CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Monsieur le Président, le Groupe Volvo a décidé de changer le nom de sa branche Défense. Et pourtant les affaires semblent bien marcher ?

1 En effet, les affaires marchent plutôt bien. Avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 500 millions d’euros et un carnet de commandes tout à fait sain et bien réparti, nous sommes raisonnablement satisfaits. Les affaires « France », avec les marchés Scorpion et trois beaux contrats de maintien en condition opérationnelle (MCO), ou encore le marché des 3 700 VT4, qui sont les remplaçants de la P4, en cours de réalisation, sont prospères.

Et à l’export, quelles sont vos performances ?

2 Notre carnet de commandes à l’export se consolide régulièrement, avec encore récemment une belle commande de 300 Sherpa pour un pays du Golfe, et le SFMC (Saudi-French Military Contract) en cours, ainsi que de très beaux résultats en Afrique, en particulier. Le Bastion est un produit qui se vend bien, désormais très combat proven, qui séduit de nombreux prescripteurs.

Votre changement d’identité a-t-il à voir avec la valse-hésitation de la vente puis non-vente de sa branche Défense par Volvo ?

3 En aucun cas. Je profite de votre question pour rappeler que Volvo ne souhaitait pas nous brader et y a renoncé tout en rappelant son soutien déterminé à ARQUUS. Vous avez dû le constater lors de notre soirée événement du 24 mai. Vous verrez par ailleurs le président de Volvo présent à Eurosatory. Quel meilleur témoignage de son soutien que sa présence à l’inauguration aux côtés de la ministre des Armées et du Délégué général pour l’Armement ?

4 Par ailleurs vous avez une histoire prestigieuse, en particulier avec Renault et Panhard qui sont des entreprises plus que centenaires !

5 Nous avons cette chance inouïe d’avoir une généalogie extrêmement riche. Mais je rappellerai en préambule qu’autrefois, parler de mobilité et de protection, c’était parler de sa monture et de son armure… Le cheval d’armes a dominé l’essentiel de l’histoire militaire, d’Alexandre le Grand ou Gengis Khan à Napoléon, dans de nombreux types de missions, la reconnaissance, la conquête d’objectifs, la rupture, mais le cheval militaire a aussi été un fidèle allié de la logistique, de l’artillerie ou du génie. Oui, nous sommes une entreprise centenaire, du FT 17 au Griffon…

Comment ce siècle de coopération peut-il se caractériser ?

6 ARQUUS est fournisseur historique des forces armées françaises… C’est l’histoire d’une symbiose militaro-industrielle couronnée de succès qui commence avec Panhard & Levassor et la première automitrailleuse en 1898, qui culmine avec les industriels privés, les figures mythiques de Marius Berliet (les camions de la Voie Sacrée) et Louis Renault, co-inventeur avec le général Estienne du Char de la Victoire.

7 Cette histoire se poursuit avec des engins non moins légendaires comme le Char B1bis ou l’AMD 178 qui se comportent bien en 1940.

8 Après la Seconde Guerre mondiale, ce sera l’EBR, engin blindé de reconnaissance légendaire de la guerre froide et aussi des opérations en Algérie, l’automitrailleuse légère (AML), meilleur ratio poids, prix, puissance de feu de sa génération, qui a combattu sur tous les théâtres entre son avènement en 1960 et les opérations extérieures de nombreux pays jusqu’à nos jours.

9 Quant au véhicule de l’avant blindé (VAB), qui a réalisé l’exploit de fêter ses quarante ans, 42 versions opérationnelles, présent sur tous les théâtres d’opérations, il vivra au moins cinquante ans… Je n’oublie pas le véhicule léger de reconnaissance et d’appui (VLRA), conçu par Acmat, engin chouchou des forces prépositionnées et des armées d’Afrique de l’Ouest.

10 Enfin, aujourd’hui, ce sont le Griffon et le Jaguar, fruit d’une coopération militaro-industrielle entre un GME  [2] et l’état-major…

Quelles conclusions en tirer ?

11 Certes, ces succès sont le fruit d’une étroite entente entre chefs militaires et chefs industriels. Ils sont aussi le fruit du génie des ingénieurs et opérateurs de nos marques. Ils sont, enfin, le résultat d’une stratégie cent fois remise en cause et renouvelée.

Alors… quelles sont les raisons profondes de ce changement ?

12 Nous avons décidé de nous remettre en question, comme le font de nombreuses entreprises. Il était temps de réfléchir de façon approfondie sur notre positionnement au sein de l’industrie de l’armement terrestre, sur l’éventail de nos gammes de produits. Par ailleurs, il était crucial de bien prendre en compte tous les éléments d’environnement, qu’ils soient sécuritaires ou géostratégiques, mais aussi budgétaires, car les budgets de la Défense augmentent presque partout dans le monde, de nature à faire évoluer notre stratégie.

13 L’industriel de Défense doit donc s’adapter non seulement à l’évolution permanente à laquelle doit faire face l’Armée de terre dans les opérations qu’elle conduit tous les jours en opérations extérieures, comme d’ailleurs sur le théâtre national, et au contexte géostratégique que je viens d’évoquer. Nous avons donc décidé de réviser notre stratégie et cette démarche nous a incités à changer d’identité.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant votre stratégie ?

14 L’objectif clairement affiché est d’être le leader européen incontesté des véhicules blindés légers et médians à roues. Nous visons une croissance de 50 % dans les trois ans. Celle-ci sera rentable et durable. Elle passe, bien sûr, par une amélioration technologique de nos produits, concentrée sur notre cœur de métier, les véhicules tactiques blindés légers et médians à roues.

15 Pour ce faire nous devons avoir une offre complète et renouvelée de produits et services pour proposer aux gouvernements des systèmes terrestres et un soutien intégré efficace. Nous allons concentrer notre budget développement sur fonds propres sur un petit nombre de produits, et parallèlement conduire une politique de partenariats ciblés pour développer des produits adjacents, et pénétrer de nouveaux marchés stratégiques.

Quid de l’innovation dans tout cela ?

16 L’innovation est au cœur de notre stratégie, elle contribue au développement de nouveaux produits mais aussi de celui du soutien, avec des modes de diagnostic et de maintenance prédictive de plus en plus perfectionnés.

17 Nous allons aussi étendre notre offre grâce au développement du soutien, très innovant, mais également par le développement de produits innovants, et donc de travailler sur certaines briques technologiques.

18 En résumé, nous devons être force de proposition, savoir capter les budgets pour faire vivre notre outil, nos cinq usines de production et d’assemblage, dont la santé est le gage de la préservation des emplois dans les bassins de recrutement qui, je le rappelle, sont français.

Nous sommes à la veille du salon Eurosatory 2018. Qu’en est-il de votre portefeuille de produits ?

19 Nous avons une gamme de produits reconnue, en France et à l’étranger, pour trois raisons majeures : la très bonne qualité de nos châssis et de nos systèmes ; la mobilité et l’endurance offerte sur tous terrains, comme les VAB soumis à rude épreuve dans la bande sahélo-saharienne. Enfin, la protection offerte aux équipages s’avère optimale dans des types d’opérations de plus en plus dures sous la menace des IED (Improvised Explosive Device), en particulier. Nous continuerons donc à proposer une gamme mise à jour en permanence (Bastion, Dagger, VAB Mark3, Sherpa…), sans oublier les services de soutien intégrés et leurs innovations.

20 Enfin, je peux vous annoncer que nous dévoilerons, sur la base des briques technologiques innovantes sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui, un nouveau concept de véhicule dans la catégorie des véhicules légers, en vue de préparer l’avenir.

Last but not least, comment s’explique le nom d’ARQUUS ?

21 Ce nom vient de la double racine latine Arma et Equus. Equus, c’est la monture que nous avons évoquée en nous penchant précédemment sur notre histoire ancienne. Arma, ce sont d’abord les armes au sens générique, et nous avons en ARQUUS une contraction d’Armis Equus le cheval d’armes par destination, compagnon d’armes de son cavalier dans la bataille. Nous avons aussi et enfin en Arma la racine du mot « Armure ». Et vous le savez, notre ADN est la mobilité protégée.

22 ARQUUS est donc très simplement, pour nous, évocateur à la fois de cette mobilité et de cette agilité que doivent offrir aux forces les montures modernes, et de la protection contre les projectiles, éclats et dispositifs improvisés de toutes sortes qui agressent le soldat sur le champ de bataille.

23 Avec ARQUUS nous comptons bien faire vivre pour des générations encore cet enthousiasme et ce feu sacré qui animaient nos fondateurs qui ont eu l’intelligence de s’allier avec les chefs militaires dans une symbiose militaro-industrielle efficace au profit des soldats en opérations.

EUROSATORY 2018

figure im01
En complément de cet article, à l’occasion d’Eurosatory, nous vous proposons un Cahier de la RDN disponible gratuitement en téléchargement (www.defnat.com) dans lequel vous trouverez une compilation d’articles récents (Bernard Barrera, Bertrand Gueynard, Alice Guitton, Jérôme Lemaire, Patrick Durieux, François Deloumeau) et originaux (Alain Crémieux, Paul Freiermuth, Olivier Mériau, Yves de Thomasson).

Notes

  • [1]
    L’identité d’ARQUUS a été célébrée le 24 mai 2018. À quelques jours d’Eurosatory 2018, Emmanuel Levacher a accepté de répondre à nos questions.
  • [2]
    Groupement momentané d’entreprises (Nexter, Thales, RTD/ARQUUS).
Français

Héritier d’une histoire plus que centenaire, la branche Défense du groupe Volvo prend désormais l’appellation d’ARQUUS. L’objectif pour l’industriel français est de conforter sa position dans les véhicules blindés à roue et ainsi accroître ses parts de marché en s’appuyant sur sa capacité à innover.

Emmanuel Levacher
Président d’ARQUUS, diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) et de l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD). Conseiller du commerce extérieur de 1997 à 2008.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.811.0133
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Comité d’études de Défense Nationale © Comité d’études de Défense Nationale. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...