CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Depuis de nombreuses années, la disponibilité des flottes d’aéronefs était insuffisante (globalement inférieure à 50 %) voire pour certaines en régression, malgré des investissements financiers toujours plus conséquents depuis vingt ans. Les taux de disponibilité pour certaines flottes pouvaient même laisser présager des difficultés à terme pour les Forces. Dans le même temps, la disponibilité des aéronefs (et leurs moyens de mise en œuvre) déployés sur les théâtres permettait toujours de satisfaire le besoin des Forces en opération. Face à cette situation contrastée, le temps de l’action était arrivé.

2 Le MCO aéronautique est un domaine complexe, du fait de l’hétérogénéité du parc de matériels (nombreuses flottes anciennes, matures, de nouvelle génération et futures), des contraintes fortes d’engagement des forces auxquels se rajoute la nécessité de maintenir la navigabilité des matériels, au sens de la réglementation aérienne civile.

3 Le système de soutien était donc sous tension avec des risques de rupture dans la formation et l’entraînement des équipages, ainsi que pour la régénération du potentiel des matériels. Il devenait nécessaire d’agir et de lancer une transformation de grande envergure du MCO aéronautique, qui contribue directement à notre souveraineté et à la liberté d’engagement de nos forces déployées en opération.

4 Fin 2017, à l’issue d’une analyse menée tambour battant durant un peu plus d’un quadrimestre, la ministre des Armées a pris des décisions fortes et structurantes. Le rythme était donné. Le temps de la réforme était venu et elle devait être rapide et efficace. Le signal des autorités politiques était clair.

5 En janvier 2018, une équipe de préfiguration composée d’experts venant des trois armées, de la Direction générale de l’Armement (DGA) et du Contrôle général des Armées fut constituée afin de lancer les réflexions et les premières actions de transformation.

6 Très rapidement, en avril 2018, la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé), toute nouvelle direction d’administration centrale, voyait le jour avec des prérogatives élargies au sein du ministère.

7 Ainsi, le MCO aéronautique entre dans une nouvelle ère et se replace au cœur de l’action du ministère. Les enjeux capacitaires, politiques et militaires qu’il porte en font un sujet suivi au plus haut niveau de l’État, pour la souveraineté de nos forces et les ambitions stratégiques traduites dans la loi de programmation militaire 2019-2025. Il redevient une matière noble au même titre que la conduite des programmes d’armement réalisée par la DGA.

8 Sa transformation a pour objectif d’accroître durablement la disponibilité des flottes d’aéronefs. Cette amélioration ne sera pas immédiate et nécessitera un temps qui nous est compté.

9 Cette nouvelle stratégie repose fondamentalement sur trois piliers.

Une gouvernance adaptée avec une DMAé forte

10 Cette gouvernance est refondue, allégée, pour être plus efficace en recherchant un consensus qui ne doit pas masquer la réalité du terrain. Les objectifs décidés doivent donc l’être sur des exigences de haut niveau, encadrés par des ressources financières et humaines disponibles.

11 Cette gouvernance doit éclairer toute l’organisation, tous les acteurs de ce MCO, et agir sur un large champ de compétences, en tenant compte de la nécessité d’anticipation, dès les phases les plus amont des programmes d’armement et de la performance globale du MCO. Intégrer très tôt les exigences du soutien dans un programme d’équipements facilitera la réalisation des opérations durant la phase d’utilisation opérationnelle et augmentera le rapport coût/efficacité des investissements consentis.

12 Cette grande liberté d’action lui impose d’être performante pour faire remonter la disponibilité des flottes. Elle sera évaluée en ce sens.

13 La DMAé, acteur central du changement, conduit la stratégie de transformation du MCO aéronautique. Cela nécessite qu’elle s’organise en conséquence et dispose des compétences internes pérennisées dans la durée.

14 L’organisation matricielle étendue à tous les métiers (technique, logistique, finances, management contractuel, juridique, RH), en place dans le milieu industriel aéronautique et au sein de la DGA, est mise en œuvre et centrée sur les projets (les flottes).

15 La DMAé capitalisera sur les compétences du personnel issu de la précédente structure de soutien. L’expérience détenue par le personnel militaire dans le métier des armes et du soutien en opérations doit être préservée dans cette nouvelle structure. Ce savoir-faire opérationnel est fondamental pour alimenter les équipes de projet dans leurs relations quotidiennes avec les Forces et avec les équipes industrielles. Pour stabiliser l’organisation dans la durée, le pourcentage de personnel civil et d’ingénieurs va connaître une augmentation soutenue, tout au long de la loi de programmation militaire 2019-2025. Cette augmentation passe, tout d’abord, par des renforts obtenus de la DGA et, dès 2019, par la mise en œuvre d’un plan de recrutement d’ingénieurs civils et de fonctionnaires, principalement dans les métiers des achats complexes, du management de projet et des finances. Pour consolider cette action, un plan de formation de grande ampleur sera lancé dès cette année au profit des équipes de projet.

Une action industrielle repensée dans sa globalité

16 Le MCO aéronautique joue aussi un rôle sur le maintien en France d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD), sur les emplois (directs et indirects) mais aussi sur les perspectives de coopération et sur l’accompagnement de cette BITD au niveau européen. Cette transformation du MCO aéronautique passe par une vision au long cours du MCO dans l’écosystème de défense, avec un lien naturel de plus en plus étroit avec l’aéronautique civile et les technologies qui y sont développées. Beaucoup de nos industriels conduisent à la fois des activités militaires et civiles. En favorisant les échanges entre ces activités, la performance du MCO s’améliorera plus rapidement.

17 Une démarche de verticalisation contractuelle des activités industrielles privilégie une responsabilisation d’un maître d’œuvre unique sur un périmètre étendu. Elle s’accompagne par la mesure précise et le suivi de l’atteinte de performances claires et objectives. Une analyse systématique sera conduite par flotte, pour évaluer l’ampleur de la verticalisation et de la globalisation des activités industrielles, et pour rechercher la meilleure combinaison contractuelle maximisant les performances du MCO aéronautique.

18 Pour permettre cet engagement industriel sur un périmètre étendu, les contrats seront désormais de longue durée, permettant à l’industrie de mieux s’organiser. Dans la continuité de cette plus large responsabilisation, les maîtres d’œuvre industriels seront également engagés sur l’optimisation des stocks de pièces de rechange. Ils assureront, au plus près des forces, sur les bases et dans les régiments, la mise en œuvre de guichets logistiques en gérant de bout en bout le stock-État mis à disposition, y compris les réapprovisionnements. Cette démarche s’appliquera aussi à l’industriel étatique qu’est le Service industriel aéronautique.

19 Cette nouvelle chaîne du soutien industriel verticalisé et globalisé apportera par sa performance des gages supplémentaires d’excellence de l’équipe industrielle française que ce soit dans le cadre de coopérations et à l’exportation. Il faudra conduire une réflexion globale avec la DGA, les Forces et nos partenaires sur un soutien optimisé sur un périmètre élargi aux flottes coopérantes. En poursuivant dans cette optique, l’action de la DMAé pourrait être exploitée aussi bien par nos industriels (en termes de valorisation de leurs produits) que par nos partenaires stratégiques, afin de contribuer directement à l’efficience de la disponibilité de leurs flottes.

Une optimisation de toute la chaîne du soutien y compris l’ordonnancement entre les travaux des forces et ceux de l’industrie privée ou étatique

20 Les activités de soutien industriel doivent être coordonnées avec celles réalisées directement par les Forces. Il faudra obtenir un mode de fonctionnement entre soutien opérationnel et soutien industriel garantissant la liberté d’action, de mise en œuvre et de soutien des matériels par les forces en opération.

21 Une optimisation globale doit être conduite dans cet esprit. Il est indispensable de ne pas se censurer et d’étudier les différentes options pour aller vers toujours plus de disponibilités avec des ressources étatiques financières et humaines maîtrisées. Le maître d’œuvre industriel, l’architecte de ce soutien global, devra être force de propositions et innovant, compte tenu de son expérience dans les travaux d’ingénierie, de production et de conception des systèmes aéronautiques.

22 Cette optimisation globale passe dans un premier temps par une rationalisation des trop nombreux systèmes d’information et outils logistiques. Le projet Brasidas, mené par la DGA en lien avec la DMAé, intègre toute la flexibilité, l’agilité permettant de réutiliser au mieux les solutions innovantes du monde civil. Il sera adaptable, évolutif et incrémental pour répondre au double objectif de l’exhaustivité des fonctions élargies de soutien à réaliser et du déploiement rapide et progressif sans rupture des services. Il n’est pas un système unique et universel mais plutôt un ensemble de briques élémentaires pour couvrir toutes les fonctions du soutien (comme la planification de la maintenance, la gestion des configurations et des faits techniques, les finances, les achats, les diverses comptabilités). L’enjeu est de concevoir et de réaliser un système d’information compatible de ceux des flottes utilisés par les maîtres d’œuvre industriels dans le cadre des contrats globaux.

23 La mise en œuvre de cette stratégie s’est concrétisée, en janvier 2019, par la notification du contrat verticalisé et de longue durée pour le MCO des hélicoptères Fennec de l’Armée de terre.

24 L’externalisation des prestations a été rendue possible par la nature même de la mission de ces hélicoptères (des activités de formation des équipages au vol aux instruments planifiées tout au long de l’année). La recherche de la meilleure performance va se traduire notamment par un volume d’heures de vol garanti (de 3 000 à 5 600). L’effet de cette externalisation se fera aussi ressentir en cascade sur la flotte des Puma puisque les effectifs étatiques de soutien des hélicoptères Fennec Terre basculeront sur le soutien des Puma affectés au Luc.

25 La transformation va se poursuivre à un rythme accéléré avec la verticalisation du soutien sur d’autres flottes, d’ici l’été 2019 comme le Rafale, le Cougar, l’ATL2 et le Dauphin Panther, mais aussi sur l’A400M et le Tigre pour lesquels la DMAé travaille étroitement avec l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr). Et ce n’est que le début. Flotte par flotte, cette stratégie sera mise en œuvre mais adaptée aux besoins précis des Forces, à la spécificité des matériels et de la chaîne de soutien industriel associée. L’effet escompté sur la disponibilité est double : un gain variable dépendant du niveau initial de disponibilité d’une flotte avant sa verticalisation (directement lié à la montée en puissance de la nouvelle organisation industrielle) combiné à un effet attendu dans la durée pour pallier le vieillissement des parcs. Cette nouvelle approche permettra aussi d’être plus robuste et flexible pour absorber des pics d’activités opérationnelles.
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© Richard Andrieux / AA / SIAé / AIA CF.

26 Cette transformation du MCO aéronautique passe un cap en 2019. Durant la phase de montée en puissance, les performances seront finement scrutées, au plus haut niveau, flotte par flotte, pour extrapoler la disponibilité à venir dès 2020 et 2021. Les résultats tangibles sur la disponibilité devront se confirmer dès que l’organisation industrielle contractualisée sera stabilisée.

27 Avec cette LPM 2019-2025, la nation consent un effort financier inédit pour « réparer notre outil de défense et offrir la remontée en puissance nécessaire de nos Armées », comme indiqué par la ministre des Armées, Florence Parly, le 21 janvier lors de ses vœux. Il est donc du devoir de la DMAé de mener les actions conformes à cet engagement et de toujours rechercher à améliorer la performance globale.

28 Le MCO aéronautique s’inscrit dans cette trajectoire. Et, sa transformation pourrait aller encore plus loin. Le MCO aéronautique est en pleine révolution technologique, combinée à la révolution numérique de toute notre industrie. Des innovations utiles déjà développées dans le monde civil ou militaire seront intégrées progressivement. Pour d’autres innovations, ce MCO en sera le précurseur, avant même les nouveaux programmes d’armement. Sa transformation en fait une matière à façonner pour nos ingénieurs les plus brillants et aiguiser leurs esprits créatifs. La nouvelle ère du MCO aéronautique a besoin de cette richesse, de cette créativité des ingénieurs et de leurs talents pour être à la hauteur des ambitions fixées.

29 Par ailleurs, les échanges avec les maîtres d’œuvre industriels sont facilités grâce à une étroite coordination des actions entre DMAé et DGA. Ce travail collaboratif permet ainsi de mener de front des négociations ambitieuses sur des périmètres globaux étendus (développement, production et MCO). Dans la conduite des projets, DGA et DMAé ont un modèle d’organisation proche, et des métiers semblables. Comme le disait récemment la ministre des Armées en demandant à « briser les silos et travailler en plateau », « les équipes conjointes entre la DGA, l’EMA et les Armées sont constituées. Elles sont actives notamment dans les phases amont ». Si les résultats sont au rendez-vous dans les années à venir pour le MCO aéronautique, il faudra peut-être oser de nouveau, franchir une nouvelle étape pour plus de performance, en étendant ses équipes conjointes aux phases en aval.

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L’insuffisance de la disponibilité des flottes d’aéronefs a incité la ministre des Armées à lancer une profonde restructuration du MCO aéronautique en se donnant de nouvelles ambitions avec la création de la DMAé (Direction de la maintenance aéronautique) et en la dotant des compétences et des moyens nécessaires pour relever le défi. La DMAé, en partenariat avec la DGA (Direction générale de l'armement), l’EMA (État-major des Armées), les forces et les industriels conduira cette mutation.

  • MCO
  • disponibilité
  • DMAé
  • innovation
Monique Legrand-Larroche
Ingénieure générale hors classe de l’armement, directrice de la maintenance aéronautique.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.818.0011
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