Dans le § xxviii des Délits et des peines – le plus long du livre, lui-même probablement conçu et rédigé en vue de ce chapitre intitulé « De la peine de mort » –, Beccaria présente deux séries d’argumentations. La première est très brève : elle n’est constituée que des trois premiers alinéas, que j’examinerai ici en détail. Elle est fondée sur une logique contractualiste, alors que la seconde, plus étendue, repose sur une logique utilitariste.
Contrairement à ce qu’ont soutenu certains commentateurs influents, ces deux logiques successivement adoptées par Beccaria dans le § xxviii ne se contredisent pas. À son époque, le contractualisme et l’utilitarisme ne sont pas des courants théoriques nettement distincts l’un de l’autre et ne peuvent donc apparaître comme incompatibles. Une chose est en effet l’utilitarisme anglo-saxon qui, à partir de Bentham, s’est développé au 19e siècle (puis au 20e siècle) en rejetant explicitement la théorie du contrat social, autre chose est l’utilitarisme continental du 18e siècle (en particulier celui d’Helvétius dont s’inspire Beccaria), où coexistent le principe d’utilité et l’idée du contrat, quoique diversement articulés l’un à l’autre. Il serait évidemment absurde de chercher chez Beccaria des caractères que l’utilitarisme ne présentera que chez Bentham, puis de déplorer comme une lacune l’absence de principes qui sont exclusivement benthamiens.
Pour Beccaria, le pacte d’association est fondé sur un calcul d’utilité : les êtres humains, mus par la nécessité d’abandonner « un état de guerre continuel » où leur liberté naturelle est « rendue inutile par l’incertitude de la conserve…