CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’aviation porte en elle le sens de l’innovation

1 Le développement continu de l’aéronautique, depuis plus d’un siècle, est le fruit d’une somme considérable d’innovations. Pays pionnier en matière d’exploration de la troisième dimension, la France a toujours pu compter sur la créativité et l’ingéniosité d’entrepreneurs, d’ingénieurs, d’aviateurs ou de simples passionnés, dont les innovations ont porté sur la technique ou sur les usages.

2 Parmi les militaires aviateurs français, à l’origine d’innovations techniques, on peut citer le lieutenant Roland Garros qui, deux ans après avoir effectué la première traversée de la Méditerranée en avion, invente en 1915 un dispositif permettant de tirer avec une mitrailleuse à travers le champ de l’hélice. Dans les quinze jours qui suivent, il remporte trois victoires aériennes avec ce qui est donc le premier chasseur monoplace de l’histoire.

3 S’agissant des innovations d’usage [1], on peut citer le ravitaillement en vol qui est employé pour la première fois à des fins militaires par le commandant Pierre-Théodore Weiss, le 10 janvier 1929. Le ravitaillement en vol avait été inventé auparavant aux États-Unis dans le but d’établir des records d’endurance.

4 Une autre innovation d’usage concerne l’utilisation du parachute par des troupes aéroportées. Le parachute a longtemps été confiné au rôle de simple équipement de secours. Son emploi militaire a été développé par les Soviétiques dans les années 1930, et ensuite « importé » en France par une poignée d’aviateurs, dont le capitaine Frédéric Geille, qui obtiennent du ministère de l’Air la création, en 1937, des toutes premières unités françaises de troupes aéroportées (601e et 602e groupe d’infanterie de l’air sur la base aérienne de Reims et à Baraki en Algérie).

5 Aujourd’hui, l’Armée de l’air fait donc partie des dépositaires de ce prestigieux héritage historique et l’innovation reste au cœur de son ADN. L’état d’esprit et les savoir-faire démontrés par les aviateurs témoignent toujours de cette créativité et de cette ouverture aux idées novatrices. Sur les bases aériennes, de nombreuses initiatives, dans des domaines très variés, sont porteuses d’innovations et méritent d’être davantage valorisées et développées, pour être ensuite largement diffusées.

Plan Air Innov’2022 : état des lieux de l’innovation dans l’Armée de l’air

L’innovation couvre un large éventail et elle est principalement « participative »

6 En octobre 2017, en cohérence avec le chantier ministériel Innovation Défense, le chef d’état-major de l’Armée de l’air a lancé le plan Air Innov’2022 afin d’imprimer une nouvelle dynamique et davantage structurer l’innovation au sein de nos forces.

7 Selon une définition communément admise, l’innovation consiste à intégrer, dans nos équipements ou dans nos usages, soit un processus nouveau, soit une technologie nouvelle. Elle peut répondre à trois objectifs : apporter une solution à un problème ; améliorer un mode opératoire existant ; s’appuyer sur des techniques ou des outils nouveaux pour réaliser ce qui n’était pas encore possible ou envisagé.

8 De façon schématique, l’innovation se décline en deux volets complémentaires : d’une part, l’innovation institutionnelle (approche top-down, portée par les structures de commandement) et d’autre part, l’innovation participative (approche bottom-up, où le personnel propose des idées innovantes).

9 Le plan Air Innov’2022 a débuté par un état des lieux de l’innovation dans l’Armée de l’air. Un premier recensement a permis d’identifier plus d’une centaine d’initiatives développées localement sur les bases aériennes. La cartographie réalisée a confirmé la grande diversité des thèmes qui peuvent être répartis en huit domaines : opérationnel, maintenance, organisation du travail, recrutement, formation, entraînement, condition du personnel, partenariats. Elle rappelle également que, contrairement à certaines idées reçues, l’innovation ne se limite pas au numérique et à la technologie, mais concerne tous les aspects du quotidien y compris la simplification des processus.

10 Parmi cette centaine d’initiatives, on peut citer les projets suivants qui sont pour la plupart menés ou accompagnés par le Centre d’expertise aérienne militaire (CEAM) : LEMM, un mini-drone multirôle, disposant d’une grande autonomie, capable de voler par tous les temps et selon des profils de vol automatisés ; LVC 16, une solution économique qui permet de complexifier les situations aériennes pour les entraînements en permettant de mixer au sein du cockpit des informations virtuelles et réelles ; HeliTracker, un système de communication léger et économique utilisé pour les opérations de sauvetage par hélicoptère en temps de paix ; Elia, un système permettant l’établissement d’une situation aérienne générale à moindre coût en utilisant les signaux émis par les transpondeurs des avions civils et militaires ; Kapu, un adaptateur et convertisseur électrique permettant de recharger de nombreux équipements électroniques (notamment au profit des forces spéciales) dans tout type de véhicules terrestres ; Tacview, permet de débriefer des missions aériennes à partir d’un logiciel issu du monde des jeux vidéo ; Mops, mini-salle de sport, modulaire et portable, pour la pratique d’activités physiques lors de déploiements en Opex ou en exercice.

11 Les deux tiers des projets recensés sont le fruit de la créativité du personnel. Ce constat confirme la pertinence de l’innovation participative et nous rappelle que les solutions innovantes sont souvent apportées par les femmes et les hommes qui sont confrontés à la réalité du terrain. Encourager l’innovation participative permet également de valoriser et motiver le personnel en l’impliquant dans l’amélioration de son environnement de travail.

Les bonnes pratiques qui stimulent l’innovation

12 La cartographie réalisée révèle également que les sites les plus prolifiques sont souvent ceux où le commandement encourage directement l’innovation. Il s’agit également des bases aériennes qui accueillent des écosystèmes ouverts sur l’extérieur et propices aux échanges et aux « fertilisations croisées » avec des entreprises, des start-up ou des chercheurs. Plusieurs écosystèmes de ce type existent dans l’Armée de l’air.

13 Le CEAM de Mont-de-Marsan est l’organisme référent en matière d’innovation opérationnelle. Organisée autour du triptyque « doctrine, équipement des forces et expertise tactique du combattant », l’innovation portée par le CEAM a pour but de résoudre rapidement les problèmes ou les lacunes relevées au sein des forces. Elle est menée selon une approche « terrain » et recherche des solutions « déployables » et idéalement peu coûteuses. À une époque où certaines technologies matures, notamment numériques, sont facilement abordables, le rôle du CEAM est complémentaire de celui de la DGA qui est davantage tournée vers l’innovation technologique de plus long terme. Le CEAM s’appuie sur son environnement de type « Battle Lab », armé par ses experts combattants. Il a développé un réseau ouvert de partenaires constitués d’organismes étatiques et privés. Au quotidien, il fédère également le personnel de l’Armée de l’air grâce à une application numérique (Happi), véritable réseau social de l’innovation, lui permettant d’amorcer des initiatives, d’être au fait de celles des autres et d’être accompagnés dans ses projets.

14 L’École de l’air est un « acteur pivot », au sens de la théorie des écosystèmes d’affaires innovants. Autour de son école d’ingénieur, elle intègre des capacités de recherche académique : le Centre de recherche de l’Armée de l’air (CReA), la chaire « Cyb’ Air », un centre Onera de recherche aérospatiale, le Centre d’excellence drones (CED) et une entreprise de service spécialisée dans la formation (DCI/Airco). Enfin, elle s’appuie sur un vaste réseau de partenaires académiques (groupe ISAE – Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace, Aix-Marseille Université, académies militaires étrangères), économiques (grands groupes industriels) et institutionnels (pôle de compétitivité SAFE cluster, région Paca).

15 Le projet Smart Base se présente comme un « hub innovation » dans le quotidien d’une base aérienne (Évreux). Smart Base est un laboratoire d’innovations destinées à rendre la base plus « intelligente » dans son fonctionnement. Il est organisé autour de trois piliers :

  • Un pilier numérique dans lequel les armées, directions et services (ADS) peuvent expérimenter des applications numériques destinées à moderniser les capacités opérationnelles et les soutiens de la base (ex : téléphonie 4G militaire, adaptation d’Auxylium à la protection d’une base aérienne, logiciel de gestion des accès base et de suivi des visiteurs, portail soutenant-soutenu Eureka, Chorus « déplacement temporaire », application numérique pour la communication interne…).
  • Un pilier partenariats qui participe à la politique de rayonnement de la base. Les partenariats prennent la forme d’initiatives tournées vers la jeunesse (Cadets de la Défense…) et la société civile (festival de BD aéronautique, raid sportif…). Smart Base accueille surtout une pépinière numérique de start-up (Smart Up) qui est insérée auprès des 500 techniciens de la base, spécialisés dans les systèmes d’information et de communication. Cet écosystème et d’autres initiatives connexes constituent un écosystème propice aux fertilisations croisées et insufflent une dynamique autour du numérique et des nouvelles technologies. Ainsi, trois des sept projets présentés en 2017 par des aviateurs à la mission d’innovation participative (MIP), étaient portés par du personnel d’Évreux. À moyen terme ces start-up peuvent également constituer une solution agile et réactive pour le développement de prototypes ou de preuves de concept, au profit des armées ou du pilier numérique de Smart Base.
  • Un pilier condition du personnel qui a apporté une réponse concrète à certaines attentes des aviateurs (ex : drive-in sur base, horaires aménagés, plateforme de collecte de CV pour la reconversion ou pour les conjoints, réaménagement des espaces de convivialité du mess et des espaces verts…).

16 L’équipe de projet Air Innov’2022 a également cherché à identifier les bonnes pratiques et les dispositifs « pro-innovation » mis en œuvre par des entités extérieures à l’Armée de l’air. À ce titre, la Gendarmerie nationale est apparue comme présentant un modèle vertueux et facilement transposable. Elle est en effet régulièrement reconnue pour son action au profit de l’innovation participative [2]. Elle mobilise tous les échelons hiérarchiques et met en œuvre une Hotline qui permet aux 130 000 gendarmes de remonter leurs idées novatrices vers un bureau dédié de la direction générale. Enfin, elle offre aux innovateurs un accompagnement tout au long de leurs projets et reconnaît leur créativité au travers des récompenses et des primes.

De nombreux freins et barrières à l’innovation

17 La cartographie effectuée dans le cadre d’Air Innov’2022 a également permis d’identifier de nombreux freins et barrières qui brident l’innovation.

18 D’abord, le personnel n’est pas suffisamment encouragé à proposer des idées nouvelles. Il est souvent réticent à se manifester spontanément et n’a pas conscience qu’il est potentiellement porteur de bonnes idées qui peuvent être valorisées. Au manque d’émulation s’ajoute la méconnaissance des dispositifs d’accompagnement de l’innovation participative (ex : MIP). Parallèlement, la culture d’excellence à laquelle les armées françaises sont attachées, ne valorise pas suffisamment la prise de risques et reconnaît difficilement le droit à l’erreur pour le développement de projets innovants.

19 Ensuite, pour ceux qui parviennent à développer un démonstrateur, le cheminement des innovations se transforme souvent en parcours d’obstacles au moment du déploiement à grande échelle. Dans le jargon des spécialistes, cette transition du prototype à l’industrialisation est surnommée la « vallée de la mort », car elle est fatale à la plupart des projets. Cette situation résulte souvent de la rigidité des très nombreux règlements (marchés publics, SSI…). Elle est due aussi à l’absence de prise de relais par les entités qui pourraient en assurer la diffusion à grande échelle, cette difficulté étant renforcée par la multiplication des interlocuteurs. La réalisation d’un projet oblige en effet le concours de nombreux organismes du fait du morcellement des prérogatives entre les ADS.

20 Enfin, l’innovation est également bridée par la « fracture numérique » qui prévaut sur presque toutes les bases aériennes. En effet, hormis les cadres et le personnel affecté à des tâches administratives, une grande majorité d’aviateurs n’a pas d’accès direct au réseau Intradef ni à Internet. Cette fracture est également renforcée par la piètre qualité de la couverture de téléphonie mobile sur la plupart des sites Air, souvent étendus et isolés.

Plan Air Innov’2022 : première feuille de route

21 L’état des lieux réalisé au lancement du plan Air Innov’2022 a donc permis de recenser des bonnes pratiques, des catalyseurs et des freins à l’innovation. L’analyse qui en a découlé a ensuite amené au plan d’actions suivant.

Renforcer la culture de l’innovation participative auprès des aviateurs

22 Faisant le constat que chacun, à son niveau et dans son domaine, mûrit des idées nouvelles dont l’application pourrait être pertinente, cette feuille de route vise tout d’abord à renforcer l’innovation participative. Cette action implique une mobilisation de tous les échelons hiérarchiques. À ce titre, chaque base va désormais répliquer la philosophie de la Smart Base pour laquelle l’innovation est recherchée dans le quotidien du personnel et dans le fonctionnement de la base.

23 L’expérience des écosystèmes comme le CEAM, l’École de l’air ou Smart Base montre également que la diversité des approches et la confrontation des idées favorisent l’innovation. À ce titre, l’Armée de l’air renforcera le développement des partenariats. Partout où cela sera possible, notamment compte tenu du contexte sécuritaire, les bases aériennes chercheront à installer des écosystèmes propices à l’innovation, ouverts sur l’extérieur et permettant les échanges et les fertilisations croisées au bénéfice du personnel et du rayonnement local de l’Armée de l’air. Ces « hubs d’innovation » se développeront autour des domaines d’expertise présents sur la base [3] ou autour de thématiques propres à l’environnement local [4].

Organiser un processus foisonnant d’innovations

24 Cette mobilisation en faveur de l’innovation participative s’accompagnera d’une nouvelle organisation de « captation » des innovations et d’accompagnement des innovateurs. Le processus qui permettra aux aviateurs de faire remonter une idée devra être le plus simple et le plus clair possible. Quel que soit le thème d’innovation, le personnel adressera directement, sans filtre hiérarchique, ses idées à une cellule dédiée à l’innovation au sein de l’état-major de l’Armée de l’air (EMAA). Cette cellule l’orientera et l’accompagnera ensuite vers un organisme expert à même de le conseiller et de l’aider dans son projet.

25 Cette nouvelle organisation sera naturellement cohérente avec celle mise en place au plus haut niveau. Ainsi, la cellule innovation de l’EMAA sera en prise directe avec l’innovation Défense Lab (iD Lab) dont une des missions sera de faciliter la diffusion à grande échelle et de participer à la levée des freins et des barrières.

Innovation institutionnelle

26 L’Armée de l’air a également lancé un certain nombre d’initiatives au titre de l’innovation institutionnelle.

27 En liaison avec la DGA, elle entend renforcer la préparation de l’avenir par une politique ambitieuse de démonstrateurs et de défis. Pour cela, elle a établi une première liste de projets liés aux enjeux de la prochaine décennie et susceptibles de mettre la France en situation de précurseur. Ces démonstrateurs et défis porteront notamment sur le développement du système de combat aérien futur (SCAF) et ses « effecteurs », la préparation des prochaines étapes du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) – domaines C2, ISR et spatial, les futures capacités de défense sol air…

28 Parallèlement, l’Armée de l’air mettra en place les outils indispensables aux futurs usages numériques. Sur les bases aériennes, l’effort portera sur le renforcement de la couverture de téléphonie mobile 4G, aujourd’hui largement insuffisante. Le but est d’installer un « environnement connecté », propice au développement et à l’utilisation d’applications sur smartphone pour les usages du quotidien. Cet effort participera à l’amélioration de la condition du personnel et devra naturellement être compatible avec nos règles de protection de l’information. En liaison avec les autorités compétentes (DGNum, Dirisi…), l’Armée de l’air évaluera également l’intérêt des « bulles » de téléphonie mobile sécurisées et dédiées à des usages militaires (notamment au profit de la sécurité-protection).

29 Enfin, elle entend rénover le management de l’information à l’EMAA et sur les bases aériennes, notamment en s’appuyant sur de nouvelles plateformes de travail collaboratif plus conviviales et plus fonctionnelles, déployées sur les postes de travail et les smartphones personnels.

30 * * *

31 Innovante par nature, l’Armée de l’air s’inscrit aujourd’hui pleinement dans la démarche initiée par la ministre des Armées et matérialisée par la création de l’agence de l’innovation de défense. Les aviateurs devraient trouver dans cette DARPA [5] à la française un interlocuteur privilégié, tant le milieu aérospatial reste plus que jamais propice à l’innovation technologique. Ils sauront aussi y trouver les ressources pour faire aboutir les nombreux projets concrets qui feront la différence demain, tant en opération que dans le quotidien des bases aériennes.

Notes

  • [1]
    L’innovation d’usage consiste à attribuer un nouvel usage à un outil existant.
  • [2]
    Prix Hermès 2017 de l’innovation par le Club des directeurs de l’innovation de Paris.
  • [3]
    Ex : les forces spéciales à Orléans.
  • [4]
    Ex : le MCO aéronautique à Bordeaux ou le Plateau de Saclay à Villacoublay.
  • [5]
    DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) : Agence de la défense américaine chargée de la recherche et du développement de nouvelles technologies à usage militaire, créé en 1958 par le président Eisenhower en réponse au lancement de Spoutnik par l’URSS. La DARPA est gratifiée d’innovations majeures comme le GPS et Internet.
Français

L’Armée de l’air a toujours porté en elle l’innovation. Aujourd’hui, innover est dans les gènes des aviateurs avec de nombreuses initiatives pour renforcer ce mouvement. Le plan Air Innov’2022 doit stimuler les bonnes pratiques et lever les barrières qui pourraient constituer des freins. Innover permettra à l’Armée de l’air de faire la différence.

Olivier Taprest
Général de corps aérien, major général de l’Armée de l’air (MGAA).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.809.0021
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