1 L’objet de ce papier est l’identification empirique des différents profils de financement des grandes entreprises belges non cotées. Ce type d’entreprise est particulièrement oublié des recherches traitant de la problématique de financement. Les chercheurs lui préfèrent en général l’entreprise cotée (R. Rajan & L. Zingales, 1995 ; A. De Jong & R. Van Dijk, 1998 ; Ph. Gaud & E. Jani, 2002 ; T. de Bie & L. de Haan, 2004 ; etc.) tandis que les chercheurs belges lui préfèrent la PME non cotée (D. Van Caillie, 1998 ; T. Miloud, 2001 ; E. Fathi & B. Gailly, 2003 ; O. Colot & M. Croquet, 2007 ; etc.). Il nous paraît dès lors important d’apporter quelques éclairages quant à la manière dont les grandes entreprises belges non cotées établissent leurs choix de financement. Pour ce faire, nous avons opté pour une démarche méthodologique inductive. En effet, afin d’identifier les profils de financement des grandes entreprises belges non cotées, nous utiliserons conjointement plusieurs techniques d’analyse de données qui seront brièvement présentées dans la partie méthodologique. Ces techniques d’analyse de données nous permettront non seulement d’obtenir une partition des entreprises en fonction de leur structure de financement mais aussi d’illustrer cette partition au moyen de variables dites illustratives. Dans le cas présent, ces variables illustratives ne sont autres que les principales variables que la littérature empirique retient comme déterminants potentiels de la structure de financement des entreprises. Dans la suite de ce papier, nous proposons une brève revue de la littérature concernant la problématique du financement des entreprises. Celle-ci servira à l’identification des variables susceptibles d’illustrer les regroupements d’entreprises en fonction de leur structure financière.
1. Revue de la littérature
2 La remise en question du théorème de la neutralité de la structure financière de F. Modigliani & M. Miller (1958) a abouti à la conclusion qu’il existait des déterminants de cette structure financière. Suite à cette remise en question, de nombreux apports théoriques ont tenté d’appréhender la problématique du financement au sein des entreprises. Le tableau 1 reprend les conclusions de ces principaux apports. Celui-ci se fonde en partie sur l’article de H. Ndoume Essingone (2003).
3 En fonction de ces apports théoriques, les chercheurs ont tenté d’identifier les principaux déterminants de la structure financière et d’en expliquer l’influence au moyen des conclusions théoriques qui viennent d’être présentées dans le tableau 1. La lecture de nombreux travaux empiriques traitant de ces déterminants fait apparaître deux constats. Le premier constat concerne la pluralité de déterminants potentiels de la structure de financement des entreprises. Ainsi, la taille, la présence d’opportunités de croissance, la rentabilité ou encore la tangibilité de l’actif sont des déterminants qui apparaissent récurrents dans la littérature empirique (J. Bourdieu & B. Sédillot, 1993 ; L. Rajan & R. Zingales, 1995 ; E. Kremp, E. Stöss & D. Gerdesmeier, 1999 ; C. Carpentier & J.-M. Suret, 2000 ; Ph. Gaud & E. Jani, 2002 ; J. Redis, 2004 ; W. Drobetz & R. Fix, 2005 ; etc.).
4 Cependant, d’autres facteurs peuvent aussi permettre de comprendre la manière dont les entreprises établissent leurs choix de financement : la présence de cash-flow libre permettant d’appréhender les coûts d’agence des fonds propres, les avantages fiscaux autres que ceux liés à la dette, le taux de taxation, la présence de coûts de détresse financière, la structure de propriété de l’entreprise, le risque d’exploitation, le coût du financement, le déficit de financement, la capacité d’autofinancement, etc. Le deuxième constat concerne, quant à lui, le sens de l’influence de ces déterminants sur la structure de financement des entreprises.
5 Celui-ci varie en effet beaucoup d’une étude à l’autre. E. Kremp & E. Stöss (2001, p. 154) indiquent à ce sujet que les causes de ces variations sont certainement à imputer aux périodes étudiées, aux définitions de variables, aux méthodologies différentes ainsi qu’aux types d’entreprises étudiées.
6 En conséquence, si la structure financière des grandes entreprises belges non cotées est notamment déterminée par leurs caractéristiques intrinsèques (taille, rentabilité, capacité d’autofinancement, etc.) alors les entreprises présentant des similitudes au niveau de leur structure de financement devraient également présenter certaines autres caractéristiques communes. Dans la suite, nous chercherons donc à construire une typologie des différents profils de financement des grandes entreprises belges non cotées et ce, en fonction de leurs caractéristiques intrinsèques.
2. Méthodologie
2.1. Présentation de la base de données
7 Nous avons utilisé le DVDROM Belfirst [1] dans sa version 2010 afin de constituer notre base de données. Grâce à ce DVDROM, nous avons identifié les entreprises non cotées répondant, pour l’année 2005 [2], à la définition européenne de la grande entreprise. De cette base de données brute, nous avons retiré les entreprises financières ainsi que les centres de coordination, et ce dans un souci d’harmoniser le plus possible l’étude des structures de financement des grandes entreprises retenues dans notre base de données. Au final, 443 entreprises ont été retenues. Le tableau 2 propose une répartition sectorielle de celles-ci
Répartition des entreprises en fonction de leur catégorie d’activités.
Catégories d’activité | Nombre d’entreprises | Fréquences |
Industries (code NACEBEL de 01 à 41) | 250 | 56.44 % |
Construction (code NACEBEL 45) | 29 | 6.54 % |
Commerce (code NACEBEL de 50 à 55) | 101 | 22.80 % |
Transports et télécommunications (code NACEBEL de 60 à 64) | 33 | 7.45 % |
Services (code NACEBEL de 72 à 93) | 30 | 6.77 % |
TOTAL | 443 | 100,00 % |
![figure im1](./loadimg.php?FILE=RSG/RSG_259/RSG_259_0111/RSG_259_art11_img001.jpg)
Répartition des entreprises en fonction de leur catégorie d’activités.
2.2. Présentation des variables
8 Les variables dites actives sont celles sur lesquelles la classification des entreprises de notre base de données sera effectuée. Nous retiendrons comme variables actives, les principales variables de structuration du passif des grandes entreprises belges non cotées.
Année | Principales conclusions |
1958 |
F. Modigliani & M. Miller Théorème de la neutralité de la structure de financement. La structure financière n’influence pas la valeur marchande de l’entreprise et il n’existe aucun déterminant de cette structure financière. |
1963 |
F. Modigliani & M. Miller Levée de l’hypothèse d’absence d’impôt sur les bénéfices des entreprises. La présence d’une imposition sur les bénéfices des entreprises a un impact positif sur le niveau d’endettement de celles-ci du fait de la déductibilité fiscale des charges des dettes. Cet impact positif se répercute également sur la valeur marchande de l’entreprise. La rentabilité de l’entreprise affecterait dès lors positivement le recours à la dette ainsi que le taux de taxation. |
1967 |
N. Baxter Théorie des coûts de faillite. Levée des hypothèses d’absence de défaillance des entreprises et d’absence des coûts de détresse financière. Naissance de la première version de la TOT (trade-off theory). La présence d’une probabilité non nulle d’apparition des coûts de détresse financière vient amoindrir l’attrait de l’endettement pour l’entreprise. Mais il existe une possibilité d’atteindre un ratio d’endettement optimal en égalisant les avantages marginaux de la dette (c’est-à-dire les économies fiscales réalisées grâce au principe de déductibilité des charges des dettes) et les coûts marginaux de la dette (c’est-à-dire les coûts de faillite liés à un niveau trop important d’endettement). La présence de coûts de détresse financière importants serait négativement corrélée à la dette. |
1975 |
J. Hicks Théorie des conventions de financement. Les entreprises ont le choix entre deux modes de financement : « auto-economy » (« économie de fonds propres » traduit de l’anglais par B. Paranque & D. Rivaud Danset, 1998, p. 81) et « overdraft » (« économie d’endettement » traduit de l’anglais par B. Paranque & D. Rivaud Danset, 1998, p. 81). Même si la capacité d’autofinancement de l’entreprise est suffisante pour financer ses investissements non anticipés, elle peut délibérément choisir de financer les investissements non anticipés en actifs circulants au moyen de crédits bancaires courants. Ce choix permis lui est possible à condition qu’elle dispose de « la capacité à accéder à un financement externe relativement garanti s’inscrivant dans une relation d’engagement » (B. Paranque & D. Rivaud- Danset, 1998, p. 81). Cette relation d’engagement confère à l’entreprise « une capacité assurée d’emprunt » (J.-F, Goux, 1990, p. 669). |
1977 |
M. Miller Introduction de l’impôt des personnes physiques dans le raisonnement de F, Modigliani et M. Miller de 1963. L’attrait de l’endettement pour les entreprises est amoindri du fait de la présence d’une imposition sur les revenus des investisseurs. A la limite, le raisonnement de M. Miller pousse à conclure à la neutralité de la structure d’endettement des entreprises mais à un niveau macroéconomique. |
1976 |
M. Jensen & W. Meckling Théorie des coûts d’agence et deuxième version de la TOT. Les relations entre les actionnaires et les dirigeants sont créatrices de coûts d’agence. À cet égard, l’endettement apparaît comme un moyen de réduire ces coûts d’agence (on parlera alors de coûts d’agence des fonds propres). De même, les relations entre les actionnaires et les créanciers sont créatrices de coûts d’agence. Mais dans ce cas, l’endettement ne fait qu’accroître ces coûts d’agence dans la mesure où il vient perturber les relations entre actionnaires et créanciers (on parlera alors des coûts d’agence de la dette). Le ratio d’endettement optimal est atteint au minimum des coûts d’agence des fonds propres et des coûts d’agence de la dette. Les coûts d’agence des fonds propres seraient positivement corrélés à la dette tandis que les coûts d’agence des dettes seraient négativement corrélés à la dette. |
1977 |
S. Ross ; H. Leland & D. Pyle Théorie du signal. En raison de l’asymétrie d’information qui règne, en réalité, sur les marchés financiers, l’endettement apparaît ici comme un signal positif à cause du risque de faillite qui lui est associé. |
1977 et 1984 |
S. Myers et S. Myers & N. Majluf Théorie de la hiérarchie des préférences de financement ou pecking order theory (POT) En présence d’asymétries informationnelles, les entreprises établiraient leurs choix de financement selon la hiérarchie suivante : autofinancement – endettement – émission d’actions. Pour ces auteurs, il n’existerait aucun ratio optimal d’endettement. La détermination de la structure financière des entreprises résulterait avant tout des risques que les dirigeants acceptent de courir. Les entreprises choisiraient dès lors de financer leur déficit de financement par l’émission de dette plutôt que par émission de fonds propres. |
2002 |
M. Baker & J. Wurgler Market Timing. Les entreprises émettent des actions lorsque les conditions de marché sont favorables et émettent des dettes lorsque les conditions sont défavorables. Cette théorie est difficilement adaptable aux entreprises non cotées. |
![figure im2](./loadimg.php?FILE=RSG/RSG_259/RSG_259_0111/RSG_259_art11_img002.jpg)
9 Le rapport entre les fonds propres et le total du bilan ainsi que le rapport entre les dettes et le total du bilan sont les deux premières variables actives retenues. Ces deux ratios sont fondamentaux puisqu’ils présentent la structuration des deux principaux moyens de financement des entreprises à savoir le financement propre et le financement par fonds de tiers. Au niveau des dettes de l’entreprise, nous pouvons également faire une subdivision entre dettes de long terme et dettes de court terme. Ces dettes de long terme sont, en moyenne, représentées à plus de 90 % par des dettes financières. En conséquence, la part des dettes financières de long terme dans le total du bilan des grandes entreprises non cotées est également une variable retenue en tant que variable active. Au niveau des dettes de court terme, la détermination des variables actives est moins évidente. En effet, en moyenne, la majorité des dettes de court terme sont de nature commerciale, financière, fiscale, salariale et sociale (toujours en termes de proportions dans le total du bilan). Nous décidons, dès lors, de retenir comme variables actives le rapport entre les dettes financières de court terme dans le total du bilan ainsi que le rapport entre les dettes commerciales dans ce même total du bilan. Nous négligeons ainsi la troisième partie importante des dettes de court terme à savoir les dettes fiscales, salariales et sociales car, à notre sens, elles ne découlent pas d’un réel choix de financement au sein des entreprises.
10 Puisque nous étudions le comportement de financement de grandes entreprises, nous avons choisi d’intégrer dans les variables actives, la part des dettes de long terme ainsi que la part des dettes de court terme dans le total du bilan dont l’origine est le groupe ou les tiers. L’objectif ainsi poursuivi est de prendre en considération l’importance que revêtent les prêts intra-groupe pour les grandes entreprises belges non cotées. Ceux-ci ont été appréhendés grâce aux comptes 9361, 9362, 9371 et 9372 figurant dans les annexes des comptes annuels des grandes entreprises belges non cotées. Le tableau 3 permet de rendre compte de l’importance de ces dettes intra-groupe.
Répartition de la dette de long terme et de la dette de court terme en fonction de leur origine (exprimée en proportion de bilan).
Dette de long terme 11.77 % (18.64 %) |
Dette de long terme envers les tiers 4.95 % (11.30 %) |
Dette intra-groupe de long terme 6.81 % (16.03 %) | |
Dette de court terme 49.10 % (23.15 %) |
Dette de court terme envers les tiers 33.01 % (20.49 %) |
Dette intra-groupe de court terme 16.08 % (19.30 %) |
![figure im3](./loadimg.php?FILE=RSG/RSG_259/RSG_259_0111/RSG_259_art11_img003.jpg)
Répartition de la dette de long terme et de la dette de court terme en fonction de leur origine (exprimée en proportion de bilan).
11 Sur la base des chiffres présentés dans le tableau 3, nous constatons que les prêts intra-groupe représentent plus de 50 % du financement moyen de long terme des entreprises de notre base de données et près d’un tiers du financement moyen de court terme.
12 Les variables qui illustreront les regroupements d’entreprises obtenus sont celles présentées dans la revue de la littérature et dont la définition retenue est indiquée dans le tableau 4 ainsi que d’autres variables intrinsèques aux entreprises qui nous semblent pertinentes pour cette analyse.
Signalétique des variables illustratives retenues.
Indicateurs | Définitions | Auteurs |
Taille |
Logarithme naturel des
ventes Effectif moyen |
S. Titman & R. Wessels
(1988) ; R. Rajan
& L. Zingales (1995) ; A. De Jong & R. Van Dijk (1998°) ; C. Carpentier & J.M. Suret (1999) ; A. Ozkan (2001) ; A. Alti (2006) ; etc. B. Paranque & S. Cieply (1997) ; A. Bédué (1997) ; Y. Ziane (2004) |
Opportunités de croissance | Variation relative du chiffre d’affaires sur 2 périodes : la période t et la période (t-1) | E. Kremp, E. Stöss & D. Gerdesmeier (1999) |
Tangibilité | Actifs corporels/total actif |
B. Biais, p. Hillion
& J-F. Malécot (1995) ; R. Rajan & L. Zingales (1995) ; A. De Jong & R. Van Dijk (1998) ; E. Kremp, E. Stöss & D. Gerdesmeier. (1999) ; E. Kremp & E. Stöss (2001) ; W. Drobetz & R. Fix (2003) ; G. Huang & F. Song (2006), etc. |
Rentabilité | ROA (EBIT/total actif) |
M. Dubois (1985) ; R. Rajan & L. Zingales (1995) ; B. Biais, p. Hillion & J-F. Malécot (1995) ; C. Carpentier & J-M. Suret (1999) ; Ph. Gaud & E. Jani (2002) ; G. Huang & F. Song (2006) ; N. Delcoure (2006) ; etc. |
Taux de taxation moyen | 9134/[|70/67| - |67/70| + 9134] (d’après les codes comptables belges) |
L. Booth, V. Aivazian, A. Demirgüç-Kunt & V. Maksimovic (2001) ; N. Delcoure (2007) |
Déficit de financement |
DEFt = DIVt + INVESTt + ?BFRt – CAFt | E. Molay (2006) |
Coûts d’agence des fonds propres | Cash-flow libre/total actif | C.-H. Tang & S. Jang (2007) |
Coûts de détresse financière |
[écart-type de l’EBIT
– espérance mathématique de l’EBIT]
+ valeur des actifs
incorporels (rubrique 21 de l’actif). |
A. De Miguel & J. Pindado (2001). |
Avantages fiscaux non liés à la dette | Amortissements d’exploitation corrigés des subsides en capital/total actif | Y. Wiwattanakantang (1999) |
![figure im4](./loadimg.php?FILE=RSG/RSG_259/RSG_259_0111/RSG_259_art11_img004.jpg)
Indicateurs | Définitions | Auteurs |
Risque d’exploitation | Écart-type de l’EBIT ou coefficient de variation de l’EBIT |
S. Titman & R. Wessels
(1988) ; L. Booth, V. Aivazian, A. Demirgüç- Kunt & V. Maksimovic (2001) ; G. Huang & F. Song (2006) |
Coût du financement | [|650| + |653| - |9126|]/ [|170/4|| + |430/8| + |42|] (d’après les codes comptables belges) | Inspiré de E. Kremp & E. Stöss (2001) |
L’internationalisation du groupe | Variable binaire prenant la valeur 1 si l’entreprise est détenue par une entreprise étrangère ou si cette entreprise détient elle-même une filiale à l’étranger. | Apports originaux de la recherche |
La structure de propriété |
Actionnariat concentré
ou dispersé Actionnariat concentré étranger ou national : Actionnariat concentré familial ou non : Actionnariat concentré familial étranger ou national. | |
Structure de l’actif | Actifs immobilisés élargis/total actif | |
Actifs circulants restreints/total actif | ||
Équilibres bilantaires | Fonds de roulement net, besoin en fonds de roulement et trésorerie | |
Liquidité |
Liquidité au sens large
(current ratio) Délai accordé aux clients Délai accordé par les fournisseurs Rotation des stocks| | |
Solvabilité | Degré d’autofinancement | |
Ratios d’exploitation |
Marge brute sur ventes Marge nette sur ventes |
![figure im5](./loadimg.php?FILE=RSG/RSG_259/RSG_259_0111/RSG_259_art11_img005.jpg)
Signalétique des variables illustratives retenues.
2.3. Algorithmes de classification
13 Pour obtenir une classification des 443 entreprises de la base de données, nous utilisons conjointement le critère d’agrégation de Ward et le critère d’agrégation autour des centres mobiles. Ces algorithmes de classification sont mis en œuvre sur les variables de structure financière des entreprises retenues comme variables actives et sur lesquelles une analyse en composantes principales est préalablement menée. L’utilisation de cette analyse factorielle en amont d’un objectif de classification permet en effet de résoudre la question du choix de la distance puisque, dans ce cas précis, c’est la distance euclidienne qui s’impose. D’après M. Roux (2006, p. 54), « l’objectif d’une telle stratégie est d’obtenir une partition de bonne qualité ». En effet, la littérature en ce domaine admet que le critère d’agrégation autour des centres mobiles ne peut qu’améliorer l’homogénéité des groupes préalablement obtenus (L. Lebart, A. Morineau & M. Piron, 1995, p. 180 ; M. Roux, 2006, p. 54). « Cette procédure de consolidation a pour effet d’optimiser, par réaffectation, la partition obtenue par coupure de l’arbre hiérarchique » (L. Lebart, A. Morineau & M. Piron, 1995, p. 180). Les variables illustratives intégrées dans cette étude viseront à compléter les profils de financement obtenus. Le critère de la valeur-test sera utilisé pour identifier les variables les plus caractérisantes des classes obtenues [3].
2.4. Résultats
14 L’étape de classification des 443 grandes entreprises figurant dans notre base de données en fonction des principales caractéristiques de leur structure de financement a abouti à l’identification de six profils de financement. Nous proposons de résumer ces profils de la manière suivante :
L’autonomie pure (classe 1:94 entreprises)
15 Ce profil d’entreprises en matière de financement est similaire à celui mis en évidence par J. Hicks (1975). La capitalisation des bénéfices de ces entreprises leur assure une forte dotation en fonds propres qui leur permet de limiter strictement le recours aux capitaux de tiers. Ce sont principalement les entreprises moins fortement caractérisées par un lien existant avec l’étranger ou dont la structure de propriété est plus fortement caractérisée par la présence d’entreprises détenues par une famille nationale. Ces entreprises présentent la particularité d’avoir une meilleure rentabilité d’exploitation que la moyenne générale ainsi qu’une meilleure rentabilité générale présente et passée (mesurée par le degré d’autofinancement). Notons que ces entreprises sont celles qui apparaissent en moyenne comme les plus liquides. La principale caractéristique de la structure de financement de ces entreprises est donc l’autonomie de financement que l’on pourrait qualifier de pure puisque émanant du potentiel des entreprises elles-mêmes à privilégier l’autofinancement.
L’autonomie intra-groupe (classe 2:27 entreprises)
16 Nous ne retrouvons pas ce profil type de comportement de financement dans la typologie de J. Hicks (1975) puisqu’il est purement le fruit des constats que nous avons effectués au préalable sur la base de la description automatique des classes tant d’après les variables actives que d’après les variables illustratives.
17 La flexibilité financière de ces classes d’entreprises est prioritairement portée par le groupe auquel les entreprises appartiennent. En général, nous retrouvons les entreprises présentant un lien fort avec l’étranger et disposant d’une rentabilité d’exploitation supérieure à la moyenne ou du moins équivalente mais dont la capacité d’autofinancement est certainement insuffisante pour financer la forte proportion d’actifs immobilisés élargis figurant à l’actif de leur bilan. Le complément de capitaux permanents provient donc du financement intra-groupe de long terme et dont la nécessité est renforcée sur le plan fiscal par une moins forte proportion, au sein de ce type d’entreprises, d’avantages fiscaux non liés à la dette. Remarquons également que dans le cadre de ces entreprises, la nécessité d’accéder au financement intra-groupe de long terme est nécessaire pour pouvoir assurer leur croissance et éviter ainsi l’effet de ciseaux.
L’autonomie mixte (classe 3:34 entreprises)
18 Dans ce type particulier de profil en matière de financement, nous retrouvons certaines des caractéristiques des profils précédents dans le sens où le financement interne est assuré à la fois par des fonds propres et à la fois par du financement de long terme issu du groupe en proportions moyennes quasiment identiques. Ainsi, le profil de ces entreprises apparaît assez similaire à celui des entreprises présentant un profil « d’autonomie pure » mais diffère fondamentalement par un recours plus accru au financement intra-groupe de long terme. Celui-ci intervient certainement afin d’assurer la complémentarité du financement de la forte proportion moyenne d’actifs immobilisés élargis présente à l’actif du bilan des entreprises de cette classe. La capacité d’autofinancement, quoique supérieure à la moyenne générale, est certainement insuffisante pour couvrir l’intégralité de leurs besoins en financement, et ce à la différence des entreprises disposant d’un profil « d’autonomie pure ». De plus, la nécessité pour ces entreprises de recourir au financement intra-groupe de long terme, plutôt qu’au financement ayant les tiers pour origine, est sans doute renforcée par le fait qu’elles présentent un plus fort niveau de coûts de détresse financière que la moyenne générale. Ce niveau est peut-être dû au caractère plus intangible de leurs actifs. À l’instar des entreprises présentant un profil « d’autonomie intra-groupe », nous avançons également l’existence d’une raison fiscale au fait que ces entreprises recourent au financement intra-groupe étant donné qu’elles présentent une plus faible proportion d’avantages fiscaux non liés à la dette en termes de total de leur actif (par rapport à la moyenne générale).
L’endettement pur (classe 4:71 entreprises)
19 À l’inverse, la principale caractéristique des entreprises présentant un profil de type endettement est certainement la dépendance vis-à-vis des tiers. En effet, pour assurer le financement de la part importante d’actifs immobilisés élargis dans le total de leur bilan, ces entreprises vont avoir principalement recours aux dettes de long terme issues de tiers. La proportion de dettes de court terme dans le total du bilan de ces entreprises est également plus faible que la moyenne générale. Ces classes d’entreprises étant caractérisées par une moins forte abondance d’entreprises disposant d’un lien avec l’étranger ou par une plus forte abondance d’entreprises disposant d’un actionnariat concentré entre les mains d’une famille nationale.
20 Nous voyons donc ici le pendant des entreprises présentant un profil d’autonomie si ce n’est qu’il est raisonnable de penser que le recours de ces entreprises aux dettes de tiers est principalement motivé par l’insuffisance des bénéfices mis en réserve. Le profil de ces entreprises en matière de financement s’approche de celui que J. Hicks (1975) a mis en évidence dans le régime de financement « endettement ». J. Hicks (1975) précise en disant que ce régime de financement ne résulte pas d’un choix des entreprises mais qu’il est plutôt subi par elles étant donné leur capacité d’autofinancement inexistante ; ce faisant, J. Hicks (1975) suppose implicitement l’existence d’un ordre dans les préférences de financement des entreprises donnant la priorité à l’autofinancement puis à l’endettement (ordre qui sera par la suite complété par St. Myers & N. Majluf (1984) pour donner naissance à la théorie du financement hiérarchique). Il est vrai que lorsque l’on compare le profil de ces entreprises au profil « d’autonomie pure », on peut penser que le recours à l’endettement de long terme issu des tiers résulte plus d’une contrainte nécessaire au financement des actifs immobilisés élargis. Cependant, il faut tout de même noter que même si l’on ne peut pas vraiment parler de flexibilité financière dans le cas des entreprises, leur recours à la dette est facilité par la proportion d’actifs tangibles qui existent dans le total de leur bilan, ce qui permet de sécuriser la part importante des dettes financières de long terme dans le total de leur bilan.
21 Les profils que nous venons de mettre en évidence sont principalement ceux des grandes entreprises non cotées de la base de données ayant une plus ou moins forte proportion moyenne d’actifs immobilisés élargis dans le total de leur bilan à financer. Lorsque nous analysons les caractéristiques principales des entreprises réunies au sein des classes caractérisées par une forte proportion moyenne d’actifs circulants restreints dans le total du bilan, nous pouvons également identifier des profils de financement assez différents même si leur point commun est la dépendance commerciale (classe 5 et classe 6).
La dépendance commerciale (classes 5:100 et 6:75 entreprises)
22 Ces classes présentent, de manière globale, une assez faible proportion de fonds propres et de capitaux permanents dans le total de leur bilan mais une proportion de dettes commerciales supérieure à la moyenne générale. En l’occurrence, la structure financière de ces entreprises est fortement dépendante des partenaires commerciaux. En effet, nous constatons également que cette classe d’entreprises est également caractérisée par un taux de marge brute sur ventes inférieur à la moyenne générale. Cela nous incite à penser que l’activité de ces entreprises est fortement consommatrice de coûts d’exploitation, ce qui réduit leur marge bénéficiaire et réduit également leur faculté à faire face à d’éventuelles charges financières mais qui renforce néanmoins leur dépendance vis-à-vis du financement commercial de court terme. La principale caractéristique du profil de financement de ces entreprises est donc la « dépendance commerciale ». Cependant, nous distinguons la dépendance commerciale externe de la dépendance commerciale interne. Nous parlons de dépendance commerciale externe pour identifier le profil de financement des entreprises de la classe 6 de manière à faire la distinction avec le profil des entreprises de la classe 5. La flexibilité de financement des entreprises de la classe 5, si elle existe, résulte de leur meilleure capacité à négocier des délais de paiements supplémentaires.
23 En ce qui concerne les entreprises de la classe 6, le résultat de la classification a permis de mettre en exergue l’origine du groupe des dettes commerciales. En conséquence, leur profil en matière de financement pourrait quant à lui être caractérisé par l’appellation « dépendance commerciale interne ». À l’instar des entreprises notamment de la classe 2, la flexibilité de financement des entreprises de la classe 5 est donc interne au groupe. Un profil de financement complètement atypique, si l’on se réfère au principe de l’équilibre financier selon lequel les actifs immobilisés élargis doivent être prioritairement financés par des capitaux permanents, est celui des entreprises de la classe 7 (42 entreprises). Par rapport aux principes de l’analyse financière, la situation financière des entreprises de cette classe ne semble pas très saine étant donné qu’elles financent une partie importante de leurs actifs immobilisés par du financement de court terme de nature financière. Nous pouvons donc avancer l’argument selon lequel ces entreprises ont des difficultés à se financer à long terme en raison du risque important de leur exploitation. Néanmoins, lorsque nous analysons l’origine de ces dettes, nous pouvons affirmer que celles-ci proviennent presque exclusivement du groupe auquel ces entreprises appartiennent. Maintenant nous pouvons nous demander la ou les raisons qui poussent ces entreprises à privilégier les dettes financières de court terme plutôt que les dettes financières de long terme. En effet, si l’origine des fonds provient du groupe, ces entreprises n’auraient pas plus de mal d’obtenir du financement de long terme plutôt que du financement de court terme, ce qui, au vu des préceptes d’analyse financière, paraîtrait logique étant donné la part moyenne importante d’actifs immobilisés élargis à financer en termes de total du bilan et la part de fonds propres très faible dans ce même total du bilan. Nous pouvons bien entendu envisager l’aspect plus fiscal en analysant le taux moyen de taxation auquel les entreprises de cette classe sont soumises. Si ce dernier était plus important que la moyenne générale, nous aurions eu une piste de réponse à la question préalablement posée. En effet, si ce taux de taxation est plus élevé, les entreprises peuvent choisir de se financer à court terme plutôt qu’à long terme (en se référant toujours à un financement ayant le groupe pour origine) étant donné qu’en général le financement de court terme est plus cher que le financement de long terme. Ce faisant, la part des charges financières fiscalement déductibles s’accroît dans le chef du débiteur et vient en réduction de sa base imposable. Malheureusement cette piste de recherche s’effondre lorsque nous analysons la valeur-test de la variable permettant d’appréhender ce taux de taxation moyen. En effet, il s’avère que cette valeur-test est faiblement négative (à condition d’accepter un seuil de significativité statistique de maximum 10 %).
24 Même si nous n’avons aucune preuve de ce que nous allons avancer et qu’il nous est impossible de le vérifier étant donné que la structure actionnariale en cascade des groupes d’entreprises est parfois très compliquée, nous n’allons pas abandonner totalement la piste fiscale. Nous pouvons imaginer que le fait de recourir aux dettes financières de court terme plutôt qu’aux dettes financières de long terme est une manière de vider l’entreprise de sa substance étant donné que les dettes de court terme sont généralement plus chères que les dettes de long terme. Ainsi, certaines conventions préventives de la double imposition permettent une réduction de la retenue à la source existante sur les charges des dettes voire une suppression de cette retenue à la source dans le cadre de la directive européenne Mère-Fille. Certaines stratégies fiscales connues sous l’appellation « Treaty Shopping » permettent (en toute légalité) d’échapper en tout ou en partie à l’impôt en jouant sur le cumul des conventions préventives de la double imposition et/ou des dispositions européennes. Notons que ces conventions ne créent pas d’impôt nouveau mais accordent à un État contractant, le pouvoir d’imposition. Ce dernier n’a la possibilité d’imposer l’entreprise concernée que si cette imposition est prévue dans sa loi interne. Voici un exemple simplifié pour illustrer ce que nous venons d’évoquer. Supposons qu’une entreprise soit détenue par une autre entreprise d’un État de la Communauté européenne. En raison de la directive européenne Mère-Fille, il apparaît que le flux financier de charges des dettes dû par la filiale à sa mère ne subit aucune retenue à la source. Il apparaît également que la loi interne de l’État de résidence de la Mère ne prévoit pas la taxation des revenus perçus sous forme d’intérêts. L’avantage retiré par les parties est double puisque la Mère n’est pas taxée sur le flux financier reçu de sa Fille et la Fille déduit fiscalement les charges des dettes dues à sa Mère. Cet exemple peu réaliste et fort simplifié nous permet de mieux comprendre l’importance, au sein des multinationales, de la minimisation du coût fiscal.
Conclusion
25 L’objectif de cette recherche consistait à mettre en exergue le profil de financement de 443 grandes entreprises belges non cotées. Pour ce faire, nous avons opté pour une classification ascendante hiérarchique effectuée sur des variables de structure financière préalablement traitées par une analyse en composantes principales. Une des originalités de cette recherche résulte notamment de l’appréhension de l’importance du financement intra-groupe au sein des grandes entreprises de la base de données. Plusieurs profils de financement ont été ainsi identifiés. Ont été distingués les profils fondés sur l’autonomie de financement, sur l’endettement et sur la dépendance commerciale. Au niveau de l’autonomie de financement, nous avons constaté que l’appartenance des entreprises à une multinationale permettait d’accroître la flexibilité financière de celles-ci en privilégiant le financement auprès du groupe (profils d’autonomie intra-groupe et d’autonomie mixte).
26 En conséquence, cette recherche a mis en évidence le fait que les regroupements d’entreprises effectués sur la base de leur structure de financement pouvaient être caractérisés par des variables propres à ces entreprises. Les principales variables caractérisantes des classes obtenues étant les variables fiscales telles que les avantages fiscaux non liés à la dette, la capacité d’autofinancement, la structure de propriété des entreprises, la rentabilité et surtout la structure de l’actif du bilan.
27 L’utilisation de techniques économétriques pourrait à terme poursuivre cette recherche afin de vérifier les interactions entre les variables caractérisantes des classes d’entreprises obtenues et la structure de financement représentative de ces classes.
Notes
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[1]
Ce DVDROM est édité chaque année par le Bureau Van Dijk en partenariat avec la Banque Nationale de Belgique et reprend l’ensemble des comptes annuels des entreprises soumises à l’obligation de dépôt de leurs comptes annuels auprès de la Banque Nationale.
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[2]
L’année 2005 a été choisie afin de ne pas tenir compte sur la structure de financement de ces entreprises de l’éventuel effet de la déduction fiscale dite « des intérêts notionnels » ni de l’effet de la crise financière.
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[3]
D’après L. Lebart, A. Morineau & M. Piron (1995 p. 181), « pour sélectionner les variables continues ou les modalités des variables nominales les plus caractéristiques de chaque classe, on mesure l’écart entre les valeurs relatives à la classe et les valeurs globales. Ces statistiques peuvent être converties en un critère appelé valeur-test permettant d’opérer un tri sur les variables, et de désigner ainsi les variables les plus caractéristiques ».