Le projet turc en Méditerranée orientale procède d’une vision stratégique dont les incidences débordent largement la seule zone en question. Nous allons examiner ici la manière dont la Turquie ne fonde plus sa politique étrangère sur la notion de sécurité, mais sur la puissance, à la faveur d’un déclin relatif de l’intérêt occidental et d’avancées technologiques qui lui ont permis, au lendemain des « printemps arabes », d’intervenir dans les conflits régionaux. Nous verrons ensuite comment ces interventions ont façonné la coopération concurrentielle et le réalignement stratégique russo-turcs au profit des aspirations interrégionales d’Ankara, dont atteste son récent recentrage en direction de l’Afrique. Ces développements ont en commun de s’articuler autour d’une même doctrine, dite de la « Patrie bleue », avec laquelle la Turquie nourrit l’ambition de devenir la puissance inévitable d’un Grand Moyen-Orient. Nous étudierons enfin les ramifications pernicieuses de cette affirmation stratégique pour l’ensemble des acteurs européens.
Située au carrefour de trois continents, la Méditerranée orientale présente une dimension stratégique et une diversité sans pareilles qui lui valent d’être âprement disputée. Elle forme une grande partie de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Middle East and North Africa – MENA), laquelle comprend neuf États côtiers et deux points de passage maritimes très sensibles, le détroit des Dardanelles et le canal de Suez. Ses lignes de communication maritimes …