Dans une lettre adressée au Père Mersenne le 15 avril 1630, Descartes justifia en ces termes sa foi dans l’intangibilité des vérités mathématiques : « C’est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume (…) On vous dira que si Dieu a établi ces vérités, il les pourrait changer comme un roi fait ses lois ; à quoi il faut répondre que oui si sa volonté peut changer. – Mais je les comprends comme éternelles et immuables. – Et moi je juge de même de Dieu ». Ces quelques lignes éclairent la diversité des facettes – théologique, juridique et épistémologique – de la souveraineté, dont il faut retracer la généalogie pour comprendre sa place dans l’œuvre gaullienne.
Le concept de souveraineté a été forgé en même temps que celui d’État par les juristes et théologiens médiévaux, pour lesquels la figure première du souverain était le Dieu tout-puissant de l’Ancien Testament. Étant le produit de l’histoire institutionnelle de l’Europe occidentale, ces concepts d’État et de souveraineté ne peuvent être projetés sans précaution sur des périodes antérieures ou sur d’autres civilisations. Le droit romain classique ignore la souveraineté, le politique y étant pensé au travers des notions d’imperium, de potestas, d’auctoritas ou de ius. De même, pour ne prendre que cet exemple, le Japon s’en est passé jusqu’au XIXe siècle, où il l’importa pour être reconnu comme « État souverain » par les puissances occidentales ; mais cette importation a donné lieu à des définitions de la souveraineté ignorées en Occiden…