CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 « J’ai donné mon cœur aux Américains et je ne pensais qu’à hisser ma bannière et à ajouter mes couleurs aux leurs ». Tels furent les mots du marquis de La Fayette au sortir de la guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique.

2 Ces mots ont su raisonner dans la mémoire de nombreux Américains qui, le moment venu, se sont envolés vers la France pour combattre aux côtés de nos soldats. Il ne s’agissait plus outre-Atlantique de répondre à l’oppresseur britannique qui était devenu un allié puissant de la république américaine, mais bien de tenir tête, au sein de l’Entente, aux agressions de l’empire allemand dans une grande guerre qui durait depuis déjà trois années et qui avait vu s’empiler un nombre record de cadavres.

3 C’est donc le 6 avril 1917 que le Congrès américain déclara l’état de guerre entre les États-Unis et l’Allemagne à la suite de la guerre sous-marine à outrance décidée par l’Allemagne mais aussi de la découverte de la tentative allemande de construire une alliance belliqueuse avec le Mexique.

4 Nous avons commémoré l’année dernière le centenaire de l’entrée en guerre des États-Unis. Mais qui se souvient que bien avant l’entrée en guerre des États-Unis, de nombreux volontaires américains avaient rejoint les forces françaises ? Parmi ces volontaires, nombreux sont ceux qui avaient souhaité s’engager dans l’aviation. En avril 1916, un groupe d’Américains réussit à former « l’escadrille américaine » basée sur l’aérodrome de Luxeuil-Saint-Sauveur en Haute-Saône. Par la suite, lorsque le nombre d’Américains volontaires dans l’aviation eut été trop important pour une seule escadrille, ils furent versés dans d’autres escadrilles et affectés sur différentes zones de combat dans l’Est de la France. Le 6 décembre 1916, l’ensemble de ces escadrilles prit le nom officiel d’escadrille La Fayette.

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Les pilotes de l’escadrille N 124 La Fayette sur le terrain de Chaudun en juillet 1917. Service historique de la Défense.

5 Quel sens donner à cet épisode à l’heure où le multilatéralisme est remis en question et où les États-Unis manifestent une volonté inédite de repli sur soi ? La coopération militaire entre la France et les États-Unis a peut-être connu certains remous, notamment lors du refus par le président Chirac d’engager la France dans la campagne d’Irak. Force est de constater que ce refus français reste encore gravé dans l’esprit de nos amis américains qui ne manquent pas, quand ils en ont l’occasion, de rappeler que leur pays a libéré la France, à deux reprises, au cours du siècle dernier.

6 Il est selon moi important de mener ensemble des actions visant à neutraliser nos ennemis communs. L’engagement de la France en Afghanistan aux côtés des États-Unis et, plus récemment, la participation française à l’opération Hamilton en Syrie début 2018 rappellent que nos deux pays doivent et peuvent travailler ensemble pour la protection de nos concitoyens.

7 La coopération militaire avec les États-Unis doit se mener prioritairement au sein de l’Otan. Malgré un positionnement longtemps ambigu de la France à l’égard de cette organisation, qui une fois quitte le commandement intégré pour s’y réinsérer quarante ans plus tard, la position française actuelle consistant à y renforcer notre participation. Pour cela, nos militaires ont été aguerris aux standards Otan dans les processus de décision et de communication. De plus, pour être crédible et avoir un poids important au sein de l’organisation, la France se doit de respecter l’obligation donnée aux membres de l’Otan de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut hors pension au secteur de la défense. La loi de programmation militaire que nous, parlementaires, avons votée en mars 2018 et qui a été promulguée le 13 juillet dernier prévoit un budget de remontée en puissance qui permettra d’atteindre ces fameux 2 % en 2025.

8 Donald Trump exhorte les pays européens à s’occuper eux-mêmes de leur défense et promet que les États-Unis réduiront leurs engagements au sein de l’organisation du Traité de l’Atlantique Nord, créant ainsi un émoi et une crainte de la part des gouvernements du Vieux Continent. Ce risque doit plus que jamais être pris au sérieux mais peut en réalité être relativisé. En effet, alors que la Russie semble redevenir une menace pour les États-Unis, ces derniers ont tout intérêt à maintenir leurs positions stratégiques sur le territoire européen et à consacrer toujours autant de moyens à notre coopération militaire.

9 L’Europe, avec à sa tête la France, se prépare néanmoins à toute éventualité et tente autant que faire se peut à faire grandir un embryon de défense européenne, avec pour objectif non pas de se substituer à l’Otan mais bien à trouver une juste articulation entre les deux. La mise en place progressive de dispositifs européens de défense (Fonds européen de défense, PESCO, Initiative européenne d’intervention) est aujourd’hui la preuve qu’une partie de l’Europe souhaite tout de même prendre son autonomie sur le plan militaire.

10 Menace en l’air ou risque avéré, la perte de proximité avec les États-Unis aurait des conséquences dramatiques pour la France et pour l’Union européenne. La France doit toutefois maintenir son cap dans ce tourbillon international et il semble inutile de rappeler que pour garder son autonomie stratégique notre pays a aussi l’avantage de disposer de l’arme nucléaire pour sa stratégie de dissuasion.

11 Revenons du côté de nos volontaires américains de l’escadrille La Fayette. Le fait que les premiers d’entre eux se soient retrouvés sur la base aérienne de Luxeuil-Saint-Sauveur n’est pas dû au hasard. Le quart Nord-Est de la France accueillait l’essentiel des forces, créant ce paysage urbain si particulier des villes de garnison. Aux casernes, s’ajoutaient les grands camps de manœuvres et les grandes fortifications. Avec l’apparition de l’aviation durant la Première Guerre mondiale, l’essentiel des forces aériennes s’installa également dans cette région. L’empreinte militaire dans le Nord-Est reste très prégnante, notamment dans les mentalités.

12 Lorsque la Grande Guerre éclate, l’aviation militaire a débuté progressivement son développement, faisant se succéder avions de reconnaissance, chasseurs et bombardiers. Le rôle primordial de l’aviation commence réellement dès la fin de l’année 1916 après un engagement accru, même s’il reste marginal par rapport à celui de l’infanterie ou de la marine. Une épopée qui ne laisse pas indifférentes les populations civiles et dont les gouvernements utilisent l’image à des fins de propagande. Loin de l’horreur des tranchées, les « As » deviennent les héros modernes d’une guerre propre, noble, chevaleresque et technique, qui peut faire rêver et permettre d’améliorer l’image de la guerre auprès des populations.

13 Le premier As, qui n’est autre que Georges Guynemer, devient le symbole français de l’aviation militaire de la Première Guerre mondiale. Héros du ciel, couvert de décorations et totalisant 53 victoires homologuées, il devient après sa mort un héros de légende. La presse relate tous ses exploits : « Pilote et mitrailleur, Guynemer accomplit prouesses sur prouesses » s’exclame Le Journal du 7 février 1916. Au moment de la disparition du valeureux capitaine, la presse n’apprend le drame que le 26 septembre 1917. Le lendemain la plupart des journaux dévoilent en Une la tragique annonce.

14 Ce qui deviendra l’Armée de l’air française connut à cette époque une renommée particulière due à la fois à la nouveauté et l’efficacité du procédé, et au goût de l’aventure qu’offre le voyage dans les airs. Qu’en est-il aujourd’hui ? Si des films comme Top Gun permettent au fantasme du pilote de chasse de se maintenir en bonne condition, l’absence d’état de guerre depuis près de soixante ans a manifestement engendré une distance entre les armées et la population qu’elles protègent. À cet égard, l’armée française déploie une ingéniosité et des moyens considérables pour recréer ce lien armée-Nation et pour améliorer l’attractivité de l’institution militaire.

15 L’Armée de l’air n’est pas en reste. Aucune armée ne bénéficie plus qu’elle de la supériorité technologique de la France dans le domaine militaire. L’industrie aéronautique s’est fortement développée depuis Guynemer et le Rafale est devenu le fleuron de l’Armée de l’air française ainsi que l’acteur principal de son rayonnement à l’étranger. Mais si la population française adulait les « As » durant la Grande Guerre, quel comportement adopter face aux réticences actuelles d’une partie de la population civile ? Notons, à titre d’exemple, le cas de la base aérienne 115 d’Orange. Sur cette base, l’Armée de l’air doit se confronter régulièrement à la société du confort dans laquelle nous vivons et qui se matérialise par des groupements de citoyens voulant mettre fin aux nuisances sonores. Dès lors, il semblera difficile de faire accepter à la population locale l’arrivée d’un nouvel escadron de Rafale dont le bruit sera encore plus important une fois les Mirage ayant quitté la BA 115.

16 Je le disais plus tôt, l’Est de la France, qui a été marqué par les plus grandes batailles du pays, a cultivé la mémoire des grands conflits et est, par son histoire, plus ouverte à la culture militaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint-Sauveur est parfaitement intégrée au territoire et que la population locale est favorable à son activité, voire heureuse d’entendre les avions décoller pour assurer leur mission de police du ciel.

17 La restructuration à l’œuvre par le ministère des Armées et l’état-major des armées ne doit pas oublier ni tous ces éléments ni l’héritage laissé par la Grande Guerre et l’ensemble des conflits qui font partie intégrante de l’histoire de notre pays. Si la Première Guerre mondiale a marqué la naissance de l’aviation à usage militaire, l’époque dans laquelle nous vivons ne doit pas être marquée par son déclin.

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Le 24e escadron de l’American Expeditionary Force en novembre 1918. © Musée de l’Air et de l’Espace.
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La participation d’aviateurs américains avec l’escadrille La Fayette et l’héroïsme des As ont contribué à la victoire de 1918. Ils ont aussi façonné les mentalités en particulier dans le Grand Est dont la culture militaire reste forte. C’est un atout qu’il convient de valoriser aujourd’hui dans un monde incertain.

Christophe Lejeune
Député de la Haute-Saône.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.814.0080
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