La mémoire a exploré les rives de l’artificialité avant l’intelligence, offrant la capacité pour l’homme de travailler à mémoriser l’ordre du monde en suivant les préceptes du poète grec Simonide de Céos. La mémoire, désormais externalisée à la machine, augmente l’homme naviguant dans un atlas numérisé, synonyme de capitalisation, d’archivage et de corrélation automatisée. Ce renversement n’est pas anodin car « si les technologies numériques peuvent libérer un potentiel inexploré de la mémoire par le fait de son extériorisation, elles peuvent également provoquer le contraire, c’est-à-dire bloquer les possibilités scellées dans la mémoire ». Puisque l’art de la mémoire n’est plus ce combat « pour exercer les capacités du cerveau », il devient une course au nombre de serveur et d’algorithme pour soutenir l’analyste de renseignement dans son appréhension des rémanences, dans son rapport immersif avec la donnée au service d’une forme de « connaissance traversière » fondée sur la « puissance intrinsèque de montage qui consiste à découvrir […] des liens que l’observation directe est incapable de discerner ».
Or, dans un monde où l’image – l’information comme la donnée – s’avère foisonnante, où le temps court s’impose et où l’immédiateté prime, l’acteur étatique en mesure de connaître pour anticiper pourra forcer le destin en sa faveur. Le renseignement est l’un des outils idoines pour saisir l’urgence du monde, ses soubresauts et ses lignes de rupture, et anticiper ses lignes de fractures futures…