CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 « Faut-il tuer Clausewitz ? » ou encore : « Clausewitz : un mort qui se porte bien ». Tel est le titre de la pièce qu’à certains égards la réflexion stratégique, politique et philosophique sur le rôle de la violence dans les rapports entre États semble jouer, au moins depuis 1918, sinon depuis l’avènement de l’âge industriel. Que la force soit l’instrument de la politique et la guerre la continuation de celle-ci par d’autres moyens, cette idée clausewitzienne a connu, à notre époque, une alternance et une combinaison continuelles de confirmations et de démentis.

2 Aux utopies du XVIIIe siècle, de la paix par le commerce, succèdent les guerres napoléoniennes, aux utopies du XIXe siècle, de la paix par la science, par l’industrie ou par la démocratie, succède la guerre de 1914-1918. On semble, dès lors, avec la guerre hyperbolique, la révolution soviétique, la naissance des États totalitaires, entrer dans une ère où Clausewitz se trouve dépassé à la fois par Ludendorff et par Lénine qui, l’un et l’autre, voient dans la politique la continuation de la guerre par d’autres moyens : ni la politique des années trente ni la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale ne semblent les démentir.

3 Depuis 1945, nouveau renversement : l’optimisme de la paix par l’organisation internationale, caractéristique des après-guerres, celui de la paix par le primat des valeurs pacifiques, de l’intérêt ou de la coopération, se trouvent d’abord mis en cause puis renforcés par le facteur nucléaire – qui apparaît comme porteur d’abord de catastrophe, ensuite d’équilibre. En Europe et entre grandes puissances, la combinaison de la « paix par la terreur » et de la « paix de satisfaction », pour reprendre les termes de Raymond Aron, semblerait éliminer la force de la politique internationale.

4 Pourtant, les efforts des grandes puissances pour maintenir ou accroître leur potentiel nucléaire montrent bien que celui-ci ne doit pas, à leurs yeux, être dépourvu de signification politique, même si celle-ci, fort heureusement, ne se traduit pas par l’épreuve de vérité classique du conflit armé. En Corée et au Vietnam, en Hongrie et en Tchécoslovaquie, au Moyen-Orient ou entre l’Inde et le Pakistan, les exemples de guerres impliquant non certes les deux Grands mais soit l’intervention de l’un d’eux soit l’affrontement d’autres pays ne manquent pas. Enfin, et peut-être surtout, une nouvelle réincarnation de Clausewitz apparaît sous les traits de Mao. Que « le pouvoir sorte du canon d’un fusil », on peut y voir une réaffirmation soit du primat de la politique soit de sa militarisation : sans doute les deux aspects sont-ils présents dans la réalité chinoise et dans celle de la guerre révolutionnaire ou subversive. Celle-ci, dans la révolution chinoise comme dans la décolonisation, se révèle comme un des phénomènes majeurs du XXe siècle, du moins dans les pays sous-développés.

5 Mais là encore, les choses seraient trop simples si l’on n’y voyait que la découverte d’un nouvel instrument ou d’une nouvelle méthode au service d’une finalité et d’une volonté politiques et idéologiques immuables.

6 Plus la guerre révolutionnaire se répand, plus elle semble se diluer et se charger d’ambiguïté dans ses sources, son action et ses conséquences. Longtemps, on a pu y voir essentiellement une forme de stratégie indirecte ou de manœuvre globale de subversion. Aujourd’hui, guerres civiles, coups d’État, conflits ethniques allant de la guérilla au génocide, se multiplient dans le Tiers-Monde, mais ce qui frappe, c’est plutôt leur diversité, ainsi que celle de l’action des puissances extérieures qui parfois les provoquent, parfois les exploitent, mais, tout aussi souvent, contribuent à leur répression ou se maintiennent dans l’hésitation ou l’expectative, même lorsqu’elles se prétendent révolutionnaires. À plus forte raison dans l’Occident développé, où le déclin des institutions et la recrudescence de la violence intérieure semblent marquer une sorte de « tiers-mondisation », il arrive que désordre et conflit soient provoqués par des groupes voués au terrorisme ou à la guérilla urbaine ; il arrive qu’ils soient exploités par des forces organisées, nationales ou internationales, comme les partis communistes ou l’Union soviétique ; mais il reste que, très souvent, ceux qui provoquent les troubles ne sont pas les mêmes que ceux qui les exploitent ou en bénéficient ; le désordre échappe aux uns et surprend les autres. Le décalage entre les calculs politiques et les explosions ou les cheminements de la violence permet de penser que plus celle-ci pénètre à l’intérieur des sociétés, plus elle apparaît comme difficile à prévoir, à manipuler ou à contrôler.

7 Mais, à un autre point de vue et d’une tout autre manière, n’en va-t-il pas de même pour la force nucléaire ? Peut-être – c’est du moins la thèse de cet article – ce qui dans la formule de Clausewitz est mis en question par l’évolution contemporaine, n’est-ce pas la présence de la force, ni son importance pour la politique, mais la nature de la relation entre elles ; peut-être cette relation, loin de disparaître, est-elle devenue à certains égards tellement intime, qu’entre une force essentiellement politisée et une politique essentiellement conflictuelle il n’y a plus de distinction claire ni de hiérarchie immuable. La relation clausewitzienne serait alors un cas particulier, lié à un certain type de politique, celui qui permet de distinguer nettement la diplomatie entre États de la politique intérieure, et à un certain type de force, celui que nous appellerions aujourd’hui classique ou conventionnel. Aujourd’hui, précisément, d’une part l’interpénétration, dans nos sociétés, des phénomènes externes et internes et la création d’une véritable politique transnationale, d’autre part l’apparition et le rôle croissant, dans l’éventail de la force, des niveaux nucléaire et révolutionnaire, aboutissent à brouiller les cartes, car elles mettent en question non seulement la formule de Clausewitz, mais toute l’analyse classique du rôle respectif de la force dans les rapports intra- et interétatiques.

8 Selon l’analyse classique, c’est précisément par rapport à la violence que se définit l’opposition de nature entre rapports intra- et interétatiques. Les premiers sont caractérisés par l’état civil, c’est-à-dire par l’abandon de l’état de nature, où chacun se fait justice soi-même, au profit d’une autorité légitime chargée d’arbitrer les conflits entre citoyens et d’organiser leur sécurité. Les États, au contraire, restent entre eux dans l’état de nature, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas soumis à une autorité supérieure capable de faire respecter ses décisions et qu’ils sont donc en état de guerre virtuelle, de vigilance perpétuelle et d’insécurité. On trouve cette idée exprimée avec une clarté parfaite sur le plan philosophique par Hobbes (définition de l’état de nature comme un état de guerre de tous contre tous), sur le plan sociologique par Max Weber (qui définit l’État moderne par le monopole de la violence légitime) sur le plan de l’analyse contemporaine des relations internationales par Raymond Aron : pour lui ce qui caractérise les relations internationales, c’est précisément le fait que chaque État se réserve le droit de recourir à la force ; d’où la spécificité de la « conduite diplomatico-stratégique » (où l’on retrouve la dualité clausewitzienne) et la définition de la théorie des relations internationales comme théorie de la guerre et de la paix [1].

9 C’est cette opposition qui nous semble, aujourd’hui, battue en brèche de la manière la plus paradoxale. Il semble que l’État ait à la fois de plus en plus de mal à faire respecter, à l’intérieur, son monopole de la violence légitime et à exercer, à l’extérieur, sa capacité de recours à la force.

10 Si c’est celle-ci qui définit la conduite diplomatico-stratégique, ne serait-on pas fondé à dire que, par exemple, entre États développés occidentaux, les relations, qu’il s’agisse de négociations, de pressions, de crises ou de conflits, s’apparentent plutôt à la politique intérieure ? Quelles que soient les tensions, voire les ruptures, peut-on dire qu’elles soient caractérisées par la possibilité ultime du recours à la force, que le cas extrême d’une guerre entre la France et les Pays-Bas ou entre les États-Unis et les pays du Marché commun soit à l’horizon de leurs rapports ?

11 Dans d’autres cas, comme entre grandes puissances nucléaires, la possibilité de la guerre est bien au centre des relations, mais c’est sous la forme de la nécessité absolue de l’éviter ; l’effort pour organiser ce refus de manière permanente commence à prendre la forme d’une coopération, institutionnalisée par les traités d’arrêts des expériences nucléaires, de non-prolifération ou les négociations SALT (Strategic Arms Limitation Talks). En tout cas, si le danger de guerre nucléaire existe, on ne peut pas dire que la menace d’y avoir recours fasse partie de l’arsenal de la diplomatie. Inversement, si les relations entre États prennent parfois un caractère de « politique intérieure mondiale », les relations à l’intérieur de certains États ont plutôt le caractère attribué classiquement à la politique internationale : plutôt que sur l’autorité d’un pouvoir central, sur celle de la loi, ou sur un sentiment de communauté, la paix y repose sur l’équilibre instable de groupes prêts à recourir à la force. Dans bien des pays sous-développés ou multinationaux, la paix est bien un état de guerre virtuelle soit de tous contre tous, soit de deux communautés polarisées en état de « guerre civile froide », selon l’expression d’André Fontaine. Plus souvent que la guerre froide internationale, celle-ci dégénère en guerre chaude. S’il y a diminution apparente de la violence dans les rapports interétatiques, il y a augmentation apparente de la violence à l’intérieur des États : désordres, guerres civiles, révolutions, guerres subversives. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la grande majorité des conflits violents a eu lieu dans le Tiers-Monde, et à l’intérieur des frontières d’un seul État à la fois [2].

12 Aujourd’hui, dans les pays développés eux-mêmes, la violence individuelle, sociale et politique, n’est peut-être pas, statistiquement, plus considérable qu’à d’autres époques, mais elle frappe davantage, non seulement parce qu’elle est répercutée, amplifiée et souvent provoquée par les communications de masse, en particulier la télévision, mais surtout parce qu’elle fait, justement, contraste à la fois avec l’espoir d’un progrès dans l’harmonie sociale accompagnant l’abondance et avec la réduction de la crainte et de la réalité des guerres entre États. Si la Belgique ou le Canada connaissent la violence, elle a plus de chances d’opposer Belges ou Canadiens entre eux qu’à d’autres États. Encore peut-on dire que les plus grands pourvoyeurs de violence sont les conflits de minorités ou de nationalités donc, encore, des conflits nationaux ou interétatiques, du moins aux yeux d’une des parties et du moins en puissance. Mais il semble incontestable que les conflits sociaux eux-mêmes, même lorsqu’ils ne vont pas jusqu’à la guérilla urbaine ou jusqu’à la guerre civile, se chargent à nouveau d’une violence au moins potentielle, qu’on avait cru dépassée. À tout le moins, de même que les mécanismes normaux du changement et de la création de nouveaux équilibres sur le plan international (négociation, guerre, annexions territoriales) semblent souvent grippés dans le sens de la paix, de même les mécanismes de l’équilibre et du changement pacifiques à l’intérieur, par les institutions parlementaires ou les procédures syndicales régulières, semblent souvent bloqués en faveur de la violence spontanée, diffuse, anarchique, explosive ou frondeuse de différentes catégories sociales.

13 Dans les deux cas opposés, l’analyse pourrait retrouver des racines communes. Toujours la force n’est arrêtée, neutralisée ou limitée, que par une force équivalente ou supérieure, à condition que celle-ci sache à la fois se faire accepter (et donc se transformer en droit) et réserver des issues au changement pacifique. Deux structures de puissance sont possibles à cet effet, à l’intérieur comme à l’extérieur : l’existence d’une autorité supérieure, exerçant des pouvoirs de sanction et d’arbitrage, ou celle d’un équilibre entre puissances comparables. Le système européen moderne reposait sur l’existence de la première condition à l’intérieur (l’autorité de l’État tempérée par l’équilibre des pouvoirs dans les États constitutionnels) et sur la seconde à l’extérieur : l’équilibre des puissances. La crise actuelle ne viendrait-elle pas de ce que l’autorité des États nationaux, à l’intérieur, les calculs de l’équilibre diplomatique et stratégique, à l’extérieur, se trouvent mis en cause par des conditions nouvelles ?

14 Autorité et équilibre ne supposent-ils pas le respect de certaines règles fondées sur un mélange de communauté et de compétition (de compétition dans la communauté, à l’intérieur, de compétition entre communautés, à l’extérieur) qui seraient mises en cause par la violence des nouveaux conflits et par l’émergence de nouvelles solidarités ?

15 D’autre part, les caractères mêmes de la technique moderne ne frappent-ils pas les sociétés nationales d’une double vulnérabilité, nouvelle ou du moins considérablement accrue : vulnérabilité à la destruction totale par l’extérieur, du fait de l’arme nucléaire, et à la désintégration par l’intérieur, du fait de la pénétration des courants transnationaux par l’effet irrésistible des communications modernes et du fait de leur manipulation éventuelle ?

16 Les deux grands facteurs de l’évolution stratégique et politique, celui des forces matérielles et celui des forces morales, celui de la technique (au sens étroit de la technique militaire et au sens large de la société technologique) et celui de la psychologie sociale (au sens étroit des attitudes idéologiques et au sens large de l’évolution des aspirations des valeurs et des mœurs) sembleraient conspirer à l’effacement ou du moins à la séparation relative de la politique et de la stratégie en faveur de la coexistence d’une paix nucléaire fondée sur une nouvelle stabilité technique et d’une anarchie sociale fondée sur une éternelle instabilité psychologique.

17 Nous retrouvons ainsi les avatars de Clausewitz et les limites de la conduite diplomatico-stratégique et des équilibres auxquels elle aboutit. Peut-être suppose-t-elle une liberté d’action des États qui, à son tour, requiert une unité du corps politique et une flexibilité ou une maniabilité de l’instrument militaire difficiles à trouver lorsque croît l’importance des niveaux qui obéissent à une structure et à un dynamisme différents : l’équilibre nucléaire, la guérilla ou guerre révolutionnaire, la politique transnationale, celle des forces et des courants qui dépassent les frontières soit par leur nature propre, soit par imitation, contagion ou réaction entre phénomènes intérieurs à plusieurs États, ou par réaction politique ou militaire d’un État à l’évolution intérieure d’une autre société.

18 Comprendre les relations actuelles entre la politique et la force, c’est d’abord distinguer ces différents niveaux et analyser leurs relations et la manière dont celles-ci s’articulent, pour les différentes régions, et pour leurs rapports avec le système international global.

19 Le phénomène le plus général, et le plus frappant, est le suivant : alors que les deux niveaux politique et militaire classiques ont entre eux un rapport relativement clair, exprimé par la formule de Clausewitz, il n’en va pas de même pour les autres. Le niveau supérieur de l’équilibre nucléaire a beaucoup de mal à trouver sa traduction politique et a tendance à se figer en un équilibre immobile et autonome. Au contraire, le niveau de la guerre sous-classique et celui de la politique transnationale ont tendance à se confondre en une réalité unique, celle de conflits et de transformations dont la forme et le rythme, tantôt violents, tantôt pacifiques, tantôt lents, tantôt explosifs, par leurs côtés collectifs et non structurés, ne se prêtent guère aux distinctions tranchées, et encore moins aux règles ou aux mécanismes des institutions juridiques, de la diplomatie ou de la stratégie.

20 Entre la tendance nucléaire au gel ou à l’immobilité, la tendance diplomatico-militaire classique à la flexibilité de l’action modérée par les calculs de la prudence, et la tendance transnationale révolutionnaire aux transformations ponctuées d’explosions, s’instaurent des rapports dont la nature détermine la situation des différentes régions et du système dans son ensemble.

21 Ainsi, en Europe, où la guerre, classique et de guérilla, reste jusqu’ici peu probable à cause de l’engagement nucléaire direct des grandes puissances et de la nature des sociétés, c’est essentiellement entre les niveaux diplomatique et socio-idéologique que s’engage le dialogue à l’ombre des fusées. Au Moyen-Orient, la diplomatie et surtout la guerre classique ont un rôle beaucoup plus considérable, le niveau nucléaire et les deux niveaux sous-étatiques, un rôle plus réduit. En Afrique, au contraire, c’est essentiellement à l’intérieur des États que se produisent évolutions et révolutions pacifiques ou violentes. En Asie, tous les niveaux se trouvent en action avec, cependant, un rôle du niveau nucléaire moins décisif qu’en Europe.

22 Dans l’ensemble, il y a eu jusqu’ici une certaine coïncidence approximative entre l’équilibre nucléaire, le monde industriel et la paix. Plus précisément, on peut classer les régions selon leurs rapports avec l’équilibre stratégique global des grandes puissances et les possibilités d’escalade des conflits locaux qui résultent de leur degré d’engagement et de présence. À une extrémité, il y a l’Europe où le lien entre l’équilibre régional et l’équilibre stratégique global, par la présence à la fois des armes nucléaires et des troupes américaines et soviétiques est tel qu’un conflit Est-Ouest ne pouvait éclater parce qu’il aurait entraîné l’escalade et la guerre générale. C’est bien pourquoi, contrairement à celle des deux Vietnam ou des deux Corée, la guerre des deux Allemagne n’a pas eu lieu. L’intervention pour les prévenir eût été certaine, mais le caractère des sociétés et des régimes a de toute façon rendu cette intervention inutile. En revanche, les deux Allemagne – pour garder cet exemple – perdaient en liberté d’action par comparaison à d’autres régions ce qu’elles gagnaient en sécurité, la présence des deux Grands signifiant à la fois protection et contrôle.

23 À l’autre extrémité, on trouve les régions comme l’Afrique, où les sociétés sont très instables, mais où les grandes puissances ne sont pas directement et physiquement engagées. Les guerres interétatiques y sont rares, car la faiblesse des gouvernements leur interdit les aventures militaires et leur impose une solidarité, passive ou active, contre les tentatives de subversion ou de sécession. Mais à l’intérieur des États, les conflits violents – du coup d’État au génocide – se succèdent et peuvent suivre tout leur cours sanglant sans provoquer d’escalade ou d’intervention massive et sans affecter vraiment l’équilibre des puissances.

24 Troisièmement, enfin, il y a les régions comme l’Asie ou le Moyen-Orient, qui sont suffisamment importantes pour que les superpuissances y soient engagées, mais où leur présence est suffisamment ambiguë pour que personne, y compris elles-mêmes, ne puisse savoir à l’avance dans quelle mesure elles contrôlent leurs alliés ni jusqu’où elles sont engagées vis-à-vis d’eux et quels risques elles sont prêtes à courir entre elles pour les protéger. Ce sont là, évidemment, les régions les plus dangereuses, car l’instabilité des sociétés et l’existence de disputes territoriales y coïncident avec l’importance stratégique et l’engagement des grandes puissances. Dans les zones où l’une d’elles seulement est présente, ou presque, comme l’Amérique latine ou l’Europe de l’Est, les risques d’escalade, au niveau du conflit mondial, sont moins grands, car chacun des Grands peut se laisser entraîner à y pratiquer des interventions qui ne provoquent pas de réactions automatiques de la part de l’autre, mais comportent néanmoins des risques d’escalade par solidarité idéologique (Cuba) ou contiguïté géographique (Berlin, Allemagne de l’Est, Yougoslavie).

25 Déjà donc, dans le système à prédominance bipolaire que nous avons connu jusqu’ici, la diversité des régions et l’ambiguïté de bien des situations jouaient contre l’idée que le rôle – contrôlé ou non – de la force, était dépassé. Mais ce système est en train de changer. Sa composante territoriale et politique (un contrôle rigoureux du monde communiste par l’Union soviétique et, vis-à-vis, une domination plus flexible et diffuse du reste du monde par les États-Unis) est mise en cause de différents côtés. Il y a à la fois des modifications d’équilibre entre les Grands, une multiplication des centres de puissance qui leur échappent et une crise intérieure à leurs empires et à leurs propres sociétés.

26 Dans ce monde en changement, les deux grands facteurs que nous avons indiqués comme mettant en question la relation classique de la diplomatie et de la force, celui de l’équilibre nucléaire et celui de l’évolution sociale et idéologique, jouent de manière encore plus complexe qu’auparavant, et encore plus propre, nous semble-t-il, à justifier notre diagnostic selon lequel le rôle de la force, plutôt que d’être supprimé ou même nécessairement réduit, devient simplement plus indirect, plus diffus, et moins prévisible et calculable.

27 Le facteur nucléaire a toujours présenté cette double caractéristique de rendre plus difficile la guerre interétatique, mais aussi la solution politique des problèmes. Les zones couvertes par lui ont incontestablement moins été exposées à la guerre, mais leurs problèmes y ont eu moins de chances de progresser. La logique du fait nucléaire est celle du statu quo ou de la pétrification. Il gèle les situations acquises, maintient villes, pays ou continents dans une division ou sous une domination qui, sinon, auraient pu faire place à la guerre, mais aussi, peut-être à la libération ou à la réunion. Un jour, les frustrations refoulées par le couvercle nucléaire peuvent déborder, surtout si ce couvercle se soulève légèrement.

28 Or, précisément, il se peut que la solidité du barrage nucléaire soit en train d’être remise en cause. Elle repose sur l’équilibre (ou sur une supériorité modérée pour le côté qui défend le statu quo) au niveau nucléaire lui-même, et surtout sur une continuité ou une imbrication incontestables entre le niveau nucléaire et les autres niveaux auxquels il est censé communiquer quelque chose de sa stabilité. L’équilibre global n’a pas empêché les guerres ailleurs qu’en Europe parce que ce qui se passait ailleurs ne le mettait pas en cause directement et que la présence des troupes et des armes atomiques tactiques n’y introduisait pas une continuité dans l’échelle de l’escalade.

29 Or, à ces divers points de vue, les changements en cours recèlent autant de dangers sur le plan de la sécurité que de promesses sur celui de la flexibilité. L’équilibre nucléaire entre les deux Grands semble, si les tendances actuelles se prolongent, pouvoir être mis en question par les étonnants progrès soviétiques de ces dernières années. À tout le moins, une parité reconnue et formalisée par les négociations SALT enregistre-t-elle une diminution de la protection américaine qui devait une partie de sa crédibilité à la supériorité des États-Unis.

30 On objectera que les notions de supériorité et de protection ont perdu depuis longtemps tout sens et que l’équilibre est garanti et la protection rendue impossible par l’impossibilité d’une stratégie anti-forces. C’est probablement vrai militairement et à moyen terme. Ce ne l’est probablement pas psychologiquement à court terme et peut-être militairement à long terme.

31 Il en va des avatars de la course aux armements nucléaires comme des avatars de la compétition indirecte dans le Tiers-Monde. Il serait également faux d’y voir une lutte à mort devant aboutir à la victoire d’un camp et à sa domination sur le monde, ou d’y voir des péripéties sans importance n’affectant pas les rapports de force entre grandes puissances. Ce qui est affecté, dans les deux cas, c’est leur sentiment de confiance ou d’incertitude, leur volonté d’engagement ou de prudence, leur acceptation du risque. Et c’est là que l’autre facteur, celui de la présence sur le terrain, est encore plus important. Si, en même temps que l’équilibre global se déplace à leur détriment, les États-Unis relâchent les liens qui lui rattachent l’équilibre européen, si les retraits de troupes et d’armes atomiques tactiques, si les négociations sur les armes stratégiques et sur la réduction des forces en Europe aboutissent à « découpler » ou à séparer le théâtre européen de l’équilibre nucléaire des deux Grands, tandis que l’URSS renforce sa puissance militaire et son dynamisme diplomatique, alors l’Europe risque de retrouver les problèmes et les dangers des autres continents.

32 Les différents États d’Europe occidentale gagneraient en liberté d’action, mais perdraient en sécurité. Ils se trouveraient placés devant les dilemmes de l’indépendance et de la solidarité ou de la protection. L’Allemagne, notamment, verrait s’ouvrir à la fois des perspectives et des dangers ; elle sera, si l’Europe occidentale ne lui fournit pas une sécurité et une solidarité, un équilibre et un encadrement proprement européens, tentée à la fois de se raccrocher aux derniers restes ou aux dernières illusions de la protection américaine, et de chercher des assurances de sécurité ou des promesses d’influence dans une détente inconditionnelle ou une relation privilégiée avec Moscou, à moins de s’orienter vers un effort nucléaire national que ceux-là mêmes, à l’étranger, pour qui les armes nucléaires ne sauraient aujourd’hui avoir de fonction autre que dissuasive et nationale, ne verraient pas sans inquiétude ni mauvaise humeur. L’Europe risque de connaître non seulement l’incertitude des autres continents, mais un sentiment de vulnérabilité et de paralysie par soupçons mutuels qui en ferait, au point de vue de la puissance, une zone plus ou moins neutralisée qui renoncerait à la force, mais n’en serait que plus sensible aux pressions, généralement implicites, indirectes ou négatives, de la grande puissance la plus proche ou la plus décidée.

33 Ailleurs, les incertitudes de l’évolution politique pourraient encourager la prolifération nucléaire dans les deux grandes zones de dangers – l’Asie et le Moyen-Orient. Si le Japon, l’Inde, Israël devenaient puissances nucléaires, qui peut garantir qu’il en résulterait, comme en Europe, un équilibre stable excluant l’usage des armes atomiques et rendant moins probable celui des autres ? Rien, non plus, n’interdit de l’espérer, mais le point essentiel est que le changement du système international devrait, pour le rôle du facteur nucléaire, avoir, selon les régions, des conséquences diverses et pouvant aller dans le sens de l’équilibre, mais aussi dans celui de l’érosion ou de l’explosion.

34 Les effets du second facteur, celui qu’on peut désigner sous le nom de modernisation sociale, sont encore plus complexes et contradictoires. Prenons-en pour exemple le cas qui est le plus souvent cité pour prouver l’impuissance actuelle de la force, celui des États-Unis au Vietnam. Si les États-Unis n’ont pas réussi, par la force, à atteindre leurs objectifs, c’est à la fois à cause de la résistance du Nord-Vietnam et à cause des réactions de l’opinion intérieure américaine. La première de ces raisons peut s’expliquer, dans le contexte de la décolonisation, par la volonté d’indépendance et l’ardeur au sacrifice d’un peuple sous-développé, ou, dans un contexte idéologique et stratégique, par l’organisation et la discipline d’un État dirigé par un mouvement communiste issu de la guerre révolutionnaire. De même, la deuxième peut s’expliquer par l’effet de la télévision, le primat des valeurs civiles et le déclin de la volonté de puissance dans une société d’abondance ou par la difficulté, analysée depuis longtemps par Montesquieu et Tocqueville, pour une démocratie libérale de mener une guerre de conquête ou une guerre limitée, voire d’avoir une politique étrangère.

35 Les observateurs peuvent insister sur l’aspect vietnamien ou sur l’aspect américain, sur l’aspect des étapes du développement économique et social ou sur celui des types d’organisation politique. En tout cas, le simple fait d’opérer ces distinctions permet sans doute à la fois d’introduire plus de précisions et de nuances dans notre jugement sur le rôle de la force et de poser quelques questions qui, aujourd’hui, ne peuvent que rester ouvertes.

36 Premièrement, ce qui rend aujourd’hui les guerres coloniales plus difficiles, c’est qu’incontestablement il y a une mobilisation sociopolitique accrue chez les pays sous-développés (où une proportion croissante de la population se trouve amenée, d’une manière ou d’une autre, à la politique nationale et mondiale). Inversement, on a souvent parlé de dépolitisation dans les pays développés : à l’Ouest comme à l’Est, d’ailleurs, il semble bien que la part de la vie privée, individuelle, familiale ou professionnelle s’accroisse (comme l’avait déjà noté Benjamin Constant opposant la liberté des modernes à celle des anciens) par rapport à la vie collective, du moins hors des périodes exceptionnelles. Il semble, également, qu’une certaine forme violente de nationalisme soit en hausse dans les pays nouvellement indépendants, et en baisse chez les pays développés, du moins occidentaux. D’où le problème : y aurait-il une plus grande difficulté de la conquête ou de l’occupation militaire en pays sous-développé (comme au Vietnam) et une plus grande facilité en pays développé (comme en Tchécoslovaquie) ? L’opposition de cœur du peuple tchécoslovaque à l’occupation soviétique n’était certainement pas moindre que celle du peuple nord-vietnamien aux États-Unis. S’il n’y a pas eu de résistance militaire comparable, est-ce dû seulement aux conditions de terrain ou aussi au fait qu’un peuple occidental, urbanisé, voire embourgeoisé, ne se bat pas sans chances de victoire – ce qui a contrario expliquerait pourquoi les paysans bosniaques ou monténégrins ont une valeur dissuasive supérieure ?

37 Mais il y a aussi le deuxième aspect, celui des grandes puissances en cause, et c’est alors l’autre facteur, celui du régime politique, qui entre en ligne de compte : une démocratie libérale a du mal à utiliser la force – en violation, du moins apparente, de ses principes et sous les yeux de son opinion publique. L’URSS n’a pas ces problèmes : ni ses électeurs ni ses universités n’ont réagi après l’invasion de Prague comme ceux des États-Unis après l’offensive du Têt ou l’invasion du Cambodge. Dès lors, la conclusion ne s’impose-t-elle pas selon laquelle le rôle de la force est fondamentalement différent selon que les deux adversaires sont une démocratie libérale surdéveloppée face à un peuple sous-développé à régime communiste, ou une puissance communiste, en partie sous-développée, face à un pays européen développé, même communiste, mais à plus forte raison libéral ?

38 On aurait tort d’en conclure que le primat des valeurs civiles entraîne nécessairement une diminution de la volonté de défense, ou que la tendance chez certains groupes à se donner un horizon fondé sur l’affinité de génération plutôt que sur une communauté politique entraîne nécessairement un déclin de l’identification nationale ou occidentale. Devant la menace directe de la force ou de l’oppression, bien des expériences passées montrent que les sursauts des démocraties sont plus puissants que la discipline des dictatures. Mais, précisément, le danger est moins celui de l’invasion ou de la menace brutale et directe de la force, que celui de l’érosion – spontanée, encouragée ou importée – en temps de paix du souci de la solidarité dans les sociétés pluralistes, du souci de la défense dans les sociétés pacifiques, du souci d’équilibre extérieur dans les sociétés libérales.

39 À la crise à laquelle nous assistons partout, entre États et société et, sur le plan international, entre le système relativement stable des États et l’évolution relativement chaotique de la société transnationale, différentes issues sont possibles. L’État ou les États peuvent choisir la répression contre le désordre social, et en tirer des sources d’expansion de leur autorité à l’intérieur ou de leur action à l’extérieur, quitte à risquer un jour de provoquer l’explosion. Ou au contraire il peut y avoir un lent déclin ou une lente absorption de l’autorité par la société. Ce serait l’érosion des systèmes : l’État, par ses institutions, l’alliance, par son dispositif militaire, continuent à exister, mais dans la mesure où ils se cantonnent dans une définition technique et étroite de leur fonction, les préoccupations, les valeurs, l’évolution de la société leur échappent de plus en plus. Les préoccupations de la partie (Nations dans les alliances, groupes et individus dans les Nations) l’emporteraient sur celles du tout, dont seuls quelques spécialistes assureraient le fonctionnement : d’où le risque d’États sans citoyens et sans hommes d’État et de guerres sans guerriers.

40 Dans un système international bloqué et une société technobureaucratisée, on pourrait concevoir de manière presque permanente une sorte d’anarchie intérieure contenue dans certaines limites par des structures continuant leur vie propre. À la longue, cependant, les dangers de perte de légitimité, d’effondrement ou de réaction violente subsistent. Plus encore, ils peuvent venir de l’extérieur si la contagion des explosions d’un autre sous-système se communique au sous-système en érosion, ou si celui-ci offre des tentations à l’expansion du premier.

41 Entre sociétés développées et abritées d’une manière ou de l’autre par le parapluie nucléaire, la probabilité est que les notions d’équilibre, de puissance, d’influence ou de conquête prennent un sens nouveau. Le système continue à tenir bon, mais ce qui se passe à l’intérieur devient, d’un sous-système à l’autre, l’objet d’une course inversée à l’érosion, ou à la décadence qui serait l’équivalent moderne de la course à la puissance. Nul ne conquiert personne, nul n’invite personne à sortir de l’alliance opposée ; extérieurement, au point de vue de la division territoriale et du danger d’agression, rien ne se passe. Mais en réalité, tout se passe à l’intérieur, dans la perception que les populations des nations et des alliances ont de leur solidité, de leur unité, de leur dynamisme comparés. Une politique offensive consisterait, dès lors, non pas à chercher à détruire l’adversaire, ou le système dont il fait partie, mais à s’efforcer de décourager ce qui l’unifie et le renforce, d’encourager chez lui non la révolution, mais un relatif mélange de paralysie et d’anarchie. Ce serait là peut-être, à l’âge nucléaire, le substitut de la conquête ou du renversement des alliances en même temps qu’une assurance prise pour le cas d’un effondrement du système ou de sa transformation radicale.

42 En tout cas, c’est avant tout sous cette forme indirecte et complexe de la dialectique de l’érosion et de la rétraction, de l’expansion et de l’explosion, que se pose aujourd’hui le problème des rapports entre force et politique.

43 Dans l’ensemble, les forces qui poussent à l’expression, à l’érosion et à la rétraction semblent plus visibles à l’Ouest, celles qui poussent à la répression et à l’expansion et risquent d’entraîner l’explosion le sont plus à l’Est. Pour l’instant, ce sont l’URSS, et depuis la fin de la révolution culturelle, la Chine, qui bénéficient de la plus grande liberté d’action en matière de politique extérieure, d’intervention militaire et d’aptitude à faire régner l’ordre dans leurs propres États et sphères d’influence. Les signes d’érosion et de rétraction présents à l’Ouest sont plus évidents que les perspectives de surextension ou d’explosion future à l’Est.

44 Cependant, si l’on fait entrer le Tiers-Monde dans la perspective, on s’aperçoit que les pays communistes occupent, au moins au point de vue de la violence intérieure, une place intermédiaire et instable. Si l’on voulait résumer en une phrase la situation comparée des « trois mondes », on pourrait dire que l’on assiste à des conflits intérieurs d’une grande ampleur et d’une grande violence dans les pays en voie de développement, ainsi qu’à des organisations étatiques et des relations de puissance incertaines et instables. En Occident, on a des conflits intérieurs croissants, mais à intensité relativement modérée, à l’intérieur d’organisations et de relations de puissance relativement flexibles. Dans le monde communiste, la répression est structurelle, mais la violence intérieure ouverte est très rare en raison de la rigidité des organisations et des relations de puissance. La grande question est de savoir si ce monde communiste évoluera (par érosion ou régénération ?) vers un désordre flexible de type occidental, ou s’il explosera en conflits prétoriens, nationaux ou de libération tels que ceux que connaît le Tiers-Monde.

45 Quant à la violence interétatique, objet initial de notre propos, elle nous paraît précisément devoir être fonction avant tout de ces évolutions intérieures. Ce qui a décliné, c’est la décision délibérée d’emploi direct de la force entre États développés, en particulier dans un environnement nucléaire. Il y a primat du calcul rationnel (économique ou stratégique) qui doit aboutir au refus de l’aventure. Parfois cependant, en situation d’inégalité, ce même calcul peut aboutir à un emploi plus facile de la force interétatique, comme en Tchécoslovaquie. Surtout, outre le maintien voire l’accroissement de la propension à la violence chez les États en voie de modernisation (corrigée, souvent, par leur faiblesse interne), il y a déplacement de la violence interétatique vers des formes plus indirectes.

46 Si premièrement, au déclin de la guerre, correspond une recrudescence des conflits et de la violence sur le plan intérieur, celle-ci peut rejaillir sur les rapports interétatiques par les dangers d'escalade et les occasions d'intervention qu'ils provoquent. Certes, les grandes puissances s’efforcent de ne pas s’y laisser entraîner et vont parfois, comme récemment à Ceylan, jusqu’à constituer une Sainte Alliance universelle pour le maintien du statu quo. Mais qui se souvient des troubles de Pologne ou observe la situation de l’Amérique latine sait qu’il y a place pour d’autres Tchécoslovaquie, voire pour d’autres Vietnam, et que parfois les dangers d’instabilité intérieure et d’intervention extérieure touchent, comme en Yougoslavie, au Moyen-Orient, en Inde, des pays qui appartiennent à la zone d’ambiguïté, donc de danger.

47 Deuxièmement, l’usage indirect de la force militaire en vue de pressions diplomatiques modérées, mais fermes reste possible, comme le montre l’exemple de la situation de bien des petits États, neutres ou alliés, proches d’une grande puissance ou protégés par elle. C’est le danger qui menace l’Europe si elle n’y prend garde.

48 Enfin et surtout, les effets encore plus indirects, apparentés aux précédents, de l’équilibre stratégique, de l’équilibre des craintes et des espérances, et de l’équilibre des volontés, sont l’élément qui nous paraît le plus difficile à mesurer, voire à identifier, mais qui pourrait être le plus décisif pour l’univers international de demain. Dans cet univers, l’emploi direct et offensif de la force sera presque toujours catastrophique – on peut donc espérer qu’il sera de plus en plus rare. Mais le rôle potentiel, indirect et défensif, de la force comme élément d’équilibre et de stabilité, sinon d’influence diffuse, sera l’envers inévitable et indispensable de ce déclin. Entre États comme à l’intérieur des sociétés, le progrès de la civilisation ne consiste pas à supprimer la force, mais à la domestiquer pour la faire servir à sa propre négation.

Notes

  • [1]
    Cf. son traité : Paix et guerre entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962.
  • [2]
    Selon David Wood : « Conflict in the Twentieth Century », Adelphi Papers, n° 48, juin 1968, sur 84 conflits recensés entre 1939 et 1968, 28 seulement ont pris la forme de guerres entre États. Selon Istwan Kende : « Twenty-Five Years of local Wars », Journal of Peace Research, vol. 8, n° 1, 1971, il s’agit de 15 guerres sur 97, depuis 1945.
Français

Ce qui est aujourd’hui en question dans la thèse de Clausewitz, ce n’est pas la présence de la force ni son importance dans la politique, mais la nature de leur relation. Actuellement paralysée au niveau supérieur, nucléaire, la violence se répand sous diverses formes à l’intérieur des États. La distinction jadis classique de Hobbes entre l’état civil et l’état de nature, caractéristiques respectivement des rapports intra- et interétatiques, s’en trouve singulièrement compliquée. À partir de ces réflexions, voici un essai de prospective concernant les diverses manifestations de la violence et les régions du monde qu’elles peuvent affecter.
Texte paru pour la première fois dans le n° 306 de la RDN, en décembre 1971.

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  • Hobbes
  • Clausewitz
  • prospective
Pierre Hassner
(1933-2018) Spécialiste français de relations internationales, directeur de recherche émérite au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) de la Fondation nationale des sciences politiques. Lauréat du Prix d'honneur 2011 de la RDN.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.827.0029
Pour citer cet article
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