes ayant eu recours à une gynécologue [26]. Pour cela, des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec 26 personnes sur leur parcours gynécologique, contraceptif et procréatif, ainsi que sur leurs représentations de la consultation gynécologique et des règles censées l’encadrer. Ces personnes ont été recrutées par listes de diffusion, réseaux sociaux et par bouche-à-oreille, avec une attention à faire varier leurs caractéristiques sociales, notamment en termes d’âge. Toutes se considèrent comme femmes. Elles ont entre 15 et 71 ans et sont toutes de nationalité française. À la fin des entretiens, trois questions ont été systématiquement posées à toutes les enquêtées. D’abord, il leur était demandé si des situations leur avaient déjà posé problème dans la consultation gynécologique, afin d’identifier comment les femmes nomment et jugent une situation problématique. La seconde question (« Avez-vous l’impression d’avoir déjà été discriminée en tant que patiente ? ») avait pour objectif de donner à observer si les femmes interprètent une situation problématique en termes de discrimination, et éventuellement en termes juridiques. Il leur était enfin demandé si elles connaissaient la loi de 2002 sur les droits des patient-e-s, et si elles avaient l’impression que cette loi avait été respectée pendant leurs consultations. Ces questions ont été posées à la fin des entretiens afin de laisser la possibilité aux patientes d’aborder ces thématiques spontanément. Travailler avec la notion de conscience du droit nécessitait en effet de ne pas présenter trop tôt dans l’entretien aux femmes un vocabulaire juridique pour interpréter leurs expériences en gynécologie, tout en proposant ensuite un vocabulaire juridique afin de donner à voir les manières dont les femmes se l’appropriaient éventuellement [27].
L’enquête telle qu’elle a été conçue ne cherchait donc pas à saisir la définition formelle du « droit au consentement » tel qu’il est énoncé dans la loi, mais bien à dégager « les schèmes et principes au moyen desquels les acteurs sociaux interprètent les droits, […] à en montrer la diversité des significations, comment celles-ci s’élaborent » [28] à travers des expériences subjectives marquées par les positions sociales et les parcours de vie des individus.

5Cet article est divisé en trois parties. Un premier temps s’attachera à présenter trois cadres d’interprétation de l’expérience gynécologique – conformiste, contractualiste et féministe – et les conditions sociales de l’adhésion à ces cadres. La deuxième partie discutera différentes consciences et usages des droits à l’information et au consentement que ces cadres modèlent. La focale sera finalement portée sur une étude de cas qui éclaire la manière dont les cadres peuvent coexister dans les pratiques et les discours des patientes, sans pour autant entrer en concurrence.

I. Conformiste, contractualiste et féministe : trois cadres d’interprétation de l’expérience de la consultation gynécologique

6Pour saisir comment les droits promus par la loi du 4 mars 2002 sont interprétés par les patientes en gynécologie, une typologie des manières dont elles jugent leurs expériences au sein de la consultation a été élaborée. Les jugements des patientes ont été regroupés dans des cadres d’interprétation qui insistent sur le caractère subjectif de l’expérience, reprenant la définition de Erving Goffman qui veut que « toute définition de situation est construite selon […] notre propre engagement subjectif » [29]. Cette typologie, construite de façon inductive, entend rendre compte de la variation des rapports des patientes au droit dans l’interaction gynécologique. Trois cadres d’interprétation de l’expérience gynécologique ont été identifiés – conformiste, contractualiste et féministe – qui donnent forme aux manières dont les femmes ont conscience de leurs droits au sein de la consultation et négocient éventuellement leur mise en œuvre [30].

I.1. « Je me suis jamais opposée à ce que voulait le médecin » : la conformité en gynécologie

7Le cadre d’interprétation conformiste en gynécologie repose sur une vision impliquant une division nette entre les patientes et les professionnelles de santé [31]. Ces patientes « obéissantes » [32] délèguent entièrement leur parcours gynécologique à leurs soignantes. Pour elles, les gynécologues détiennent un savoir unifié, spécialisé et scientifique qui leur donne le monopole de la décision et de la pratique de soin. La division est claire : les gynécologues « ordonnent » [33] et prescrivent, et les patientes exécutent. Les discours que les femmes adhérant à ce cadre tiennent sur leurs expériences en gynécologie reflètent les cadres normatifs du discours médical [34].

8Le conformisme se caractérise en premier lieu par une forte propension à avoir recours à la gynécologue. Toutes les femmes mobilisant le cadre d’interprétation conformiste ont ainsi intégré la pression à la médicalisation de leur corps. Si la plupart vont chez « leur » gynécologue une fois par an, suivant les recommandations de leur praticienne, certaines dépassent parfois ces recommandations. Ce recours régulier au médecin spécialiste témoigne de la confiance qui lui est accordée, ainsi qu’à son savoir. Plus largement, ce sont les principes de la médecine préventive qui sont acceptés comme légitimes. Au sein de la consultation, ces femmes délèguent à leur soignante les prises de décision concernant leur vie procréative. C’est le cas de Brigitte [35], 71 ans, ouvrière retraitée, qui a « toujours été fidèle à ce que disait le médecin », considérant par exemple que c’était à elle de « s’habituer » au dispositif intra-utérin (DIU) prescrit par son soignant.

9L’intériorisation des intérêts des gynécologues se traduit ainsi par leur incorporation, qui passe par exemple par la mise en conformité du corps en vue de l’examen gynécologique. Brigitte prévoit un moment avant la consultation pour « faire un brin de toilette », montrant ainsi sa conformité aux normes de féminité, selon lesquelles le corps des femmes doit être propre et non odorant. La préparation du corps peut aussi faire l’objet d’un apprentissage au sein de la consultation, comme le raconte Sandrine, 41 ans, employée, qui a intériorisé le fait de devoir se dénuder entièrement pour la consultation [36], alors même que cette mise à nu du corps va à l’encontre des normes intériorisées de pudeur :

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Je suis un petit peu pudique alors du coup je m’étais souvent un peu dit : faut pas être toute nue. Et donc je me souviens, que le premier jour où je l’avais vu, […] j’arrive vers le cabinet, j’avais gardé mon body, j’avais juste ouvert en bas, et là il me dit : « Non mais à poil ! » Comme ça ! […] Bon après, une fois qu’on le sait, on le fait la prochaine fois qu’on y va [37].

11Peu diplômée, elle est issue d’une famille dont les membres exercent dans le secteur médical – père agent hospitalier, mère aide-soignante – et travaille comme secrétaire dans un laboratoire pharmaceutique, dont les prospectus lui servent de moyens d’information. Sa socialisation à la santé est ainsi passée par les instances les plus conformes au paradigme biomédical dominant. La mise en avant des intérêts des gynécologues dans la consultation plutôt que des principes et valeurs propres à la patiente renvoie à un modèle de consultation où la division du savoir et des tâches est nette et hiérarchisée, et où les marges de négociation sont faibles.

I.2. Le cadre d’interprétation contractualiste : la confiance limitée

12Le deuxième cadre d’interprétation, appelé contractualiste, reflète l’idée d’une relation « particulière » entre la gynécologue et la patiente, fondée sur un contrat selon lequel les attentes des patientes à l’égard de leurs soignantes doivent être respectées [38]. Patientes et gynécologues ont ainsi des devoirs et des responsabilités réciproques. La confiance accordée aux praticiennes peut être retirée à tout moment, les soignantes faisant l’objet d’une surveillance par les patientes. Ces dernières valorisent la proximité avec les gynécologues, tant que celle-ci est régie par un ensemble de règles, fixées par elles. Ces règles diffèrent selon les patientes mais, si elles ne sont pas respectées, elles choisissent l’exit[39].

13Les femmes dont les discours s’inscrivent dans ce cadre adhèrent aux principes de la médecine préventive. Si le suivi, qui doit être régulier, est considéré comme un « mauvais moment à passer », la consultation gynécologique est néanmoins vue comme particulière parmi les consultations médicales, comme l’exprime Sylvie, 47 ans, cadre :

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Qu’on puisse parler avec la gynéco un peu de ce qu’on vit, me faire engueuler parce que je fume, (elle rit), ça c’est ma gynéco. Je sais pas je trouve qu’il y a plus, c’est débile, beaucoup plus, une complicité c’est trop fort le mot, mais une proximité [40].

15La relation gynécologue-patiente peut ainsi être investie de beaucoup d’attentes, qui souvent ont été déçues, donnant lieu à des critiques plus affirmées envers les gynécologues que dans le cadre conformiste. Pour Geneviève, 65 ans, secrétaire médicale retraitée, la « rupture de contrat » s’est par exemple faite suite à ce qu’elle a identifié comme une imposition de traitement de la part du gynécologue. Ce dernier voulait « absolument » lui prescrire un traitement hormonal substitutif : « Et je supporte pas tellement qu’on m’impose, surtout pour ça […]. Donc j’y suis pas retournée [41]. » Les femmes mobilisant le cadre d’interprétation contractualiste sont donc prises entre la confiance accordée aux soignantes et à leur savoir, une vision positive d’un suivi gynécologique de prévention régulier et le vécu de situations qui leur ont posé problème dans leurs consultations. Leur rapport à la médecine est plus méfiant que celui des femmes mobilisant le cadre conformiste, ce qui peut en partie s’expliquer par une socialisation différente à la santé, et par la déception qu’elles ont pu ressentir face aux fortes attentes investies dans la relation avec leur gynécologue. Elles considèrent l’interaction entre gynécologues et patientes comme un contrat dans lequel chaque partie a un rôle et des responsabilités, mais qui peut être rompu à tout moment.

I.3. « Comme une vache dans un élevage » : un cadre d’interprétation féministe

16Le cadre d’interprétation féministe de la gynécologie repose sur l’idée que la relation entre gynécologue et patiente est caractérisée par des rapports de pouvoir et de domination. Cette vision a été portée par des activistes des droits des patient-e-s [42], influencé-e-s par le mouvement féministe de self-help états-unien [43], lequel a associé la relation gynécologique à un savoir et un pouvoir des hommes sur le corps des femmes [44]. Les femmes mobilisant le cadre d’interprétation féministe estiment que les rapports de pouvoir se retrouvent dans toutes les relations entre médecins et patient-e-s, mais qu’ils sont particulièrement présents en gynécologie étant donné que cette spécialité médicale a pour objet le corps des femmes, lesquelles subissent une domination spécifique dans une société patriarcale. Ce cadre est appelé « féministe » en ce qu’il est mobilisé par des femmes se déclarant, pour la grande majorité, féministes, ou insistant sur leur identité de genre.

17Les critiques formulées autour de la hiérarchie de la relation médicale se concentrent notamment sur l’inégale répartition de la parole et l’inégale légitimité du savoir entre patientes et gynécologues. La dévalorisation du caractère mécanique et impersonnel de la consultation gynécologique est récurrente dans les discours des femmes relevant du cadre d’interprétation féministe. Jeanne s’est ainsi sentie « comme une vache dans un élevage » lors de sa prise en charge gynécologique à l’hôpital : « tu as un numéro, tac tac, tu fais ça et tu te tais » [45]. Des conduites, des pratiques et des remarques considérées comme inappropriées viennent, pour ces femmes, renforcer les hiérarchies existantes au sein de la relation médicale. Dans ce cadre d’interprétation, les patientes estiment qu’une gynécologue indifférente aux rapports de pouvoir se jouant dans la société et dans l’interaction aura de fait des pratiques discriminantes ou violentes. Les mots employés par Delphine sont particulièrement représentatifs de cette interprétation : « Je pense qu’il faut être féministe pour être gynéco » [46]. » Anna estime également que ce n’est pas la loi mais une pratique « militante » [47] de la gynécologie qui serait à même de changer la relation de soin traditionnelle [48]. La parole des gynécologues est identifiée comme normalisatrice, modelée par les valeurs dominantes de la société, notamment pour les femmes qui ne répondent pas aux attentes sociales associées à la féminité. Delphine explique ainsi s’être sentie stigmatisée à plusieurs reprises à propos de son poids :

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J’ai déjà ressenti des jugements, sur le poids, on m’a quand même régulièrement dit que ce serait bien que je perde un peu de poids, ce qui pour moi était super violent parce que c’est le combat d’une vie [49].

19L’absence de correspondance aux normes corporelles socialement valorisées d’une part, et à la norme hétérosexuelle d’autre part, sont notamment identifiées comme deux motifs forts de discrimination de la part des soignantes.

I.4. Les conditions sociales de l’adhésion aux cadres d’interprétation

20Des logiques sociales spécifiques semblent présider à la mobilisation d’un cadre plus que d’un autre pour interpréter l’expérience gynécologique. Ainsi, dans l’échantillon [50], l’interprétation conformiste de la relation entre gynécologues et patientes est principalement mobilisée par des femmes socialement considérées comme âgées, faiblement diplômées, issues de milieux populaires. Au contraire, ce sont surtout des femmes de moins de 30 ans et diplômées de l’enseignement supérieur qui thématisent, lors des entretiens, les rapports de pouvoir dans la relation gynécologique. Les femmes mobilisant le cadre d’interprétation conformiste se trouvent quant à elles « entre deux âges » [51]. Nous formulons l’hypothèse que l’âge et la classe – ici principalement envisagée à partir des capitaux scolaires – constituent dans la consultation gynécologique des éléments différenciant les postures des patientes et leur plus ou moins grande remise en cause des rapports de domination institués par la consultation gynécologique. Au sein de la consultation, l’âge des femmes opère comme un critère de différenciation des patientes en fonction de leur capacité procréative [52] – à la fois biologique et socialement admise. Les femmes construites socialement et médicalement comme « âgées » – c’est-à-dire qui sont étiquetées comme n’étant plus aptes à procréer – ont tendance à rencontrer des jugements de valeur dépréciatifs en tant que femmes et en tant que patientèle. Au contraire, les femmes construites par le regard médical comme « jeunes » se trouvent de l’autre côté de la frontière reproductive et constituent pour les gynécologues une patientèle valorisante [53]. L’âge, en tant que « processus de sénescence modifiant et reconfigurant les rôles de genre et les positions sociales que les individus occupent au fil de leur parcours de vie » [54], contient une dimension normative qui peut renforcer des sentiments d’illégitimité par ailleurs déjà établis par les rapports de classe et par l’accès inégal au savoir légitime et en particulier au savoir médical [55]. La quête de respectabilité [56], particulièrement présente chez les femmes des milieux populaires, mais aussi un rapport au corps socialement construit de façon différente selon l’appartenance de classe, peuvent ainsi contribuer à la production de postures de conformation aux normes médicales imposées de la part de celles qui ne répondent pas aux normes valorisées de féminité. Au contraire, les femmes considérées comme jeunes peuvent, dans certaines conditions, convertir leur âge et à travers lui leurs autres caractéristiques sociales – comme un diplôme, une proximité au milieu médical, une politisation féministe ou encore une sexualité minorisée – en ressources dans la consultation pour développer des stratégies d’évitement, de négociation et de confrontation.

21Les trois cadres d’interprétation identifiés permettent de comprendre la réalité des vécus en consultation gynécologique. Le modèle qui voit la relation entre gynécologue et patiente comme un lieu de pouvoir fait émerger la figure d’un-e patient-e actif-ve, autonome, responsable de son parcours de soin et conscient-e de ses droits, largement promue à la fois par les associations de défense des droits des patients et par la loi de 2002 [57]. Cette conception coexiste avec le cadre conformiste, fondé sur les valeurs traditionnelles de la médecine, selon lesquelles le consentement des patient-e-s n’est pas une donnée médicalement pertinente pour la mission du médecin [58]. Le cadre contractualiste est quant à lui pris en tension entre ces deux premiers cadres, entre adhésion au principe de confiance en l’autorité médicale et expériences vécues jugées problématiques.

II. Rapports et recours aux droits à l’information et au consentement dans la consultation gynécologique

22Les trois cadres d’interprétation identifiés donnent forme à divers types de rapport au droit au sein de la consultation. Chacun de ces cadres façonne une forme particulière de conscience du droit, qui peut être saisie à travers des rapports à des droits différents. Les droits à l’information d’une part, et au consentement d’autre part, sont ainsi définis de manière plus ou moins restrictive par les patientes, donnant lieu à un continuum de mises en pratique de la loi et de stratégies de résistance. Chacun de ces cadres informe la manière dont le consentement aux actes médicaux nécessaire au bon déroulement de la consultation gynécologique est coproduit par les gynécologues et les patientes, ou au contraire comment cette production est remise en cause par les patientes. Le consentement est ainsi travaillé sous des formes différentes dans l’interaction selon les caractéristiques sociales des patientes mais aussi selon leur proximité à la cause des patient-e-s et à la « cause des femmes » [59]. La politisation d’enjeux spécifiques liés à certains droits – ici les droits à l’information et au consentement de la loi du 4 mars 2002 – participe ainsi à modeler des types particuliers de rapport au droit, déclinés ci-dessous.

II.1. Se saisir du droit à l’information ? De la confiance à la négociation

23Les patientes plutôt engagées dans le cadre d’interprétation conformiste adoptent la définition la plus restrictive de leurs droits au sein de la consultation, n’entrant ainsi pas en négociation pour le respect de ces droits. Dans ce cadre d’interprétation, la gynécologue est celle qui prescrit, mais elle est aussi celle qui diffuse les informations, qui ne sont ni vérifiées ni remises en cause par les patientes. Les débats publics autour des questions de santé sont appréhendés à travers l’avis qu’en donne la soignante. Le sentiment de ne pas avoir accès à toute l’information est banalisé, rendant difficile la prise de conscience d’un non-respect de leur droit à une information exhaustive au sein de la consultation. Lorsque la délivrance d’informations sur le diagnostic et le traitement proposé est considérée comme trop réduite, le problème est interprété en termes de personnalité des soignantes. Cette interprétation dissimule ainsi un rapport de pouvoir et une situation de non-respect des droits dans la relation entre gynécologue et patientes. Ce recours à l’individualisation du rapport social [60] tend à servir l’intérêt médical tel qu’il est porté par les médecins, à savoir la médicalisation du corps des femmes.

24Au contraire, les patientes qui adhèrent au cadre d’interprétation contractualiste promeuvent la figure de la patiente active et informée, fortement valorisée socialement [61]. Si les gynécologues demeurent une instance de référence d’accès à l’information, les patientes estiment qu’elles doivent rassembler activement des informations. C’est ce qu’explique par exemple Hazal, 46 ans :

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Alors que moi, quand je vais voir un médecin, je vais pas dire que je sais autant que lui, mais son machin-là, je vais voir sur Internet. Bon ben voilà, je suis capable de comprendre ce qui se passe, ce qu’il y a... Pourtant, j’ai pas fait d’études de médecine. Alors après, attention hein, je mesure quand même mes paroles, ça veut dire je suis pas non plus... J’ai pas fait leurs études, ils ont des connaissances [62].

26Ces patientes valorisent ainsi le fait d’être engagées dans leur parcours de soin, et s’attachent à poser des questions éclairées aux gynécologues. Dès lors, à rebours d’un usage d’Internet permettant de résister au paradigme biomédical dominant, ces femmes l’utilisent en se tournant vers des ressources en ligne qui réaffirment l’autorité médicale dominante. Le recours à Internet fonctionne ainsi comme une « technique de soi » qui permet d’intérioriser et de maintenir la structure de classe à partir de laquelle l’idéologie de la patiente informée émerge [63].

27Les femmes qui adhèrent au cadre d’interprétation féministe de la gynécologie modulent leurs pratiques afin de faire respecter leurs droits, tout en élaborant un discours critique sur le droit et la loi. C’est dans ce répertoire normatif que les catégories juridiques sont les plus prégnantes, les compétences juridiques faisant l’objet d’une inégale distribution sociale [64]. Ces patientes développent un large éventail de stratégies pour éviter de devoir faire face à une situation problématique lors de leurs consultations en gynécologie [65]. La recherche d’informations est une de ces stratégies. Ces femmes s’attachent en premier lieu à rechercher, par le « bouche à oreilles » [66] et les réseaux de sociabilité, une gynécologue qui soit « sûre ». Elles s’informent aussi sur la spécialité médicale gynécologique en tant que telle, remettant par exemple en cause la manière dont l’examen gynécologique se déroule traditionnellement, rendant compte des débats qui ont lieu au sein de la profession. Plutôt que de considérer le savoir médical comme un savoir unifié et autonome qui se construit en dehors des rapports sociaux, elles recherchent des informations qui remettent en cause cette conception. Elles naviguent entre plusieurs sources d’informations, le médecin n’étant plus considéré comme la source centrale de référence sur l’état des savoirs et sur la légitimité des pratiques. Ces femmes agencent [67] les différents avis en présence [68] pour se faire leur propre opinion. Le déroulement de la consultation est ainsi davantage conçu comme devant être un processus de négociation entre patientes et gynécologues. Si les gynécologues sont l’objet du blâme, ces femmes se tiennent en revanche pour responsables de leurs parcours de soin, à l’instar des « contractualistes ». Elles cherchent ainsi à se protéger a priori d’une interaction considérée par elles comme un lieu de discriminations et de violences. Cependant, l’information vise ici à la réappropriation de son corps et du savoir, et donc à la remise en cause du paradigme biomédical dominant fondé sur la médicalisation de la procréation et du corps des femmes. Les cadres identifiés donnent ainsi à voir différentes interprétations du droit à l’information. De même, les manières dont les patientes nomment leur droit au consentement sont modelées par ces différents cadres.

II.2. Interpréter le consentement

28Les femmes donnent sens à leurs expériences vécues différemment selon leur interprétation du consentement. Toutes ne jugent pas l’absence de demande de consentement de la part de la gynécologue problématique. Lorsqu’elles le font, elles ne font pas de lien avec le non-respect d’un droit garanti par la loi du 4 mars 2002, ou alors estiment que le consentement en tant que catégorie juridique a une portée plus réduite que ce qu’elles en comprennent. Certaines ont ainsi compris l’introduction de la notion de consentement dans la loi comme obligeant à son recueil écrit, d’autres ont considéré que leur consentement a été respecté puisqu’aucune contrainte physique n’a été exercée sur elles. Cette construction de leur opinion sur la légalité peut être plus restrictive que ce qui a été pensé par la loi.

29Les femmes mobilisant le cadre d’interprétation conformiste de la gynécologie banalisent les pratiques de leurs gynécologues. Cette banalisation les conduit à adopter une définition restrictive de la notion de consentement, en dehors des cadres théoriques et militants portés par les mouvements féministes et les associations de défense des droits des patients. Le consentement éclairé est pensé en termes de confiance en la gynécologue. Le cadre d’interprétation conformiste repose sur l’idée qu’aucune règle n’est nécessaire pour réguler la consultation en gynécologie. Ces femmes entretiennent ainsi un rapport légitimiste à la médecine, champ considéré comme autonome et fondé sur un savoir et une science spécifiques. Ce rapport spécifique s’explique notamment par leur faible niveau d’études, et le fait qu’elles ont peu souvent développé des dispositions à négocier et à revendiquer. Néanmoins, cette posture conformiste dans le domaine de la santé peut se combiner avec des postures revendicatives en dehors du cadre médical. Le militantisme syndical de certaines, et la politisation des rapports de force dans le cadre professionnel qui peut en découler, n’induit ainsi pas forcément une politisation du cabinet médical. Une posture de contestation qui se saisit des droits dans la sphère du travail ne coïncide pas forcément avec une telle posture quand il s’agit des droits face au champ médical. Il semble ainsi y avoir concurrence entre deux champs – celui du droit et celui de la médecine – qui se revendiquent autonomes et organisés selon des critères de légitimité différents. La notion de conscience du droit doit bien alors être déclinée en conscience des droits, le rapport au droit et les usages des droits n’étant pas les mêmes selon les droits spécifiques et les champs sociaux concernés. Une posture de conformité par rapport au corps médical rend ainsi les droits invisibles. Le droit ne constitue donc pas le seul cadre pour interpréter les expériences, et d’autres facteurs peuvent le rendre sans importance [69].

30Les femmes qui adhèrent plus volontiers au cadre d’interprétation contractualiste se trouvent le plus souvent à la croisée d’expériences contradictoires : l’impératif – vécu comme tel – d’un suivi gynécologique de prévention régulier d’une part, et le vécu de situations problématiques dans leurs consultations d’autre part. Alors que, dans le cadre conformiste, la confiance accordée au savoir médical ne donne pas aux patientes les clés d’émancipation de cette contradiction, le rapport des femmes « contractualistes » à la médecine est plus méfiant. Cette mise à distance s’explique par une socialisation différente à la santé, et par la déception qu’elles ont pu ressentir face aux fortes attentes investies dans la relation avec leur gynécologue. Sans faire référence explicitement à la notion de consentement ou à la loi de 2002 sur les droits des patient-e-s, Sylvie, 47 ans, cadre, a par exemple souvent eu le sentiment que les gynécologues ne lui ont pas laissé la possibilité de faire un choix pour elle-même. Si la notion de consentement libre et éclairé n’est pas utilisée en tant que telle, pas plus que le terme de « droit », le droit se trouve enchâssé [70] dans son discours et dans son raisonnement, participant d’un processus de production ordinaire de la légalité [71].

31Le cadre féministe est celui qui permet la plus large interprétation du droit au consentement. Néanmoins, les femmes qui adhèrent à ce cadre limitent le non-respect de leur droit au consentement aux cas les plus sérieux d’atteinte aux droits. À plusieurs reprises, ces femmes se sont plaintes du fait que leur consentement n’ait pas été requis pendant les consultations. Elles réfléchissent au consentement en des termes faisant échos aux débats théoriques et politiques autour de la notion [72], et adoptent une définition plus large et plus systématique du consentement que les femmes se plaçant dans les autres cadres d’interprétation. Pourtant, elles adoptent elles aussi une définition limitative du consentement quand la question leur est posée dans les termes de la loi. Jeanne, 25 ans, qui se plaint à plusieurs reprises pendant l’entretien que les gynécologues ne lui aient jamais demandé si elles pouvaient procéder à l’examen, qu’elle a ressenti plusieurs fois comme « intrusif », estime que la loi de 2002 a été respectée pendant ses consultations. Pour elle, l’absence de demande de consentement ne devient traduisible dans des termes juridiques que si elle est le résultat d’une « mauvaise intention » [73]. Pour Delphine, 26 ans, la loi n’aurait pas été respectée à partir du moment où la contrainte physique aurait été employée, ce qui n’a pas été le cas dans ses consultations :

32

Moi j’ai jamais vécu de violences physiques, j’ai jamais été abusée […] donc j’irais pas porter plainte, tu vois, j’en suis pas du tout là, mais si on se fie au mot : non, j’ai pas eu accès à l’information, j’ai eu accès à de la désinformation. Et le consentement oui, sauf si on parle de consentement éclairé et, dans ce cas, ça va avec l’information et voilà.

33Delphine lie le respect de la notion de consentement telle qu’elle est édictée dans la loi à l’absence de « violences physiques ». Jeanne et Delphine considèrent donc que la loi pose le consentement comme une notion plus restrictive que la manière dont elles la définissent, et cela donne forme à ce qu’elles expérimentent dans leurs propres consultations. Leur réflexion autour de la notion de consentement les conduit à émettre une critique de la loi en tant que telle, ne considérant pas que l’introduction d’une mesure législative puisse changer les rapports de domination inhérents à la consultation gynécologique. Pour Anna, 24 ans, c’est la diffusion d’une pratique « militante » [74] de la gynécologie qui serait la solution pour faire respecter les droits des patientes au sein de la consultation gynécologique, la loi ne donnant pas les moyens d’une transformation à long terme de la division hiérarchique structurelle entre gynécologues et patientes. Conscientes de la difficulté à faire recours et à faire reconnaître une plainte comme légitime, elles entretiennent un rapport critique et distancié au droit.

34Les femmes rencontrées ont ainsi des rapports différenciés au droit et à leurs droits, en fonction de leurs caractéristiques sociales. Ces variations sont modelées par les cadres d’interprétation de l’expérience gynécologique, par le rapport au savoir médical et leur plus ou moins grande proximité à la cause des femmes. La loi en elle-même n’est donc pas suffisante pour comprendre comment les femmes décident si elles ont subi un préjudice [75]. La compréhension des cadres d’interpré­tation permettant aux femmes d’interpréter les situations qu’elles vivent au sein de la consultation gynécologique est plus utile pour saisir si une situation a été préjudiciable pour une femme dans une consultation. Ces conclusions rejoignent les résultats des travaux des Legal Consciousness Studies. Si une grande partie de ces études se sont intéressées aux pratiques ordinaires de résistance à la loi comme des actes contenant une dimension politique revendicative, Patricia Ewick et Susan Silbey ont aussi porté attention à la manière dont des actions de conformité peuvent renforcer les formes de pouvoir existantes [76]. Les trois rapports aux droits mis au jour par l’enquête montrent en effet que la loi peut renforcer le pouvoir médical dominant, comme c’est le cas lorsque les femmes adoptent le cadre d’interpré­tation conformiste, banalisant les conduites des gynécologues et interprétant leurs propres intérêts comme étant les mêmes que ceux des soignantes. Ils montrent aussi l’importance de ne pas analyser l’activation des droits seulement selon le texte de loi mais aussi selon les interprétations qu’en font les actrices, interprétations qui donnent forme aux interactions et au vécu.

III. Des cadres mobilisés en parallèle : penser une conscience du droit complexe et ambivalente

35La typification en trois cadres d’interprétation de l’expérience gynécologique ne doit pas occulter la complexité des parcours et des rapports au droit en gynécologie. En effet, l’adhésion à un cadre d’interprétation n’empêche pas les femmes d’emprunter des éléments discursifs à d’autres ensembles de références pour donner sens à leurs expériences. Les cadres d’interprétation de la consultation gynécologique peuvent ainsi être compris comme des répertoires [77] parmi lesquels les individus puisent et sélectionnent des éléments différents pour élaborer des lignes de conduite et des stratégies d’action. Ces cadres sont constitués d’éléments discursifs disponibles dans la société mais accessibles de manière variable selon « les conditions structurelles » dans lesquelles les individus se trouvent [78]. Les patientes en gynécologie mobilisent rarement un seul de ces cadres, mais puisent en effet de manière variable dans ces répertoires. Le cas de Marine met particulièrement en lumière cette mobilisation parallèle – et non nécessairement concurrente – des cadres d’interprétation de la relation gynécologique.

36Marine a 28 ans. Fille d’agriculteurs, issue d’une famille catholique pratiquante, elle fait des études brillantes et suit une trajectoire d’ascension sociale. Elle est aujourd’hui cheffe de projet dans une grande entreprise. Elle rencontre son compagnon en classe préparatoire littéraire, qu’elle épouse en 2012. Lorsqu’elle est enceinte, elle commence son suivi de grossesse avec la gynécologue qui la suit depuis qu’elle a emménagé dans cette petite ville calme de banlieue parisienne en 2008. Lors de la deuxième échographie, à 4 mois de grossesse, elle est « envoyée » à l’hôpital universitaire suite à la découverte d’une boule dans le cœur du fœtus. De 4 mois à 7 mois et demi de grossesse, quand elle fera une intervention médicalisée de grossesse (IMG) suite à la détection d’une maladie génétique, elle doit se rendre tous les 15 jours au centre de diagnostic anténatal pour une échographie vaginale afin de vérifier l’état du cœur du fœtus. À chaque fois, trois internes assistent à la consultation, et l’un d’eux pratique l’échographie en plus du médecin. Pour Marine, cela fait « trop de médical, beaucoup de médical ». Une de ces échographies est réalisée par le responsable du service de diagnostic anténatal, un homme « affreux » et « insensible », la considérant comme « la vache dans l’étable ». L’échographie vaginale dure 25 minutes, au cours desquelles Marine se sent « un petit peu violée ». Elle utilise ainsi, avec précaution, un terme défini par la loi [79]. Le fait que le gynécologue n’ait pas prévenu Marine que l’examen allait commencer, et la violence physique de cet examen, renvoient pour elle à un acte de pénétration sexuelle sans consentement. En interprétant le sentiment de ce qu’elle a vécu lors de cette consultation comme un viol, elle s’inscrit dans la tradition féministe définissant celui-ci par l’absence de consentement. Elle s’inscrit aussi dans le cadre d’interprétation féministe de la gynécologie qui considère cette spécialité médicale comme pouvant être le lieu d’abus de pouvoir sur le corps des femmes.

37À plusieurs reprises pendant l’entretien, Marine a émis des critiques sur son suivi gynécologique. Elle estime que la pilule qui lui a été prescrite est « naze », se plaint qu’on ne lui ait pas présenté le dispositif intra-utérin (DIU), même depuis qu’elle a accouché après sa deuxième grossesse, estime ne pas pouvoir parler à sa gynécologue de certaines choses car la consultation est « chronométrée ». Restant néanmoins confiante envers l’institution médicale, elle mobilise à plusieurs reprises le cadre contractualiste. Elle prévoit par exemple de continuer un suivi régulier chez « sa » gynécologue, qu’elle ne trouve « pas chaleureuse, du tout » mais qui a le mérite d’avoir son cabinet dans un endroit facilement accessible pour elle. Originaire d’un « désert médical », elle apprécie de pouvoir prendre rendez-vous rapidement, et valorise le fait d’avoir un suivi régulier.

38Lorsqu’il lui est demandé à la fin de l’entretien si elle a l’impression d’avoir déjà été discriminée en tant que patiente, elle répond : « Jamais. Non, j’étais plutôt privilégiée, en tant que patiente. » S’étant sentie violée pendant son suivi de grossesse, Marine n’interprète cependant pas ce sentiment comme une discrimination dans la relation entre gynécologue et patiente. Le terme « discrimination » ne recouvre en effet pas les mêmes significations selon les origines sociales de celles qui l’emploient. De même, elle estime que la loi de 2002 sur le consentement éclairé a été respectée. Elle adopte ici le cadre d’interprétation conformiste, en minimisant les rapports de pouvoir et de domination à l’œuvre dans les consultations, et en valorisant le fait d’avoir été suivie par un médecin « au moins très reconnu en France, peut-être plus largement ». Alors même que toute l’information ne lui a pas été délivrée pendant ses trois mois de suivi intensif lors de sa première grossesse, elle estime que c’était pour son propre bien (« ils me prenaient toujours avec des pincettes »), faisant rejoindre ses propres intérêts avec ceux de l’institution médicale. Comme pour beaucoup de femmes adhérant au cadre d’interprétation conformiste [80], la conscience des droits est, dans le cas de Marine, articulée à une conscience forte de la légitimité médicale, cette dernière conduisant à rendre invisible le non-respect des droits. Le rapport complexe au droit qu’elle déploie s’explique par l’articulation entre conscience des droits et conscience de la légitimité médicale. Il montre comment les cadres d’interprétation peuvent se trouver articulés à l’échelle individuelle, et rappelle que le rapport des patientes à l’expérience gynécologique et à leurs droits est modelé par les différents cadres d’interprétation dont les éléments discursifs circulent dans la société. Le cas de Marine souligne ainsi que la notion de conscience du droit gagne à être analytiquement articulée non seulement aux caractéristiques et trajectoires sociales des individus, mais aussi au rapport à d’autres champs sociaux, lorsque ceux-ci sont régulés par le droit alors même qu’ils prétendent à des règles de légitimité différentes [81].

Conclusion

39Saisir les manières dont les femmes donnent forme à leurs expériences vécues au sein de la consultation en gynécologie nécessite de développer une analyse empirique de la conscience des droits et des stratégies mises en place pour les faire respecter. Dans la construction des jugements sur la consultation gynécologique, les catégories juridiques restent extrêmement peu mobilisées de manière explicite et formalisée. Si le droit n’est pas directement mobilisé, il reste néanmoins enchâssé dans les discours de manière informelle et subjective. Les femmes ont eu tendance à adopter une définition restrictive de leur droit au consentement éclairé dans la consultation en gynécologie, construisant leur propre rapport à la légalité. Elles ont compris le consentement dans la loi de 2002 comme une catégorie légale posant des conditions limitatives. Les femmes bricolent avec les ressources juridiques pour donner sens à leurs expériences et porter des jugements moraux dessus, et ce surtout pour les femmes les plus dotées scolairement et socialement. Le droit apparaît ainsi comme une ressource dans laquelle certaines patientes parmi les plus diplômées puisent pour mettre à distance les règles du champ médical. Il n’apparaît en revanche pas comme un recours possible pour dénoncer les maltraitances de la part des soignant-e-s. Le recours à la plainte n’est en effet pas favorisé par un contexte qui rend le coût individuel de la plainte élevé [82]. L’émergence de mobilisations collectives portées par des entrepreneuses de cause sur la question peut de ce fait participer à faire de la plainte une action envisageable.

40Ces résultats rejoignent ceux des recherches précédentes sur la conscience du droit. Mais si l’importance du genre, de la classe et de la race a déjà été mise en avant pour expliquer les différences de conscience du droit que les individus déploient pour donner sens à leurs expériences, cette recherche éclaire comment l’âge s’imbrique aux autres relations de domination pour structurer des rapports au droit différents. Parce que les expériences en gynécologie et dans la consultation médicale des femmes sont modelées par leur âge – norme d’organisation chronologique à laquelle sont associées des normes genrées spécifiques –, le rapport à leurs droits par les patientes est façonné par leur positionnement dans leur itinéraire biographique. Par ailleurs, l’analyse des manières dont les femmes vivent et interprètent leurs droits dans la consultation gynécologique se doit de prendre en compte leur plus ou moins grande proximité à la cause des femmes. En effet, les différentes manières dont les patientes interprètent leurs expériences vécues sont le résultat de luttes politiques autour de la définition normative de la relation de soin et de la notion de consentement. De ce point de vue, l’interaction gynécologique a un statut particulier, en ce que ces cadres d’interprétation sont aussi influencés par la thématisation féministe du consentement et des droits des femmes. Le registre légal n’est de fait qu’un registre parmi les autres dans les discours sur la relation entre gynécologue et patiente. La prise de conscience se fait davantage en termes de rapports au champ médical et de rapports de pouvoir qu’en termes de respect / non-respect des droits. La notion de conscience du droit est donc un outil particulièrement heuristique pour comprendre comment les patientes donnent sens à leurs expériences vécues, mais doit cependant être articulée à la politisation des enjeux du droit et aux rapports ordinaires à d’autres champs sociaux [83].

Notes

  • [1]
    Par exemple via le hashtag #PayeTonUtérus sur le réseau social Twitter ou la page « Paye ton gynéco » sur le réseau Facebook.
  • [2]
    Cette pratique a fait scandale après la médiatisation de documents internes à la faculté de médecine de Lyon selon lesquels les étudiant-e-s en stage au service de gynécologie-obstétrique pratiqueraient pour s’exercer des touchers vaginaux sur des patientes endormies et ce sans le consentement préalable de ces dernières.
  • [3]
    Voir Nastassia Audibert, « “Violence obstétricale”. Émergence d’un problème public en France », mémoire pour l’obtention du grade de master, Sciences Po Paris, 2016.
  • [4]
    Par exemple : Mélanie Déchalotte, Le livre noir de la gynécologie, Paris : First, 2017 ; Marie-Hélène Lahaye, Accouchement. Les femmes méritent mieux, Paris : Michalon, 2018.
  • [5]
    Lucile Quéré, « Luttes féministes autour du consentement. Héritages et impensés des mobilisations contemporaines sur la gynécologie », Nouvelles questions féministes, 35 (1), 2016, p. 32-47.
  • [6]
    Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  • [7]
    Henri Bergeron, « Les transformations du colloque singulier médecin/patient : quelques perspectives sociologiques », in Didier Tabuteau (dir.), Les droits des malades et des usagers du système de santé, une législature plus tard, Paris : Presses de Sciences Po, 2007, p. 39-51.
  • [8]
    « Aucun acte médical, ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne », loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  • [9]
    Alexandre Jaunait et Frédérique Matonti, « L’enjeu du consentement », Raisons politiques, 46, 2012, p. 5-11.
  • [10]
    Olivier Guillod, « Le consentement dans tous ses états », in Association française de droit de la santé (AFDS), Consentement et santé, Paris : Dalloz, 2014.
  • [11]
    Si tou-te-s les patient-e-s en gynécologie ne sont pas des femmes, nous utiliserons ici le pluriel féminin de généralité pour les désigner, à la fois pour la fluidité de la lecture et parce que toutes les personnes rencontrées lors de l’enquête se définissent en tant que femmes. L’adoption de cette écriture ne doit pas éclipser le fait que les mobilisations citées ont été traversées par des controverses sur cette question, une partie des féministes interpellant les autres sur leur absence d’inclusivité lorsqu’elles tenaient un discours utilisant des critères biologiques – tels que la possession d’un utérus – pour définir la catégorie femme. Voir Anne-Charlotte Husson, « Les mots agonistiques des nouveaux discours féministes : l’exemple de grossophobie et cissexisme », Argumentation et analyse du discours, 18, 2017.
  • [12]
    Fabrizio Cantelli, « “Inacceptable !” : critiquer et faire valoir ses droits en tant que patient », Sciences sociales et santé, 33 (2), 2015, p. 107-115.
  • [13]
    On entend ici par « rapport ordinaire aux droits » le rapport à leurs droits de patientes qui ne se sont pas engagées dans la contestation publique des pratiques des gynécologues. Le terme ordinaire vient ici en opposition au terme « militant », le rapport des militantes des mobilisations sur la gynécologie au droit ayant constitué un autre volet de l’enquête.
  • [14]
    Par exemple, Pierre-Édouard Weill, « Savoir faire valoir son droit. Compétence statutaire et obtention d’un statut de “prioritaire” », Sociologies pratiques, 24, 2012, p. 93-105 ; Yasmine Siblot, Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris : Presses de Sciences Po, 2006.
  • [15]
    Comme l’ont noté Marianne Berthod-Wurmser, Frédéric Bousquet et Renaud Legal,« Patients et usagers du système de santé : l’émergence progressive de voix qui commencent à compter », Revue française des affaires sociales, 1, 2017, p. 5-19.
  • [16]
    Fabrizio Cantelli, « La plainte comme un droit ? Médiation, politiques publiques et droits des patients », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, 76, 2011, p. 101-109 ; Id., « Comment faire exister les droits du patient ? », in Anne Revillard et Pierre-Yves Baudot, L’État des droits, Paris : Presses de Sciences Po, 2015, p. 149-176 ; Jean Peneff, Les malades des urgences, Paris : Métailié, 2000.
  • [17]
    Henri Bergeron, « Les transformations du colloque singulier médecin/patient : quelques perspectives sociologiques », op. cit. ; Voir le concept de « contraception stratifiée » : Hélène Bretin, « Marginalité contraceptive et figures du féminin : une expérience de la contraception injectable hormonale en France », Sciences sociales et santé, 22 (3), 2004, p. 87-110 ; Sylvie Fainzang, La relation médecins-malades : information et mensonge, Paris : PUF, 2006 ; Nora Moumjid-Ferjaoui et M.-O Carrère, « La relation médecin-patient, l’information et la participation des patients à la décision médicale : les enseignements de la littérature internationale », Revue française des affaires sociales, 2, 2000, p. 73-88 ; Louise Virole-Zajde, « Devenir mère, Devenir sujet ? Parcours de femmes enceintes sans-papiers en France », Genre, sexualité & société, 16, 2016 ; Synthèse du rapport du défenseur des droits, « Les droits fondamentaux des étrangers en France », 2016.
  • [18]
    Patrice Duran et Jacques Commaille, « Pour une sociologie politique du droit : présentation », L’Année sociologique, 59 (1), 2009, p. 11-28.
  • [19]
    Menée dans le cadre d’un mémoire de Master 2 sous la direction de Anne Revillard et soutenu à Sciences Po Paris en 2015.
  • [20]
    David M. Engel et Frank W. Munger, Rights of Inclusion. Law and Identity in the Life Stories of Americans with Disabilities, Chicago : University of Chicago Press, 2003.
  • [21]
    James C. Scott, Weapons of the Weak: Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven : Yale University Press, 1985 ; Austin Sarat, « Law Is All Over », Yale Journal of Law & the Humanities, 2, 1990, p. 343-379 ; Patricia Ewick et Susan Silbey, « Conformity, Contestation, and Resistance: An Account of Legal Consciousness », New England Law Review, 26 (3), 1992, p. 731-749.
  • [22]
    Patricia Ewick et Susan Silbey, « La construction sociale de la légalité », Terrains & Travaux, 6 (1), 2004, p. 112-138.
  • [23]
    Comme le notent Éric Gagnon, Michèle Clément et Marie-Hélène Deshaies, « l’étude de droits ne pouvait manquer de rencontrer la question des relations médecin/malade […], les droits visant précisément à modifier ou régulariser ces relations », in « Sujets de droits : l’interprétation des droits des malades », Sciences sociales et santé, 32 (1), 2014, p. 5-28.
  • [24]
    Carroll Seron et Frank Munger, « Law and Inequality: Race, Gender… and, of Course, Class », Annual Review of Sociology, 22 (1), 1996, p. 187-212.
  • [25]
    Lucile Ruault, « La force de l’âge du sexe faible. Gynécologie médicale et construction d’une vie féminine », Nouvelles questions féministes, 34 (1), 2015, p. 35-50.
  • [26]
    La profession de gynécologues médicales étant constituée à 71 % de femmes (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques [DREES], « Les médecins au 1er janvier 2013 », Série statistique, 179, 2013), nous utiliserons le pluriel féminin de généralité.
  • [27]
    L’usage du terme de « discrimination » a été motivé par sa filiation avec le vocabulaire juridique. Néanmoins, ce terme est aussi investi de sens multiples, lesquels varient notamment selon les caractéristiques sociales des femmes. Si son appropriation par les femmes révèle une conscience des droits, le fait d’avoir conscience de ses droits ne donne au contraire pas nécessairement lieu à une mobilisation de ce vocabulaire. Et ce d’autant plus que « la condition de malade et la relation médicale ne laissent guère émerger un tel sentiment [de discrimination] (François Dubet, Olivier Cousin, Éric Macé et Sandrine Rui, Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Paris : Seuil, 2013, p. 16). Le non-recours au terme de « discrimination » par les femmes ne permettait finalement pas à lui seul de présumer d’une conscience des droits, et devait être replacé dans le parcours de vie plus large pour être entièrement saisi.
  • [28]
    Éric Gagnon, Michèle Clément et Marie-Hélène Deshaies, « Sujets de droits : l’interprétation des droits des malades », op. cit., p. 7.
  • [29]
    Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Paris : Les éditions de Minuit, 1991, p. 19.
  • [30]
    Cette typologie rend compte de manière idéal-typique de la réalité sans pour autant s’y réduire. Chaque cas relève plus ou moins d’un cadre d’interprétation, les catégories n’étant pas étanches.
  • [31]
    Ce cadre correspond à l’analyse que fait Talcott Parsons de la relation de soin comme étant structurellement asymétrique : Talcott Parsons, The Social System, Londres : Forgotten Books, 1951.
  • [32]
    Henri Bergeron, « Les transformations du colloque singulier médecin/patient : quelques perspectives sociologiques », op. cit.
  • [33]
    Brigitte, 71 ans, ouvrière retraitée, février 2015.
  • [34]
    Lucile Ruault, « La force de l’âge du sexe faible. Gynécologie médicale et construction d’une vie féminine », op. cit. ; Cécile Ventola, « Le genre de la contraception : représentations et pratiques des prescripteurs en France et en Angleterre », Cahiers du genre, 60, 2016, p. 101-122. En ligne
  • [35]
    Pour garantir l’anonymat des enquêtées, les prénoms ont été modifiés.
  • [36]
    Si les deux extraits cités font référence à des interactions où le gynécologue est un homme, d’autres témoignages de situations similaires ont été livrés par rapport à des gynécologues de sexe féminin, ne présumant pas de différences de pratiques selon le sexe des gynécologues.
  • [37]
    Sandrine, employée, 41 ans, décembre 2014.
  • [38]
    Ce cadre est proche du modèle de décision partagée identifié par Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris : Balland, 2002.
  • [39]
    Albert O. Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Cambridge : Harvard University Press, 1970.
  • [40]
    Sylvie, cadre, 47 ans, janvier 2015.
  • [41]
    Geneviève, février 2015.
  • [42]
    Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, op. cit. ; Nicolas Dodier, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris : Éditions de l’EHESS, 2003.
  • [43]
    Ilana Löwy, « Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale ? », Travail, genre et sociétés, 14 (2), 2005, p. 89-108.
  • [44]
    Sandra Morgen, Into Our Own Hands. The Women’s Health Movement in the United States, 1969-1990, New Brunswick : Rutgers University Press, 2002.
  • [45]
    Jeanne, 25 ans, sans emploi, décembre 2014.
  • [46]
    Delphine, 26 ans, doctorante en sociologie, décembre 2014.
  • [47]
    Anna, 24 ans, doctorante en sociologie, décembre 2014.
  • [48]
    Un « militantisme » passant entre autres selon elle par le refus de procéder à « des dépassements d’honoraires », la remise en cause du « rapport très hiérarchique avec les patients », le développement d’une temporalité alternative de la consultation mettant en son centre le partage d’informations, ou encore la mise en place d’un dispositif d’auscultation plus respectueux de l’intimité.
  • [49]
    Delphine, 26 ans, doctorante en sociologie, décembre 2014.
  • [50]
    Lequel est nécessairement limité. La construction de l’échantillon a par exemple donné lieu au recueil de témoignages de femmes de plus de 60 ans qui venaient de milieux populaires alors que les femmes de moins de 30 ans étaient plus souvent diplômées et issues de classes moyennes. Une étude plus complète mériterait donc d’être menée pour mieux explorer l’intersection de l’âge et de la classe sociale. Le parcours de Marine, présenté en troisième partie de l’article, met au jour les effets complexes de cette intersection.
  • [51]
    Elles ont déjà procréé ou dépassé l’âge social de la procréation, mais ne sont pas biologiquement infertiles.
  • [52]
    Lucile Ruault, « La force de l’âge du sexe faible », op. cit.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Juliette Rennes, « Âge », in Id. (dir.), Encyclopédie critique du genre, Paris : La Découverte, 2016, p. 43.
  • [55]
    Luc Boltanski, « Les usages sociaux du corps », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 26 (1), 1971, p. 205-233.
  • [56]
    Beverley Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille : Agone, 2015.
  • [57]
    Emmanuelle Phan, « La remise en cause de pratiques médicales professionnelles de la part des usagers de la périnatalité », Revue de médecine périnatale, 1 (4), 2009, p. 207-212.
  • [58]
    Alexandre Jaunait, « Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient », Raisons politiques, 11, 2003, p. 59-79.
  • [59]
    Laure Bereni, « Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes », Revue française de science politique, 59 (2), 2009, p. 301-23 ; Laure Bereni et al., « Entre contrainte et ressource : les mouvements féministes face au droit », Nouvelles questions féministes, 29 (1), 2010, p. 6-15. En ligne
  • [60]
    Lauren B. Edelman, Howard S. Erlanger et John Lande, « Internal Dispute Resolution: The Transformation of Civil Rights in the Workplace », Law & Society Review, 27 (3), 1993, p. 497-534.
  • [61]
    Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, op. cit.
  • [62]
    Hazal, coach, février 2015.
  • [63]
    Felicia Wu Song et al., « Women, Pregnancy, and Health Information Online: The Making of Informed Patients and Ideal Mothers », Gender and Society, 26 (5), 2012, p. 773-798.
  • [64]
    Patrice Duran et Jacques Commaille, « Pour une sociologie politique du droit : présentation », op. cit.
  • [65]
    Le refus d’un suivi gynécologique régulier avec une gynécologue attitrée et le « bricolage » de leur parcours gynécologique apparaît comme l’une de ces stratégies.
  • [66]
    Clémence, cadre, 27 ans, février 2015.
  • [67]
    Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, op. cit.
  • [68]
    Les associations, et notamment le Planning familial, qui s’affirme comme « féministe et d’éducation populaire » (<https://www.planning-familial.org/articles/presentation-du-planning-familial-0027>), et dont l’histoire est associée à celle des mouvements pour la libre maternité, sont alors reconnues comme des acteurs légitimes dans la définition du savoir scientifique.
  • [69]
    Kristin Bumiller, The Civil Rights Society: The Social Construction of Victims, Baltimore : Johns Hopkins University Press, 1992 ; Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life Chicago : The University of Chicago Press, 1998 ; Kay Levine et Virginia Mellema, « Strategizing the Street: How Law Matters in the Lives of Women in the Street-Level Drug Economy », Law & Social Inquiry, 26 (1), 2001, p. 169-207 ; Phoebe A. Morgan, « Risking Relationships: Understanding the Litigation Choices of Sexually Harassed Women », Law & Society Review, 33 (1), 1999, p. 67-92.
  • [70]
    Pierre Lascoumes et Philippe Bezès, « Les formes de jugement du politique. », L’Année sociologique, 59 (1), 2009, p. 109-147.
  • [71]
    Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of Law - Stories from Everyday Life, op. cit.
  • [72]
    Lucile Quéré, « Luttes féministes autour du consentement. Héritages et impensés des mobilisations contemporaines sur la gynécologie », op. cit.
  • [73]
    Jeanne, 25 ans, sans emploi, décembre 2014.
  • [74]
    Anna, 24 ans, doctorante, décembre 2014.
  • [75]
    Anna-Maria Marshall, « Injustice Frames, Legality, and the Everyday Construction of Sexual Harassment », op. cit.
  • [76]
    Patricia Ewick et Susan Silbey, « Conformity, Contestation, and Resistance: An Account of Legal Consciousness », op. cit.
  • [77]
    Ou, selon l’expression d’Ann Swidler, des « boîtes à outils » culturelles (Ann Swidler, « Culture in Action: Symbols and Strategies », American Sociological Review, 51 (2), 1986, p. 273-286).
  • [78]
    C’est ce qu’a notamment montré Michèle Lamont à propos des répertoires, qui considère « les éléments de répertoires comme accessibles en diverses proportions aux différentes unités analytiques telles que la classe, la race, la nation, ou la région mais dans des proportions variables » (Michèle Lamont, La dignité des travailleurs : exclusion, race, classe et immigration en France et aux États-Unis, Paris : Presses de Sciences Po, 2002, p. 22).
  • [79]
    « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol », article 222.23 du Code pénal français (loi du 22 juillet 1992).
  • [80]
    Béatrice Jacques a montré comment la classe sociale joue un rôle dans le rapport aux soignant-e-s dans la relation obstétrique : Béatrice Jacques, Sociologie de l’accouchement. Paris : PUF, 2007.
  • [81]
    Ce cas invite par ailleurs à considérer la typologie présentée comme provisoire. D’autres cadres d’interprétation peuvent en effet exister, qui seraient notamment permis par d’autres articulations entre positions et trajectoires sociales.
  • [82]
    Fabrizio Cantelli, « “Inacceptable !” : critiquer et faire valoir ses droits en tant que patient », op. cit.
  • [83]
    Nous remercions Isabel Boni-Legoff et Éléonore Lépinard pour leurs relectures et conseils, ainsi que les lecteurs et lectrices anonymes pour leurs commentaires.
Français

Depuis le début des années 2010, une critique d’un ensemble de pratiques des gynécologues a émergé dans l’espace public, mobilisant la loi française du 4 mars 2002. Ce contexte invite à poser la question du rapport ordinaire des patientes en gynécologie à leurs droits, particulièrement à leur droit au consentement. Cet article se propose de saisir les manières dont les femmes donnent forme à leurs expériences vécues au sein de la consultation en gynécologie selon leurs caractéristiques sociales. Il convoque pour cela une analyse empirique des consciences des droits et met au jour trois cadres d’interprétation des expériences en gynécologie. Ces cadres, issus des luttes historiques et politiques autour de la définition des modalités de la relation entre médecins et patient-e-s, permettent de comprendre le rapport au consentement des patientes et les mécanismes qui les amènent à estimer avoir subi un préjudice – ou non.

Mots-clés

  • Conscience du droit
  • Consentement
  • Droit des patients
  • Gynécologie
Lucile Quéré
Lucile Quéré est doctorante au Centre en Études Genre de l’Université de Lausanne et doctorante invitée à Goldsmiths, University of London. Ses recherches portent sur les mobilisations féministes contemporaines sur la santé, et sont financées par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Elle a notamment publié :
— « Luttes féministes autour du consentement. Héritages et impensés des mobilisations contemporaines sur la gynécologie », Nouvelles Questions Féministes, 35 (1), 2016.
Institut des Sciences Sociales, Université de Lausanne, Bâtiment Geopolis - Bureau 5345, CH-1015 Lausanne.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/08/2019
https://doi.org/10.3917/drs1.102.0413
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