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L’intelligence artificielle déjà présente dans le quotidien fait l’objet d’une attention croissante de la part des institutions et administrations

1 Depuis l’émergence du concept d’intelligence artificielle (IA) développé par le mathématicien Alan Turing en 1950, l’IA n’est plus un rêve futuriste et elle est déjà bien ancrée dans notre quotidien : les banques et leurs messageries automatiques, les véhicules autonomes (pilotage automatique), les logements connectés et la domotique (thermostat intelligent, robot domestique), les smartphones avec les assistants personnels (recherche d’information automatisée et suggestions) sont déjà des applications incluant des formes d’IA.

2 Les nouvelles puissances de calcul et de capacités de stockage, ainsi que le développement de certains algorithmes de traitement de données en masse (big data) ou d’apprentissage ont rendu possible la diffusion de l’IA dans le quotidien.

3 Cette branche de la science consiste à faire accomplir à des ordinateurs des tâches qui, réalisées par des humains, mobilisent des fonctions cognitives comme l’apprentissage, le raisonnement, la perception, la compréhension du langage ou l’aptitude à résoudre des problèmes complexes.

4 Les applications actuelles du quotidien sont aujourd’hui conçues pour des tâches spécifiques : elles imitent le comportement humain, son raisonnement (dans les jeux ou la recherche automatique d’informations par exemple), dans la compréhension des langues et dans la perception, qu’elle soit visuelle (interprétation d’images et de scènes, reconnaissance de visage), auditive (langage parlé, reconnaissance vocale), ou sensorielle (capteurs de température ou de vibration, dans la commande de robots).

5 L’intelligence artificielle fait l’objet d’une attention croissante dans les institutions, organisations et entreprises privées. La Commission européenne a d’ailleurs publié en avril 2018 une communication relative à « L’intelligence artificielle pour l’Europe » [1] et un « Plan coordonné dans le domaine de l’intelligence artificielle » [2], avec une approche liée au rôle de l’IA dans le domaine civil et le Sénat a publié, en janvier 2019, un rapport d’information sur la stratégie européenne pour l’intelligence artificielle [3].

6 En 2017, le Premier ministre a confié une mission parlementaire d’information sur la stratégie française et européenne [4] au député et mathématicien Cédric Villani, dont les conclusions ont été rendues publiques le 28 mars 2018. Les recommandations préliminaires de la mission Villani se caractérisent par la volonté de mettre en place un plan d’action IA global pour l’État avec quatre secteurs prioritaires : santé, environnement, défense, sécurité et transport.

L’IA au service de la transformation de l’action publique

7 Dès 2017, dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, puis la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC) ont lancé plusieurs études et appels à manifestation d’intérêt, pour aider les administrations à développer l’IA, levier de transformation des métiers.

8 En avril 2018, la DITP a décidé de lancer une étude, associant France Stratégie, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique et la DINSIC, afin d’explorer les impacts et le potentiel de la transformation numérique sur les métiers des agents publics : automatisation des tâches les plus répétitives (saisies multiples, contrôle, etc.) et apport aux agents des données, analyses et simulations dont ils ont besoin au quotidien.

9 L’IA, dans ces actions interministérielles, est très attendue pour améliorer l’efficacité de l’administration et la qualité de service. Les cas d’usage potentiels peuvent ainsi porter sur des thèmes comme l’optimisation des processus, la gestion des relations avec les usagers ou le ciblage de contrôles.

Les premiers travaux prospectifs pour les métiers administratifs du ministère des Armées

10 Dans ce contexte, le Secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées a conduit des travaux prospectifs, en projetant les métiers administratifs à horizon dix ans et en intégrant les technologies du digital. De nombreux cas d’usage ont ainsi été identifiés et structurés en axes d’effort, qui font appel à des technologies d’intelligence artificielle (traitement et analyse de données, reconnaissance vocale, traitement du langage naturel, fouille de données, capteurs connectés, robots logiciels…).

11 Le pilotage, la fluidité des processus et l’assistance aux agents et usagers dans leurs interactions quotidiennes sont les sujets les plus fréquemment cités : aider à la décision, avec des analyses prédictives, comme par exemple des prévisions d’écoulement de paiement, d’évolutions d’effectifs, des optimisations de consommations énergétiques ou de la maintenance prédictive en exploitant des capteurs connectés positionnés dans les bâtiments ; développer des automates pour traiter des tâches répétitives et chronophages pour des processus à flux transactionnels (ressources humaines et finances) ; « augmenter » les agents ou usagers, avec des agents conversationnels (langage naturel et commande vocale), assistants virtuels capables de traiter automatiquement des questions récurrentes, orienter et interagir directement ou rechercher des informations pertinentes liées à un sujet via un moteur de recherche.

12 L’inventaire des cas d’usage qui a été réalisé n’est qu’une première phase, et toutes les thématiques n’ont pas encore été abordées, compte tenu du vaste champ possible d’investigation. Par exemple, en matière de soutien, des applications concernant les véhicules autonomes ou la détection automatique des besoins de pièces à changer sont possibles ; en matière d’environnement, des algorithmes d’analyse d’images ou de vidéos permettraient de repérer des éléments d’intérêt ; pour la gestion des archives photographiques, la classification automatique de grands corpus d’images offre également un potentiel à approfondir.

Les clés d’une approche IA pour les métiers administratifs, conjuguant vision prospective et expérimentations

13 La démarche prospective qui a été conduite en 2018 a concerné l’ensemble des métiers administratifs, finances et achats, ressources humaines et management, affaires juridiques, patrimoine et archives, relations aux jeunes, infrastructures, soutien en administration centrale, communication et systèmes d’information.

14 Les travaux ont été organisés de manière itérative, avec des ateliers prospectifs par fonctions métiers puis de manière transverse, en réunissant une centaine de représentants tous métiers confondus, au cours d’une session de créativité collective d’une journée. Les cas d’usages identifiés dans les ateliers ont ainsi été consolidés et regroupés autour d’une douzaine de profils types de bénéficiaires (agents de la fonction RH, administrés ayant des besoins RH, agents de la fonction achat-finance, manageur-pilote d’activités…) et répartis dans le temps pour former des cartes de transformation. Près de la moitié des quelque deux cents cas d’usages identifiés font appel à de l’IA.

15 Les échanges et la juxtaposition de cas d’usages ont créé un effet d’entraînement positif entre les métiers, suscitant la proposition de nouveaux cas d’usages au fur et à mesure du déroulement de cette démarche collective et itérative.

16 La seule démarche prospective ne suffit pas ici. Elle permet bien de définir une cible vers laquelle se diriger, un ensemble d’axes d’effort, avec un éventail de cas d’usages inspirants, pour orienter les trajectoires d’informatisation vers une prise en compte adéquate des besoins liés à l’IA, comme par exemple la nécessité de plateformes centrées données.

17 Mais il faut également démarrer des expérimentations concrètes de cas d’usages à base d’IA, en exploitant ce qui est disponible, accessible et faisable. Il s’agit de se familiariser dès à présent avec ces technologies et en dénouer la complexité, pour témoigner de la faisabilité et de la valeur ajoutée pour les métiers administratifs, en installant progressivement un contexte IA, dans le quotidien des agents et des manageurs.

18 Cette démarche d’expérimentation se développe peu à peu, avec une impulsion croissante de la part des responsables numériques et des correspondants innovations des directions et services du SGA, ambassadeurs et relais de la transformation digitale dans leurs métiers administratifs. Depuis 2017, des structures transverses au sein du SGA offrent des capacités agiles, pour tester et se familiariser avec ces technologies : une « saison » de réalisation de cas d’usages innovants est organisée chaque année, de manière transverse ; en 2018, des agents conversationnels, sous la forme de chatbots, sont ainsi expérimentés dans le domaine des ressources humaines ou des relations avec les jeunes ; le Labo BI et BIG Data a créé un pôle « Datasciences et IA », en s’appuyant sur un chercheur du CNRS et des partenariats avec des laboratoires du monde académique ; ce pôle expérimente des algorithmes de régression, de corrélations, d’analyse de graphes et d’apprentissage machine pour produire des cas d’usages très efficaces, permettant de prédire des coûts de consommation énergétique ou de visualiser des corrélations en matière d’achats et de suivi des paiements.

19 C’est cette double démarche prospective et expérimentale qui est engagée pour aider les métiers administratifs à franchir un jalon supérieur de transformation dans les années à venir.

20 La capacité de foisonnement et de sélection des idées, notamment avec les dispositifs participatifs qui font appel à la créativité d’agents et des manageurs, mais également les nouveaux dispositifs d’innovation ouverte et de partenariats en cours de mise en place au sein du ministère, ainsi que les nouvelles méthodes agiles de réalisation, sont autant de facteurs clés de succès pour réussir ce virage technologique.

L’impact de l’IA sur les compétences en jeu dans les métiers administratifs

21 L’intelligence artificielle est devenue un sujet médiatisé, avec des débats en termes d’impacts sociétaux, et notamment dans le monde du travail. Plusieurs technologies d’IA sont parvenues à maturité et leur implantation dans les systèmes d’information, adaptés et revus dans des architectures centrées données, peut constituer une cible atteignable sous cinq ans. Mais l’IA, qui apporte des potentiels d’automatisation et de pilotage indéniables, avec des opportunités de nouveaux cas d’usages, ne peut être introduite dans les métiers administratifs sans analyser ses impacts sur les activités et les gestes du quotidien. L’automatisation va permettre de recentrer les agents et les manageurs sur le cœur des métiers administratifs et du service dispensé, en les déchargeant des tâches chronophages ou à moindre valeur ajoutée, en leur donnant plus de temps pour conseiller, produire ou prendre des décisions en bénéficiant des aides apportées par l’analyse et le traitement des données, dans une logique de complémentarité machine et interventions humaines (« augmentation »).

22 Il s’agit bien de réinterroger collectivement ces métiers, de partager largement sur un avenir transformé avec ces technologies, et de cartographier les compétences actuelles et à venir, afin d’anticiper les changements de posture avec le bon niveau d’ambition, dans leur globalité.

23 Le sujet concerne la façon dont les organisations vont appréhender ce virage et ce changement culturel profond, la façon dont les manageurs vont piloter et accompagner le mouvement de transformation, avec sans doute de nouveaux modèles pédagogiques, plus interactifs et plus agiles.

24 C’est un défi à relever, sur le plan technologique et partenarial, mais peut-être davantage encore sur le plan managérial et humain.

Notes

  • [1]
    Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 25 avril 2018.
  • [2]
    Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 7 décembre 2018.
  • [3]
    Sénat, Commission des affaires européennes : Rapport d’information sur la stratégie européenne pour l’intelligence artificielle, 31 janvier 2019.
  • [4]
    Donner un sens à l’intelligence artificielle pour une stratégie nationale et européenne, mission parlementaire du 8 septembre 2017 au 8 mars 2018, confiée par le Premier ministre au député de l’Essonne et mathématicien Cédric Villani.
Français

Les métiers administratifs vont bénéficier des apports de l’IA qui permettra de réinventer les pratiques actuelles et de transformer les modes de fonctionnement de l’action publique. Cela passe par une capacité de prospective et d’expérimentation impliquant tous les acteurs de terrain en faisant progresser les compétences.

  • RH
  • administration
  • action publique
  • compétence
Laure Dassonville
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Dirige le projet de transformation numérique au sein du Secrétariat général pour l’administration.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.820.0137
Pour citer cet article
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