CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Un homme qui se jette sur sa voisine à la fin de Danse de mort respecte beaucoup plus la littérature dramatique que celui qui baise la main d’une spectatrice dans le hall à l’entracte. »
Jean Vilar, Le Théâtre, service public, Paris, Gallimard, 1975.
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David, Groupe de personnages extrait des Quatorze études pour Le Serment du jeu de paume, 1790-1791, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

1Au moment même où la peinture moderne naît du refus de la situation de représentation, autrement dit de toute forme de théâtralité dans la figuration, comme en attestent les premiers textes de critique d’art, notamment sous la plume de Denis Diderot [1], et partant met en crise le dispositif spectatoriel, les hommes de théâtre entament, et c’est bien plus qu’une coïncidence, une réflexion en profondeur sur le statut du public et sur la fonction du spectateur. Mis à mal par des stratégies d’auteurs en quête de légitimation, qui peinent à se démunir de leur monopole herméneutique sur les œuvres, bien qu’ils soient à la recherche d’une audience plus populaire, le public de théâtre, de plus en plus perçu comme un interlocuteur à part entière dans la situation de représentation théâtrale, est ainsi considéré tour à tour comme une multitude ignorante assujettie aux comportements mimétiques et instrumentalisée par les factions rivales de la cabale et, plus rarement, comme le destinataire privilégié du spectacle, souverain juge en dernier ressort de la représentation en train de se faire. C’est la raison pour laquelle le théâtre apparaît alors comme un espace complexe, parce qu’autoréflexif, mais surtout, comme un jeu à partenaires multiples – auteurs, comédiens et spectateurs entrant en rivalité pour l’attribution du sens et de l’interprétation légitime. Mais c’est aussi la raison pour laquelle on peut à bon droit le considérer comme un espace politique par excellence où spectateurs individuels isolés et communautés de publics entrent en lutte pour s’assurer une visibilité (on vient au théâtre d’abord et avant tout pour se donner soi-même en spectacle) et, à travers elle, une reconnaissance et une qualification dans l’émission de jugements esthétiques. La question qui se pose alors est celle de savoir comment cet espace symbolique, hautement hiérarchisé et ritualisé par les pratiques distinctives de l’étiquette et par les logiques de socialisation différenciée du protocole mondain et de la liturgie du pouvoir, peut dans le même temps être conçu comme le lieu utopique d’une unanimité naturelle, autrement dit d’une solidarité retrouvée entre les castes concurrentes d’une société holiste, communiant dans la manifestation d’émotions partagées, par une sorte de retour aux sources civiques d’une « théâtrocratie » à l’antique inscrite au cœur même de la cité.

2L’hypothèse de cet article est qu’on a trop longtemps négligé une évidence, celle de la fonction civique et politique du spectacle vivant bien avant la Révolution française, et qu’il faut chercher la genèse d’une opinion publique, au sens moderne, d’abord dans les salles de théâtre [2], et ensuite seulement dans des espaces de sociabilité particuliers. Ce serait donc par la représentation théâtrale, et non la « sphère publique bourgeoise », que serait réellement structuré l’espace public, pour paraphraser la célèbre formule d’Habermas et pour entrer en discussion avec son modèle. Or l’intérêt d’un tel espace est, précisément, qu’à défaut d’être réellement populaire au 18e siècle, il n’est pas pour autant totalement uniforme socialement. Si bien qu’on ne peut rendre aucun groupe social identifiable entièrement responsable de sa formation : ni les femmes, ni la bourgeoisie montante, ni l’aristocratie éclairée, ni les hommes de lettres, ni le peuple en cours d’acculturation… Espace de mixité, traversé par les influences les plus diverses, la salle de spectacle est en outre animée par un double mouvement contradictoire d’individuation de la perception et de communautarisation des affects, générateur de comportements collectifs imprévisibles aux significations esthétiques et politiques multiples. Le grand mérite du terme de « multitude » appliqué au public, récurrent dans les propos des commentateurs et observateurs, est précisément de rendre compte de cette tension fondamentale entre entité collective indénombrable et agrégat d’individus. Grand corps fragmenté, peuple aux cent visages, ce public-Léviathan qui a pour lui la force du nombre est à la fois un et multiple, ce qui explique le caractère erratique et imprévisible de ses réactions, la très grande défiance, mêlée de fascination, des milieux lettrés à son égard, mais aussi son rôle de tout premier plan dans la configuration de ce qu’on appellera bientôt l’« opinion publique [3] ».

3Ni homogène dans sa composition sur le plan de l’histoire sociale, ni uniforme dans ses pratiques, sur celui de l’histoire culturelle, l’assemblée des spectateurs apparaît donc bien comme un objet privilégié d’interrogation sur l’articulation problématique et l’interaction dynamique entre individu et communauté. Analysant tour à tour déclarations d’auteurs dramatiques, de théoriciens, mais aussi de praticiens du théâtre et archives de police, on mettra en évidence la façon dont, à partir de la seconde moitié du 18e siècle, l’assemblée des spectateurs se présente comme le paradigme d’une réflexion indissociablement esthétique et idéologique sur les fonctions politiques du théâtre. Or cette question se joue, précisément, dans une articulation problématique entre individu et communauté qui recoupe, en partie au moins, celle entre spectateur et public. On montrera en particulier que le public de théâtre échappe, dans une large mesure, au « processus de civilisation des mœurs » analysé par Norbert Elias, mais entre pleinement dans la logique d’« absolutisation de l’individu » définie par Georg Simmel comme la contribution essentielle du siècle des Lumières et de la Révolution française à l’entrée dans la modernité, et finalement qu’il définit un espace paradoxal et provisoire d’émancipation et d’affranchissement de l’opinion publique en régime théâtrocratique. Ainsi est-il permis de reprendre à son compte l’affirmation de Pixerécourt : « La Révolution arrive et ce que les philosophes seuls avaient senti jusque-là, la Nation le devine, c’est-à-dire l’influence que les théâtres pouvaient avoir sur l’opinion publique [4] ».

4Un rapide parcours des acceptions accordées aux mots « Public » et « Spectateur » dans les dictionnaires de référence de l’époque suffit à persuader du bien-fondé de la réflexion engagée. L’ensemble des notices insistent sur la valeur d’entité collective de la notion de « Public », renvoyant à une construction commune : « Public, se dit aussi d’un lieu découvert qui n’appartient à personne en particulier, mais à une communauté », « terme relatif et collectif opposé à particulier », peut-on lire juste après les sens usuels dans le Dictionnaire de Furetière (1690) ; cependant que le Dictionnaire français de Pierre Richelet (1680) y voit « le gros de la multitude » et le Dictionnaire de l’Académie, dès 1694, « tout le peuple en général ». Tel n’est pas le cas de la notion de « Spectateur », dont les rédacteurs des dictionnaires en question signalent au contraire les qualités individuelles et les facultés particulières : « Qui est présent à un spectacle, à quelque action extraordinaire », affirme le Dictionnaire universel français et latin de Trévoux (1743-52) ; « la personne qui écoute et voit la représentation d’un poème dramatique », peut-on lire dans le Dictionnaire français ; « Celui qui est présent à un spectacle […]. Il se dit figurément de celui qui n’agit point, qui n’a point de part dans une affaire, et qui a seulement attention à ce qui s’y passe ». (Dictionnaire de l’Académie, édition de 1762). Mais c’est essentiellement la notion de « Parterre » qui retiendra notre attention, défini comme « l’aire ou l’espace qu’on laisse vide au milieu de l’enceinte des loges […], où le spectateur est placé moins à son aise et à moins de frais [5] », mais aussi de la façon suivante : « On appelle aussi parterre la collection des spectateurs, qui ont leur place dans le parterre ; c’est lui qui décide du mérite des pièces [6] ». Agrégat d’individus ou fraction d’une entité collective abstraite, le parterre apparaît ainsi comme une catégorie intermédiaire digne d’intérêt.

5On signalera rapidement, dans un premier temps, par quel glissement auteurs et théoriciens du théâtre en viennent à postuler l’indépendance problématique des jugements du parterre, à la fois principe collectif global, communauté d’opinion et agrégats d’individus isolés aux jugements propres, avant de s’intéresser aux questions soulevées par la polémique française des années 1770 autour de la réforme du parterre debout et à ses conséquences à la fois philosophiques, esthétiques, socio-économiques et politiques.

6Les auteurs dramatiques sont, dans la seconde moitié du siècle, en pleine guerre d’influence avec les Comédiens-français : plus généralement, ils entrent en lutte pour la difficile conquête d’un statut de plein droit qui n’entrera pas réellement en vigueur avant le début du 19e siècle [7], tout en forgeant les idées nouvelles de ce qui deviendra bientôt, tout particulièrement sous la Révolution française, l’utopie d’une fonction civique attribuée au théâtre, « école du peuple ». Pour ce faire, certains auteurs de talent se refusent aux facilités du mécénat royal (auteurs pensionnés), d’ailleurs en perte de vitesse, ou aux compromissions du patronage (auteurs à gages ou appointés). Ils sont contraints de se démarquer de sociabilités mondaines et aristocratiques de peu de secours dans un tel combat, et qui accueillent souvent froidement les œuvres comme les idées nouvelles [8], pour trouver de nouveaux appuis dans des catégories élargies du public. C’est la raison pour laquelle ils se prennent fréquemment à faire usage du peuple [9], autrement dit à invoquer la fiction politique d’un public populaire, considéré comme interlocuteur privilégié, pour justifier le déplacement des canons dramaturgiques. Ce redéploiement stratégique, qui coïncide avec une refonte en profondeur de l’écriture dramatique dont le drame est une des manifestations les plus visibles, n’est cependant pas sans contrepartie : il contraint les auteurs à penser la possibilité d’un jugement esthétique plus populaire autonome et, partant, il rend possible une remise en cause de leur propre fonction d’autorité dans l’interprétation de leurs œuvres. Cette question est une des constructions théoriques les plus difficiles de la période, à en juger par les déclarations contradictoires des auteurs même les mieux intentionnés à l’égard de la cause du peuple.

7Quoi qu’ils en disent, les auteurs même les plus conscients de la force politique montante que représente le peuple, considéré comme destinataire des œuvres, ont peine à envisager l’assemblée des spectateurs comme autre chose qu’une « multitude en rumeur », selon les propres termes de Beaumarchais dans son Essai sur le genre dramatique sérieux (1767) et de bien d’autres auteurs et théoriciens du théâtre avec lui. On sait pourtant la place qu’il accorde au public comme interprète des œuvres dramatiques :

8

Quoi qu’en disent les censeurs, le public assemblé n’en est pas moins le seul juge des ouvrages destinés à l’amuser ; tous lui sont également soumis ; et vouloir arrêter les efforts du génie dans la création d’un nouveau genre de spectacle, ou dans l’extension de ceux qu’il connaît déjà, est un attentat contre ses droits, une entreprise contre ses plaisirs.

9Mais cette déclaration de principe en forme d’acte de foi ne doit pas nous tromper sur la conception profonde de l’auteur, qui concède immédiatement après :

10

Je conviens qu’une vérité difficile sera plus tôt rencontrée, mieux saisie, plus sainement jugée, par un petit nombre de personnes éclairées que par la multitude en rumeur puisque sans cela cette vérité ne devrait pas être appelée difficile ; mais les objets de goût, de sentiment, de pur effet, en un mot de spectacle, n’étant jamais admis que sur la sensation puissante et subite qu’ils produisent dans tous les spectateurs, doivent-ils être jugés sur les mêmes règles ?

11Beaumarchais crée ainsi une dichotomie fondamentale entre, d’une part, les œuvres de l’esprit, dont l’appréciation doit rester l’apanage d’une élite lettrée composée d’individus instruits, et, d’autre part, les œuvres destinées à la communication de masse et à flatter les sens d’un public élargi, d’une communauté d’intérêts susceptible de communier dans les plaisirs troubles et faciles d’émotions immédiates autant que partagées. Mais surtout, il dénie au public comme entité collective (mais non comme forme abstraite de la volonté générale) toute faculté de juger indépendante :

12

[Q]u’est-ce encore que le public ? Lorsque cet être collectif vient à se dissoudre, que les parties s’en dispersent, que reste-t-il pour fondement de l’opinion générale, sinon celle de chaque individu, dont les plus éclairés ont sur les autres une influence naturelle, qui les ramène tôt ou tard à leur avis ? D’où l’on voit que c’est au jugement du petit nombre et non à celui de la multitude, qu’il faut s’en rapporter [10].

13Une des principales caractéristiques du théâtre de la seconde moitié du siècle, qui perdurera pendant la période révolutionnaire, est qu’il se veut par et pour le peuple, alors même qu’il vise à éliminer le public populaire – considéré comme instance de jugement en dernier ressort – de la représentation, c’est-à-dire du dispositif d’attribution de la signification et de la valeur. Ainsi, si ce théâtre marque, en partie au moins, l’entrée en scène du peuple, il constitue aussi et conjointement une des toutes premières initiatives pour le domestiquer, neutralisant d’emblée son potentiel contestataire, sa volonté de puissance et d’agir en devenir. Cette contradiction s’observe de la part même des auteurs les plus progressistes et les plus soucieux de trouver dans un auditoire élargi des soutiens nouveaux envers leurs expérimentations formelles comme envers leurs idées neuves. Bien loin de réduire ce constat au simple jugement de classe d’auteurs supposément bourgeois, démarche relevant d’un sociologisme pour le moins sommaire [11], il convient de voir dans ce phénomène la genèse d’une des apories les plus profondes des débats esthético-idéologiques relatifs au théâtre des Lumières.

14On peut en effet établir le même type de constat à propos d’auteurs dont les engagements sont moins équivoques encore que ceux de Beaumarchais, et dont la position concernant le spectateur de théâtre n’est pourtant pas moins ambiguë, à y regarder de près. Tel est le cas de Chamfort, dont on connaît pourtant les engagements politiques radicaux, dans Produits de la civilisation perfectionnée :

15

Voyez ce qui se passe au parterre d’un spectacle, le jour où il y a foule ; comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste que le mot qui l’exprime a passé dans le langage du peuple. Il appelle faire fortune se pousser. […] Les honnêtes gens disent : s’avancer, avancer, arriver, termes adoucis, qui écartent l’idée accessoire de force, de violence, de grossièreté, mais qui laissent subsister l’idée principale [12].

16Force est de constater que cette « idée accessoire » est tenace dans les écrits consacrés à la question du parterre. Rétif va plus loin encore dans ce qu’il faut bien considérer comme un réquisitoire, qualifiant le public du parterre de « gros cheval poussif », ajoutant « [e]t vous voudriez que ce gros animal-là jugeât ! ». D’où l’urgence, selon lui, de son arraisonnement par une minorité éclairée :

17

Une infime minorité […] peut suffire à entraîner le public dans la bonne voie : […] deux ou trois têtes au plus, quelquefois une, qui donnent le branle à cette grosse bête qu’on appelle le public. Il faut même absolument que ces trois, deux, une aient lu auparavant la pièce, car il est impossible d’entendre à la première représentation [13].

18Filant la métaphore de l’animal sauvage nécessitant d’être dressé et surtout, cultivé et civilisé, Rétif anticipe ainsi sur le projet de domestication du public qui se mettra en place dès la Révolution française, plus encore sous l’Empire [14], et tout au long du 19e siècle, pour aboutir à la supposée « révolution théâtrale » d’André Antoine, qui parachève ce mouvement en faisant l’obscurité dans la salle de spectacle et en théorisant le statut d’un « spectateur-voyeur » supposé entrer comme par infraction dans la représentation, cependant que le metteur en scène, instance nouvelle dans le dispositif, s’arroge le monopole de l’attribution du sens légitime. Indiscipliné, imprévisible, contestataire et surtout, incivil, le public le plus populaire des théâtres au 18e siècle échappe donc, dans une très large mesure, aussi bien à la police des spectacles que, plus largement, au « processus de civilisation des mœurs » analysé par Norbert Elias comme la « configuration » historique dominante de la fin de l’Ancien Régime – une configuration marquée au double sceau de la « curialisation des guerriers » et de la liturgie du pouvoir née du protocole de la société de Cour [15]. Jeffrey Ravel a montré, à travers un dépouillement de grande ampleur des archives de police consacrées aux incidents dans les salles de spectacle, la valeur résistante et subversive des manifestations somatiques du « bas corporel » par le parterre contestataire [16], prompt à montrer son humeur par l’exhibition ostentatoire de ses humeurs et autres productions corporelles très fréquemment signalées par les observateurs de l’époque :

19

Cependant le Parterre témoignait son humeur ; en vain a-t-on voulu le calmer par un discours préparatoire, cela ne s’est terminé qu’en offrant de rendre l’argent aux mécontents. Un d’eux a poussé l’indécence jusqu’à faire ses ordures au milieu de l’assemblée, escorté et soutenu par quelques polissons comme lui. La duchesse de Bourbon est restée, mais n’a point voulu être juge entre le public et les comédiens, comme ceux-ci le désiraient, ou plutôt elle leur a déclaré qu’il fallait se rendre au désir du premier [17].

20L’obscénité (scatologie, attitudes viriloïdes ou indécentes), l’adoption de comportements ouvertement déviants au regard du contrôle social de l’époque (vols, pratiques homosexuelles ou libertines, travestissement de femmes en hommes, viols, troubles divers à l’ordre public) participent donc d’un grand débondage libidinal et passionnel qui tranche nettement avec les ambiances feutrées et les mœurs en apparence au moins policées des pratiques de sociabilité telles qu’on les préconise dans les manuels de savoir-vivre alors en usage dans le monde. Cette culture du corps, de l’expression spontanée des émotions et des affects, du partage, même conflictuel, de pratiques culturelles qui sont aussi considérées comme des pratiques de loisir et de divertissement, n’est pas très éloignée de ce que certains sociologues identifient aujourd’hui comme l’expression d’une culture populaire, entendue à la fois comme culture du peuple et comme rapport populaire à la culture, dont la question de l’autonomie reste à trancher [18].

21C’est peut-être chez Mercier que l’ambivalence est la plus flagrante : « Le public existe-t-il ? Qu’est-ce que le public ? » Telle est la question faussement rhétorique que Mercier feint de se poser à lui-même dans Le Tableau de Paris, et à laquelle il répond opportunément d’une façon faussement jésuitique, anticipant sur les grandes enquêtes socio-historiques actuelles consacrées à la composition des publics de théâtre : « C’est un composé indéfinissable », affirme-t-il avant de se lancer dans le portrait haut en couleurs d’un organisme collectif « bigarré », fait des signes distinctifs de l’ensemble des groupes sociaux qui le composent. Mercier, qui pratique volontiers l’autocommentaire, établit ensuite lui-même un parallèle fécond entre cette conception sociopolitique d’un public traversé par une certaine forme de mixité sociale et ses œuvres de fiction, citant à plusieurs reprises sa propre comédie-parade Le Charlatan ou Le Docteur Sacroton, imprimée en 1780 et représentée au théâtre de l’Ambigu-Comique le 18 mars 1787, « où l’on voit un tableau du public » :

22

Il consiste en différents mannequins de toutes sortes de grandeurs et de figures. Le Charlatan s’en sert pour enhardir son élève, qui tremble de débuter sur le Pont-Neuf. Il lui crie d’envisager ce public formidable tel qu’il est ; et le disciple, convaincu que le public n’est qu’une assemblée de mannequins, parle et harangue hardiment [19].

23Derrière le subterfuge pédagogique, le dramaturge signifie donc avec force, par la métaphore de « l’assemblée de mannequins », les manipulations toujours possibles du public, présent de corps mais non d’esprit, par les professionnels de l’illusion scénique. Masse hétéronome, majorité silencieuse, privée de toute capacité d’agir, le public se voit ainsi dicter sa loi par des chefs charismatiques qui ne sont même plus placés à l’intérieur du peuple (les leaders d’opinion, les barons de la claque et du sifflet), mais à l’extérieur du parterre. La pièce oscille subtilement, sous des dehors burlesques, entre traité d’art dramatique à l’usage des comédiens novices et traité dans l’art de manipuler les foules à l’usage des modernes Machiavel, ouvrant la voie à une réflexion en profondeur sur les ressorts de la croyance, indissociablement idéologique et théâtrale, et sur les mécanismes de l’efficacité symbolique propre à la performance spectaculaire. Mais Mercier va bien plus loin dans l’articulation du politique et de l’esthétique, lorsqu’il fait l’hypothèse, en apparence contradictoire avec ce qui vient d’être avancé, selon laquelle la conquête d’une liberté nouvelle au théâtre, espace de parole affranchi des principes d’autorité et des pouvoirs de tutelle, relève d’une conduite destinée à conjurer la frustration relative de la confiscation, par les institutions et les élites, de la représentation civique et politique :

24

Le parterre, au lieu de n’être que sévère, est devenu incivil à l’égard des auteurs. […] Je ne sais comment il y a des auteurs qui se respectent assez peu eux-mêmes pour obéir aux clameurs d’un parterre en délire. […] On sent que le parterre a besoin de s’amuser pour regagner au théâtre une voix sans contrainte qu’il a perdue ailleurs [20].

25Il y aurait donc, selon Mercier, une stratégie compensatoire de la part du parterre, consistant à chercher à regagner dans l’espace public des théâtres une influence sociale et politique qu’il aurait perdue ailleurs et dont la condition de possibilité serait l’éviction des auteurs. Si l’on peut émettre des réserves quant à cette prétendue influence politique perdue des spectateurs du parterre, qui laisserait à supposer qu’ils en aient jamais eu une dans l’histoire nationale, force est de constater que le diagnostic ne manque pas de pertinence. Mais on est en droit de retourner le problème en inversant la proposition, affirmant que le public du parterre vient au théâtre pour conquérir – et non reconquérir – une liberté politique qu’il est encore loin d’entrevoir dans la société d’Ancien Régime. Animé par un certain vouloir être ensemble spontané et affranchi des pressions diverses (c’est la définition même donnée par Tönnies de la Gesellschaft, société choisie, fondée sur une adhésion librement consentie par tous, par opposition à la Gemeinschaft, communauté subie, fondée sur l’assujettissement de chacun à la structure socialement imposée [21]), ce parterre apparaît donc à la fois comme un espace d’individuation, né de la compétition entre comportements de différenciation, et comme un espace de rassemblement, non immédiatement consensuel, autour de valeurs partagées et surtout, d’un protocole de ralliement sans lequel il serait sans cesse menacé par le chaos des opinions particulières et l’implosion du collectif. Ce qui s’expérimente ainsi au sein du parterre, c’est l’apprentissage, à travers « l’insociable sociabilité », pour reprendre la notion kantienne, non seulement d’une interdépendance entre soi et les autres [22], mais encore d’une « communauté imaginaire » entre individus, qui sont comme de parfaits inconnus les uns aux autres mais prennent conscience d’un fort sentiment d’appartenance commune.

26Ainsi se forge progressivement dans la conscience des auteurs et théoriciens du théâtre, même si souvent de façon négative ou réactionnelle, l’idée selon laquelle émanerait du parterre, espace d’affranchissement par rapport au contrôle social et politique, un goût spontané, en partie au moins autonome, résultant de la confrontation polémique et conflictuelle entre factions rivales, voire entre individus agrégés, susceptible d’émettre un jugement esthétique et politique sur les œuvres dramatiques qui lui sont proposées et d’en construire collectivement, en dernier ressort, la valeur artistique. C’est donc au parterre, considéré comme « communauté interprétative [23] » à part entière, que revient le pouvoir de « fabriquer » par ses suffrages la littérature dramatique, quitte à reconfigurer un certain « partage du sensible [24] », éclipsant durablement une « intention d’auteur » qui s’avère nettement insuffisante pour rendre compte des dynamiques complexes de légitimation ou de disqualification des œuvres. C’est ce parterre qui assure son propre passage du statut de minorité subalterne à celui, sous la poussée d’un devenir majoritaire, de communauté interprétative consciente d’elle-même, de ses prérogatives et de sa capacité d’agir au sein de la « politique de la littérature », autrement dit du régime général des représentations collectives [25].

27Un débat virulent sur l’une des transformations majeures de la scène française [26] est susceptible de rendre compte, par un exemple concret, des enjeux qui nous occupent ici : celui de la position du parterre, enjeu au moins aussi important que celui de la présence de spectateurs sur scène dans les années 1750-60, avec lequel il n’est d’ailleurs pas sans rapport. Cette polémique oppose partisans d’une réforme du parterre destinée à l’asseoir, à la façon des salles de théâtres anglaises de l’époque et de quelques salles françaises [27], à ceux de son maintien debout, dans les conditions d’inconfort et de promiscuité que l’on sait [28]. Du côté des tenants d’une réforme du parterre, destinée à juguler ses jugements, on trouve des personnalités telles que Voltaire, Grimm ou encore, Rétif de La Bretonne [29], relayés par les architectes et urbanistes réformateurs tels que Pierre Patté et surtout Jacques-François Blondel, qui fait expressément la recommandation d’asseoir le parterre, Claude-Nicolas Ledoux, son élève, qui en conçoit la réalisation matérielle pour le théâtre public de Besançon, ou encore Charles de Wailly ; du côté des tenants du maintien de la position debout, dont les rangs sont plus clairsemés, on trouve des auteurs comme Diderot, Marmontel ou bien plus tard Grimod de La Reynière déplorant, en plein Directoire, l’érosion du sens critique d’un parterre assis, « position des spectateurs […] funeste à l’art [30] ». Ce qui se joue à travers ce débat n’est autre que l’habilitation ou non d’un public d’origine plus populaire à émettre des jugements esthétiques, et partant, à adopter une posture politique, qui trouve une formulation particulièrement brutale dans les propos de Grimm, rendant les « progrès du luxe » responsables d’un déplacement de l’élite cultivée du parterre vers les loges et d’un élargissement sans précédent, depuis les années 1760, du public du parterre des théâtres officiels : « […] c’est le parterre seul qui décide du sort d’une pièce. Aujourd’hui cet aréopage est composé de journalistes, de garçons perruquiers, de marmitons : qu’attendre de pareils sujets ? et peut-on se méprendre à la cause des disparates de leurs jugement [31] ? ».

28Sans entrer trop avant dans le détail de ces polémiques, arrêtons-nous sur l’argumentaire comparé de La Harpe et de Marmontel, sans doute ceux qui sont à la fois revenus le plus régulièrement sur cette question dans des textes aux statuts divers et qui sont allés le plus loin dans la réflexion sur les enjeux philosophiques, esthétiques, sociologiques et politiques de ce projet de réforme des salles de théâtre. Alors que circulent depuis les années 1770, dans le milieu des architectes-urbanistes, des gravures et esquisses de projets d’aménagement du parterre, c’est à La Harpe que revient le mérite, en 1777, de rendre le débat public et de lancer la polémique auprès des hommes de théâtre, à l’occasion d’un compte rendu non pas déceptif, comme à son habitude, mais relativement élogieux de la création, à la Comédie-Française, de L’Égoïsme de Jean-François Cailhava d’Estendoux, le 19 juin 1777. Après une première représentation particulièrement houleuse, l’intervention de la claque, soudoyée par l’auteur, fait triompher la pièce lors de la seconde représentation. C’est l’occasion de stigmatiser les réactions impropres et incohérentes du parterre, mais aussi de fustiger les conditions de représentation du spectacle :

29

Il est temps, il faut l’avouer, que cette ridicule indécence de nos représentations tumultueuses, livrées à une cabale qui crie, tandis que les honnêtes gens se taisent, fasse place enfin à l’ordre convenable et nécessaire qui doit régner dans des spectacles, d’ailleurs aussi perfectionnés que les nôtres. Les personnes principales chargées de veiller à leur maintien et à leur progrès ont compris qu’il n’y avait qu’un moyen de prévenir la décadence entière du théâtre ; c’est d’asseoir le Parterre. Nous touchions au moment de cette révolution [32].

30Derrière la rhétorique conservatrice de ce point de vue réactionnaire sur la montée des incivilités, qui amalgame allègrement ordre moral et ordre social, abstraction faite du ton emphatique et prophétique de cette réforme annoncée, on voit poindre la perspective d’une réforme audacieuse, mais non sans précédent, y compris en France (l’auteur évoque par la suite l’expérience du Concert Spirituel), du dispositif de la représentation.

31La Harpe ne manque jamais une occasion d’accabler le public de théâtre de son mépris, multipliant, au détour de comptes rendus pour le Mercure, mais aussi pour la Correspondance littéraire, les propos acerbes et satiriques au sujet des corruptions du parterre, sans pour autant en donner une vision théorique cohérente :

32

Il faudrait actuellement appliquer aux auteurs qui ne sont pas en fonds pour soudoyer le parterre, ce mot d’un fermier-général à un pauvre diable d’écrivain qui combattait son avis : ça veut raisonner, et ça n’a pas dix écus dans sa poche. On pourrait dire de même : ça veut réussir, et ça n’a pas de quoi payer[33].

33Il se plaît également à mettre complaisamment en scène les insuffisances et manquements du public, notamment dans une comédie allégorique assez atypique au regard de son œuvre dramatique, mais très révélatrice sur ses conceptions dans la controverse autour du parterre, Molière à la nouvelle salle. La réouverture de la Comédie-Française, dans une disposition nouvelle permettant de placer des banquettes dans le parterre, fait le sujet principal de cette petite comédie, et notamment de la scène 8, où Monsieur Claque, « capitaine réformé » du parterre à la suite de sa transformation, se lamente :

34

Tout un public assis ! beau projet ! fort utile !
Eh ! comment gouverner cette masse immobile,
Lui donner désormais la vie et l’action,
En diriger les impulsions ?
Mais contre cet abus hautement je réclame :
Un parterre sans chefs, c’est comme un corps sans âme.

35La métaphore du corps social, récurrente dans la philosophie politique de l’époque, renvoie généralement à une conception holiste de l’articulation entre individu et communauté. Le personnage de fiction se lance ensuite dans l’évocation détaillée de son ancien « emploi » de leader d’opinion, à grand renfort de métaphores filées issues du langage des grandes manœuvres militaires. Le claqueur est donc stratège en son pays, et dicte au public ses arrêts comme on fait progresser une armée en territoire hostile :

36

J’avais mes lieutenants, mes premiers camarades,
Qui distribuaient les brigades ;
Chacun avait son poste et répondait d’un coin :
Moi, j’occupais le centre, et tous avaient le soin
D’avoir toujours vers moi le regard et l’oreille ;
Et dès que j’avais dit Bien, fort bien, à merveille,
Ils faisaient un chorus… et puis adroitement
Je savais ranimer un applaudissement [34]

37Et La Harpe d’opposer de façon un peu forcée un parterre debout, soumis aux injonctions de meneurs mercenaires et aux habitudes communautaires, à un parterre assis, soucieux avant tout de son libre arbitre et disposé à apprécier les spectacles selon son bon plaisir individuel (« Avec des spectateurs sur leurs sièges tranquilles,/Soyez sûr désormais, pour les voir applaudir,/Qu’il faut absolument qu’on leur fasse plaisir »).

38Ailleurs, La Harpe se fait aussi prophétique et exalté lorsqu’il évoque les mérites d’un parterre assis, qu’il avait été critique envers le parterre debout :

39

Il est certain que les cabales et les partis, qui se cachent aisément dans une foule qui se tient debout et en tumulte, seraient à découvert dans une assemblée d’hommes assis. Alors chaque personne est en vue à toutes les autres, et craint de déshonorer son caractère et son jugement. Alors le parterre ne serait plus un champ de bataille, où chaque parti se distribue par pelotons ; on ne dirait pas à ceux qui arrivent, Venez-vous pour applaudir ? mettez-vous là ; venez-vous pour siffler ? mettez-vous ici ; on ne dirait plus Nous ferons tomber celui-ci, nous ferons triompher celui-là[35].

40Sentiment d’impunité née de l’anonymat de la foule et comportements mimétiques concourent ainsi, selon La Harpe, à disqualifier le jugement du parterre debout, jugé inapte à apprécier souverainement les œuvres et les auteurs, et considéré comme devant être inféodé aux ukases de la République des Lettres.

41Marmontel, dont le double mérite est d’une part, de prendre clairement une position minoritaire dans la controverse, d’autre part, de synthétiser, pour mieux les réfuter, les arguments de la partie adverse – tout en les pensant en des termes proches de notre perspective actuelle –, part pourtant du même type de constat que La Harpe. Il ne cache pas ses réserves en ce qui concerne les comportements collectifs, sujets à la manipulation des factieux, notamment dans l’article « Cabale » des Éléments de littérature : « On peut juger des lumières d’un siècle par le plus ou moins d’ascendant que la cabale amie ou ennemie a pris sur l’opinion publique, par l’espace de temps qu’elle a soutenu de mauvais ouvrages ou qu’elle en a déprimé de bons ». Mais il se montre finalement aussi confiant dans le jugement populaire différé que méfiant envers ses jugements spontanés et, à travers une réfutation de la critique rousseauiste des spectacles [36], il propose une réhabilitation des vertus civiques des publics de théâtre :

42

Du reste, dans un siècle dont le goût est formé, ces cabales, si effrayantes pour de jeunes poètes, ne leur font de mal qu’un moment […]. La cabale en faveur des talents médiocres ne leur est guère plus utile […]. À la longue, rien ne peut empêcher l’opinion publique d’être juste et de marquer à chaque chose le degré d’admiration, d’estime, ou de mépris qui lui est dû [37].

43Mais c’est surtout dans l’article « Parterre » des Éléments de littérature (1787 [38]), reprise amendée de son article de l’Encyclopédie prenant en compte le « parti courageux » d’asseoir le public tenu par la nouvelle salle de la Comédie-Française dès 1782, que l’auteur prend ouvertement position contre ce projet de réforme et s’affiche sans équivoque en faveur du maintien du parterre debout. La notice prend ici l’allure d’un argumentaire raisonné, envisageant d’abord les mérites d’un parterre debout, puis les inconvénients qu’il y aurait à l’asseoir. D’une grande complexité rhétorique, cet article mériterait à lui seul une analyse approfondie. Je me contenterai ici d’en reprendre la logique d’ensemble et d’en signaler la forte pertinence pour notre réflexion :

44

On croit avoir remarqué qu’au parterre où l’on est debout, tout est saisi avec plus de chaleur ; que l’inquiétude, la surprise, l’émotion du ridicule et du pathétique, tout est plus vif et plus rapidement senti : on croit […] que le spectateur plus à son aise serait plus froid, plus réfléchi, moins susceptible d’illusion, plus indulgent peut-être, mais aussi moins disposé à ces mouvements d’ivresse et de transport qui s’excitent dans un parterre où l’on est debout.
(p. 849)

45L’apparente impersonnalité du propos ne doit pas nous abuser : il s’agit là, de la part de ce disciple de Voltaire, d’un acte de foi envers le public, considéré comme entité collective seule à même de transcender le particularisme des appréciations subjectives, l’atomisation des jugements individuels : « Ce que l’émotion commune d’une multitude assemblée et pressée ajoute à l’émotion particulière ne peut se calculer ». L’auteur développe ensuite, à travers le double réseau métaphorique de la lumière et de l’électricité, l’idée d’une contagion mimétique des comportements née de la situation d’inconfort (« la cause physique en est la situation plus pénible et moins indolente du spectateur, qu’une gêne continuelle et un frottement perpétuel doivent tenir en activité »), et considérée comme seule susceptible d’harmoniser les perceptions, avant de se lancer dans une analyse socio-économique de la composition des parterres debout, souvent meilleur marché : « chez nous, le parterre […] est composé communément des citoyens les moins riches, les moins maniérés, les moins raffinés dans leurs mœurs » (p. 847). Moins perméables aux fluctuations des modes, moins corrompus par les normes comportementales de la sociabilité, jugeant avec « bon sens », ce public plus populaire exprime ainsi, sur la durée (dès lors qu’il n’est plus ameuté, corrompu et avili par les cabales) « un goût moins délicat mais plus sûr » que celui des loges et des spectateurs privilégiés, mais aussi « plus mâle et plus ferme » (en raison de l’absence de mixité sexuelle) : tout bien considéré, « le meilleur de tous les juges, c’est le parterre ».

46Or la raison de cette reconnaissance sans équivoque du jugement populaire, même a posteriori, tient précisément à son caractère collectif et néanmoins unifié. Le public est certes, pour Marmontel, un agrégat d’individus isolés, mais aussi de petits groupes mobilisés aux compétences culturelles hétérogènes qui font littéralement corps et donnent le ton : « au petit nombre d’hommes instruits qui sont répandus dans le parterre se joint un nombre plus grand d’hommes habitués au spectacle et dont c’est l’unique plaisir ; dans ceux-ci, un long usage a formé le goût ; […] c’est une espèce d’instinct qu’a perfectionné l’habitude » (p. 848). Selon lui, c’est donc de la majorité active du parterre qu’émanent les seuls jugements dominants susceptibles de s’imposer ensuite à la minorité, par une sorte de mimétisme inversé allant du plus populaire au plus instruit :

47

Par la même raison, le goût dominant du public, le même jour et dans la même ville, n’est pas le même d’un spectateur à un autre ; et la différence n’est pas dans les loges car le même monde y circule ; elle est dans cette partie habituée du public qu’on appelle les piliers du parterre : c’est elle qui donne le ton […], son goût plus ou moins difficile, plus ou moins raffiné […], par contagion, se communique aux loges et fait comme l’esprit du lieu et du moment.
(p. 848)

48Sans nier la versatilité du public ni la variation dans le temps et dans l’espace de ses arrêts, Marmontel reconnaît donc dans le même temps au parterre une capacité de rétractation susceptible de corriger les erreurs de jugements trop spontanés ou immédiats (« la partie du public où il y a le moins de vanité [est] aussi celle qui se corrige et se rétracte le plus aisément », p. 849). Mais surtout, il lui reconnaît une capacité unique à absorber les jugements individuels contradictoires aussi bien que les réactions des différentes factions rivales en un tout cohérent, homogène et finalement unanime : « Le parterre est donc habituellement composé d’hommes sans culture et sans prétentions dont la sensibilité ingénue vient se livrer aux impressions qu’elle recevra du spectacle, et qui, de plus, suivant l’impression qu’on leur donne, semblent ne faire qu’un esprit et qu’une âme avec ceux qui, plus éclairés, les font penser et sentir avec eux » (p. 849).

49Le risque est donc grand, selon lui, d’asseoir le parterre, dans la mesure où le renchérissement du coût des places entraînerait nécessairement une homogénéisation des catégories du public (« alors le public des loges et celui du parterre ne feront qu’un ») qui conduirait, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, à un éclatement de l’opinion publique :

50

[S]i le parterre, tel qu’il est, ne captivait pas l’opinion publique et ne la réduisait pas à l’unité en la ramenant à la sienne, il y aurait le plus souvent autant de jugements divers qu’il y a de loges au spectacle et de longtemps le succès d’une pièce ne serait unanimement ni absolument décidé.
Il est vrai du moins que cette espèce de république qui compose nos spectacles changerait de nature et que la démocratie du parterre dégénérerait en aristocratie : moins de licence et de tumulte, mais aussi moins de liberté, d’ingénuité, de chaleur, de franchise et d’intégrité. C’est du parterre, et d’un parterre libre, que part l’applaudissement.
(p. 849)

51C’est donc seulement de la confrontation entre communautés de publics hétérogènes que peut naître, selon Marmontel, un consensus largement partagé sur les valeurs qui fasse taire les perceptions subjectives aussi bien que les revendications catégorielles de caste telles qu’elles s’expriment à travers différents ethos de classe concurrents. Plus encore, c’est elle qui garantit la souveraineté des suffrages du public, le plébiscite de la « démocratie du parterre », fondue dans une seule et même production d’affects synchronisée et un plaisir partagé (« jouir à la fois »), et qui prémunit contre l’atomisation et le déchirement des positions partisanes :

52

[…] l’applaudissement est l’âme de l’émulation, l’explosion du sentiment, la sanction publique des jugements intimes et comme le signal que se donnent toutes les âmes pour jouir à la fois, et pour redoubler l’intérêt de leurs jouissances par cette communication mutuelle et rapide de leur commune émotion. Dans un spectacle où l’on n’applaudit pas, les âmes seront isolées et le goût toujours indécis.
(p. 849)

53L’article s’achève sur une demi-concession au sujet des manipulations (« cette espèce de charlatanerie ») dont le parterre fait fréquemment l’objet, mais qui selon l’auteur affecteraient aussi bien un parterre assis que debout ; sur une mise en garde contre le « pari courageux d’avoir assis le parterre » tenu par la Comédie-Française ; et sur une pointe ironique destinée à jeter le doute sur l’ensemble de la démonstration :

54

[C]e que disait Voltaire, […] que pour être applaudi de la multitude il valait mieux frapper fort que de frapper juste, se trouve plus vrai que jamais, tant à l’égard des spectateurs assis qu’à l’égard de ceux qui sont debout : ce qui rend encore indécis le problème des deux parterres.
(850)

55Ce qui se joue à travers la polémique autour de la position du parterre est donc un enjeu de taille, d’un triple point de vue au moins. Sur le plan esthétique d’abord, il s’agit pour les théoriciens du théâtre d’entériner (ou non) le basculement progressif du théâtre des Belles Lettres vers les arts du spectacle, générateur d’un rapport nouveau à l’illusion consentie et aux possibilités des arts de la scène, pourtant de plus en plus inspirés par le modèle pictural et les arts visuels [39] : asseoir le parterre reviendrait alors à lui offrir des conditions de réception proches de celles de la lecture, ce que Musset appellera plus tard le « spectacle dans un fauteuil » (1832), autrement dit à dénier, dans une perspective étroitement aristotélicienne, toute forme de spécificité et surtout, de légitimité au spectaculaire et partant, à considérer le théâtre comme une œuvre de l’esprit dont les conditions d’appréciation relèvent de l’individuel et de l’intellect, non du plaisir partagé et des sens. À la singularité du regard est ainsi opposée la collectivité de la vision.

56Sur le plan socio-économique ensuite, la question du parterre assis et de son corollaire, le renchérissement du prix des places et son effet d’éviction des catégories les moins fortunées, interroge non seulement les conditions pré-« démocratiques » d’accès au spectacle, mais encore le rôle de spectateurs au capital symbolique et aux compétences culturelles incertains dans la désignation du sens de la représentation. Asseoir le parterre reviendrait ainsi à compenser les effets de l’élargissement relatif des publics et de la plus grande mixité sociale des spectateurs, dans la seconde moitié du siècle, en subsumant la diversité de jugements et d’approches qui pourraient en découler sous un code de conduite unique, né de l’harmonisation des positions et d’un dispositif architectural en apparence seulement égalitaire. Or on n’a aucune peine à reconnaître dans ces normes comportementales (hexis) et affectives (ethos) la transposition et la généralisation d’une forme, certes édulcorée, de la sociabilité mondaine et de ses logiques distinctives et, partant, ségrégatives et stigmatisantes. Dès lors, ce sont les loges, et non plus le parterre, qui donnent le ton et s’octroient un certain monopole sur les manifestations sensibles du jugement de goût.

57Sur le plan politique enfin, le confort nouveau offert au parterre, sous couvert d’un discours hygiéniste et réformateur, donné pour conforme à l’intérêt général et au sens de l’équité, est en définitive une entreprise idéologique de grande ampleur de désamorçage de toute forme de mobilisation collective de la fraction précisément la plus mobilisée et la plus réactive du public de théâtre. Offrir à chaque spectateur une place attitrée, proportionnelle à son consentement à payer, ce serait donc procéder, sciemment ou non, à une forme de privatisation de l’espace public de l’édifice théâtral et en faire l’exact transposition de la structure sociale globale. Ce serait aussi, pour le coup, proposer un mode de structuration bourgeois de l’espace public et renchérir sur le processus d’individuation et de civilisation des mœurs, faisant converger la séance théâtrale avec les grandes mutations à l’œuvre dans la société de l’époque, visant à évacuer le peuple de l’imaginaire collectif en son nom propre [40]. Ce serait encore rabattre un mode collectif d’énonciation et de manifestation somatique d’une certaine culture communautaire des affects sur un mode individuel, différencié et distinctif d’appréciation des œuvres. Ce serait enfin proposer au spectateur un devenir passif en lieu et place du passage à l’acte immédiat des modes de contestation ou de soutien spontanés habituels, autrement dit, à travers un processus de domestication des pulsions comme des passions du public (lointain avatar politique de la catharsis), entraîner une reconfiguration consensuelle du partage du sensible et par là compromettre toute forme d’encapacitation ou de devenir majoritaire pour les minorités subalternes.

58Ainsi, la liberté nouvelle, relative et paradoxale, offerte au public du parterre pendant la seconde partie du 18e siècle fait long feu et peut à bon droit apparaître aujourd’hui comme une sorte de parenthèse enchantée, porteuse d’un âge d’or de la mobilisation populaire par le spectacle qui n’est finalement jamais advenu – un théâtre que Brecht ou, sous une autre forme, Vilar appellent encore vainement de leurs vœux dans la seconde moitié du 20e siècle. La suite des événements de l’histoire du théâtre montre en effet à quel point Marmontel était fondé à penser qu’asseoir le parterre reviendrait à domestiquer cette fraction plus populaire du public des spectacles en le plongeant dans la passivité, voire, à partir du 19e siècle, en l’évacuant purement et simplement du dispositif de la représentation, autrement dit de la communauté interprétative, tendance que même les théâtres contemporains de la décentralisation et de la démocratisation culturelle issus de l’après Seconde guerre mondiale ne sont pas parvenu à enrayer. Loin de toute forme de participation active à la représentation, le spectateur assis est, dès la Révolution française [41], purement et simplement privé de toute capacité d’agir, de toute implication directe dans la séance théâtrale, ce moment ritualisé où la cité délibère avec elle-même, par le truchement de la médiation symbolique de la fiction théâtrale, sur les grandes questions qui s’offrent à elle, où chacun pourrait être susceptible de faire entendre sa voix et libre d’exercer sa fonction civique, autrement dit critique.

59C’est là une stratégie de ségrégation économique qui vise à éliminer un public de plus en plus populaire du dispositif dramatique et à le soustraire, dans une large mesure, au regard, tout en l’exhibant sur scène comme personnage de fiction à part entière (comme dans le mélodrame), par une stratégie de leurre dans la médiation symbolique. Il n’a plus, dès lors, voix au chapitre et sa présence est, autant que faire se peut, euphémisée. Relégué au « paradis », puis au « poulailler » (l’expression apparaît dans les années 1830), ce public populaire encore prêt à mourir debout pour ses idées devient dès lors le destinataire privilégié de la fonction pédagogique magistrale, et non interactive d’un théâtre devenu, dans l’intervalle, « école du peuple » et de la vertu – une école fondée sur la reconnaissance consensuelle d’un ordre dominant où chacun doit savoir rester à sa place. De façon plus générale, le théâtre se prend à s’adresser aux assis de tous horizons, parant l’ordre social retrouvé de toutes les vertus civiques et citoyennes. De cette évolution en profondeur dans l’histoire du théâtre, les pièces elles-mêmes apparaissent comme des témoins à charge inattendus qui se plaisent, en nombre croissant, à la figuration du public au cœur même de la fiction, réconciliant parfois les auteurs dramatiques avec un peuple qu’ils se sont plu, pour la majeure partie d’entre eux, à dénigrer [42] et à instrumentaliser dans leur intérêt.

60Encore ce mouvement de domestication n’est-il en rien inéluctable et s’actualise-t-il au gré des systèmes de contrainte qui lui sont imposés. Jacques Rancière propose de parler de « scène politique » pour définir la rencontre entre un mouvement émancipateur et ce qu’il appelle « la police » (terme qui recouvre toutes les forces en charge d’administrer l’ordre existant). De même, Alain Badiou affirme :

61

[il y a] politique (au sens d’une occurrence de l’égalité) parce que le tout de la communauté ne compte pas comme une de ses parties un collectif déterminé. Le tout compte ce collectif pour rien. Que ce rien s’énonce, et il ne le peut qu’en déclarant qu’il vaut le tout, et il y a politique. En ce sens, le « nous ne sommes rien, soyons tout » de l’Internationale récapitule toute politique (d’émancipation ou d’égalité) [43].

62On peut ainsi faire l’hypothèse selon laquelle le peuple, faisant l’expérience, par la mutation du dispositif théâtral qui vient d’être présentée, de sa propre impuissance, opère à la charnière du 18e et du 19e siècle une extension inattendue du domaine de la lutte politique, investissant la rue au moment même où il se voit privé de l’espace délibératif de la séance théâtrale et de ses formes de médiatisation des conflits. Relégué au second plan comme acteur de la représentation théâtrale, le peuple conquiert ainsi son rôle de tout premier plan comme acteur de l’Histoire en train de se faire et performe ou effectue dans la rue la liberté dont il avait provisoirement fait l’expérience par le théâtre.

63Voyez Esprit de corps, Isolement, Polype, Sensibilité, Université.

Notes

  • [1]
    On reconnaît là la célèbre thèse de Michael Fried dans La place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne, Paris, Gallimard, nrf essais, 1990 [traduction de l’anglais par Claire Brunet].
  • [2]
    De nombreux et importants travaux ont été consacrés à la question fondamentale de la construction de l’opinion publique au 18e siècle, qu’on a voulu débusquer tour à tour dans les familles bourgeoises (Jürgen Habermas), dans les rues populaires (Arlette Farge), dans la république des lettres (Robert Darnton, Daniel Roche), dans les salons mondains (Alexis de Toqueville, Marc Fumarolli), dans les Salons biennaux de l’Académie royale de Peinture (Thomas Crowe) ou encore dans la naissance d’une culture de l’imprimé et de la presse périodique (Roger Chartier, Jean Sgard, François Moureau). Jamais, à ma connaissance, on n’a encore cherché à évaluer la contribution du théâtre à cette émergence d’une notion clef de la philosophie politique des Lumières.
  • [3]
    Sur le tour de force philosophique opéré au siècle des Lumières pour rendre compatible opinion populaire et opinion publique, et sur les mises en scène symboliques, au sein de la littérature, de cette notion, je renvoie à Nicolas Veysman, Mise en scène de l’opinion publique dans la littérature des Lumières, Paris, Champion, 2004, pour me concentrer ici sur une démarche inverse, consistant à voir naître, au cœur même des pratiques sociales de la vie théâtrale, une « mise en scène dans la vie quotidienne », pour reprendre les termes du sociologueErving Goffman, historiquement datée, de l’opinion publique. On lira aussi l’article de Nicolas Veysman dans DHS n° 37, 2005.
  • [4]
    Guilbert de Pixerécourt, « Observations sur les théâtres et la Révolution », publié par Edmond Estève, RHLF n° 23, 1916, p. 551.
  • [5]
    Jean-François Marmontel, Éléments de littérature [1787], Paris, Desjonquères, notice « Parterre », 2005, p. 846.
  • [6]
    Laporte et Chamfort, Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, volume II, 1776, p. 382.
  • [7]
    Je renvoie, sur ces questions, à Jacques Boncompain, La Révolution des auteurs. Naissance de la propriété intellectuelle (1773-1815), Paris, Fayard, 2002.
  • [8]
    Antoine Lilti, dans Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au 18e siècle, Paris, Fayard, 2005, a bien montré la difficile conciliation entre distinction aristocratique et expérimentation littéraire et, partant, la résistance des élites aux idées comme aux formes nouvelles. Cette vaine théâtralité salonnière, tout comme l’inanité de ses jugements, font d’ailleurs l’objet de nombreuses pièces satiriques de la période comme Le Cercle ou Les Originaux (1755) de Charles Palissotde Montenoy ou encore Le Cercle ou La Soirée à la mode (1764) d’Antoine-Alexandre Henri Poinsinet.
  • [9]
    Un tel courant, qu’on ne peut réduire à ses seules finalités stratégiques et qui est partie prenante d’une réelle fascination pour les catégories populaires, n’est pas propre au théâtre, comme le montre Pierre Frantz dans « L’usage du peuple », publié dans Jean-Claude Bonnet (dir.), Louis-Sébastien Mercier, un hérétique en littérature, Paris, Mercure de France, 1995, p. 55-79.
  • [10]
    Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Essai sur le genre dramatique sérieux [1767] dans Théâtre, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1934, resp. p. 121 ; 121-122 et 123.
  • [11]
    « Le peuple ne représente pas, aux yeux des bourgeois, une force politique : le théâtre de Beaumarchais montre assez qu’on le tient pour rien » affirme Jacques Scherer dans La dramaturgie de Beaumarchais, Paris, Nizet, 1967, « L’adaptation au public », p. 106.
  • [12]
    Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort, Maximes, pensées, caractères et anecdotes [1795], édition Jean Dagen, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, Maxime 49, p. 62.
  • [13]
    Nicolas-Edme Rétif de La Bretonne, La paysanne pervertie, ou Les Dangers de la ville, Paris, Veuve Duchesne, 1784, Partie VI, lettre CXXIII.
  • [14]
    Pierre Frantz a très bien mis en évidence, dans « Naissance d’un public », Europe n° 703-704, nov.-déc. 1987, mais aussi dans Esthétique du tableau, op. cit. p. 65, l’art de « mater fermement » le peuple dans le théâtre de l’Empire, par imposition d’un ordre univoque de la représentation et par le « contrôle du sens ».
  • [15]
    On reconnaît ici les thèses célèbres de Norbert Elias dans La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973 et dans La Société de Cour, Paris, Flammarion, 1968 [trad. fr.].
  • [16]
    Jeffrey S. Ravel, The Contested Parterre : Public Theater and French political Culture, 1680-1791, Ithaca, Cornell University Press, 1999.
  • [17]
    [Louis Petit de Bachaumont] et al., Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, Londres, John Adamson, volume X, 18 janvier 1777, p. 11-12.
  • [18]
    On se reportera sur ce point à la controverse de Pierre Bourdieu avec Jean-Claude Passeron et Claude Grignon, notamment dans Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard-Seuil-EHESS, 1989, parmi bien d’autres exemples de réexamens critiques de la théorie de la distinction.
  • [19]
    Ibid. p. 1474-1475.
  • [20]
    Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, chapitre DCCCXC : « L’auteur ! l’auteur ! », op. cit. p. 1134.
  • [21]
    Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure [1922], Paris, PUF, 1977.
  • [22]
    C’est la définition dialectique donnée par Georg Simmel et sa « sociologie des formes symboliques », de l’individualisme au 18e siècle dans Philosophie de la modernité [1901], Paris, Payot, 1989-1990, volume I [Recueil d’articles traduits de l’allemand par Jean-Louis Vieillard-Baron], « L’individualisme moderne », p. 298 : « Si l’être humain est réellement lui-même, il possède une force rassemblée qui ne se contente pas de suffire à le maintenir lui-même, mais qu’il peut faire déborder pour ainsi dire sur les autres, par laquelle il peut accueillir les autres en lui-même et les identifier à lui-même : nous avons d’autant plus de valeur morale, nous sommes d’autant plus compatissants et bienveillants, que chacun est plus lui-même, c’est-à-dire qu’il laisse plus dominer en lui ce germe le plus intime en lequel tous les hommes sont identiques par-delà la confusion de leurs liens sociaux et de leurs habillements de hasard ».
  • [23]
    Je renvoie sur ce point à la théorie du « lecteur-faiseur » proposée par Stanley Fish et l’école du pragmatisme américain il y a vingt-cinq ans dans Is There a Text in the Class ? (1980) et enfin traduit en français dans Quand lire, c’est faire. L’autorité des communautés interprétatives, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007 [traduit par Étienne Dobenesque].
  • [24]
    Selon l’expression désormais usuelle de Jacques Rancière dans Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000, renvoyant à la théorie de l’« émancipation intellectuelle » dont il pose les bases dès Le Maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.
  • [25]
    Sur cette question essentielle, je me permets de renvoyer à mon introduction générale à Martial Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution : politique du répertoire. 1789-1799, Paris, Desjonquères, 2008, qui doit beaucoup à Jacques Rancière, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007.
  • [26]
    On lira, sur les présupposés historiques, architecturaux et scénographiques de cette question, Michèle Sajous d’Oria, Bleu et or. Scène et salle en France au temps des Lumières, Paris, CNRS Éditions, 2007, notamment chapitre II : « La salle », p. 53-78.
  • [27]
    En particulier au Concert spirituel ou dans les théâtres de Cour, mais aussi, fait moins connu, sur les théâtres de foire et des boulevards. Il est remarquable que les salles à parterre assis correspondent aux théâtres dont le public est relativement homogène socialement, qu’il relève d’une élite ou de catégories plus populaires.
  • [28]
    Sur cette bataille rangée, je renvoie à Jeffrey Ravel, non seulement dans The Contested Parterre, déjà mentionné, mais aussi dans « Seating the Public : Spheres and Loathing in the Paris Theaters, 1777-1788 », French Historical Studies, volume XVIII, Spring 1993, p. 173-210.
  • [29]
    L’abbé d’Aubignac, dès 1657, appelle de ses vœux un parterre assis dans ses prescriptions Pour le rétablissement du Théâtre-Français, publié dans La Pratique du théâtre, édition Pierre Martino, Paris, Champion, 1927, p. 397.
  • [30]
    Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière, Le Censeur dramatique, Paris, Bureau des Censeurs dramatiques, 1797-98, volume II, p. 223-224.
  • [31]
    Grimm, Correspondance littéraire, philosophique et critique, édition Maurice Tourneux, Paris, Garnier, 1877-1882, volume III, janvier 1774, p. 14.
  • [32]
    Jean-François La Harpe, Journal de politique et de littérature, juillet 1777, p. 307-308.
  • [33]
    Œuvres de La Harpe, Paris, Verdière, 1820, volume 10, « Correspondance littéraire », volume I, lettre LXX, p. 455.
  • [34]
    Jean-François La Harpe, Œuvres de La Harpe, op. cit. volume I, « Théâtre », Molière à la nouvelle salle, scène 8, resp. p. 279 et 281.
  • [35]
    Note sur L’Éloge de Racine, par M. de La Harpe, cité par Pierre Patte, Essai sur l’architecture, Paris, Moutard, 1782, p. 174-175.
  • [36]
    Tel est l’objet de L’Art du théâtre, Paris, 1761, à peine trois ans après la Lettre à d’Alembert sur les spectacles.
  • [37]
    Jean-François Marmontel, Éléments de littérature, op. cit. notice « Cabale », p. 229.
  • [38]
    Jean-François Marmontel, Éléments de littérature, op. cit., notice « Parterre », p. 846-850. Les citations qui suivent renvoient à cette édition.
  • [39]
    On connaît la thèse de Pierre Frantz sur les rapports entre théâtre et peinture dans L’Esthétique du tableau dans le théâtre du 18e siècle, Paris, PUF, 1998, et plus récemment, d’Emmanuelle Henin dans Ut Pictura theatrum. Théâtre et peinture de la Renaissance italienne au classicisme français, Genève, Droz, 2003.
  • [40]
    On lira, sur cette question du peuple comme « deus ex machina de la politique moderne, à la fois agent historique et principe spirituel de la démocratie » (p. 1359), Jacques Julliard, « Le peuple », publié dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, volume II, 1997, p. 1359-1394.
  • [41]
    Le dernier parterre debout s’assoit en novembre 1797 à l’Opéra-Comique, anciennement Théâtre des Italiens, parachevant le mouvement initié par la Comédie-Française dès 1782.
  • [42]
    Sur ce point, je renvoie à mon article « De la police des spectacles à la civilisation des mœurs théâtrales : domestication du public et production des affects chez Mercier », publié dans John Golder et John Dunkley (dir.), « French Theater in the Eighteenth Century », Journal of Eighteenth-Century Studies, Spring 2009.
  • [43]
    Alain Badiou, Abrégé de métapolitique, Paris, Seuil, 1998, p. 130. Voir aussi Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Paris, Galilée, 2004.
Martial Poirson
Université Stendhal-Grenoble 3
UMR LIRE - CNRS 5611
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2009
https://doi.org/10.3917/dhs.041.0222
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