Avec quatre patriarcats originels (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem), quinze Églises autocéphales (dont quatre sont dirigées par un patriarche : Russie, Serbie, Roumanie et Bulgarie) et une vingtaine d’Églises autonomes (Finlande, Japon…), l’orthodoxie présente le visage d’une religion dont les structures apparaissent très complexes. En réalité, ces Églises sont à la fois très diverses au niveau culturel ou politique, mais aussi, ce que l’on voit moins, très unies sur le plan essentiel du dogme. D’où un dualisme unique : de fortes rivalités au sein d’une doctrine partagée. Ce trait pourrait suffire à affaiblir durablement cette foi et à la vouer à un lent déclin. Il n’en est rien : on ne peut qu’être frappé par la manière dont les orthodoxes traversent les siècles de façon presque immuable, sans modifier d’un iota leur liturgie solennelle, et dont ils s’adaptent aux changements du monde – par exemple en se développant en Afrique.
Ce constat rend d’autant plus choquant le conflit armé que la Russie a déclenché contre l’Ukraine, le 24 février 2022. Parmi toutes les menaces que Vladimir Poutine fait lourdement peser sur l’Ukraine, le facteur religieux est en effet d’une grande importance. Vu de loin, Russes et Ukrainiens sont frères dans l’orthodoxie, ce qui devrait plutôt œuvrer à l’apaisement. Or, c’est exactement le contraire qui se produit. Les deux peuples partagent un récit fondateur commun, mais âprement disputé : c’est sur le territoire actuel de l’Ukraine que la Russie a vu politiquement le jour, phénomène consacré par la conversion de son souverain, Vladimir …