CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le général Thierry Laval hérite d’une immense responsabilité en étant nommé à la tête du service militaire adapté (SMA), dispositif qui s’adresse aux jeunes des Outre-mer en difficulté face au monde de la formation et de l’emploi. La mise en œuvre du projet SMA 2025 est un défi qu’il saura, sans aucun doute, relever. « Notre victoire, leur réussite » : tel est le leitmotiv de tous les acteurs engagés dans le SMA, soit plus de 7 100 volontaires et cadres, militaires et civils en charge d’un dispositif efficient aux résultats reconnus, avec l’appui d’un réseau de partenaires ultramarins et métropolitains convaincus.

2 C’est à l’initiative de Michel Debré, Premier ministre, sur proposition du général Jean Némo, que le SMA est créé aux Antilles-Guyane en 1961, à titre expérimental. Le général Némo disait du SMA : « Sous son drapeau, il ne s’inscrira jamais de noms de victoires militaires, mais il est d’autres victoires, celles que l’on gagne contre la misère et le sous-développement. »

3 La création d’un dispositif adapté se justifiait et continue de se justifier par les nombreuses spécificités des départements et collectivités d’Outre-mer. Les économies ultramarines, confrontées à des handicaps structurels propres liés notamment à l’éloignement, à l’insularité et à leur taille réduite, enregistrent des taux de chômage bien plus élevés que celui de la métropole et qui touchent plus particulièrement les jeunes. En 2018, les taux de chômage s’élèvent à 24 % à La Réunion, 23 % en Guadeloupe, 19 % en Guyane, 18 % en Martinique et 35 % à Mayotte contre moins de 9 % en France hexagonale. Sur chacun de ces territoires, la moitié des jeunes de moins de vingt-cinq ans sont touchés par le chômage. Même si les dispositifs nationaux destinés à favoriser l’accès à l’emploi des publics les plus menacés par la précarité sont pleinement déployés dans les Outre-mer, des adaptations restent nécessaires.

4 De même, le décrochage scolaire tend à baisser sur la durée dans toutes les académies d’Outre-mer. Toutefois, celles-ci se distinguent encore par des taux de décrocheurs plus élevés que ceux de la métropole. Le gouvernement a su prendre la mesure de ce problème et a réalisé des actions spécifiques : intensification et valorisation des actions en faveur de la prévention du décrochage, telle que la semaine de la persévérance scolaire ou le dispositif innovant « d’accompagnateur-médiateur » dans les établissements scolaires de La Réunion. Toutefois, force est de constater que, si aujourd’hui la quasi-totalité des enfants de trois ans sont déjà scolarisés à l’école maternelle, le taux de scolarisation varie selon les territoires. Les départements d’Outre-mer, comme la Guyane et Mayotte, ont les taux de scolarisation les plus faibles. Plus largement, ce taux masque une assiduité irrégulière des élèves durant la journée, notamment pour les élèves les plus jeunes.

5 Enfin, le taux de délinquance des jeunes est plus élevé dans les Outre-mer. Même si le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure note en 2018 une baisse sensible des cambriolages de logements et du nombre de vols violents. Toutefois, les habitants de Guyane et de Guadeloupe demeurent plus souvent victimes d’actes de violence que ceux de la métropole. En 2019, nous pouvons compter 25 homicides depuis janvier en Guyane, département qui représente à peine plus de 250 000 habitants et qui figure parmi les territoires français où le taux d’homicides est le plus élevé par nombre d’habitants.

6 Face à ce constat, l’armée apporte depuis longtemps une réponse particulièrement efficace. En accueillant des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans éloignés de l’emploi, le SMA joue un rôle économique et social considérable dont l’efficacité est enviée par tous les autres dispositifs. Certains s’interrogent sur la place occupée par les militaires dans les politiques d’insertion et la question de savoir si le rôle de l’armée ne doit pas être cantonné à la défense des intérêts vitaux de la Nation est tout à fait justifiée. Nous ne pouvons néanmoins qu’apprécier la volonté de nos autorités militaires d’agir au quotidien pour les personnes les plus défavorisées et de donner la possibilité à chaque jeune de devenir une force pour notre pays. Avec un chiffre à retenir : 75 % d’insertion à l’issue du stage !

7 D’une durée moyenne de dix mois, le SMA s’articule autour d’un programme équilibré fondé sur une formation militaire et une formation professionnelle. La formation militaire donne dans un premier temps aux jeunes volontaires un cadre et une discipline qui ne les quitteront jamais, leur assurant ainsi la capacité de s’adapter au monde professionnel. En effet, souvent en perte de repères, les jeunes volontaires du SMA ont parfois perdu le sens de l’autorité avant leur arrivée, l’armée se présentant alors comme la plus à même de les accompagner sur la voie du changement. Le savoir-être représente une des acquisitions les plus importantes à l’issue du SMA. Si les employeurs sont à la recherche de personnes qualifiées pour réaliser les tâches qui leur incombent, ils cherchent avant tout des personnes capables de respecter une hiérarchie et des horaires, dynamiques et volontaires, soucieux de réaliser au mieux leurs missions.

8 Ainsi, les militaires leur transmettront le goût de l’effort grâce notamment à la pratique du sport, la valorisation du dépassement de soi (mise à l’honneur, avancement en grade, attribution de brevets et qualifications…) et l’adhésion à la discipline militaire. Le second objectif de la formation militaire est de leur réapprendre la vie en collectivité par l’assimilation des règles de vie comme la politesse, l’hygiène ou encore le respect des règlements et des consignes. Dès leur arrivée, les jeunes volontaires doivent ainsi mettre en pratique les cinq règles d’or : être à l’heure, être en tenue, respecter la sécurité, travailler en équipe, respecter son chef et rendre compte.

9 Avec ces règles, c’est tout un mode de vie qui change et qui offre de belles opportunités d’insertion dans la société comme sur le marché du travail.

10 Au-delà de la formation militaire, c’est bien une formation professionnelle que dispensent les équipes du SMA, représentant près de 70 % du temps du stage. Les régiments sont composés de compagnies de formation professionnelle par filières (par exemple une compagnie « Métiers du bâtiment ») elles-mêmes divisées en sections spécialisées par secteur (par exemple la section « Charpentier »). Chaque unité du SMA adapte la formation professionnelle qu’elle dispense au contexte humain, géographique, culturel, politique et économique local mais en tenant compte des débouchés d’insertion tant localement qu’en métropole et du niveau des candidats sélectionnés. De nombreuses spécialités peuvent être étudiées comme en atteste la liste ci-dessous :

A - Agriculture, marine, pêcheM - Informatique et télécommunications
B - Bâtiment, travaux publicsP - Administration publique, professions juridiques, armée et police
D - Mécanique, travail métauxR - Commerce
G - MaintenanceS - Hôtellerie, restauration, alimentation
J - Transport, logistique et tourismeT - Services aux particuliers et aux collectivités
L - Gestion administration des entreprisesV - Santé, action sociale, culturelle et sportive.

11 La diversité des choix de filière représente un avantage considérable pour l’ensemble des jeunes volontaires qui ne se voient donc pas imposer un secteur qui ne leur convient pas. Cette liberté, offerte aux stagiaires, représente en elle-même l’esprit du SMA : les jeunes sont ici par choix et se dépassent par la seule force de leur volonté.

12 Le réel succès de la formule est assuré par le profil mixte des encadrants militaires/professionnels. « On recrute, on forme, on insère ! » Effectivement, l’armée recrute directement dans le monde civil des professionnels en fonction de leurs compétences techniques afin de dispenser l’enseignement des stagiaires. Ces formateurs, qui signent un contrat renouvelable et qui peuvent rester un maximum de onze années dans l’institution, sont assistés par des aides moniteurs qui, eux, sont recrutés pour cinq années au plus.

13 Le SMA est une organisation des plus complètes. Les régiments comptent également la présence d’un conseiller insertion dans chaque compagnie. Celui-ci est en charge des relations avec les chambres de commerce et d’industrie, les entreprises et Pôle emploi afin de trouver les offres d’emploi locales les plus adaptées aux stagiaires. Les acteurs économiques des territoires d’Outre-mer louent régulièrement les bienfaits du dispositif dans un contexte de difficultés en termes d’embauche et les entreprises sont incluses dans le dispositif en amont en offrant des stages de deux semaines aux jeunes volontaires pendant leur formation, stages qui débouchent très régulièrement sur une offre d’emploi.

14 La réussite concernant l’insertion professionnelle du SMA rompt avec les échecs des organismes d’aide à la réinsertion professionnelle présents dans les départements et collectivités d’Outre-mer. Autant le répéter, le SMA réalise un record de 75 % d’insertion professionnelle à l’issue du stage quand les autres organismes avoisinent les 30 % de réussite pour un coût total bien supérieur.

15 Car oui, le SMA, comme tout autre dispositif, représente un investissement de la part de l’État. Que celles et ceux qui estiment que l’armée devrait dépenser son argent ailleurs se rassurent : le financement du SMA est assuré majoritairement par le ministère des Outre-mer et dans une moindre mesure par des financements européens. Au sein du programme 138 - Emploi outre-mer de la mission Outre-mer, le budget opérationnel de programme « SMA » relève de l’action n° 2 « Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle », dont il représente la majorité des crédits, soit un montant moyen annuel de 200 millions d’euros, dont les deux tiers sont affectés à la masse salariale (encadrants et volontaires). Le ministère des Armées contribue à hauteur de 2,5 millions d’euros au financement des unités pour leurs activités militaires et prend en charge 100 postes de réservistes. Le budget opérationnel de programme du SMA finance la formation des bénéficiaires, le fonctionnement courant et les dépenses d’infrastructure. Il est abondé de crédits issus des fonds structurels européens, de l’Initiative pour l’emploi des jeunes, des collectivités territoriales et de la taxe d’apprentissage.

16 Le commandement du SMA est placé pour emploi auprès de la ministre des Outre-mer qui définit les orientations, les objectifs et les modalités de sa mission d’insertion. Sous l’autorité d’un général de brigade détaché de l’Armée de terre, il comprend à Paris une trentaine de militaires. Contrôlés à la fois par le ministère de la rue Oudinot et par les services de la Commission européenne, les responsables du SMA ont une obligation de résultat avec des objectifs à atteindre chaque trimestre, rendant d’autant plus enthousiasmant le défi de l’insertion professionnelle.

17 Si ce ne sont pas les militaires qui dépensent, ce sont bien les militaires qui dispensent. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui me poussent à penser que les militaires sont certainement plus à même d’occuper efficacement ce rôle que nul autre agent. Les retours d’expérience (retex) concernant le service militaire adapté montrent que l’autorité est importante mais qu’il ne s’agit aucunement d’un autoritarisme rigide. Il s’agit au contraire d’une autorité bienveillante qui redonne à ces jeunes des repères que beaucoup ont perdus.

18 Pour conclure, même si toutes les filières et tous les métiers ne sont pas proposés, le SMA représente de loin le dispositif le plus efficace actuellement pour pallier certaines défaillances éducatives et civiques. L’armée assume pleinement un rôle qu’elle a su se créer et peaufiner au fil des décennies afin de répondre au mieux et de manière très concrète à un certain nombre de besoins sociaux dans les départements et les collectivités d’Outre-mer. La fierté des Troupes de Marine qui reviennent de séjours riches d’une expérience extraordinaire est un signe que l’armée, empreinte d’humanité, est malgré tout pleinement dans son rôle. En assumant son acception sociale en Outre-mer, elle est doublement en mesure de transmettre les valeurs qui font sa force tout en répondant au principe constitutionnel d’unité et d’indivisibilité de la République française. Son efficacité reconnue, il a été décidé en 2009 de doubler les effectifs de stagiaires pour atteindre un nombre annuel de 6 000 volontaires accueillis aujourd’hui. Mieux encore, afin d’étendre le dispositif à la France métropolitaine, le gouvernement a lancé le service militaire volontaire dès 2015 ayant les mêmes objectifs et principes, et qui représente six centres accueillant 3 000 volontaires chaque année. Les Outre-mer, terre d’innovation sociale !

Français

Le service militaire adapté (SMA) est un outil très performant pour la formation et l’insertion professionnelle de jeunes ultramarins dans leurs territoires. La qualité de l’encadrement, le choix des filières et l’apprentissage constituent des gages d’efficacité reconnus et contribuent au développement des Outre-mer.

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  • chômage
  • insertion
  • Troupes de Marine
Stevie Coudray
Collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale, Commission de la défense nationale et des forces armées.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.823.0042
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