CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Des impacts environnementaux importants des activités militaires

1 Les activités militaires dégradent l’état de l’environnement à bien des égards en temps de paix, pendant la période de préparation d’un conflit armé, durant les hostilités et bien évidemment à la suite de ces dernières. Si l’on conçoit sans difficulté les liens entre la dégradation de l’environnement et les conflits armés, il ne faut pas négliger les impacts environnementaux en temps de paix. Ainsi, un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) précisait en 1980 que « les effets des activités militaires sur l’environnement […] n’englobent pas seulement les répercussions directes que peut avoir la dévastation du théâtre d’un conflit armé, mais aussi les incidences indirectes des dépenses énormes consacrées à la production, aux essais et au stockage d’armes dans le monde, lesquelles entraînent des ponctions ruineuses de ressources naturelles, financières et humaines qui pourraient servir à améliorer l’environnement » [1].

2 Les activités militaires en temps de paix recouvrent principalement les manœuvres militaires, ainsi que toutes les activités de stockage de matériels militaires, de maintenance et de préparation à un conflit éventuel. Les activités de préparation de guerre dégradent considérablement l’environnement, comme en attestent le pillage des ressources naturelles, le déboisement, la défoliation, le déplacement des populations, la manipulation de l’environnement, etc. C’est ainsi que la préparation et la logistique des activités militaires (transport de matériels, construction d’armes, approvisionnement et déplacement des troupes) [2], en amont d’une guerre, sont responsables de bon nombre de dommages environnementaux. Les différents impacts environnementaux persistent, voire s’aggravent une fois le conflit terminé : déchets militaires, conflit lié au contrôle et à la gestion des ressources, retour des populations et exploitation des ressources pour satisfaire les besoins alimentaires et énergétiques, déchets ménagers, bidonvilles, etc. Les conflits armés génèrent des dommages environnementaux du fait de la détérioration ou de la destruction du milieu naturel, mais également du fait de la nécessité de reconstruire et de réhabiliter le territoire post-conflit. Ainsi, les conséquences des actions militaires et des conflits sur l’environnement sont parfois plus catastrophiques que la guerre elle-même sur le long terme puisque les écosystèmes sont ravagés, les infrastructures sont détruites, les sols sont contaminés, les cycles agricoles sont bouleversés et les ressources naturelles sont mal exploitées. Ces effets entraînent entre autres des famines, des sécheresses, un déplacement de la population et une déstabilisation politique et environnementale, et sont facteurs d’insécurité.

L’environnement, une nouvelle préoccupation des militaires

3 Parallèlement à la diversification des enjeux sécuritaires, les enjeux environnementaux s’étendent et s’intensifient. Comme le souligne Mireille Delmas-Marty, « l’échelle des dégradations a changé au cours des dernières décennies » [3], elles s’étendent dans l’espace avec le changement climatique et dans le temps puisque les dommages causés à l’environnement aujourd’hui seront aussi les dommages causés à l’environnement des générations futures.

4 La « nouvelle » préoccupation sociétale que constitue la protection de l’environnement, serait ainsi l’occasion de redéfinir le rôle joué par les militaires au sein de la société face à de tels enjeux. On constate à ce propos l’existence de liens indéfectibles entre les activités militaires et l’environnement [4]. Lors de la Conférence des ministres de la Défense organisée à Paris en octobre 2015 en amont de la COP21, le général d’armée Pierre de Villiers déclarait que « le respect de la nature est l’ADN du soldat ». L’environnement constitue en effet non seulement le terrain d’exercice des activités militaires, mais aussi une protection dont s’inspirent entre autres les techniques de camouflage [5]. L’environnement est ainsi d’une certaine façon au service des activités militaires et celles-ci dépendent de la configuration du milieu naturel. L’environnement peut en cela être une contrainte dans l’exercice des activités militaires, comme en attestent les facteurs météorologiques qui sont minutieusement étudiés avant toute manœuvre.

5 L’environnement a par ailleurs longtemps été uniquement considéré comme victime des guerres et non comme un mobile des guerres à proprement parler. Mais les réflexions stratégiques ont progressivement intégré les questions environnementales [6]. Ce fut par exemple le cas de la sécheresse au Darfour, l’une des causes de la guerre au Sud-Soudan, ou encore le conflit qui oppose la Jordanie et Israël, s’agissant de la gestion de la ressource en eau. L’environnement peut aussi constituer une arme de guerre dans la mesure où la dégradation du milieu naturel peut être volontairement effectuée à des fins tactiques, soit dans le cadre d’une manœuvre offensive ou bien défensive [7].

6 L’existence de liens cruciaux entre les activités militaires et la protection de l’environnement invite à constater, d’une part l’inévitable adaptation des activités militaires aux enjeux environnementaux et, d’autre part la nécessaire valorisation des activités militaires de protection de l’environnement.

L’inévitable adaptation des activités militaires aux enjeux environnementaux

Développement durable et patrimoine militaire

7 La mise en œuvre de la politique de développement durable touche tous les secteurs publics, dont la défense nationale. En cela, les Armées doivent intégrer une dimension environnementale à leurs activités, et cela passe par une adaptation aux enjeux environnementaux. La politique environnementale, au sens de politique publique, est donc susceptible d’influencer de façon importante le fonctionnement des activités militaires, en particulier le fonctionnement des sites militaires. Le patrimoine militaire – qui est composé de biens mobiliers et immobiliers, dont les sites et infrastructures militaires – est soumis aux objectifs du développement durable, tels que définis lors du Grenelle de l’environnement en 2007 et 2009, et tels que mis à jour chaque année par les conclusions des rapports du ministère des Armées en la matière. Mais l’adaptation des activités militaires aux enjeux environnementaux constitue bien plus qu’une simple « obligation administrative », elle apporte une véritable réponse aux enjeux de sécurité qui sont au cœur des missions des Armées, dans le cadre desquelles les activités militaires sont exercées. Par exemple, le développement des technologies vertes et renouvelables, en particulier en matière énergétique, contribue inexorablement à une meilleure effectivité des activités militaires en assurant de meilleures garanties techniques et un meilleur déroulement ; en bref, une meilleure opérationnalité. C’est ainsi que l’Armée a renouvelé sa politique énergétique en l’adaptant peu à peu – secteur par secteur – aux enjeux environnementaux, tout en profitant des avancées technologiques dans ce domaine. Le renouveau énergétique de l’Armée se manifeste à différents égards. C’est le cas par exemple des choix des matériaux de construction des infrastructures et biens militaires ou encore en matière de valorisation énergétique des déchets militaires.

8 Le patrimoine immobilier de l’Armée française est considérable et constitue un enjeu important de la protection de l’environnement sur le territoire national. La conciliation entre les opérations militaires – notamment les manœuvres – et la protection de l’environnement n’est pas évidente, bien que l’environnement naturel constitue le support de base sans lequel les activités militaires ne pourraient être mises en œuvre. Pour autant, l’Armée semble aller dans le sens d’une réelle intégration environnementale en matière de gestion de son patrimoine immobilier [8].

Sécurisation environnementale du territoire national

9 Les rapports qui existent entre les objectifs d’intérêt général de défense nationale et de protection de l’environnement se manifestent également au cœur des motifs d’intervention des activités militaires, tels que le maintien de l’ordre public ou encore la préservation de l’intégrité du territoire national. Les liens entre l’ordre public matériel (sécurité, salubrité et tranquillité publiques) et l’environnement sont considérables. En ce sens, plus l’environnement se dégrade, plus les conséquences du changement climatique se font ressentir, et plus les rapports entre l’environnement et l’ordre public passent de « simples » interactions, à de véritables interdépendances. En effet, la dégradation croissante de l’environnement induit inévitablement une insécurité, ainsi que la multiplication et l’intensification des dommages et risques environnementaux et sanitaires liés à l’insalubrité publique. La dégradation de l’environnement, en constituant un facteur aggravant – mais prédominant – d’insécurité, devient une préoccupation grandissante de la puissance publique, dont la principale mission est la garantie du maintien de l’ordre public. C’est dans ce cadre qu’évoluent les activités militaires. Celles-ci intègrent au sein de leur fonctionnement la préservation de l’environnement afin de lutter contre les risques d’insécurité et de troubles à l’ordre public. Les activités militaires jouent donc un rôle prépondérant dans la sécurisation environnementale du territoire national [9].

Le changement climatique, nouvelle menace environnementale et sécuritaire

10 Le changement climatique est reconnu par les institutions militaires comme étant un « multiplicateur de menace », comme l’a déclaré l’Assemblée parlementaire de l’Otan en octobre 2015 en amont de la COP21. L’Assemblée a en effet adopté le 12 octobre 2015 une résolution dans la perspective de la 21e Conférence des Parties, dans laquelle elle déclare que « les risques liés au changement climatique affecteront la sécurité internationale par un accroissement des catastrophes naturelles, de tensions sur la sécurité économique, alimentaire et hydrique, des risques pour la santé publique, des migrations internes et internationales, et de la concurrence pour les ressources » [10]. Les États-Unis ont d’ailleurs qualifié de manière poussée la dégradation de l’environnement en tant que menace pour la sécurité, comme une menace physique directe [11]. Pour qu’une menace environnementale constitue une véritable menace sécuritaire, il faut qu’un intérêt vital national soit en jeu [12]. La sécurité constitue par ailleurs un enjeu central du fait de l’existence et de l’intensification des conflits dits « environnementaux ». Les conséquences du changement climatique, comme les migrations de population, créent une menace supplémentaire en termes de sécurité et apparaissent comme un démultiplicateur des tensions (ethniques, politiques, religieuses) déjà existantes, et qui sont sources de conflits. La mauvaise gestion des ressources naturelles est, elle aussi, une source importante de conflits [13].

11 Ces différents enjeux peuvent trouver des réponses juridiques et extrajuridiques au niveau international et national. Les militaires peuvent constituer une réponse appropriée du fait de leurs capacités d’action et d’opérationnalité en situation extrême et d’urgence.

La nécessaire valorisation des activités militaires de protection de l’environnement

12 Les activités militaires empruntent un chemin déterminant vers un renouveau de l’institution armée au service de l’environnement. Ce « recyclage » de l’Armée connaît bon nombre d’illustrations. La première d’entre elles, et aussi la plus aboutie, est l’assistance militaire dans ces cas. Il existe en effet un fort intérêt à avoir recours aux militaires en cas de catastrophes. Dominique Pennacchioni écrit d’ailleurs qu’« en cas de catastrophe ou de crise grave, le confinement des armées dans leurs tâches purement militaires apparaîtrait à l’opinion publique comme un intolérable gaspillage » [14]. Les Armées ont une capacité optimale pour répondre aux crises majeures : elles ont des moyens humains, des moyens matériels, et elles sont formées et entraînées pour cela. Si les militaires sont compétents pour répondre aux crises, ils le sont également pour répondre aux catastrophes. Cette réponse pourrait prendre la forme d’une assistance militaire, en complément de son homologue humanitaire [15]. On peut en effet considérer que les crises majeures et les catastrophes que connaît l’humanité impliquent une intervention internationale [16]. On peut de la sorte faire référence à la notion de « crise humanitaire », qui s’étend de la catastrophe naturelle au génocide tout en comprenant le conflit armé [17]. Cette notion se lit en combinaison avec la notion d’assistance, dont la conception en droit international a connu un renouveau, qui s’est notamment opéré à l’aune des enjeux environnementaux. Que l’on se place sur la scène internationale, avec le concept d’assistance militaire, ou bien sur la scène nationale, force est de constater que le recours aux personnels et matériels militaires s’opère de manière quasi-systématique en cas de catastrophes naturelles, industrielles ou technologiques [18].

13 La seconde illustration du recyclage de l’Armée réside dans l’existence d’activités militaires de protection de l’environnement. De telles activités existent déjà, comme en témoigne le travail effectué par la Gendarmerie [19] et la Marine nationale en matière de surveillance du territoire et de lutte contre la criminalité environnementale. Non seulement les activités militaires se rapprochent des activités civiles liées à la protection de l’environnement, mais plus encore elles intègrent les enjeux environnementaux tels que le changement climatique ou encore les questions énergétiques au sein de leur fonctionnement. Elles sont allées plus loin en faisant de la protection de l’environnement une mission militaire à part entière, bien que jamais dénommée comme telle. S’il n’existe pas pour l’heure de mission militaire ayant spécifiquement trait à la protection de l’environnement, il existe en revanche une mission militaire liée à la lutte contre la criminalité environnementale, ou encore une mission de surveillance et de préservation de l’intégrité du territoire, de laquelle nous pouvons faire découler une mission de protection de l’environnement.

14 * * *

15 En définitive, la participation du militaire est justifiée par l’existence de nombreux enjeux sécuritaires qui gravitent autour de la protection de l’environnement, et plus particulièrement autour de la gestion durable et équitable des ressources naturelles.

Notes

  • [1]
    Mostafa Kamal Tolba : L’état de l’environnement 1980, Rapport du directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, N.D. 20, p. 4.
  • [2]
    Ce fut par exemple le cas lors de la guerre du Golfe de 1991 puisque les déplacements de blindés ont fragilisé de façon significative l’écosystème du désert koweïtien ; Olivier Boiral, Gérard Verna : « La protection de l’environnement au service de la paix », Études internationales, vol. 35, n° 2, 2004, p. 266.
  • [3]
    Mireille Delmas-Marty : « Préface », in L. Neyret (dir.), Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement ; Bruylant, Bruxelles, février 2015, p. XI.
  • [4]
    En témoigne le vocabulaire employé, à l’instar par exemple des termes de « zone » et de « zonage » ; Simon Jolivet : La conservation de la nature transfrontalière ; Mare et Martin, Paris, 2015, p. 30.
  • [5]
    Isla Forsyth : « Designs on the desert: camouflage, deception and the militarization of space », Cultural Geographies, 2014 vol. 21, n° 247, publié en ligne le 29 juillet 2013 (http://cgj.sagepub.com/).
  • [6]
    Christophe-Alexandre Paillard : « Les défis auxquels le monde doit faire face au XXIe siècle », COP21 : enjeux de défense - Revue Défense Nationale, octobre 2015, p. 24.
  • [7]
    « Dès l’Antiquité, l’empoisonnement des puits, le détournement des eaux […] et le défrichement par le feu sont des moyens tactiques récurrents » ; Philippe Boulanger : « Du bon usage de l’environnement par les armées : le début des stratégies nationales militaires de développement durable », Cahiers de géographie du Québec, vol. 54, n° 152, 2010, p. 315.
  • [8]
    En témoigne les nombreux partenariats entre le ministère des Armées et les associations de protection de l’environnement comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
  • [9]
    NDLR : dans le cadre de la lutte contre les pollutions marines, la Marine est le premier contributeur avec ses moyens spécifiques ou affrétés.
  • [10]
    Philippe Vittel, député français : avis de la Commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi (n° 3499), adopté par le Sénat, « autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande concernant le statut des forces en visite et la coopération en matière de Défense », avis n° 3839, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 14 juin 2016.
  • [11]
    Marc A. Levy : Is the environment a national security issue?, International security ; Cambridge, MIT Press, 1995, p. 41-46.
  • [12]
    Marc A. Levy : Ibidem, p. 43.
  • [13]
    Christophe-Alexandre Paillard : « Les défis auxquels le monde doit faire face au XXIe siècle », COP21 : enjeux de défense - Revue Défense Nationale, octobre 2015, p. 26.
  • [14]
    Dominique Pennacchioni : « Le recours aux armées, composante de la force publique », Défense Nationale, janvier 1994, p. 28-29.
  • [15]
    David Cumin : Le droit de la guerre, vol. 1 ; L’Harmattan, Paris, 2015, p. 411.
  • [16]
    Philippe Moreau-Defarges : « Quel est l’avenir des interventions humanitaires ? », Défense Nationale, août-septembre 1993, p. 87.
  • [17]
    David Cumin : op. cit., p. 414.
  • [18]
    NDLR : les Unités d’instruction de la sécurité civile (UISC) sont régulièrement projetées lors de catastrophes naturels.
  • [19]
    Gendarmerie maritime et Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique.
Français

La protection de l’environnement – notamment avec le réchauffement climatique – est devenue une question concernant la Défense. Entre l’implantation territoriale avec le respect des normes environnementales et les opérations, les armées sont confrontées à ces nouvelles menaces et peuvent contribuer à y apporter une réponse.

  • environnement
  • réchauffement climatique
  • normes
  • développement durable
Charlotte Touzot-Fadel
Docteure en droit public. Enseignante-chercheure à l’Université islamique du Liban. Membre de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD) et de la Société française de droit de l’environnement (SFDE).
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.820.0187
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Comité d’études de Défense Nationale © Comité d’études de Défense Nationale. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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