CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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David, Détail de l’Ébauche peinte du Serment du jeu de paume, 1792, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

1« Il n’y a, dit-on, que des individus dans la nature, mais quels sont ces individus ? Cette pierre est-elle un individu ou une agrégation d’individus ? » C’est ce que demande Rousseau dans une note fameuse de l’Émile[1]. La thèse de Diderot dans le Rêve de d’Alembert est connue, on la retrouvera d’ailleurs dans le cours de cet article ; en voici une version critique anticipée chez Bayle : « on tient [...] que l’univers n’est qu’une seule substance et que ce tout qu’on appelle générations et corruptions, mort et vie, n’est qu’une certaine combinaison ou dissolution de modes [2] ». Le contexte est l’analogie, selon lui évidente, entre « le système de Spinoza » et une forme du « dogme » de la métempsycose. En effet, comme je le montrerai, l’assimilation de la transmigration des âmes au concept spinoziste de modification est un lieu commun du temps, et discuter de la métempsycose et des systèmes de croyance qui lui sont liés, c’est toujours, chez Bayle comme chez beaucoup, discuter de l’hypothèse moniste inscrite dans le Deus sive natura. C’est une des raisons, parmi d’autres, qui m’ont poussé à développer une enquête sur les enjeux philosophiques des récits à métempsycose dans la littérature de l’Âge classique.

2C’est qu’en effet, depuis la fin du 17e siècle jusqu’à la fin du 18e, ce thème est dans l’air du temps [3]. Il est traité doctrinalement dans la littérature de voyage et dans les lettres de missions ; il est dans les dictionnaires (celui de Voltaire compris) et dans l’Encyclopédie ; en philosophie, il intéresse crucialement les platoniciens de Cambridge [4], Locke, Leibniz [5], etc. ; bref, il suscite une intense curiosité [6]. Sur le plan littéraire, de la fin du 17e siècle jusqu’au milieu du 18e, ce sont une bonne quinzaine de récits qui abordent le thème, dans le conte principalement (mais aussi au théâtre [7]), depuis le Quiribini du chevalier de Mailly jusqu’à l’étrange Atalzaïde en 1746 ; mais surtout, la mémoire d’un narrateur métempsycosé prend statut de matrice narrative dans trois récits développés : Les Aventures merveilleuses du Mandarin Fum-Hoam de Gueullette (1723), L’Histoire véritable de Montesquieu (non publiée [8]), et Le Sopha (1742) de Crébillon.

3L’idée du présent travail sera d’analyser ce modèle narratif insistant dans la fiction du 18e siècle [9], en tant qu’il peut faire symptôme d’un nœud de problèmes d’ordre proprement philosophique, que le mode fictionnel de la pensée permet de travailler sur le plan littéraire. Parmi ces difficultés, on retrouvera l’aporie que formule Rousseau à l’adresse du matérialisme contemporain, concernant les rapports de l’individu avec le Tout selon les lieux communs reçus du spinozisme ; on retrouvera également le problème classique des rapports de l’âme et du corps ; mais aussi une interrogation plus moderne à l’égard de la définition lockienne de l’identité comme responsabilité devant la communauté, exclusivement fondée sur la conscience-mémoire de soi dans le temps.

4Commençons par le plus classique. Dans un article sur les conceptions de l’âme « matérielle » développées par les traités libertins clandestins, Aram Vartanian dégageait deux tendances fondamentales : celle qui fait de l’âme une fonction ou un effet de la machine-corps dans la mouvance post-cartésienne qui conduit à La Mettrie et aux matérialistes des Lumières, et celle qui la présente comme un flux universel, une émanation de l’« âme du monde » informant chaque organisme singulier [10]. Selon le traité de L’Âme matérielle, « l’âme d’un chien dans les organes d’Aristote et de Cicéron n’eût pas manqué d’acquérir toutes les lumières de ces deux grands hommes [11] ». C’est en effet que, dans cette conception issue de l’épicurisme, le flux de ce qu’on appelle aussi « l’âme ignée » est un invariant universel, alors que l’équation des corps qu’elle anime est singulière et spécifique ; si bien que la qualité et la puissance des facultés de l’âme sont déterminées par les caractéristiques de l’organisme qu’elle habite [12]. En revanche, la conception mécaniste post-cartésienne, une fois débarrassée de son volet métaphysique, aboutit à nier la thèse d’une âme universelle au profit d’un fonctionnalisme qui la dérive uniquement de l’organisation spécifique de la machine cérébrale qui la produit, jusqu’à leur commune dissolution. C’est cette conception qui l’emporte au 18e siècle ; cependant, on peut observer dans certains traités à prétention scientifique, et dans certaines fictions intégrant des scénarios « métempsycosistes », une mise en tension des deux problématiques – ou de celles-ci avec l’approche spiritualiste.

5Charles Bonnet, par exemple, s’applique à faire tenir ensemble la thèse de l’universalité des âmes humaines avec celle de leurs détermination variables par les organismes qu’elles animent (cela sous postulat spiritualiste) : « Quand toutes les âmes seraient exactement identiques, il suffirait que Dieu eût varié les cerveaux pour varier toutes les âmes. Si l’âme d’un huron eût pu hériter du cerveau de Montesquieu, Montesquieu créerait encore [13] ». On va dès lors rencontrer chez lui une sorte de « narrème » métempsycosiste élémentaire faisant office de fiction de pensée ; on lira ainsi dans son Analyse abrégée de l’Essai analytique que « si telle est la loi de l’union de l’âme et du corps qu’à certaines fibres et à un certain état des fibres répondent constamment dans l’âme certains sentiments, certaines perceptions, il faudrait convenir que l’âme d’un huron, logée dans le cerveau d’un Montesquieu, y éprouverait les mêmes sentiments, les mêmes perceptions que l’âme d’un Montesquieu […] [et] les mêmes suites, les mêmes combinaisons de sentiments et de perceptions. [Car] la liaison de nos idées dépend originairement de celle des fibres sensibles » (p. 38-39).

6En revanche, la transmigration « expérimentale » d’une âme humaine dans un organisme animal comme celui d’un mollusque la rendrait incapable de ses performances moyennes ordinaires : « L’âme humaine placée dans le cerveau de l’huître, y acquerrait-elle jamais des notions de morale et de métaphysique ? Sa nature demeurerait pourtant la même, mais elle ne pourrait y déployer son activité comme elle la déploie dans son propre cerveau. Elle serait donc extrêmement dégradée par la seule diversité de l’organisation » (p. 37). Que Bonnet ait en tête ici une rêverie métempsycosiste se confirme par la suite du raisonnement qui introduit l’hypothèse du ressouvenir des expériences passées : « et s’il était possible qu’une âme ainsi dégradée conservât le souvenir de ce qu’elle aurait été dans le corps humain, ce serait pour elle le plus affreux malheur que d’être condamnée à habiter le corps d’une huître » (Ibid.). Dans cette dramatisation assez littéraire de sa science [14] (Maupertuis est plus technique [15]), Bonnet retrouve ici un lieu commun du savoir ordinaire sur le pythagorisme ou les religions en Inde : la déchéance de l’âme transmigrée dans un corps animal.

7Ce qui est mis là en tension entre l’âme et ses déterminations cérébrales, c’est une tentative de conciliation d’un spiritualisme invétéré avec une version modernisée (l’imaginaire de la fibre) des mécanismes du vivant. Mais c’est aussi un peu plus qu’implicitement, via le « narrème » métempsycosiste, l’expérience de soi comme tout autre qui se trouve ici réfléchie (comme abjection radicale d’ailleurs). Pour que la problématique s’élargisse à l’expérience d’un soi-multitude, c’est l’Histoire véritable du véritable Montesquieu qu’il faut lire. Cette fiction met en scène le récit autobiographique d’un métempsycosé ayant conservé la mémoire de ses avatars tant humains (masculins et féminins) qu’animaux. Mais, à la différence de ses prédécesseurs dans ce genre (sur lesquels je reviendrai), Montesquieu utilise ce dispositif pour travailler en laboratoire littéraire les problèmes de l’identité personnelle. Cette immense mémoire « pythagoricienne » dont jouit le narrateur est en effet prise entre deux intuitions fondamentales du « soi » qu’elle constitue. D’un côté, au début du récit, le narrateur se présente comme un concentré d’humanité sans individualité spécifique : « ayant continuellement changé, je ne me regarde pas comme un individu, j’ai été très souvent fripon, assez rarement honnête homme, c’est la faute de l’humanité plus que la mienne [16] » (L. II, p. 141). Mais d’un autre côté, au lieu de persister à s’identifier dans la suite du récit comme abrégé de la multitude ou homme sans qualité (ce qui est un peu la position du «Spectator » addisonien), il remarque en quelques endroits que ses incarnations l’ont modelé ; ainsi d’une succession d’avatars féminins qui l’ont proprement caractérisé : « mon âme avait été tellement affectée dans toutes ces vies qu’elle n’était plus propre qu’à mouvoir les organes d’une femme, aussi dans mes transmigrations suivantes me trouvai-je une faiblesse inconcevable dans le caractère » (L. III, p. 165). Pourtant, affleure aussi – peut-être progressivement ? – une intuition diffuse de soi comme équation individuelle irréductible à chacun des avatars endossés : « il est très difficile que dans nos transmigrations, nous nous dégagions tout à fait de nos premières manières d’être, je pourrais me comparer dans toutes mes vies à ces insectes qui semblent naître et mourir plusieurs fois, quoiqu’ils ne fassent que se dépouiller successivement de leurs enveloppes » (p. 167). On pense ici à ce que dit Montaigne d’une « forme sienne » insistante, dans l’épreuve même de la fluidité et du dérobement [17].

8Mais d’un autre côté, ce qui imprègne le style du narrateur, ce qui le distingue en somme, provient aussi bien de telle ou telle de ses personnalités passées : « je suis fou, dit-il à son interlocuteur, de prendre un style figuré dans une narration qui doit être simple. C’est que je sens, dans ce moment, des impressions de la situation de mon esprit dans cette transmigration-là, où je n’employais guère le style simple » (p. 147 [18]). On pense cette fois à ce qu’écrira Rousseau du style bigarré qu’il adoptera dans les Confessions comme expression des couleurs variées de son âme dans le revécu de la réminiscence affective [19]. Au début du livre IV, le héros invité à décider lui-même de son prochain avatar, hésite entre plusieurs célébrités de l’Antiquité : « je ne me trouvais point heureux et cependant je ne pouvais consentir à changer ma personne contre celle de qui que ce fût » ; la cause de cette hésitation, c’est la contradiction intérieure entre l’amour de soi et le désir d’être autre [20]. Ainsi l’Histoire véritable aura mis en tension la dialectique de l’âme et de ses corps-avatars, et plus largement surtout, celle du soi-même et du soi-même comme Autre(s) [21]. Cette problématique est certainement ce qui requiert au premier chef Montesquieu, en résonance avec ce que tentent les romanciers modernes pour renouveler l’approche narrative de l’analyse morale par la production d’un spectateur impliqué.

9C’est Gueullette qui a eu l’idée, comme conteur orientalisant, de renouveler le genre en substituant une matrice métempsycosiste aux cadres narratifs imités des Mille et Une Nuits dont il venait encore de donner une variante (au masculin) dans ses Contes Tartares ; la conséquence en est que les aventures racontées le sont désormais en première personne, comme dans le roman-Mémoires déjà en vogue à l’époque [22] – et singulièrement sa variante picaresque : Montesquieu a vu la ressource qu’il pouvait tirer de cette forme nouvelle pour encadrer l’enquête anthropologique et morale projetée dans son Histoire véritable[23]. À l’époque où Gueullette entreprend les Contes Chinois, les récits à métempsycose en circulation ne développent qu’un scénario : celui de la transmigration volontaire – dont il s’est d’ailleurs lui-même servi dans ses Soirées Bretonnes. Quant à celui de la transmigration imposée (ou naturelle) avec ressouvenir de plusieurs vies antérieure, il procède de la légende pythagoricienne reprise dans un bref dialogue satirique de Lucien intitulé Le Songe ou le Coq, où Pythagore (incarné en coq) présente (sans grands détails) à Micylle la série de ses avatars humains et animaux [24]. Comme le héros de Lucien, mais dans un format quasi romanesque (quarante-six soirées, dix-neuf récits présentant les vies des principales transmigrations du mandarin), le narrateur-multitude de Gueullette entreprend de raconter l’histoire de ses avatars : dix incarnations masculines, six féminines, trois animales. Conditions, âges, types, situations sont d’une grande variété, ce qui procure un abrégé satirique du monde tel qu’il est, sous couleur orientale, dans des registres souvent proches de l’histoire comique, de la nouvelle tragique ou du roman picaresque. En revanche, Gueullette semble peu soucieux de travailler centralement les problèmes identitaires découlant du passage d’un corps à un autre ; la mémoire absolue du mandarin narrateur n’est pas accordée à ses précédents avatars, et lui-même ne réfléchit pas devant son auditrice sur la dimension proprement intérieure de son histoire. Ainsi, l’expérience déroutante du corps de l’autre sexe, qui chez Montesquieu engage toute une problématique dont Aurélia Gaillard a montré l’importance [25], n’est pas ici thématisée comme telle ; non plus que l’enquête sur la persistance éventuelle d’un soi du métempsycosé dans le devenir multiple de ses incarnations ; la thèse du mandarin est en effet que l’âme se comporte « comme un caméléon » à l’égard des caractéristiques psycho- physiologiques de ses avatars [26]. On aurait tort cependant de réduire ce recueil à une collection de récits sans grands enjeux de pensée ; comme chez Lesage, c’est moins dans le narré lui-même que dans l’agencement de la narration que Gueullette crypte la dimension critique de ses fictions ; on en verra bientôt une illustration.

10J’en viens maintenant à l’insistante association de ce que le 18e siècle comprend sous la catégorie de spinozisme avec le « dogme » (comme on dit) de la métempsycose. Ce sont bien des lieux communs d’époque, déjà résumés par Bayle à l’article « Abumuslimus », à propos d’une forme non pythagoricienne de la métempsycose : « Quelque différence qu’il y ait entre ce dogme et le système de Spinoza, le fond est toujours le même : on tient de côté et d’autre que l’univers n’est qu’une seule substance et que tout ce qu’on appelle générations et corruptions, mort et vie, n’est qu’une certaine combinaison ou dissolution de modes [27]. » Même esprit dans une note de l’article « Spinoza », dont le système est comparé (comme moins absurde) à celui des variantes chinoises des sectateurs de Foe ou de Xiaca (pour nous Bouddha [28]) ; Diderot paraphrase d’ailleurs Bayle dans l’article « Indiens » de l’Encyclopédie, à propos de « la doctrine de Xecia » dans son volet ésotérique : « c’est une espèce de Spinosisme assez mal entendu ». Comme témoin « moyen » de la persistance de cette approche au cours du 18e siècle, on peut citer la lettre VI des Mémoires secrets de la république des lettres (1744), où Boyer d’Argens en vient à écrire ceci : « la seule différence qui se rencontre entre le sentiment des platoniciens & des spinozistes, c’est que les premiers, avant que de réunir entièrement les âmes particulières à celle du monde, leur faisaient faire quelque voyage dans le corps de plusieurs animaux ; & que les spinozistes donnent moins de peines à leurs modifications, & n’exigent point qu’elles en reforment de nouvelles [29] ». De Dom Deschamps au Dictionnaire des athées de Sylvain Maréchal, on pourrait ainsi multiplier les citations attestant cette assimilation tout au long du siècle [30]. Tout se passe comme s’il était possible, depuis Bayle, de comprendre comme analogiques les doctrines pythagoricienne ou orientale de la métempsycose et la doctrine spinoziste (toujours entendue comme matérialisme radical), pour traiter du rapport entre l’Un et le Tout, l’âme des êtres et l’âme du monde, etc. Ou encore comme si, finalement, on pouvait raisonner (si j’ose dire) aussi bien en termes spinozistes, qu’en termes métempsycosistes pour étayer le fameux aphorisme moniste du Rêve de d’Alembert : « il n’y a qu’un seul grand individu ; c’est le tout [31] ».

11Cet intertexte philosophiquement confusionniste est sans doute à l’œuvre dans un conte comme Le Sopha, dont l’avant-dernier chapitre met en scène une âme métempsycosée en sopha, s’excitant, en mode platonicien, sur la supériorité de pures extases spirituelles partagées avec une belle endormie en proie à un rêve érotique, alors que cette illusion même est le résultat d’un agencement de circonstances aisément analysable sous l’angle du nécessitarisme libertin. Dans les Contes Chinois de Gueullette, c’est un autre aspect de la confusion régnant sur ces questions qui se forme en fiction paradoxale, puisque c’est dans le cadre d’une apologie de l’Islam comme religion révélée que les arguments matérialistes classiques contre le pythagorisme seront développés. La princesse à laquelle Fum-Hoam raconte ses vies est en effet musulmane, mais n’est devenue l’épouse du roi de Chine qu’à condition de n’être pas contrainte à abjurer : l’enjeu du récit mandarinal est donc sa conversion au dogme de la métempsycose, donné pour synonyme de la religion chinoise. Or c’est l’inverse qui se produira : le mandarin est en réalité le musulman Alroamat (frère de la princesse), ses récits métempsycosistes sont des fables et son but est de convertir la Chine.

12C’est dans ce cadre qu’il adresse au roi une vigoureuse critique de la métempsycose, dont le paradoxe chez ce missionnaire du Vrai Dieu, est qu’elle soit intégralement paraphrasée de l’argumentaire épicurien standard, tel qu’on le trouve exposé au Livre III du De rerum natura. Ainsi de l’argument suivant : « Si l’âme était immortelle, & que la transmigration dans les corps fût ordinaire, tous les êtres qui jouissent de la vie n’auraient aucune inclination, ni habitude particulière à leur espèce, puisque leur âme en serait indépendante [32] » ; argument dont voici la transposition dans la prédication d’Alroamat chez Gueullette : « Si cela était, & que l’âme passât ainsi de corps en corps, elle serait bien malheureuse d’être assujettie aux inclinations dominantes de celui où elle réside : car enfin les bêtes féroces conservent toujours la triste et cruelle semence de leur espèce : la ruse & la malice sont héréditaires aux renards et aux singes ; la fuite & la timidité est le partage des daims et des cerfs, et c’est bien avilir l’âme que de dire qu’elle ne puisse pas changer les habitudes du corps où elle se trouve » (t. II, p. 325-326 [33]). Autrement dit, admettre la métempsycose équivaut à nier la possibilité de différencier des espèces dans le monde animal, ramené à une collection d’individus sans propriétés stables. Un autre argument repris de Lucrèce concerne les limites du potentiel de corps disponibles par rapport à la multitude des âmes en attente, si bien que « naisse une émulation précipitée pour la préférence de s’introduire dans un corps qui vient d’être formé » – ce qui peut s’envisager aussi sous l’angle d’une théorie du contrat, la communauté des âmes, « par un accord fait entre elles », ayant « convenu que la première arrivée ait le droit d’être la première reçue dans un corps qui en a besoin » (Ibid, p. 327 [34]).

13Qu’est-ce que classifier le vivant ? Existe-t-il autre chose que des individus ? La liberté de l’âme heureuse ou désespérée est-elle un agencement nécessaire ? Y a-t-il une politique des âmes ? Où passe la frontière entre savoir et croyance ? Entre fable et argument ? Toutes questions jaillissant à l’interface d’une sorte de flirt doctrinal entre ce que le siècle connaît sous les noms de Pythagore ou Platon et ce qu’il identifie sous celui de Spinoza, avec les configurations paradoxales et ironiques qu’en fabriquent les récits à métempsycose, qui par hypothèse nient l’étanchéité des règnes, les cloisons entre espèces, les lois de l’union de l’âme et du corps, les limites de la mémoire individuelle, etc., et dont les narrateurs ou les héros conjuguent par définition l’être soi comme devenir multiple.

14Venons-en à Locke : chez lui, la thématique métempsycosiste sert à élaborer des fictions expérimentales concernant la définition de l’identité personnelle. On le trouve au chapitre 27 du livre II de l’Essai : la problématique qui cadre cela est la démonstration que le problème de l’identité personnelle est mieux compris par une théorie de la conscience de soi que par une théorie de la substance. Ce qui définit la conscience, c’est son aptitude à reconnaître ses actes passés devant le tribunal de la communauté et celui de Dieu. Elle s’identifie comme mémoire de soi dans le temps, et non selon l’identité aléatoire de son support individuel. Cette thèse est étayée par une série de fictions de pensée paradoxales, présupposant parfois un schéma métempsycosiste. Par exemple, Locke demande au § 14, si tel pythagoriste chrétien croyant à la préexistence des âmes, et pensant que son âme a jadis animé le corps de Socrate, peut s’assumer comme Socrate s’il n’en pas de mémoire effective [35]. Ou encore il suppose au § 15, un échange de corps entre l’âme d’un prince et celle d’un savetier, chacune conservant sa mémoire ; et il montre qu’il faudrait admettre que le prince dans le corps du savetier serait bien resté la même personne pour lui-même, mais évidemment pas le même homme pour autrui, « restant toujours le même savetier dans l’opinion de chacun, lui seul excepté [36] ». Au § 16, il admet que si sa conscience d’avoir vu « l’Arche et le Déluge » était du même ordre que celle qu’il a d’écrire présentement son traité, il assumerait les deux choses devant un tribunal, comme relevant de la responsabilité du « même moi » (Essai, p. 270). Ainsi un même soi n’est pas théoriquement incompatible avec une multitude d’avatars individuels, pourvu qu’il en ait la mémoire. Ce qui comptera devant Dieu ou la communauté, c’est l’assomption d’une responsabilité, fondatrice, justement, de l’identité personnelle.

15Ce cadre offre un contexte intéressant pour deux contes à métempsycose du 18e siècle qui pourraient peut-être se lire comme de bons exemples d’une approche « lockienne » des problèmes de l’identité. Premier exemple : Atalzaïde, conte attribué par les contemporains à Crébillon [37]. Le cadre initial est le suivant : un prince nommé Cornukan fait l’amour avec sa femme Zarnerou ; cependant, le commentaire de la scène dans les mémoires laissés par Cornukan est le suivant : « je fus témoin de l’outrage que je me faisais à moi-même […] [j’étais] désespéré de mon propre bonheur » (p. 19 [38]). Le paradoxe est résolu lorsqu’on apprend que son corps était alors animé par le dieu Witnou, pendant que son âme vêtue d’un corps fantastique, évoluait dans les airs : « Witnou […] obligeait son âme par un pouvoir surnaturel de sortir de son corps, dans l’instant où il était le plus souhaitable pour elle d’y rester » (p. 21). Ainsi, en termes lockiens, l’énoncé : « je fus témoin de l’outrage que je me faisais à moi-même » confond ironiquement identité personnelle et identité substantielle, ou plus simplement personne et individu. Mais si la pointe littéraire brouille la distinction lockienne, c’est sans doute en s’y appuyant ; dans son § 23, Locke imaginait « deux consciences distinctes & incommunicables, qui agiraient dans le même corps » (p. 273) – l’une le jour, l’autre la nuit ; c’est la même fiction, à ceci près que le contexte libertin introduit un motif relationnel, celui de la rivalité mimétique.

16Dans la suite du récit, Cornukan maudit le fruit des amours du Dieu : la princesse Atalzaïde est vouée à perdre sa virginité avant son mariage. Plus loin, le futur époux est introduit dans le récit sous les traits d’un jeune homme ignorant son nom (comme Perceval), et qui a le don de changer de visage au fil des rencontres, les femmes l’identifiant mimétiquement à l’objet de leur désir. Ce que l’épilogue du conte révélera, c’est que l’âme d’Atalzaïde les animait lors de la copulation, car c’est la solution trouvée par Witnou pour pallier la malédiction initiale : « j’ai voulu qu’Atalzaïde […] fût à [son époux] dans des temps éloignés de ceux où elle pouvait lui être infidèle, et qu’il fût lui-même l’objet de ses infidélités » (p. 120). On retrouve ainsi la pointe équivoque liant l’identité personnelle et l’identité individuelle ou physique ; le conteur n’est d’ailleurs pas avare de variations ornées autour d’une formule de type ils se sont trompés, mais avec eux-mêmes[39]. Ce conte met en scène ce qu’on pourrait peut-être appeler des individus-multitude investis chacun par une conscience leurrée de soi et d’autrui.

17J’aborde maintenant le second conte, où la transmigration volontaire de l’âme ouvre sur une réévaluation du rôle du corps, mais aussi des rituels communicationnels, dans la reconnaissance par autrui de l’identité personnelle : il s’agit des Âmes rivales de Moncrif, qui date des années 1730. En voici le cadre abrégé : grâce à une formule magique, le « mandiran », le prince Mazulhim et la princesse Amassita qui doivent bientôt s’épouser, quittent ensemble leur corps pour jouir d’une extase spirituelle stellaire. Cependant le jaloux Sikandar, prétendant éconduit, possède aussi le mandiran ; et lors de la réincarnation des deux amants, il pénètre en même temps que Mazulhim dans le corps de celui-ci. Ce que le conteur résume ainsi : « deux rivaux dans la même personne » (p. 160 [40]). (En termes lockiens, on traduirait volontiers deux personnes rivales dans le même corps). Les deux rivaux s’entendent au moins pour diriger leur commune machine vers la princesse : celle-ci doit alors affronter un comportement incohérent de son amant : il se jette à ses pieds, mais à moitié, et s’il proclame des serments d’amour, c’est d’un air distrait et sur un ton convenu, ce qui la vexe. Ainsi l’âme de Mazulhim se trouve dans une situation analogue à celle du prince de Locke : le corps de Mazulhim demeure en effet le même Mazulhim pour son amante, alors qu’il ne l’est plus qu’à moitié pour lui-même. Le conteur saisit l’occasion pour glisser un commentaire de moraliste ironique : « dans un amant les inégalités et l’inconstance ne sont que l’ouvrage d’une âme étrangère qui le fait agir malgré lui, tandis que la véritable âme reste toujours fidèle » (p. 161). Différents contextes affleurent ici ; l’homo duplex[41], l’attelage platonicien, les maximes précieuses, etc. Mais surtout, la confusion de la personne et de l’individu est ici recodée dans un énoncé moral à portée générale. Aucune conscience n’est constante ni univoque ; si elle le croit, elle s’illusionne. On a sans doute tort de se prendre pour une seule personne.

18La suite du conte réconcilie les amants. Nous les retrouvons dans une situation encore plus compliquée, à l’occasion d’une cérémonie de mariage manigancée par le jaloux Sikandar. Celui-ci s’est arrangé pour faire animer le corps de la princesse par une âme à son service ; cependant ce jour-là, par suite de circonstances que j’élide, c’est le corps de Sikandar qui va se trouver partagé en copropriété par trois âmes : la sienne, et celles des deux amants. Pendant la cérémonie, l’individu Sikandar va évidemment développer un comportement surprenant, au point d’interrompre le mariage : son discours est un contrepoint de sens et de non-sens, doublé par-dessus le marché d’un réquisitoire contre lui-même. Aux yeux du conteur et du dieu Brama (qui veille à l’arrière-plan du récit et qui viendra juger les protagonistes à la fin), rien n’est plus « normal » « quand plusieurs âmes se trouvent rassemblées dans un même corps » (p. 171). Mais dans la communauté participant au mariage interrompu, tout le monde prend le corps de Sikandar pour la personne de Sikandar – sauf les âmes des deux amants, Brama et le conteur. C’est alors qu’intervient à nouveau le dialogue du moraliste et de ses lecteurs, mais en connivence cette fois avec le public représenté. Certains courtisans prennent en effet l’incohérence de Sikandar pour un jeu de langage partageable : « [ils] regardèrent d’abord comme une plaisanterie cette manière sérieuse et conséquente de dire des choses ou extravagantes et obscures ou impossibles à croire ; et ils appelèrent cela persifler » (p. 172).

19Comme chez Crébillon (Meilcour) ou Duclos (Acajou), la folie de l’égaré exprime satiriquement celle de la mondanité, et pointe au-delà vers la duplicité convenue des signes sociaux et de leur usage. Si jamais le persiflage ainsi défini recouvre un consensus du 18e siècle français sur le sens du non-sens dans la langue à la mode, ce conte y repère surtout un accord dans la communauté pour identifier ses membres par leur aptitude au brouillage de l’identité personnelle, à l’ennuagement de soi pour autrui. La nuance, par rapport à l’analyse des moralistes classiques, est peut-être l’accent mis sur le degré de tolérance en la matière : en effet, si la polyphonie dissonante de Sikandar n’altère pas d’abord son identification sociale, il la perd bientôt, en passant pour effectivement fou dès lors que son incohérence, reconnue permanente, brouille toute possibilité de lui reconnaître une identité stable : « ils pensèrent qu’un persiflage continuel est un délire ». La place manque pour poursuivre comme il faudrait l’analyse de la fin du conte, mais l’essentiel était d’essayer de montrer que, lu dans un cadre lockien, ce récit de Moncrif semble bien participer dans son ordre à une problématisation critique des rapports entre les notions de personne et d’individu, et du rapport de ces deux notions à celle de la communauté en tant qu’elle assigne l’identité. Sans doute y a-t-il dans ce conte, aussi bien que dans Atalzaïde, de quoi nourrir une approche transindividualisante du chapitre « On Identity and Diversity » et de ses cousins fictionnels [42].

20Dans un de ses « comptes rendus d’orientalisme », datant de 1938, René Daumal résume ainsi l’Avadâna de l’oiseau Nîlakantha traduit du tibétain en appendice d’une Vie de Marpa (11e siècle, maître de Milarepa) qui venait de paraître : « un prince de Bénarès, manifestation d’un bodhisattwa Avalokiteçvara, ayant revêtu par jeu le corps d’un coucou, se trouva contraint de conserver cette figure par la traîtrise d’un ministre ambitieux qui, entre-temps, lui avait volé son corps humain [43] ». Dépouillé de son cadre bouddhiste – laïcisé si l’on veut –, ce scénario de transmigration volontaire qui tourne mal circule aux 16e-18e siècles dans la littérature européenne, depuis le Peregrinaggio di tre figliuoli del re di Serendippo, de Christoforo Armeno, publié à Venise en 1557, lui-même adapté de deux ouvrages persans « au moins », nous indique Georges Bourgueil, éditeur de l’adaptation française de Béroalde de Verville : L’Histoire véritable ou le Voyage des princes fortunés (1610 [44]). On le retrouve ensuite en 1698 dans un conte du chevalier de Mailly : Quiribini, puis dans une séquence des Mille et Un Jours (1710-1712) : l’Histoire du prince Fadlallah – elle-même adaptée d’un recueil turc par l’orientaliste Pétis de La Croix – et il fournit encore le noyau d’une pièce de Carlo Gozzi, Il Re cervo (1761 [45]) ; signalons enfin la mention d’une version indienne dans le fameux rapport du père Bouchet sur la métempsycose en Inde, où Moncrif a puisé l’idée de son « mandiran [46] ».

21Voilà donc bien un schème narratif qui fascine l’Europe lettrée [47]. Or ce que nous en dit Daumal, c’est que, quant au fond, nous n’y comprenons strictement rien : « de telles permutations d’enveloppes corporelles sont attribuées toujours à des hommes parvenus à un degré de réalité supérieur au nôtre, nous ne pouvons en parler, ni savoir si les lamas instruits les tiennent pour des faits littéralement ou symboliquement réels ». Les contes à métempsycose français issus de cette tradition seraient ainsi structurés par un malentendu radical touchant la réalité des croyances qu’ils manipulent : ce serait une nouvelle pièce à verser (pour le 18e) au procès de l’« orientalisme » occidental, en cours d’instruction depuis Edward Saïd [48]. Sans doute. Pourtant, c’est bien à cette époque et dans cette culture – certes orientées globalement vers tout autre chose que la méditation transcendantale et la compassion pour tous les êtres –, que démarrent vraiment en Europe la diffusion, l’interprétation et la discussion publique de cette matrice narrative et des croyances qui la fondent – comme aussi de leurs répondants doctrinaux dans la pensée occidentale, de Pythagore à Spinoza en passant par Origène. Mais s’il est vrai que la conception moderne de l’identité personnelle suppose, d’après Locke, la disjonction méthodique de la conscience et de la substance (matérielle ou immatérielle), si bien que « la conception que nous avons de nous-mêmes est pour ainsi dire détachable de son incarnation » (Charles Taylor [49]), on peut comprendre que le schéma métempsycosiste ait dû y contribuer comme fiction heuristique, qu’il s’agisse de travailler le rapport entre individu, personne et communauté, de fonder le moi comme responsabilité devant autrui, de scruter les multitudes à l’œuvre dans la figure de soi. Que l’opération soit rendue possible par la critique générale de la Fable et des croyances qui caractérise le 18e siècle, c’est l’évidence ; qu’on puisse y lire aussi une structure de méconnaissance caractéristique du rapport de l’Occidental aux autres civilisations doit être accordé ; il se pourrait cependant que l’adage De te fabula narratur vaille ici d’être rappelé, pour suggérer que l’attention du 18e siècle à la métempsycose et aux récits de transmigration révèle réciproquement l’efficacité de ces formes-sens venues d’Extrême-Orient (mais aussi d’autres époques de l’Occident), à se faire rechercher, (re)connaître et surtout interpréter, modelant peut-être plus qu’on ne croit, chemin faisant, les communautés interprétatives successives qui les interrogent.

22Voyez Essaim, Isolement, Mœurs (état de), Polype, Réseau.

figure im2
David, Sieyès assis, détail du Dessin préparatoire, esquisse du Serment du jeu de paume, 1791, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

Notes

  • [1]
    Jean-Jacques Rousseau, Émile, livre IV, OC IV, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969, p. 584.
  • [2]
    Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique (éd. 1740), art. « Abumuslimus », vol. I, p. 38, n. A.
  • [3]
    Voir Robert Favre, La Mort au siècle des Lumières, Lyon, PUL, 1978, p. 500-504. Jean-François Perrin : « Petits traités de l’âme et du corps : les contes à métempsycose (17e-18e siècles) », dans Régine Jomand-Baudry etJean-François Perrin (éd), Le Conte merveilleux au 18e siècle, une poétique expérimentale, Paris, Kimé, 2002, p. 123-139.
  • [4]
    Voir sur ce point les commentaires d’Étienne Balibar au Glossaire de son édition de John Locke, Identité et différence, Paris, Seuil, « Points Essais », 1998, p. 238.
  • [5]
    Gottfried Wilhelm Leibniz, Monadologie, § 71-72 ; Nouveaux Essais, II, xxvii, § 6.
  • [6]
    Un missionnaire (le père Bouchet) écrit ceci à Huet à la fin du 17e siècle : « Pendant le séjour que je fis il y a quelques années en Europe pour les affaires de cette mission, j’eus à répondre à plusieurs questions que des personnes savantes me firent souvent sur la doctrine des Indiens, et principalement sur l’opinion qu’ont ces peuples de la métempsycose ou de la transmigration des âmes. Elles souhaitaient, entre autres choses, de savoir en quoi le système indien est conforme au système de Pythagore et de Platon, et en quoi il est différent » (Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères, XIIIe recueil, Paris, 1711, p. 95).
  • [7]
    Voir Martial Poirson, « Changements d’état : métempsychose et mobilité sociale dans le conte (dramatique) : Le Diable à quatre ou la Double métamorphose de Sedaine », Féeries n° 4, Grenoble, Ellug, 2007, p. 175-198.
  • [8]
    Première publication 1892. Selon Pierre Rétat, la première rédaction se place entre 1728 et 1734. Introduction à l’Histoire véritable, dans Œuvres complètes de Montesquieu, 9, Oxford, Voltaire Foundation, 2006, p. 109-111.
  • [9]
    Mon corpus est centré sur la première moitié du 18e. Pour la suite, voir Michel Delon : « L’obsession de la métempsycose à la fin du 18e siècle », dans Daniela Gallingari (éd.), Presenza di Cagliostro, Florence, Centra editoriale toscano, 1994, p. 71-79.
  • [10]
    Aram Vartanian, « Quelques réflexions sur le concept d’âme dans la littérature clandestine » dans Olivier Bloch (dir.), Le Matérialisme du 18e siècle et la littérature clandestine, Paris, Vrin, 1982, p. 149-163.
  • [11]
    Ibid., p. 151.
  • [12]
    C’est au fond la thèse du narrateur métempsycosiste dans les Contes Chinois de Gueullette : « Notre âme est comme un caméléon qui, suivant les différents corps où elle passe, y prend des impressions différentes, et y est sujette à toutes les passions du corps qu’elle occupe » (Thomas-Simon Gueullette, Les Aventures merveilleuses du mandarin Fum-Hoam, Contes Chinois, t. I, Paris, Mazuel, 1723, p. 61).
  • [13]
    Charles Bonnet, Analyse abrégée de l’essai analytique, chap. XV, dans La Palingénésie philosophique, Genève, 1770, p. 35-36.
  • [14]
    Delisle de Sales fera pire (ou plus drôle) : voir son « Drame raisonnable » où l’huître, l’albinos et le nègre blanc discutent avec Newton sur les niveaux d’intelligence dans le vivant. Philosophie de la nature, Amsterdam, 1770, t. 3, p. 211 sv.
  • [15]
    « Le sentiment le plus léger ou le plus confus, qu’aurait une huître, suppose autant une substance simple et indivisible que les spéculations les plus sublimes et les plus compliquées de Newton » (Maupertuis, Lettres philosophiques, V, 1752, dans Œuvres II, Hildesheim, Olms, 1965-1974, p. 248). Comme on sait, il défend l’hypothèse d’un niveau moléculaire de la perception et de la mémoire, voir l’Essai sur la formation des corps organisés, § XXXI, Berlin, 1754, p. 31-32.
  • [16]
    Montesquieu, Histoire véritable, in Œuvres Complètes de Montesquieu, vol. 9, ouvr. cité.
  • [17]
    Essais, III, 2.
  • [18]
    Note 368-370. Je cite la seconde rédaction.
  • [19]
    Jean-Jacques Rousseau, « Ébauches des Confessions », Œuvres Complètes I, Paris, Gallimard, Pléiade, 1959, p. 1154.
  • [20]
    « C’est que les dieux donnent à chaque homme un amour dominant pour sa propre personne et pour la condition des autres, et avec cela ils gouvernent l’univers » (ouvr. cité, p. 170).
  • [21]
    Ce qui fait débat : Aurélia Gaillard insiste sur l’irréductibilité d’un soi (dans « Montesquieu et le conte oriental : l’expérience du renversement », Féeries n° 2, Grenoble, Ellug, 2004-2005, p. 124), Pierre Rétat soulignant plutôt le questionnement (ouvr. cité, p. 116-118).
  • [22]
    Voir René Démoris, Le Roman à la première personne du Classicisme aux Lumières (1975), réed. Genève, Droz, 2002.
  • [23]
    Le projet d’Avertissement prouve que Montesquieu avait lu les Contes Chinois. Ouvr. cité, p. 130.
  • [24]
    Lucien, Le Songe ou le Coq. Une traduction de Perrot d’Ablancourt circule depuis la fin du 17e siècle, Montesquieu la connaît. Ouvr. cité, p. 114, n. 38.
  • [25]
    Aurélia Gaillard, art. cité, p. 121-124.
  • [26]
    Voir la note 12.
  • [27]
    Voir la note 2.
  • [28]
    Dictionnaire historique et critique, ouvr. cité, vol. 4, art. « Spinoza », note B, p. 255.
  • [29]
    Boyer d’Argens, Mémoires secrets de la République des Lettres, t. 2 (1744), Genève, réimpr. Slatkine, 1967, p. 184.
  • [30]
    Dom Deschamps (identifié par d’Alembert ou Rousseau comme proche de Spinoza) : « il n’est rien de ce qui vit actuellement qui ne soit un composé de tout ce qui est mort précédemment […] c’est une métempsycose continuelle » (Observations métaphysiques, cité dans Yves Citton, L’Envers de la liberté, Paris, Éd. Amsterdam, 2007, p. 159). Sylvain Maréchal, « Les Siamois admettent le spinosisme, et la métempsycose qui n’est encore que le spinosisme », Dictionnaire des athées anciens et modernes, article « Siamois », 1800. Cf. aussi art. « Indiens » et « Chinois ». Je cite l’éd. de Bruxelles, 1833.
  • [31]
    Diderot, Le Rêve de d’Alembert, Paris, GF, 2002, p. 104.
  • [32]
    Lucrèce, De Natura rerum, livre III, v. 748 sv., trad. Boyer d’Argens, Mémoires secrets…, ouvr. cité, p. 177.
  • [33]
    Thomas-Simon Gueullette, Les Aventures merveilleuses du mandarin Fum-Hoam, Contes Chinois, Paris, Mazuel, 1723. La deuxième partie de l’argument paraphrase toujours Lucrèce aux v. 741 et sv.
  • [34]
    Voir Lucrèce, ouvr. cité, vers 777 et sv.
  • [35]
    Delisle de Sales joue peut-être avec Locke quand, la coquille du Drame raisonnable concluant « je sais que je ne sais rien », il commente en note : « ne dirait-on pas que l’âme de Socrate a passé dans le corps d’une huître, par la loi de la métempsycose, pour le punir d’un grand crime dont on a flétri sa mémoire ? », Philosophie de la nature III, ouvr. cité, p. 228.
  • [36]
    John Locke, « Ce que c’est qu’identité et diversité », Essai philosophique concernant l’entendement humain, livre II, chap. 27, § 15, traduction Coste, Amsterdam, 1755.
  • [37]
    Attribution douteuse selon Jean Sgard, « Catalogue des œuvres de Crébillon », RHLF, n° 1, 1996, p. 18.
  • [38]
    Atalzaïde, ouvrage allégorique, imprimé où l’on a pu, 1746.
  • [39]
    Par exemple Atalzaïde, justifiant ses « chutes » auprès du héros : « je vous méconnus vous-même dans votre propre personne » (p. 116). On est proche de l’imaginaire érotique crébillonnien. Voir Jean-François Perrin, « Le fantasme de suppléance », dans Jean Sgard (éd.), Songe, illusion, égarement dans les romans de Crébillon, Grenoble, Ellug, 1996, p. 63-78.
  • [40]
    Paradis de Moncrif, Les Âmes rivales, dans Contes, éd. Uzanne, 1879.
  • [41]
    Montesquieu glisse des commentaires de cet ordre dans l’Histoire véritable : « quand vous verrez des gens dont le caractère est incompatible avec leur caractère même, composez-les de deux âmes, et vous ne serez plus surpris » (L. II, p. 155).
  • [42]
    S’il est vrai que (selon G. Simondon) « la réalité collective première […] doit être cherchée dans ce qui, à l’intérieur même de l’individu, le met en relation avec une réalité plus large, plus étendue que son individualité […] qui constitue un milieu associé à l’individu » (Didier Debaise, « Le Langage de l’individuation (lexique simondonien) », Multitudes, 18, automne 2004, p. 106).
  • [43]
    René Daumal, « Deux textes tibétains sur la conversion des oiseaux » dans Les Pouvoirs de la parole, Paris, Gallimard, 1972, p. 189.
  • [44]
    Béroalde de Verville, Le Voyage des princes fortunés, Albi, Éditions Passage du Nord-Ouest, 2005, p. 9.
  • [45]
    Sur l’histoire de cette transmission européenne voir Raymonde Robert : « Le Voyage des trois fils de Serendip », dans Aspects du classicisme et de la spiritualité (dir. A. Cullières), Klincksieck, 1996, p. 159-171. Également la notice de Paul Sebag à l’Histoire du prince Fadlallah dans son édition des Mille et un Jours, Phébus, 2003, p. 633-634.
  • [46]
    C’est le « mandiram » dans la « Vie » du roi Vieramarken. Voir Isabelle et Jean-Louis Vissière (éd.), Lettres édifiantes et curieuses des jésuites de l’Inde au dix-huitième siècle, Publ. de l’U. de Saint-Étienne, 2000, p. 173.
  • [47]
    Elle intéressera encore Gautier (Avatar) et Mishima l’universalise dans La Mer de la sérénité.
  • [48]
    Edward W. Saïd, Orientalisme (1978), Paris, trad. Seuil, 2005.
  • [49]
    Charles Taylor, Les Sources du moi, la formation de l’identité moderne, Paris Seuil, 1998, p. 228.
Jean-François Perrin
Université de Grenoble, UMR LIRE-CNRS 5611
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2009
https://doi.org/10.3917/dhs.041.0168
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Société Française d'Étude du Dix-Huitième Siècle © Société Française d'Étude du Dix-Huitième Siècle. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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