CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le 29 mai dernier, le président de la République de Madagascar, M. Andry Rajoelina, était reçu au palais de l’Élysée par son homologue français Emmanuel Macron. Cette visite a eu pour conséquence de relancer de manière aussi surprenante qu’inattendue le débat sur le statut des îles Éparses, ensemble d’îles françaises situées sur le canal du Mozambique. Quand l’un s’engageait sur un processus de concertation autour d’une commission mixte, l’autre, avant tout pour des raisons de politique intérieure, feignait d’y voir le début d’une perspective de cogestion, voire de « rétrocession »… « Prendre ses désirs pour une réalité », pour qui que ce soit, n’a jamais fait un programme ou une politique publique !

2 Interrogeons-nous : pourquoi cette question ressort-elle à ce moment-là et de telle façon ? Certaines personnes « bien intentionnées » ont eu la « brillante » idée de souffler à l’Exécutif qu’une récente décision onusienne sur les Chagos (archipel britannique proche des Seychelles et des Maldives, revendiqué par l’île Maurice) aurait pour conséquence de remettre en cause la position de la France dans la région. Si les revendications, plus ou moins soutenues et sincères, des Malgaches sur les Éparses comme des Mauriciens sur Tromelin sont connues, celles-ci demeurent pour le moins vouées à l’échec et illégitimes !

3 Les îles Éparses ont été découvertes sans population, ni activité, au XVIIIe siècle, en premier lieu, par les Français. Dès lors, les premières exploitations et peuplements même temporaires étaient aussi français. Sans discontinuer, notre pays a assuré sa présence et son intérêt dessus : la France est donc bien la seule fondée à en revendiquer la possession. Il ne peut ainsi être question de « cession » et encore moins de « rétrocession ».

4 Depuis cette amicale visite, la position malgache s’est répandue comme une traînée de poudre à Madagascar où la revendication se fait pressante, et est revenue jusque dans notre pays où, selon un processus de rumeurs bien exploité par les extrêmes, elle fait l’objet de déformations et désinformations diverses. Soyons, une bonne fois pour toutes, très clairs : les îles Éparses ne sont pas plus à vendre que ne l’est le Groënland, et la question de leur cession à quelque autre État que ce soit n’est même pas une question. Au-delà, la France, puissance aussi, si ce n’est plus, maritime que continentale, assure une souveraineté active et effective (détachements militaires de l’Armée de terre et scientifiques, positionnement régulier de la Marine et de l’Armée de l’air sur zone) sur les îles Éparses comme sur l’ensemble de ses territoires.

5 En la matière, notre Constitution est on ne peut plus claire : la France est une « République une et indivisible ». Toute atteinte à l’intégrité territoriale du pays ne peut se faire que par un vote d’autodétermination des populations concernées (ce qui, en l’occurrence, sera compliqué en l’absence d’habitants permanents) ou par décision du Parlement.

6 Et justement, la représentation nationale est très attentive au devenir des îles Éparses et de l’ensemble des territoires insulaires distants de la métropole. En 2013 et 2017, sous mon initiative, les parlementaires ont par deux fois repoussé la ratification de l’inique traité de cogestion de Tromelin avec Maurice. Un collectif informel très actif et de toutes sensibilités politiques s’est constitué à l’Assemblée nationale : celui-ci veille à ce que les intérêts fondamentaux de la Nation soient effectivement garantis. Aujourd’hui, plus de cinquante parlementaires se sont engagés dans une tribune afin de défendre officiellement la souveraineté française sur les îles Éparses.

7 En effet, nous ne pouvons que craindre l’effet domino d’une telle proposition de « rétrocession ». Si l’on cède ici, comment résister aux revendications d’autres pays ? Derrière chacune de nos possessions ultra-marines se cache une revendication de tel ou tel pays voisin. Pour Tromelin, la République de Maurice ; pour l’île de La Passion–Clipperton, le Mexique ; et dans le cas des îles Éparses, Madagascar. Les parlementaires, au-delà de leurs missions de législateurs et de contrôleurs du gouvernement, se doivent d’adopter une réflexion s’inscrivant dans le temps plus long. Protéger notre territoire, défendre notre souveraineté, valoriser nos ressources… tels sont les enjeux liés à cette question. C’est dans ce cadre, comme cela a été dit, qu’en 2013 et 2017, l’inique traité de cogestion de l’île de Tromelin a été retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. C’est aussi dans ce cadre, que les députés ont voté à l’unanimité une proposition de loi relative au statut de l’île de Clipperton en 2016. Ainsi, dans le droit fil de ces combats, nous continuerons à assumer notre responsabilité : défendre le territoire de France qui se compose de l’Hexagone, des Outre-mer et de la mer !

8 Je dis souvent que la France se voit continentale et européenne alors qu’elle est maritime et mondiale… et ce n’est pas qu’une incantation. Nous sommes présents sur toutes les mers et tous les océans, le soleil ne se couche jamais sur notre territoire et pourtant nous agissons comme si seul l’Hexagone comptait. Au-delà d’une vision biaisée, c’est une faute politique et stratégique qu’ont répétée les gouvernements successifs. Aujourd’hui, nous devons changer de focale. La mer doit représenter l’avenir de la France : notre futur sera nécessairement bleu, en plus d’être vert. Sur le plan économique, l’exploitation des énergies fossiles, de manière respectueuse de l’environnement et des populations voisines, couplée au développement massif des énergies renouvelables – marémotrices et éoliennes, pour lesquelles, avantage certain, la France possède à la fois les industries de pointe et les territoires propices à leur implantation – l’exploitation raisonnée et contrôlée des ressources biologiques sous-marines, l’aquaculture et le tourisme, constitueraient une véritable manne financière pour notre pays : tous ces secteurs combinés représentaient déjà 35,6 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2013 (date la plus récente permettant la synthèse des données selon l’Ifremer) ! Avec la demande croissante en énergie, la nécessité de nourrir bientôt 9 milliards d’êtres humains et de leur permettre d’accéder à l’eau potable, ces chiffres ne peuvent évoluer qu’à la hausse.

9 Cet activisme, notamment concernant les Éparses, se fonde sur les travaux de nombre de spécialistes qui considèrent que le canal du Mozambique sera la mer du Nord du XXIe siècle, que ce soit en termes de passages de navires que d’enjeux énergétiques (de gigantesques ressources de gaz dorment dans la zone économique exclusive [ZEE] de l’île française de Juan de Nova). Peut-être peut-on candidement trouver là le début d’une explication à cette soudaine poussée d’intérêt pour ces îles qui, en tant que telles, ne sont ni attrayantes ni hospitalières. De là à penser que la relative « indépendance » de Madagascar vis-à-vis de grandes puissances asiatiques mues par « les seules considérations environnementales » puisse jouer un rôle dans ce regain d’intérêt pour les cocotiers de Juan de Nova, il n’y a qu’un pas que je n’oserais faire !

10 Enfin, dans un monde toujours plus en proie à un multilatéralisme fluctuant, où l’avenir se jouera pour beaucoup dans la maîtrise et l’exploitation raisonnable et raisonnée des ressources des mers et océans, disposer du deuxième domaine maritime mondial (11 millions de km²) est une chance considérable pour la France, et à travers elle, pour l’Europe ! Cela confère à notre pays une place géostratégique majeure au niveau mondial : il ne faut en effet pas négliger le poids militaire et diplomatique de ces territoires, 97,5 % de ses ZEE. Alors qu’Américains, Chinois et Russes « bétonnent et sanctuarisent leurs possessions » et se projettent activement dans les enjeux géostratégiques de demain, la France peut-elle laisser débuter le démantèlement, ne serait-ce que discursif, de son territoire ?

11 Notre réponse est NON ! La France a les atouts techniques, scientifiques et géographiques pour jouer un rôle majeur dans le monde de demain. Or, si nous laissons nos territoires à nos voisins, si nous les bradons, si nous ne les valorisons pas les laissant ainsi en jachère, nous ne serons plus en capacité de tenir notre position stratégique. Cet « empire oublié », que représentent malheureusement nos possessions marines et ultra-marines, doit être enfin pris en considération. En effet, les îles que j’évoque tout au long de ce texte représentent un vivier riche et formidable de ressources. Les ZEE, par exemple, regorgent de réserves énergétiques et halieutiques immenses. Celles-ci sont un atout qu’il nous faut aujourd’hui considérer. Nous devons nous prémunir des tentations de nos pays voisins et de leurs agissements qui pourraient être contraires, non seulement à nos intérêts mais aussi aux grands enjeux du XXIe siècle. Nous savons concilier économie et environnement, nous savons concilier recherche et exploitation raisonnable et raisonnée. Alors, au lieu de céder nos possessions, donnons-nous les moyens de les protéger et de les valoriser en tenant compte des « contraintes » écologiques. Nous savons et nous voulons le faire… et je ne suis pas certain que cette ambition soit partagée unanimement autour de nous.

12 La France a donc un rôle à la fois de meneur et d’arbitre à jouer : elle peut – et doit – donner l’exemple d’une transition écologique réussie et d’une souveraineté nationale réaffirmée, tout en entraînant dans son sillage les États voisins à considérer comme des partenaires plus que comme des adversaires.

13 La mer nous offre un formidable défi collectif, à nous Français, pour développer ses potentiels économiques, écologiques et diplomatiques, mais aussi à toutes les populations locales, qui bénéficieront du rayonnement des activités marines françaises. Passer à côté de ce défi serait une erreur lourde de conséquences, à l’heure où des défis plus grands encore, comme la mondialisation et le climat, s’imposent à nous. Grâce à l’immensité de ses territoires marins, la France a l’opportunité de pouvoir encore décider seule de son destin et d’influencer sensiblement le destin mondial. Les dirigeants actuels seront-ils prêts à enfin relever ce défi ?

14 La représentation nationale est prête ; et cette position sera, je l’espère, confirmée par les conclusions de la commission mixte dans quelques mois, et soyez en sûr, la représentation nationale jouera son rôle plein et entier de défenseure des intérêts du pays et de ses citoyens.

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© Historicair/Creative Commons.
Français

Les îles Éparses ont été découvertes au XVIIIe siècle par des marins français. Inhabitées, elles ont toujours été sous notre souveraineté et constituent un enjeu stratégique face à des convoitises souvent hypocritement argumentées. Il est donc nécessaire de préserver ces territoires sous le pavillon national.

  • îles Éparses
  • souveraineté
  • ZEE
  • protection environnementale
Philippe Folliot
Député du Tarn, membre du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
philippe.folliot@assemblee-nationale.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.823.0031
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